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plus rarement ses tournées de quête, et rapportait à ses frères beaucoup moins de dons volontaires et joyeux. Quand il se mettait en route, c'était ordinairement pour des missions d'un autre genre. Le monastère lui confiait volontiers toutes les entreprises difficiles, qui demandaient du courage, de l'adresse et du sang-froid; d'abord, parce que le Père Pacôme possédait à un haut degré toutes ces qualités estimables; puis, parce que ses voyages fréquents l'avaient familiarisé avec tous les dangers, les détours et les inconvénients des routes.

En ce moment, par exemple, Hedwige ne vit courir, derrière le bryczka du Père, ni chien de garde, ni moutons, ni bélier; elle n'aperçut ni sacs, ni cruches, ni provisions dans la voiture, et elle pensa que le but du voyage actuel du bon moine n'était point d'entreprendre une quête pour les besoins du couvent.

Au moment où les deux chariots allaient se croiser, elle fit signe à son cocher d'arrêter la voiture, et salua le Père en lui disant :

-Loué soit Jésus-Christ!

-Dans les siècles des siècles, répondit le Père Bernardin.

Et la petite Emma, qui connaissait bien le bon religieux, lui sourit et étendit la main, comme si elle eût voulu saisir sa grande barbe.

-Je suis bien content de vous rencontrer, Mademoiselle Hedwige, dit le Père Pacôme se levant de son siége ; je m'en allais justement de ce pas à Igliça.

-Mon père et ma mère seront bien heureux de vous recevoir.. J'allais promener ma mère dans les champs, mais nous sommes encore bien près de la maison.. Désirez-vous que je vous accompagne ?

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-Si vous levoulez bien, ma fille..Je ne pourrai pas m'arrêter longtemps chez votre M. père, et je suis chargé d'une lettre et d'une mission auprès de vous.

-D'une lettre ? répéta Hedwige.

Elle jeta les yeux sur le visage du Père, et ce regard confirma la remarque qu'elle avait faite au premier abord: Toute la gaieté, la vivacité et la fraîcheur habituelles avaient disparu de la franche figure du Père : il était bruni, jauni, fatigué, et l'ont eût dit qu'il voilait, sous sa barbe et sous ses rides, une tristesse qu'il ne voulait pas laisser voir.

Mais la présence des conducteurs empêcha Hedwige de questionner le bon Père. Elle ordonna de tourner bride, et en dix minutes, on fut de retour à la maison.

Les premières salutations étaient à peine échangées, et le Père Pacôme avait à peine trempé ses lèvres dans une tasse de café qu'on lui avait fait servir, lorsqu'il dit, en se tournant vers ses hôtes, avec autant de gaieté et de cordialité qu'il put en faire voir :

-Il y a déjà longtemps que vous ne m'aviez vu, mes enfants..c'est

que j'ai fait dernièrement une longue tournée, un voyage presqu'en Wolhynie.

-En Wolhynie! répéta M. Oksinski d'un air préoccupé.

-Oui: notre Révérend Prieur m'avait envoyé chez nos frères du couvent de Luck, avec lesquels nous avions à traiter quelques affaires.. Et j'ai été retenu assez longtemps en route. Le pays n'est pas tranquille par là..Je me suis justement trouvé dans la petite ville de B*** au moment où il s'y tenait un conseil de guerre.

-Ah! firent Madame Oksinska et Hedwige, en épiant l'altération et l'embarras qui se peignaient sur les traits du vieillard.

--Mais cela ne m'aurait pas retenu longtemps, car ce n'était pas mes affaires, s'il,..s'il.. n'y avait pas eu une..une..condamnation à mort.. Un jeune et aimable seigneur, un brave chef de bande..

Cette fois, la mère n'osa plus parler, mais Hedwige rompit le silence. -Mon Père, dites-moi vîte si c'est lui, murmura-t-elle en saisissant la main du moine.

La fermeté du prêtre l'abandonna un instant à cette supplication éloquente et résignée.

-Hélas! oui, c'est lui, mon enfant, dit-il d'une voix altérée par les larmes. J'ai dû le préparer à la mort, moi qui jadis avais tant espéré le voir s'unir à vous, moi qui croyais dire un jour le Benedicite à votre repas de noce et venir vous visiter souvent dans la vieille maison de votre père ! Hedwige sentit ses forces l'abandonner. Un instant, elle s'assit et posa ses mains sur son visage: puis elle releva lentement ses yeux, d'où pas une larme n'avait encore coulé.

-Vous dites que vous l'avez préparé à la mort, mon Père ? reprit-elle. Est-ce donc qu'il s'est montré repentant, qu'il s'est purifié de ses erreurs et réconcilié avec son Dieu ?

-Il s'est conduit comme un catholique fervent, comme un vrai fils de l'Eglise il a humblement et avec beaucoup de regret confessé ses fautes, et il a accepté les souffrances, les humiliations et les angoisses de la dernière heure, comme une expiation salutaire, méritoire aux yeux de Dieu. -Et de quelle manière est-il mort? demanda le Père d'Hedwige. -Fusillé, répondit le moine en baissant la tête.

-C'est bien il est mort en soldat, répliqua M. Oksinski.

:

-Il est mort en chrétien.. cela vaut mieux, mon père, dit Hedwige. moins abattue, retrouvant ses forces et se relevant.

-Ma pauvre enfant, vous m'effrayez. . vous êtes si calme ! dit le prêtre. J'aimerais mieux vous voir pleurer que de vous voir combattre ainsi. Voulez-vous que je vous parle de lui?.. Peut-être quelques-uns de ses derniers souvenirs vous soulageront en vous arrachant des larmes.

-Racontez-moi tout, mon Père, dit Hedwige. Mais ne croyez pas que je souffre et que je lutte, parce que je ne pleure pas.. Mon Ladislas était

perdu pour moi, et je l'ai beaucoup pleuré. Mais voici qu'enfin je le reconnais et je le retrouve,.. mon premier ami d'enfance, mon fiancé de l'autre vie !

Le moine regarda un instant Hedwige avec une profonde expression de bonté et de respect; il imposa les mains sur ce jeune front tout ferme et rayonnant sous sa couronne de martyre, puis il commença, en raffermissant sa voix et en essuyant ses yeux:

"Aussitôt que l'arrêt fut prononcé, le seigneur Ladislas demanda un prêtre, et on le lui accorda sans trop de difficulté, parce que l'exécution devait avoir lieu le surlendemain. Je me trouvais justement avec mon bryczka stationné sur l'Hôtel-de Ville; on vint me proposer cette douloureuse mission, et je l'acceptai avec d'autant plus de zèle lorsque j'appris le nom du condamné. Je n'étais pas sans avoir entendu parler du rôle bruyant qu'il avait joué et des scandales qu'il avait donnés dans les grandes villes étrangères, et je me disais que ce serait pour moi une bénédiction au-dessus de toutes que la grâce de réconcilier cette pauvre âme avec son Dieu.

"Ah! quand on m'introduisit dans le cachot, j'eus quelque peine à reconnaître dans le prisonnier blessé, amaigri et défait, le brillant et fier gentilhomme que j'avais vu tant de fois tout enfant galoper à cheval ou poursuivre des papillons avec Mlle Hedwige ! Mais, malgré sa pâleur, son trouble et sa tristesse, il y avait sur son front et dans ses yeux une expression qui me fit plaisir. Ce n'était pas l'air d'audacieuse bravade d'un homme qui joue avec la mort, ni le désespoir mal voilé d'un mourant qui regrette la vie c'était l'expression grave, attendrie et repentante d'un pécheur qui va rencontrer un juge, mais qui s'attend aussi à trouver un père la-haut.

"Il me sourit et me tendit la main en me voyant entrer; mais il fut bien plus content encore quand je lui eus dit qui j'étais, quand je lui rappelai que plus d'une fois dans son enfance je l'avais emmené dans ma carriolle et fait sauter sur mes genoux: "Je vois bien, m'a-t-il dit, que "Dieu veut que je meure tranquille et repentant: c'est pour cela qu'il "vous envoie. Vous le direz à Hedwige Oksinska lorsque vous la verrez. "Savez-vous à qui je dois mon repentir d'hier, ma tranquillité d'aujour"d'hui, mon bonheur peut-être de demain ?... Eh bien! c'est à elle, rien qu'à elle. Elle m'avait donné, à mon départ, cette bague bénie à Czens"tochowa, dans la chapelle de la Vierge, et elle m'avait fait jurer de la "porter toujours... C'est la seule fidélité que je lui ai gardée, à ma pauvre "et tendre Edwige... Et bien! elle m'a porté bonheur : elle m'a fait rougir "de ma vie coupable, en me rappelant la pureté et la joie de mes années "d'adolescent.

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"Je l'exhortai à fonder son repentir sur des motifs plus profonds et moins futiles: " Ne vous étonnez pas de ce que je vous dis, mon Père...

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"Tout chemin mène à Dieu, quand l'heure de la grâce est venue. Hier, "quand je me suis trouvé seul ici, lorsqu'on a eu prononcé mon arrêt, "j'ai pensé à partager entre mes amis les quelques objets qui me restent, "et mes yeux sont tombés (était-ce par hasard ?) sur cette bague que je "porte toujours au doigt. En la voyant j'ai pensé d'abord à celle qui me "l'avait donnée. Dans un seul élan du cœur, j'ai franchi les jours troublés "qui m'ont séparé d'elle, et je suis revenu au temps où je n'aimais qu'elle, "où je croyais à la vertu parce j'étais vertueux, où je chantais, moi "aussi, mon salut à la Vierge tous les matins et tous les soirs, et où je ne "rougissais point de la prier à côté d'Hedwige. Une subite lueur s'est "fait dans mon esprit, et j'ai reconnu que, depuis ces derniers beaux jours, “j'avais toujours été égaré, pervers et misérable, tandis qu'alors j'étais... 'j'étais heureux. Et ici il m'a semblé qu'une voix me disait: Tu peux “l'être encore... non plus sur la terre, où tu t'es égaré, où tu t'es flétri, “où tu t'es rendu indigne d'Hedwige... mais dans l'avenir sans fin, mais "dans l'autre vie, où il y a place pour tous les amours, espoir pour tous "les repentirs, pardon pour toutes les fautes. Il m'a semblé que cette . "voix c'était la voix d'une mère, et j'ai cru voir en même temps sur ma "bague le regard de la Vierge qui me souriait. C'était là la première "aurore qui venait dorer cette grande solitude de mon cœur. Puis est "venue la clarté, le grand jour, le soleil... Toute la nuit, je me suis rap"pelé, j'ai cherché, j'ai pleuré, j'ai combattu, et, ce matin, j'ai demandé "un prêtre."

-Soyez bénie, ô Mère ! c'est vous qui l'avez sauvé, dit Hedwige, en jetant un regard sur l'image de Marie, qui reluisait sur la plaque d'or, à la muraille du salon.

-Vous l'avez dit, mon enfant. La grâce du bon Dieu avait déjà tant agi, qu'il me restait bien peu de chose à faire. J'ai reçu les aveux du prisonnier; je lui ai accordé, au nom de Dieu, le pardon de ses fautes, mais je n'ai pas eu besoin de l'encourager contre les terreurs de la mort: il les voyait sans frémir, lui qui était plus jeune et plus intrépide que moi. Mais je l'ai bien engagé à offrir à Dieu ses regrets, ses humiliations, ses dernières souffrances et sa jeunesse si tôt tranchée. Je lui ai appris qu'on ne peut jamais acheter à un trop grand prix le bonheur éternel, et qu'une toute petite couronne là-haut vaut tous les sacrifices de la terre. Il me semble que je l'ai convaincu, et qu'il ne regrettait plus rien d'ici-bas, pas même vous, ma fille, parce qu'il était certain qu'il vous retrouverait au ciel pour toujours. Aussi, en marchant à la mort, il a supporté la sympathie des assistants sans faiblesse, leurs acclamations sans fierté et les insultes de ses ennemis sans colère. Il m'a fait ses adieux pour vous et pour ses amis, et il est tombé, dès les premières balles, en parlant de son pays et de son Dieu. Je ne vous apporte pas sa bague, qu'il a voulu garder dans la tombe à son doigt, mais je me suis chargé de vous remettre cette lettre...

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Voici ce que Ladislas, sur le point de mourir, écrivait à sa fiancée : "Pensez-vous encore à moi, Hedwige? Vous savez déjà sans doute que depuis longtemps j'avais oublié le Dieu et les amis de ma jeunesse, que "j'avais faibli dans des entraînements coupables et que je m'étais rendu "indigne de vous...Mais Dieu a eu pitié de moi : le malheur m'a ramené à "lui, Hedwige. Or, revenir à lui, n'est-ce pas revenir à vous ?

"Il est vrai qu'ici-bas nous allons être séparés, que les ombres de la "mort m'environnent....Mais la mort purifie en même temps qu'elle sépare. "Si je vous avais revue ici-bas, je n'aurais pas osé vous présenter ma "main de prodigue, ma main de joueur, ma main de duelliste; mais mon "sang bientôt versé la lavera peut-être, et je pourrai vous la tendre avec "confiance et amour, lorsque nous nous reverrons là-haut.

"Votre fiancé et votre ami,

LADISLAS W."

Hedwige lut cette lettre sans faiblir; elle y déposa un baiser et y la issa tomber ses premières larmes; puis elle l'emporta en silence, gardant comme un trésor ce dernic billet, qui l'appelait au suprême rendez-vous du ciel.

Dès le lendemain, elle prit le deuil. Mais, en dépit de ses vêtements noirs et de son visage un peu pâle, il y avait beaucoup de calme sur son front et beaucoup d'espoir dans ses yeux. On remarqua qu'en même temps que sa robe de veuve, elle avait commencé à porter une petite image de la Vierge qu'elle tenait suspendue au cou par un étroit ruban bleu. Et lorsque Fanny lui demanda, quelques jours après, pourquoi elle ne quittait plus cette médaille: "C'est que je dois accomplir mon vou, dit-elle. La Vierge m'a exaucée; à moi de tenir ma parole maintenant."

VI.

Ainsi deux des voeux avaient été entendus. Un seul restait stérile : c'était celui de la pauvre jeune mère. C'était à cela précisément qu'elle pensait, la veille de la Notre-Dame-d'Août. Déjà les rideaux de sa chambre étaient tendus et sa veilleuse allumée. Elle finissait d'endormir son petit garçon sur son cœur, ayant calmé par une longue chanson, ses vagissements et ses plaintes bruyantes, car il se faisait entendre, lui, fort et distinctement. Un jour il parlerait en maître, bien loin de partager l'éternel silence de la pauvre petite Emma. Avec cela, il était bien beau, bien fort et ressemblait en tout à son père: de plus c'était un garçon... Eh bien! c'était pourtant l'autre enfant que Fanny aimait le mieux : car c'est toujours ainsi ; cherchez dans une nombreuse famille l'enfant le plus souffreteux, le plus frêle, celui qui a fait couler le plus de larmes et passer le plus de nuits, et vous pouvez être certain que vers celui-là surtout se penche

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