CHRONIQUE. I. CANADA: La Congrégation de N.-D. à Ottawa.-La Présentation-St. Vital.-Mde. Trincano.-L'Hon. Juge Smith.-Concours de Poésie. -Lord Young.-Les tapageurs.-Ontario.-La Baie d'Hudson. ROME-Pie IX et la Franc-Maçonnerie.-La liberté.-Le trône de Pie IX.-Mgr. Tizzani.-Persécutions au Japon. ESPAGNE-Triple absurdité. ITALIE:-Voyage du Prince Napoléon. PRUSSE :-Rôle machiavélique. RUSSIE:-La campagne d'été. AUTRICHE:-Panique financière, EGYPTE:-Chemin de fer d'Alexandrie. L'AMÉRIQUE:-Grant. Les Dames de la Congrégation de Notre-Dame ont ouvert un Externat à Ottawa sur le même plan que celui de la rue Saint-Denis; cette détermination a été parfaitement accueillie par le clergé et par la population de la capitale. Depuis longtemps déjà elles avaient été sollicitées d'y fonder un établissement. Cette année enfin elles ont pu donner cette satisfaction aux nombreuses familles que le siége du Gouvernement a forcées de se transporter à Ottawa. L'Externat est ouvert, les élèves y accourent en grand nombre; déjà les classes ne suffisent plus et l'on parle d'acquérir un nouveau terrain pour étendre la bonne œuvre. -Chaque année la fête de la Présentation de la Vierge au Temple, réunit, sous les voûtes de l'élégante chapelle du grand Séminaire de la Montagne, les vénérables fils de M. Olier, qui célèbrent ce jour leur fête patronale. L'office du matin se termine par une touchante cérémonie dont les fidèles de Montréal ont été pendant longtemps les témoins, la Rénovation des promesses cléricales. Il est beau, il est touchant de voir cette troupe de jeunes lévites, brûlants de ferveur et brillants d'espérance, ces vétérans du sanctuaire blanchis dans un ministère de charité qui compte parfois un demi siècle de travaux et de dévouements, il est touchant de les voir se prosterner et renouveler aux pieds des autels leurs serments et leur sacrifice avec toute l'ardeur de leurs premières années: "Le Seigneur, disent-ils, est la part de mon héritage," et le Seigneur sait s'ils disent vrai, et avec quelle générosité ! Pendant ce temps le choeur des Ecclésiastiques et celui du Collége redisent à l'envi le sacrifice de la Vierge, enfant de trois ans, qui donna la première l'exemple de cette offrande, et répètent à chaque fois la strophe de la consécration: "Voilà pourquoi, Seigneur, ta famille se consacre à toi; Toi qui né de la Vierge Marie Renait chaque jour par notre ministère." Cette année l'éclat de cette cérémonie a été rehaussé par la présence de trois Vénérables Prélats qui, venant à cette fête de famille, ont voulu par là témoigner de leur haute estime pour le Séminaire de Saint-Sulpice et les grandes œuvres qu'il dirige avec tant de bénédiction pour le bien de l'Eglise et du pays. Mgr. de Montréal officiait; Mgr. Rogers, évêque de Chatham, et Mgr. LaRocque, évêque de Saint-Hyacinthe, assistaient aux places d'honneur qui leur avaient été préparées. Un bon nombre de prêtres de la ville et des paroisses voisines, étaient aussi accourus à cette solemnité. Après le dîner, Nos seigneurs les Evêques furent reçus par le grand Séminaire et le Collége; le soir Mgr. Rogers chanta les Vêpres et le Salut. Huit jours après, Verchères avait aussi sa fête: le premier Pasteur du diocèse était là de nouveau, au milieu de ses enfants et présidait à la translation solennelle des reliques de St. Vital, que la paroisse a dernièrement reçues de Rome. Nous voudrions n'avoir que de joyeuses nouvelles à raconter, malheureusement deux morts se présentent à enrégistrer pour ce dernier mois: celle de Madame Trincano, religieuse du Sacré Coeur, et celle de l'honorable juge Smith. --Marie Thérèse Trincano était née près de Milan; elle reçut son éducation en France, entra au Sacré-Coeur en 1831, et fut envoyée en Amérique en 1847. Après avoir rempli pendant quatorze ans les fonctions d'assistante et de maîtresse des novices au couvent de Manhattanville, Etat de New-York, elle vint en Canada pour prendre la direction de la maison du Sault-au-Récollet où elle vient de mourir. C'est près de dix années qu'elle a consacrées au milieu de nous à l'instruction et à l'éducation des jeunes personnes. Femme d'intelligence, de savoir et de piété, son passage a laissé des traces qui ne s'effaceront pas: son action ne s'est pas seulement fait sentir auprès des élèves qu'elle a formées; mais elle a rayonné jusqu'au sein de notre société où par ses conseils elle a su répandre l'amour du bien et de la vertu. -L'Honorable Juge Smith était de Montréal, il avait fait ses études en Ecosse, et son droit en Canada, sous Messieurs Beaubien et Gale: entré au Barreau en 1830, il se mêla autant aux luttes de la tribune qu'aux luttes judiciaires. En 1844, il fut député à la Chambre par les cantons de l'Est et nommé Procureur-Général la même année. Il occupa ce poste important jusqu'en 1847 et ne le quitta que pour aller s'asseoir au Banc de la Reine. Esprit supérieur dans toutes les fonctions qu'il a remplies, il se fit surtout remarquer par un grand attachement aux devoirs de sa charge et une parfaite exactitude à les remplir; il est mort le 29 novembre. -Le journal de l'Instruction Publique a publié le mois dernier le rapport de la Faculté des Arts de l'Université-Laval sur le concours de Poésie de l'année 1868. Nous en détachons le morceau suivant où il est parlé de M. E. Prudhomme qui a obtenu la Médaille d'argent. Nos lecteurs connaissent déjà ce jeune Poète, qui promet d'être une des gloires de Montréal. "J'arrive enfin au poëme qui a déterminé les suffrages du jury et auquel la Faculté des arts a décerné la médaille d'argent. S'il n'a pas obtenu la palme la plus brillante, l'auteur saura bien la ravir un jour. Déjà nommé honorablement dans ce concours, il monte rapidement au sommet de la perfection. Son talent se fortifie; et, bientôt, comprenant que le travail et l'étude peuvent seuls donner à la fécondité, quelque peu exubérante encore de sa pensée, des jets moins multipliés, mais plus forts, des détails plutôt choisis que nombreux, il émondera le feuillage trop abondant de sa poésie. Il sait déjà embrasser un sujet dans toutes ses parties, l'agrandir même à son gré, se tracer un cadre vaste et régulier, et le remplir, sinon avec cette perfection et cette sobriété qui sont d'un art consommé, du moins avec cette abondance qui ne laisse plus que l'embarras du choix. "Dans un court prologue le poëte annonce heureusement son sujet et les divisions de son sujet. Il me permettra d'en citer quelques strophes qui me dispenseront d'analyser moi-même son ouvrage. Je voyais s'avancer, étincelants et calmes Des prêtres au cœur généreux; Prédicateurs du Christ, ils portaient tous des palmes Je voyais s'avancer les âmes de ces braves Je voyais resplendir dans l'azur diaphane Sur terre, elles priaient, loin d'un monde profane Ces martyrs rayonnant de fraîcheur et de grâces Ils venaient se pencher à travers les espaces Le missionnaire, le soldat, la vierge chrétienne: voilà les sujets que le poëte célèbre dans trois chants; voilà les martyrs dont il chante le dévouement. On le voit: non content des héros qui ont fécondé de leur sang la semence de la foi dans les forêts de la Nouvelle-France, sujet vaste déjà et capable d'effrayer un esprit plus timide que le sien, l'auteur chante le soldat, qui, lui aussi, prodigue ses jours à la défense de la religion de la patrie, et la vierge chrétienne qui sacrifie à l'amour de son Dieu les jours d'une vie brillante, heureuse et honorée selon le monde pour s'ensevelir vivante entre les quatre murs d'un cloître comme entre les planches d'un tombeau. C'est ainsi que le poëte agrandit son sujet; qu'il ouvre des perspectives nouvelles en multipliant les objets qui l'avoisinent. Le premier chant avec moins d'éclat dans les images, moins de pureté dans le goût et dans le style, rappelle involontairement la manière de Victor Hugo dans quelques pièces qui signalent la seconde période de son génie. Ce sont les mêmes énumérations, la même profusion de détails, la même anatomie de la pensée. On croit sentir le scalpel du médecin, disséquant à plaisir, je ne dirai pas le cadavre mais les ailes de la poésie. Rarement les vers s'élancent vers les sublimes sommets où plane le génie lyrique; il semble parfois embarrassé dans les plis nombreux de son vêtement et se traîner péniblement lorsqu'il devrait voler d'un vol libre et hardi dans les régions sublimes de l'air. Sans doute, le poëte, en continuant de bien penser, donnera à son vers une allure plus franche, un vêtement plus brillant, un ton plus élevé et plus soutenu, tout ce qui lui manque encore du côté de l'élégance, de l'harmonie, de la noblesse et de la précision. Ces défauts ou plutôt ces imperfections sont moins sensibles dans le second chant: la variété du rhythme donne à la poésie une aisance qu'elle n'a pas dans les grands vers. Cependant si la muse encore timide, en parcourant, sous l'armure des preux, les chants du combat, fait parfois jaillir une étincelle cachée sous la cendre, parfois aussi, elle brûle ses ailes au feu mal éteint du canon. Je ne dirai rien du troisième chant, intitulé la Vierge de Dieu, où l'auteur fait parler l'esprit du siècle et l'esprit du ciel. M. Eustache Prud'homme, notaire à Montréal, lira lui-même cette partie de son ouvrage avec l'épilogue qui termine le poëme, et vos suffrages apprécieront, mieux que je ne le pourrais moi-même, les mérites de notre jeune poëte.' -Lord Monck nous a quitté après avoir reçu de sa Souveraine un témoignage flatteur de sa bonne administration. Son Excellence Lord Young, décoré Grand-Croix de l'Ordre du Bain, est arrivé à Ottawa. I est, dit-on, enchanté de la réception qui lui a été faite par toutes les Associations de la Capitale ; et le peuple d'Ottawa de son côté, charmé de l'air de dignité, d'intelligence et de bienveillance qui se peint dans tous les traits de notre nouveau Gouverneur. Que son séjour soit aussi heureux que sa venue. S'il pouvait enfin mettre d'accord ces braves tapageurs de la Nouvelle-Ecosse. Ils vont ruiner leur tempéramment, ces braves gens, tant ils parlent et tant ils écrivent, et puis quel profit! Les gens d'Ontario sont-ils plus sages! Ils le croient assurément, ce qui ne les empêche pas de défaire, cette année, ce qu'ils ont fait lannée précédente, et de rendre aux mines du lac Supérieur la franchise et la liberté dont elles ont besoin pour prospérer. Voilà qui est franc, ils ont eu tort et ils l'avouent. Cependant ne vous fiez pas à leurs chiffres et à l'air de prospérité que leurs finances affichent, il pourrait bien y avoir plus tard le revers de la médaille. C'est sans doute pour prévenir tout scandale que le gouvernement se lance dans la voie des économies et refuse cette année les subsides octroyés jusqu'ici aux écoles de diverses sectes religieuses. Ce projet a fort indisposé les conservateurs, une députation a été envoyée au PremierMinistre qui ne paraît nullement décidé à revenir sur ses pas, et voilà la discorde jusque dans le camp des défenseurs du Ministère. -Les nouvelles qui nous sont venues d'Angleterre sont au moins plus agréables. Sir G. Cartier a parfaitement mené les négociations qui ont rapport à l'acquisition du Territoire de la Baie d'Hudson; le Canada n'aura rien à payer à la Grande Compagnie, et nous allons être riches avant peu; nous aurons le pôle nord, et le fameux passage où l'on ne peut guère passer; nous aurons le pôle froid, le pôle magnétique, tous les pôles désirables, et de la glace pour tous les étés; puis comme prime, toutes les familles d'ours bruns et blancs, tous les genres de baleines, de phoques et d'Esquimaux imaginables, voilà donc un vaste champ qui s'ouvre à la colonisation! hâtons-nous d'y convoquer l'Europe toute entière, car messieurs les Yankees pourraient bien nous jouer le nouveau tour d'acheter le territoire du nord-ouest, comme ils ont acheté le territoire d'Alaska, quittes à payer la grande compagnie, en commandant une promenadmaritine sur nos côtes à l'Amiral Farragut. Nous avons reçu la brohure intitulée: Le Canada et les Zouaves Pontificaux. Nos remercîments à qui de droit. C'est une heureuse idée que celle qu'a eu le Comité de Montréal de recueillir toutes les pièces officielles qui ont trait au mouvement catholique qui a si profondément remué le pays. Elles perpétueront le souvenir d'un des faits les plus beaux de l'histoire du Canada. Nous avons égalemeut reçu un Souvenir du Rév. P. M. Mignault, notre reconnaissance à l'estimable M. Dion. II. Parmi les outrages que l'on adresse au pape et que l'on renouvelle précisément à l'heure où nous écrivons, il faut mentionner ceci: "La franc-maçonnerie publie le procès-verbal d'une loge de Sicile constatant l'initiation du F. Jean-Marie Mastaï-Ferretti, et accompagne ce procèsverbal d'une photographie représentant le saint-père revêtu des insignes maçonniques. * On a repoussé plusieurs fois cette odieuse calomnie. Mais nous ne devons pas craindre d'y revenir, en joignant quelques détails inédits que nous tenons de la source la plus élevée. La méchanceté des sectaires a assigné, il est vrai, à ce prétendu fait des circonstances trop diverses pour qu'il n'en ressorte pas sa fausseté évidente. Ainsi, ils ont dit d'abord que Jean-Marie Mastaï avait été initié dans la loge de Sinigaglia, son pays; puis d'autres se sont rabattus sur l'Amérique méridionale, où, le comte, devenu missionnaire, donnait l'exemple du plus grand zèle apostolique; d'autres encore ont parlé de l'Amérique du Nord qu'il n'a jamais traversée en désespoir de cause, ils le font recevoir en Sicile, dont il ne connait les rivages que par les cartes géographiques. Or la jeunesse du comte Jean-Marie Mastaï s'est écoulée dans une retraite presque absolue. Sa santé exigeait cette retraite et lui facilitait la méditation et la piété. Il y a souvent quelque trait de la miséricorde céleste sous les maux dont Dieu permet que nous soyons atteints. L'enfant souffrant préparait à son insu ses saintes et glorieuses destinées. "On s'est efforcé en mille manières de calomnier ma jeunesse, disait encore récemment Pie IX à un personnage ecclésiastique. Notre-Seigneur Jésus-Christ et la très-sainte Vierge savent, ajoutait-il avec humilité, que si je n'avais pas les vertus d'un saint, j'étais du moins un jeune homme toujours craignant Dieu, adonné à la prière et à la fréquentation des sacrements. Etaient-ce là des dispositions pour m'enrôler dans la franc-maçonnerie ?" La piété du comte Mastaï était telle que, tout jeune homme et laïque, il fut nommé par Pie VII à la présidence de l'hospice dit de Tata Giovanni, charge que l'on n'avait jusqu'alors donnée qu'à des ecclésiastiques. Au reste, sous l'habit laïque, il faisait ses études pour le sacerdoce et visitait avec une ferveur singulière les sanctuaires de Rome, surtout ceux de la Vierge Marie. En vérité sont-ce là les mœurs et les dévotions d'un franc-maçon ? Mais, mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose, a dit Voltaire, et ses disciples n'ont pas dégénéré de leur père. Une parole profonde où se revèle l'âme généreuse, mais désabusée de Pie IX, est celle-ci: Un jeune français, rédacteur d'un journal libéral, admis à l'honneur d'une audience particulière, avait été amené par la paternelle bonté du saint-père sur le terrain brûlant de la liberté, où prennent feu toutes les premières aspirations de l'âme; l'enthousiaste croyant, espérait tout des autres : "La liberté, disait-il, c'est le pouvoir d'être bon par la science et par la la volonté. |