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force du corps, à la nature des choses à craindre, et on ne demandera pas le même courage à un enfant qu'à un homme, ni envers un lion qu'envers un loup. Ainsi la vertu n'est pas un milieu abstrait entre deux extrémités abstraites, par exemple, l'excès de la colère ou de l'insensibilité. Mais elle consiste à n'être ni trop ému, ni trop peu ému de certaines choses. « L'être, lorsqu'il le faut, dans les circonstances convenables, pour les personnes et pour les causes qui rendent ces sentiments légitimes, et l'être de la manière qui convient, voilà ce juste milieu dans lequel consiste précisément la vertu(1). » De là vient qu'en toute circonstance, il n'y a qu'une manière de bien agir, et mille manières d'errer. La vertu est donc une sorte de moyenne, quoiqu'en ellemême, et dans ce qu'elle a de plus excellent, elle soit un extrême (2).

Telle est la théorie célébre du juste milieu : théorie satisfaisante, sans doute, si l'on ne demande qu'un critérium pratique, et une mesure approximative du bien et de la vertu. En effet, il est vrai qu'en général, si l'on s'éloigne des extrémités, on a beaucoup de chances pour agir sagement. Mais la difficulté, même alors, est encore de décider où est le vrai milieu : car si on fixe un milieu immobile entre deux extrémités quelconques, on court risque de donner une règle fausse. Il n'y a pas milieu absolu entre la témérité et la lâcheté : ce milieu dépend des circonstances. Au contraire si, comme Aristote le demande, on tient compte des circonstances et

(1) L. II, c. vi, 8.

de

(2) L. II, c. v, 17. Διδ... μεσότης ἐστιν ἡ ἀρετὴ, κατὰ δὲ τὸ ἄριστον καὶ τὸ εὖ ἀκρότης.

des personnes, si l'on admet que le milieu varie en quelque sorte pour chaque action, il est évident qu'il n'y a plus de règle: car à quel signe reconnaîtra-t-on que telle action est conforme au milieu? Elle le sera sans doute lorsqu'elle paraîtra convenable et juste; mais alors c'est la convenance et l'honnêteté de l'action qui servirà de mesure pour fixer le milieu, tandis que ce devrait être le contraire. Ainsi, même pratiquement, la règle d'Aristote est sujette à beaucoup de difficultés. Cependant, il faut reconnaître que c'est une formule ingénieuse, qui rend compte suffisamment d'une multitude d'actions morales.

Maintenant si l'on examine la doctrine du juste milieu, non plus comme un critérium pratique, à peu près suffisant pour l'action, mais comme une règle et une loi absolue, qui doit avoir sa raison, c'est alors qu'éclatera toute la faiblesse de ce principe, et de la méthode empirique qui l'aura donné. Comme Aristote s'est interdit de proposer un idéal à la vertu, et a exclu d'avance tout ce qui ne résulte pas de la nature propre de l'homme, il est contraint de prendre pour règle la moyenne entre nos passions. Car il ne pouvait pas et ne voulait pas admettre, comme les sophistes, que tout ce qui est dans la nature fût bon. Or l'expérience prouve bien que les passions extrêmes nuisent: et par conséquent le milieu entre les passions extrêmes est indiqué par l'expérience, comme un moyen d'échapper aux périls des passions. Mais je ne vois que cette seule raison qui puisse justifier ce principe: car si vous dites que ce milieu est convenable en soi, qu'il est honnête, qu'il est obligatoire, je cherche la raison de cette convenance, de cette honnêteté, de cette obligation. Le principe du juste milieu se

confond alors avec un principe plus élevé, celui de l'honnête, qui lui-même nous entraînera plus haut encore, et jusqu'à l'idée du bien. Mais Aristote ne peut aller jusque-là. Il faut qu'il trouve la justification de son principe dans la nature humaine telle qu'elle est. Or sa règle n'a plus alors que la valeur d'une règle tirée de l'expérience, qui peut toujours être démentie par une expérience contraire.

Aristote a senti lui-même le défaut de sa doctrine. Car après avoir défini la vertu un juste milieu, il essaye de trouver un principe à ce juste milieu lui-même. Ce principe, c'est la droite raison. Il ne suffit donc pas d'indiquer une règle pour le choix des actions, il faut savoir encore ce que l'on entend par la droite raison, et la définir complétement.

Aristote ne donne pas cette définition précise qu'il promet; mais il la remplace par la théorie des vertus intellectuelles.

Il y a deux classes de vertus, les vertus intellectuelles et les vertus morales (1). Les vertus morales s'exercent sur les passions, elles sont un milieu entre le trop et le trop peu ; au fond elles ne sont autre chose que l'instinct, gouverné par la volonté et dirigé par la raison (2). C'est pourquoi Aristote dit quelque part (3), que le siége de la vertu morale est dans la partie irrationnelle de l'âme. Mais la partie rationnelle peut elle-même prendre une bonne ou une mauvaise direction. La bonne direc

(1) Eth. Nicom. 1. I, c. xu; l. VI, c. 1, et en général le livre VI tout entier.

(2) Mag. Mor., I, XXXII, ? 28. (3) Mag. Mor., I, v, $1.

tion de la raison, c'est la vertu intellectuelle ; c'est la droite raison. Ainsi les vertus morales sont subordonnées aux vertus intellectuelles. La vertu intellectuelle est indispensable aux vertus morales: car aucune vertu n'est possible sans la prudence, quoique la prudence ne soit pas, comme le pensait Platon, la vertu universelle.

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On peut se demander si cette théorie des vertus intellectuelles complète et fortifie véritablement la théorie d'Aristote. Nous sommes tentés d'en douter. La définition des vertus morales est insuffisante sans doute, mais elle est claire c'est l'habitude d'un juste milieu entre nos passions. Mais qu'est-ce que la vertu intellectuelle? C'est ce qu'il est fort difficile de savoir. La vertu, dit Aristote, est, en général, la meilleure disposition possible d'une fonction; c'est ce qui assure la parfaite exécution de l'œuvre qui lui est propre la vertu de l'œil, c'est de bien voir; la vertu d'un bon cheval, c'est ce qui le rend rapide à la course; de même la vertu de l'intelligence est sans doute de bien penser. Mais dire que la vertu d'une chose est de bien faire ce qu'elle doit faire, c'est ne rien dire de précis ; car alors, tous les êtres de la nature qui obéissent à leur loi et accomplissent leurs fonctions ont des vertus. Mais Aristote a montré lui-même admirablement que la condition essentielle de la vertu, c'est le libre arbitre, la bonne volonté, l'intention enfin. Or, ce principe peut-il s'appliquer à toutes les vertus intellectuelles, à la science, à l'art, à l'habileté, qui sont ou des qualités de l'esprit ou des facultés toutes spéculatives? De plus, on ne sait ce que c'est qu'une vertu intellectuelle qui n'est pas morale, et une vertu morale qui n'est pas intellectuelle. Aristote l'a

bien vu car il décompose la vertu morale en deux éléments l'un inférieur, qui n'est que l'instinct et qui ne mérite pas le nom de vertu, puisqu'il est naturel et involontaire, l'autre supérieur qui n'est produit que par la prudence, et n'est, en d'autres termes, que la raison gouvernant la passion. C'est donc la vertu intellectuelle qui constitue la vertu morale. Mais, d'un autre côté, toute vertu intellectuelle, pour être vertu, doit être volontaire, doit être le résultat de l'exercice, doit être une victoire sur les passions. Elle est donc morale en même temps qu'intellectuelle; ou elle n'est pas une vertu, mais seulement une faculté de l'esprit.

La théorie des vertus intellectuelles ne complète donc pas d'une manière suffisante la doctrine morale d'Aristote on peut dire même qu'elle la compromet; car elle tend à confondre la vertu avec la bonne disposition des facultés. Néanmoins on ne peut nier qu'Aristote en plaçant au sommet des vertus, la sagesse, et le bonheur suprême dans la vie contemplative, ne se soit approché de très-près, comme nous le verrons, de l'idéal de Platon.

Entre toutes les vertus morales, dont Aristote nous fait un tableau si riche, si varié, si plein d'observations fines et profondes, nous nous arrêterons surtout aux deux plus importantes: la justice (1) et l'amitié (2).

Quoi de plus beau que la justice? ni l'astre du soir, ni l'étoile du matin n'inspirent autant de respect. En un sens, la justice est la réunion de toutes les vertus : c'est

(1) Pour la théorie de la justice, voir Eth. Nicom., 1. V. Mag. Mor.. 1. I, c. xxxi, et l. II, c. 1 et II.

(2) Pour la théorie de l'amitié, voir Eth. Nic., 1. VIII et IX. Mag Mor., I. II, c. x ad fin. Eth. Eud., I. VII.

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