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cède d'une volonté désordonnée. Si l'on objecte qu'il est contre l'ordre que les stupides commandent aux sages, et les méchants aux bons, on peut répondre que sous un désordre apparent, il y a souvent un ordre caché dont nous ne savons pas le secret.

On objecte qu'on ne peut ôter à personne ce qui lui a été donné par Dieu; par conséquent, si toute puissance vient de Dieu, on ne peut déposséder personne de la puissance. Saint Bonaventure répond sans hésiter à cette objection scabreuse, et il soutient la doctrine qui a été en quelque sorte traditionnelle dans l'ordre des dominicains: c'est que la souveraine puissance n'est point inviolable. « Oui, dit-il, la puissance ne pourrait pas être enlevée à celui qui la possède, si Dieu la donnait absolument et sans condition. Mais s'il ne donne cette puissance que pour un temps, il a permis qu'elle fût enlevée. Or nous reconnaissons qu'il en est ainsi lorsque l'ordre de la justice l'exige. Dieu a donné la vie au brigand, et cependant le juge la lui óte sans injustice;... selon le droit strict, celui-là mérite de perdre la souveraineté et tous les priviléges de la puissance, qui abuse de la puissance.»>

Saint Bonaventure examine ensuite si le droit de dominer est selon l'institution de la nature, ou selon l'ordre du châtiment. Il distingue trois puissances : 4° celle de l'homme sur les choses; 2° celle de l'époux ou du père; 3° celle du maître sur le sujet.

Cette troisième espèce de domination n'a lieu que selon l'état de la nature déchue; car la servitude qui y correspond est la peine du péché. Il est vrai que celui qui est régénéré dans le Christ est affranchi de la servitude du péché, mais il n'en est pas tellement affran

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chi, qu'il n'ait encore la possibilité, la facilité et l'inclination de retomber dans le même genre de servitude; voilà pourquoi la servitude de la peine a survécu à la servitude du péché. Les chrétiens meurent comme les autres hommes. Ce n'est donc pas seulement selon une institution humaine, mais selon l'ordre de Dieu qu'il y a, parmi des chrétiens, des rois et des maîtres, des princes et des sujets. Les chrétiens sont donc obligés d'obéir à leurs maîtres, mais non pas en toutes choses, ni en celles qui sont contre Dieu, ni en celles qui sont contre la droite raison et la coutume.

On dit que l'Evangile est une loi de liberté. Mais il faut l'entendre. Elle nous délivre de la servitude du péché et de la servitude de la loi mosaïque, mais non pas de la servitude de la loi humaine, qui sert beaucoup à l'observation de la loi divine. La charité unit les hommes par le cœur, mais non pas dans le sens d'une abolition de toute hiérarchie et de toute distinction; nous n'atteignons pas pleinement ici-bas l'effet de la rédemption. Ici commence l'affranchissement de la coulpe; là, c'est-à-dire dans le ciel, sera consommé l'affranchissement de la misère et de la domination humaine.

Telles sont les doctrines politiques de saint Bonaventure, doctrines où, comme on le voit, l'obéissance n'est pas tout à fait sans réserve, ni le pouvoir sans frein. On y voit quelques traces de cet esprit libéral, qui a accompagné, dans tout le moyen âge, les doctrines théocratiques, et qui donne un caractère si original aux théories politiques de saint Thomas d'Aquin. Cependant la scholastique ne se hasarde encore que très-timidement dans ces problèmes si,nouveaux et si redoutables. Elle

semble avoir à peine conscience de ses hardiesses, et réciter plutôt un thème donné, qu'exprimer des convictions réfléchies.

Si nous cherchons maintenant à résumer l'ensemble des idées assez confuses dont nous avons présenté le tableau, nous trouvons que du xie au XIIe siècle, la doctrine du droit divin, c'est-à-dire de l'inviolabilité royale et de l'obéissance passive des sujets, est invoquée par les défenseurs du pouvoir civil ou de l'Etat, et qu'elle a d'ordinaire pour adversaires les défenseurs du pouvoir ecclésiastique ou de l'Eglise. A cette époque, le trône et l'autel, loin de s'appuyer l'un sur l'autre, étaient presque toujours ennemis. Le droit divin s'opposait au droit de l'Eglise et non au droit du peuple. C'est pour échapper à la vassalité de la papauté, que l'empereur et les autres rois ne voulaient reconnaître d'autre suzerain que Dieu. L'Eglise au contraire avait intérêt à faire ressortir ce qu'il y a d'humain dans l'origine du pouvoir civil: elle insistait sur les violences, les passions, les injustices, les usurpations qui si souvent ont donné naissance au pouvoir des princes. Elle combattait surtout la doctrine de l'inviolabilité royale ou impériale; elle se croyait le droit de déposer les princes, et de les établir: chose impossible, si le pouvoir politique eût été de droit divin. De plus, comme elle se donnait pour la tutrice des peuples, qu'elle prenait leur parti contre les oppresseurs, il était naturel qu'elle fû conduite à ramener le pouvoir civil à sa vraie origine, le consentement populaire, mais sous la haute surveillance de l'Eglise. Ajoutez que la grande autorité philosophique du moyen âge a été Aristote, et que les prin

cipes d'Aristote sont tout à fait favorables à la souveraineté du peuple au contraire, la grande autorité des jurisconsultes défenseurs de l'empire a été la compilation de Justinien, imbue des idées absolutistes. Il ne serait donc pas tout à fait inexact de dire qu'au moyen âge c'est dans les cloîtres qu'est née la doctrine de la souveraineté du peuple et du droit de résistance aux abus du pouvoir civil. C'est ce qui deviendra plus frappant encore dans les études qui vont suivre

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CHAPITRE III.

SAINT THOMAS D'AQUIN ET SON ÉCOLE.

§ I. Morale. Théorie du bonheur. Théorie de la vertu. - Division des vertus. Théorie de la loi. Définition des lois. Division des lois. De l'idée du droit. · Division du droit. Droit naturel. Théorie de la propriété. Théorie de l'esclavage.

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Du meilleur gouver

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§ II. Politique. Du droit de souveraineté. nement. Du droit divin. - Du droit de résistance. Du tyrannicide. - Des rapports du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel.— Théories du De regimine principum, attribué à saint Thomas. Nécessité du gouvernement. Supériorité du gouvernement royal. Du gouvernement tyrannique: du droit de résistance. Distinction entre le pouvoir despotique et le pouvoir politique. Comparaison de ces deux pouvoirs entre eux et avec le gouvernement royal. De l'esclavage. — Du pouvoir sacerdotal; sa supériorité sur le pouvoir politique. — Ecole de saint Thomas d'Aquin. Gilles de Rome : son De regimine principum. Son traité De ecclesiastica potestate.

Nous voici parvenus au cœur du moyen âge, à ce grand treizième siècle, considéré aujourd'hui par quelques écrivains comme l'âge d'or de la société chrétienne, âge d'or qui n'a pas été peut-être sans quelque mélange de fer ou d'airain. C'est le temps où la théologie scholastique et le pouvoir ecclésiastique règnent souverainement; c'est le temps des grands docteurs, les Albert le Grand, les Alexandre de Hales, les saint Bonaventure, entre lesquels s'élève et domine, comme leur maitre à tous, l'illustre saint Thomas d'Aquin. La philosophie de saint Thomas est l'image fidèle de son temps: c'est le noeud du moyen âge, c'est le moyen âge lui-même : c'est là qu'il a rassemblé, en apparence pour l'éternité, tout ce qu'il a su, pensé et aimé.

La philosophie de saint Thomas est un grand et ad

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