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trines opposées : celle qui sépare entièrement la politique de la morale, et celle qui absorbe l'une dans l'autre. La première est celle de Machiavel, la seconde est celle de Platon. J'appelle machiavélisme toute doctrine qui sacrifie la morale à la politique, et platonisme toute doctrine qui sacrifie la politique à la morale. Examinons l'une et l'autre.

« Eh quoi ! disent ou pensent les partisans avoués ou secrets de Machiavel, prétendez-vous enchaîner aux règles étroites de la morale domestique et privée, les Etats, les princes et les peuples? Les devoirs d'un chef d'Etat ne sont pas les mêmes que ceux d'un chef de famille; s'il voulait rester fidèle en tout aux scrupules d'une morale étroite, il se perdrait lui-même et son peuple avec lui. On comprend bien que les individus soient gênés et retenus par certains devoirs : sans quoi la société périrait. Mais la société elle-même n'a d'autre devoir que de se conserver; et c'est elle seule qui est juge des moyens qu'elle emploie à cet usage. Ce qui est vrai de la société en général, l'est de toutes les sociétés particulières, c'est-à-dire des diverses républiques dont le monde est composé. Ce qui est vrai de la république ou de l'Etat, l'est aussi du prince qui le gouverne et le représente. Sans doute, comme homme privé, le prince est assujetti aux mêmes devoirs que les autres

hommes; mais, comme homme public, il ne relève que de lui-même. Ce qui est vertu dans l'homme privé peut être vice chez l'homme d'Etat, et réciproquement.

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Supposez un instant pour vraie cette chimère platonicienne d'une république ou d'un prince parfaite

ment vertueux, vous tombez dans l'impossible et l'impraticable. Sans doute il serait à désirer que les hommes fussent toujours bons; mais, comme en fait ils ne le sont pas, celui qui veut être bon au milieu des méchants est sûr d'être leur victime: si vous ne trompez pas, vous serez trompé : si vous n'employez pas la violence à propos, vous tomberez sous la violence. Voyez les grands politiques de tous les temps: Alexandre se faisant passer pour Dieu; Romulus tuant son frère; César passant le Rubicon; Auguste feignant d'abdiquer l'empire pour le posséder plus sûrement; et chez les modernes, Philippe le Bel, Ferdinand le Catholique, Louis XI, les Borgia, les Médicis, et jusqu'au généreux Henri IV, qui acheta Paris pour une messe, en voyezvous un seul qui ait négligé pour réussir d'employer tous les moyens, tantôt l'astuce, tantôt le crime? Voilà la politique des princes: mais les républiques sont-elles plus innocentes? Est-il dans l'histoire un prince d'une plus insigne mauvaise foi que l'ont été les Romains? un tyran plus soupçonneux, plus cruel, plus terrible que

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la république de Venise? un conquérant moins scrupuleux dans les moyens, plus barbare dans sa domination que le peuple anglais, le plus libre des peuples modernes ? Si vous lisez l'histoire au point de vue de la morale vulgaire, tout vous révoltera et vous ne comprendrez rien à ces grandes révolutions. Mais, pour l'homme éclairé, tout s'explique, tout se justifie, grâce à un principe supérieur, qui est, en quelque sorte, le mystère de la politique, à savoir le principe de la raison d'Etat. »

Ainsi parlent les écoliers du machiavélisme, très fiers de paraître, selon l'expression d'un d'entre eux, « déniaisés en politique. » Mais, quoique l'expérience semble leur donner raison, la science et la conscience se refusent à leur accorder leur suffrage. Il n'est pas probable que les intérêts les plus graves des individus et des peuples soient couverts de voile et de mystère. La raison d'Etat doit céder la place à la raison publique, qui elle-même ne peut pas être en contradiction avec la conscience publique. A mesure que l'esprit humain s'éclaire, et que l'opinion pénètre dans ces arcanes de la politique, comme on les appelait autrefois (arcana imperii), beaucoup de choses deviennent impossibles, d'autres plus difficiles, et, sans qu'on puisse entrevoir encore le moment où s'opérera la réconciliation com

plète de la politique et de la morale, il faut avouer cependant que, depuis trois siècles, de grands progrès ont été faits, que la politique du xvo et du xvr® siècle nous paraîtrait odieuse aujourd'hui, qu'on ne supporterait même pas tout ce qu'on permettait à Richelieu et à Louis XIV, et que l'honnêteté est la première condition qu'on exige, quand on le peut, d'un gouverne

ment.

Pour discuter avec les politiques, il faut essayer de mettre, autant que possible, l'expérience de son côté; mais, avec les philosophes, cela n'est pas nécessaire. A ceux-ci nous dirons: peu nous importe ce qui se fait; nous ne cherchons que ce qui se doit. Nous savons bien que les hommes ne peuvent être parfaits; mais si cette raison était bonne, elle vaudrait contre la morale privée tout aussi bien que contre la morale publique. Si le saint pèche sept fois par jour, combien de fois pèche celui qui n'est pas saint? Faut-il conclure que les hommes doivent se dispenser de toute vertu, parce qu'ils ne peuvent atteindre qu'à une vertu imparfaite? Ainsi des politiques. Accordons-leur que l'honnêteté parfaite leur est impossible; il n'en est pas moins vrai que cette honnêteté parfaite est la loi de leurs actions, et que tout ce qui s'en écarte est répréhensible. Autrement, c'est faire de l'exception la règle, ou plutôt c'est détruire

toute règle, et abandonner les destinées des peuples à la passion et au caprice des individus.

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On oppose cette maxime périlleuse et équivoque : Le salut du peuple est la loi suprême. Mais le salut d'un peuple, c'est la justice elle-même; et s'il fallait opposer maxime à maxime, je dirais : Fiat justitia, pereat mundus, que le règne de la justice arrive, dût le monde périr. Mais le monde n'est pas réduit à cette alternative, de périr, ou de pratiquer la justice car c'est par elle seule qu'il peut durer. D'ailleurs, il est toujours faux de changer en maxime générale et absolue ce qui ne saurait être vrai qu'à la dernière extrémité. Admettez un instant cette raison mystérieuse du salut public, aussitôt tout est permis; car il est toujours possible d'affirmer que telle action, telle mesure est nécessaire au salut du peuple. Démontrez, par exemple, que la Saint-Barthélemy n'était pas nécessaire au salut général: je vous en défie. Car rien ne prouve que si l'on eût traité sincèrement avec les protestants, ils n'en eussent pas abusé pour diviser le pays, détruire la monarchie et établir la république en France. Ce grand coup les a abattus pour toujours, et a permis de ne leur accorder plus tard que des libertés innocentes. Nierez-vous cela? On peut vous répondre encore, comme le fait Gabrie

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