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Naudé dans ses Coups d'Etat, que le coup n'a pas été assez décisif et assez général, et qu'on ne leur a pas tiré assez de sang. Enfin, je ne sache pas une seule action détestable dans l'histoire que l'on ne puisse justifier par ces principes.

Il faut d'ailleurs distinguer deux sortes de machiavélisme le machiavélisme princier et le machiavélisme populaire. Ceux qui sont le plus ennemis du premier, ne sont pas toujours assez prémunis contre le second. On admet volontiers que tout n'est pas permis à un prince; mais on est assez disposé à croire que tout est permis au peuple. Pour moi, je n'y vois pas de différence. Qu'une injustice soit commise par un prince ou par un peuple, elle est toujours une injustice; et quiconque en juge autrement est, si j'ose dire, un tyran ou un esclave: tyran, s'il est prêt à commettre une pareille action; esclave, s'il consent d'avance à la subir. J'avoue que les extrémités par lesquelles un peuple défend sa liberté ou son existence sont quelquefois dignes d'excuse; mais je ne puis leur donner mon admiration, si elles révoltent ma conscience. Quelques-uns ne voient dans le machiavélisme que l'art de tromper; et, dans leur mépris pour les mensonges des cours, ils sont pleins d'indulgence pour les basses fureurs des multitudes. Mais le machiavélisme n'est pas seulement cette finesse

puérile et frivole qui se sert de la parole pour cacher la pensée: c'est une politique cauteleuse ou violente, selon le besoin, tantôt couverte et tantôt déclarée, et qui emploie aussi volontiers le fer et la cruauté que la fraude et la trahison: elle peut donc convenir aux peuples comme aux cours; et, dans ce sens, le terrorisme lui-même est machiavélisme.

A l'extrémité opposée se rencontre une doctrine que j'appellerai le platonisme, du nom de celui qui l'a le plus illustrée. Cette doctrine subordonne absolument la politique à la morale, établit que la vertu est la fin de l'Etat comme de l'individu, se propose pour modèle le gouvernement de Lacédémone, et remet le gouvernement entre les mains des sages et des philosophes. Tels sont les traits généraux et constants de la politique de Platon dans ses deux plus grands ouvrages, la République et les Lois. Mais il y a, dans ces deux applications d'une même politique, une différence capitale. Dans la République, la vertu est obtenue sans le secours des lois, et par le seul moyen de l'éducation. Dans les Lois, au contraire, la vertu est l'œuvre du législateur, l'effet de la surveillance de l'Etat, en un mot, de la contrainte. De là deux sortes de platonisme : le platonisme chimérique, qui se plaît dans la contemplation d'un état impossible, confond la politique avec la pédagogie, et croit

à la toute-puissance et à l'infaillibilité de la science; le platonisme despotique, qui, moins confiant dans la perfection des hommes, ne recule pas devant les moyens ordinaires de la politique, et se propose pour fin de rendre les hommes heureux et vertueux, sans les consulter, qu'ils y consentent ou non, par l'autorité de l'Etat.

Il n'est pas difficile de faire voir ce qu'il y a d'illusion. dans la première de ces deux formes du système platonicien. Aussi ne faut-il point s'attacher à la combattre sérieusement, car elle n'est, chez Platon, qu'une utopie volontaire; et il a toujours été permis à la philosophie, comme à la poésie, de se faire un idéal, et de se représenter les choses telles qu'elles devraient être, au lieu de les peindre telles qu'elles sont. Mais il n'en est pas de même de ce second platonisme, que j'appelle despotique, et qui a eu plusieurs applications dans l'histoire.

Rien de plus vrai et de plus séduisant, au premier abord, que cette doctrine: l'Etat doit faire régner la vertu; rien de plus dangereux dans l'application. Si la fin de l'Etat est la vertu, il va sans dire que le citoyen ne saurait être trop vertueux, et, par conséquent, l'Etat trop scrupuleux et trop vigilant. Voilà l'Etat qui intervient dans la vie domestique, dans la vie privée, dans la conscience même : rien ne lui est fermé; il entre dans les maisons, il s'asseoit à la table des citoyens, et sa surveillance n'épargne

même pas le lit nuptial. Les jeux de la jeunesse, les amitiés, les attachements, les chants de la poésie, leg rhythmes musicaux, les doctrines philosophiques, le culte, en un mot l'esprit, l'âme, le cœur, l'homme tout entier devient l'esclave d'une censure étroite et oppressive l'individu perd tout ressort en perdant toute initiative et toute responsabilité, ou bien un fanatisme desséchant le rend peu à peu étranger à tous les sentiments de l'humanité. J'avoue que l'intervention de l'Etat dans le gouvernement des mœurs a pu avoir quelquefois, dans l'antiquité par exemple, de salutaires effets; je ne méconnais pas ce qu'eut de grand et d'utile l'institution de la censure dans la république romaine; personne ne voudrait retrancher de l'histoire l'austère et noble figure de Caton le Censeur : cette institution peut encore être justifiée, comme un reste du système patriarcal par lequel les républiques ont dû commencer, et où le père de famille avait à la fois le gouvernement et l'éducation, l'autorité politique et la correction morale. Enfin, il faut ajouter que le censeur n'avait à Rome aucun pouvoir par lui-même, et que son autorité était simplement morale. Il n'en est pas moins vrai la censure des mœurs, prise en soi, est une institution fausse, et qu'elle est étrangère à la vraie destinée de l'Etat.

que

Cependant, le platonisme despotique, tel que nous venons de le décrire, a sa beauté et sa grandeur; mais il peut dégénérer encore, et devient alors ce que j'appellerai le faux platonisme, afin que le divin Platon ne paraisse en rien responsable de cette déplorable dépra– vation de ses principes. Le faux platonisme est un fanatisme hypocrite, qui, pour établir ce qu'il appelle arbitrairement la vertu, dans les Etats, ne craint pas d'employer tous les moyens et de violer toutes les lois de la justice et de l'humanité. Je ne parle pas du fanatisme religieux, qui a beaucoup de rapport avec celui-là, mais de cette folie politique qui, nourrie dans une admiration mal entendue de l'antiquité, ne voit partout que corruption, vice et immoralité, et ferait volontiers le vide dans l'univers, ne laissant à la justice qu'un désert à gouverner.

Quoique très-opposés dans leurs principes, le faux platonisme et le machiavélisme peuvent se rencontrer dans l'application. Nous en avons un exemple assez remarquable dans l'histoire de notre révolution. Danton, par exemple, est un politique de l'école de Machiavel. Assez peu cruel par caractère et par tempérament, il ne craignit point d'employer la cruauté pour soutenir la cause qu'il avait embrassée. Il semble qu'il ait lu dans Machiavel lui-même (1) que, « lorsqu'on veut fonder un gouverne

(1) Voyez plus loin, 1. III, c. 1, p. 465 et suiv.

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