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deviendrait un Etat, privé de toute force morale. Chez

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les magistrats, rien ne peut suppléer à l'intégrité, à l'amour des fonctions, au zèle du bien public. Créérez

vous des inspecteurs pour les surveiller? Ces inspecteurs eux-mêmes auront besoin de vertu, pour ne pas devenir complices de leurs subordonnés. Donnezvous à un seul le souverain pouvoir, il lui faudra une vertu sans bornes, pour suppléer à toutes celles qui font défaut. Imaginez-vous des constitutions pour enchaîner tous les pouvoirs publics les uns par les autres, elles auront assez de mailles, pour laisser passer les trahisons, si l'amour de la justice et du droit ne comble pas les vides. Les lois et les mécanismes politiques ne sont que des points d'appui pour la faiblesse des hommes: le principal ressort est toujours dans le cœur. Dans une armée, la discipline soutient le courage, mais elle ne le remplace pas. Chez les citoyens, il ne faut pas moins de vertu que chez les magistrats. Sans courage, l'Etat est asservi; sans amour du bien public, l'Etat est languissant; sans amitié et sans concorde, l'Etat est déchiré; sans travail, l'Etat est affamé; sans économie il est ruiné; sans dignité et sans fierté, il est opprimé.

Il semble que l'on revienne d'un pays inconnu en affirmant aujourd'hui que la vertu est nécessaire au

maintien des Etats. Ce sont là des maximes dignes du bon Rollin, des réminiscences de la république de Salente. On n'entend parler que de lois économiques, sociales, politiques; et bien peu s'avisent de penser à cette vieille maxime: La vertu sauve les Etats, et la corruption les perd. Je n'estime pas peu les garanties légales de la liberté publique; je suis plein de déférence pour les axiomes de l'économie politique; mais si j'avais quelque autorité pour parler courageusement aux hommes de ce temps, je leur dirais : « Aimez-vous la justice? savez-vous respecter les lois même défectueuses, et les magistrats même imparfaits? savez-vous aimer le droit du voisin autant que le vôtre propre? ne vous sentezvous ni envie pour ceux qui ont plus que vous, ni mépris pour ceux qui ont moins? aimez-vous mieux l'honneur que la richesse, et la médiocrité fière que la grandeur mal acquise? êtes-vous capable de parler librement sans insulter, sans mentir, et sans mettre le feu à l'Etat? savezvous ne rien céder de votre pensée et de votre conscience sans faire violence à celle des autres? savez-vous enfin aimer la liberté, sans vouloir la domination? si vous savez ces choses, vous méritez d'être citoyens; si vous ne les savez pas, votre science politique et économique pèche par la base, et toutes les révolutions du monde ne vous donneront pas ce que vous désirez. ››

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Montesquieu a démêlé avec profondeur cette force morale qui soutient les Etats dignes de ce nom, lorsqu'il a dit que sans vertu, les peuples ne peuvent être gouvernés que par la crainte, et tombent par conséquent dans le despotisme. Il est vrai qu'il n'allègue la vertu pour principe qu'aux républiques, et fait reposer les monarchies sur l'honneur. Mais l'honneur n'est-il pas aussi une sorte de vertu, ou une partie de la vertu ? Lorsque Crillon refuse à Henri III d'assassiner le duc de Guise, l'honneur qui le fait agir ne vaut-il pas la vertu républicaine, et est-il autre chose que le cri d'une conscience fière? C'est à ces conditions qu'une monarchie, même sans liberté politique, a pu être une forme noble de gouvernement. Mais, lorsque ce sentiment d'honneur eut disparu, lorsque les grands eurent mis leur gloire à plaire aux favorites et à obtenir un regard du prince, l'Etat tomba dans la poussière, et il serait inévitablement devenu la proie du despotisme, si une nouvelle force morale, l'opinion, n'était apparue, effrayant et soutenant à la fois le prince étonné, et la monarchie chancelante.

Il n'y a pas de maxime plus généralement admise par tous les publicistes que celle-ci : sans vertu, point de liberté. Elle est d'ailleurs facile à démontrer. Qu'estce qu'un pays libre? C'est un pays où beaucoup de

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choses sont permises qui ne le sont pas ailleurs exemple, écrire, parler, se réunir, aller et venir, etc. Mettez ces libertés entre les mains d'un peuple corrompu, il en usera nécessairement mal: les citoyens se nuiront les uns aux autres, et se rendront la liberté insupportable; le goût du plaisir amollira les courages; les divisions intérieures amortiront l'esprit public; les plus corrompus, pour jouir plus sûrement, vendront l'Etat soit à un conquérant, soit à un maître. Cette révolution inévitable a été peinte par Platon avec une force de couleurs et une énergie de sentiment que l'on ne peut trop admirer. Au reste, je ne veux pas dire qu'il ait une relation constante entre la vertu et la liberté : car il entre trop d'éléments divers dans les choses politiques pour établir une pareille loi; mais ce que l'on peut affirmer, d'après l'autorité de tous les publicistes, et d'après l'expérience de l'histoire, c'est que la corruption entraîne tôt ou tard la servitude, et que la servitude entraîne à son tour la corruption.

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On dira peut-être que nous retombons dans la chimère platonique, et que la conséquence de ces principes, c'est que l'Etat doit établir et faire régner la vertu. Mais je n'admets pas cette conséquence : la vertu est l'œuvre libre de la volonté des citoyens; elle a son siége dans leur cœur ; c'est elle qui fait l'Etat, ce n'est pas

l'Etat qui la crée. Sans doute l'Etat peut agir sur la moralité des citoyens; en établissant l'ordre, l'union et la paix, il rend les hommes plus aptes à accomplir leurs

devoirs s'il est bien constitué, les facultés morales trou

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vent plus aisément à se développer sous son ombre : enfin, il peut même intervenir plus directement encore par l'éducation. Mais il n'impose pas la vertu par la loi il ne force pas les citoyens à être généreux, bons, libéraux, tempérants. Il protége le droit de chacun; mais

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il ne peut aller plus loin sans despotisme. C'est aux citoyens eux-mêmes que revient l'obligation de se rendre dignes d'être citoyens, et d'assurer par les mœurs l'empire des lois. C'est ainsi que la politique suppose la morale sans se confondre avec elle.

II. Je dis en outre, que la politique suppose la morale théoriquement. Essayez, en effet, sans aucun principe emprunté à la morale, sans aucune notion du juste ou de l'injuste, d'asseoir une théorie politique. Vous voilà, sans critérium, entre mille systèmes opposés. Les uns vous proposent le droit divin, les autres le droit paternel; ceux-ci le droit le plus fort, ceux-là le contrat primitif, etc. Les uns sont pour la monarchie absolue, les autres pour l'aristocratie, d'autres pour la démocratie pure, d'autres encore pour les gouvernements mélangés. Pour ceux-ci, la fin de l'Etat, c'est la grandeur du

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