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Si, comme le dit Bossuet, il n'y a pas de droit contre le droit, s'il y a une éternelle justice antérieure à l'Etat, quel que soit le principe que l'on admette à l'origine de la société politique, quel que soit le souverain auquel on décerne le droit de disposer des hommes, il faut reconnaître d'abord une première souveraineté, infaillible, inviolable, de droit divin: c'est ce que M. Royer-Collard appelait la souveraineté de la raison. Cette souveraineté s'impose aux républiques comme aux monarchies, aux princes, aux nobles, aux bourgeois, aux plébéiens; elle domine tous les systèmes politiques; elle est la loi que Pindare appelait «< la reine des mortels et des immortels. >>

Mais si la politique libérale admet comme premier principe la souveraineté de la justice et la raison, si elle ne place pas tout d'abord la liberté et le droit dans une forme politique particulière, est-ce à dire toutefois qu'elle soit indifférente entre les formes de gouvernement, et que satisfaite d'avoir sauvé spéculativement les droits naturels de l'homme, elle les livre sans garantie à la volonté sans limites et sans frein des pouvoirs humains? Non sans doute. Une politique aussi hardie dans ses principes, aussi complaisante dans ses applications, se montrerait en cela bien peu clairvoyante et bien peu courageuse. Sans doute l'expérience nous apprend que les

formes de gouvernement doivent être surtout jugées dans leur rapport avec le caractère, les mœurs, les traditions, la civilisation du peuple pour lequel elles sont faites. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a, pour la politique comme pour la morale, un optimum, dont les peuples ont le droit et le devoir de s'approcher, lorsqu'ils le peuvent et qu'ils en sont dignes ce meilleur, c'est le gouvernement d'un peuple par lui-même, ou, pour parler plus exactement, l'intervention d'un peuple dans son gouvernement; en un mot, la liberté politique, sauvegarde de toutes les libertés. La liberté politique vaut, sans doute, comme le moyen le plus sûr et le plus solide de défendre le droit et les personnes; mais elle vaut surtout par elle-même: elle donne un noble exercice aux facultés de l'esprit et aux facultés de l'âme; elle fortifie les caractères, développe l'esprit d'initiative, le sentiment de la responsabilité; elle est dans un peuple ce qu'est le libre arbitre dans l'individu : un peuple libre est une personne arrivée à l'âge de raison. Quelques personnes, ne voyant dans la liberté politique qu'un moyen, contestent qu'elle soit un bon moyen d'assurer le bonheur des peuples, et trouvent que le pouvoir absolu est meilleur pour produire ce résultat. Ils ne voient pas que la liberté politique est un bien en soi-même et qu'à ce titre elle fait partie du bonheur d'un peuple, pour ceux-là du moins qui font

consister le bonheur, non dans de stériles jouissances, mais dans l'exercice de l'activité morale, et dans le sentiment de la force. Quant à son influence sur le bonheur matériel, l'expérience et l'histoire nous apprennent que les États les plus libres ont toujours été les plus riches et les plus puissants; mais c'est surtout par supériorité morale que la liberté politique l'emporte sur le pouvoir absolu.

Si nous revenons à notre point de départ, nous dirons que le lien entre la politique et la morale est l'idée du droit. L'objet de la politique n'est pas de contraindre à la vertu, mais de protéger le droit. Sans doute, l'Etat repose sur la vertu, comme nous l'avons dit, mais la vertu n'est pas son objet. C'est aux citoyens à être vertueux : c'est à l'Etat à être juste. Pour que la justice existe dans l'Etat, il faut que l'individu jouisse de toutes les libertés auxquelles il a droit: c'est là le devoir de l'Etat; mais pour que l'usage de ces libertés ne soit pas nuisible, il faut que l'individu sache en user pour les autres et pour l'Etat c'est là le devoir strict du citoyen. On voit comment le droit et la vertu s'allient pour produire l'ordre et la paix, comment la politique et la morale se distinguent sans se combattre, et s'unissent sans se mêler.

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On trouvera peut-être que c'est trop restreindre l'ac

tion de l'Etat que de le réduire à n'être que le protecteur armé du droit et le régulateur de la liberté : car c'est lui ôter tout mouvement et toute initiative. Mais j'accorde que ce n'est pas là toute la fonction de l'Etat, et qu'il peut être encore considéré comme le mandataire des intérêts particuliers: c'est à ce titre qu'il se charge des grands travaux publics, de l'éducation, des faveurs accordées aux arts et aux sciences, etc.; c'est à ce titre qu'il a été défini l'organe du progrès, et qu'il a si grandement servi la civilisation chez les Romains et en France. Mais d'abord ce nouveau point de vue n'est pas, comme le précédent, essentiel à l'idée de l'Etat : car on voit des peuples où l'initiative des individus ou des corporations fait ce que nous sommes habitués à réclamer de l'action administrative. En second lieu, ce point de vue très-digne d'intérêt, et qui touche aux plus grandes questions, se rapporte plutôt à l'économie politique qu'à la morale: il sortait donc du sujet de cette introduction.

Tels sont les rapports de la politique et de la morale parmi les hommes tels qu'ils sont. Mais si, pour distraire et enchanter notre imagination, nous détournons nos regards de la société réelle pour les reporter, à la suite de Platon, sur une société parfaite et idéale, nous verrons la politique se confondre et en quelque sorte

s'évanouir dans la morale. Imaginez en effet une politique parfaite, un gouvernement parfait, des lois parfaites, vous supposez par là même les hommes parfaits. Mais alors la politique ne serait plus autre chose que le gouvernement libre de chaque homme par soi-même en d'autres termes, elle cesserait d'être. Et cependant, c'est là sa fin et son idéal. L'objet du gouvernement est de préparer insensiblement les hommes à cet état parfait de société, où les lois deviendraient inutiles, et le gouvernement lui-même. Il y a une cité absolue, dont les cités humaines ne sont que des ombres, où tout homme est parfaitement libre, sans jamais suivre d'autre loi que celle de la raison; où tous les hommes sont égaux, c'est-à-dire ont la même perfection morale, la même raison, la même liberté; où tous les hommes sont vraiment frères, c'est-à-dire unis par des sentiments d'amitié sans mélange, vivant d'une vie commune, sans opposition d'intérêts, et même sans opposition de droits : car le droit suppose une sorte de jalousie réciproque, impossible dans un système où une bienveillance sans bornes ne laisserait à aucun le loisir de penser à soi; voilà la république de Platon, la cité de Dieu de saint Augustin. Mais une telle cité est un rêve ici-bas: elle ne peut être qu'en dehors des conditions de la vie actuelle. La politique ne doit pas s'enivrer d'un tel idéal, autre

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