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LE

CAMBRIDGE, MASS.

CORRESPONDANT

LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU DIRECTOIRE

Satanique ou providentielle, la Révolution française a longtemps passé, elle passe encore à bien des yeux pour un événement surnaturel, prodigieux tout au moins, pour une sorte de coup de foudre éclatant inopinément et échappant, par ses causes comme par ses conséquences, aux lois normales des sociétés.

Voici pourtant près d'un demi-siècle que dans la retraite où l'avait confiné le coup d'Etat de 1851, Alexis de Tocqueville a discerné et a commencé d'exposer comment la tradition nationale s'était poursuivie à travers la crise révolutionnaire; comment, malgré les bouleversements politiques et les persécutions religieuses, l'œuvre de centralisation administrative, d'unification législative, de nivellement civil, dont on fait communément honneur ou grief à la Révolution, avait été la réalisation des projets et des efforts de l'ancien régime. Mais son livre, interrompu par la mort, publié à l'état d'ébauche ou de fragments, choquait d'ailleurs trop de préjugés politiques dans tous les partis, dominait de trop haut la frivolité mondaine pour retourner l'opinion. Pour une ou deux générations encore, il est à craindre que Tocqueville ne demeure ce qu'il était il y a vingt ans pour la sous-préfète du vaudevilliste un collectionneur d'aphorismes, à qui les pédants empruntent des citations et de qui le reste de la société se gare avec empressement. L'idée maîtresse de ses études n'en a pas moins été admise par quelques esprits d'élite, qui se sont appliqués à en développer les conclusions: transportée de l'histoire intérieure dans l'histoire diplomatique, elle a inspiré le grand ouvrage dont

L'Europe et la Révolution française, par Albert Sorel, membre de l'Académie française. T. V: Bonaparte et le Directoire (1795-1799). Paris, Plon, 1903, 495 pages in-8°.

1re LIVRAISON.

10 JANVIER 1903.

1

les quatre premiers volumes ont valu à M. Albert Sorel un légitime renom, consacré par une double élection à l'Académie des sciences morales et à l'Académie française.

Ici encore, bien des préventions étaient à surmonter. Autant par amour-propre national que par passion de parti, nous aimions à nous représenter les guerres de la Révolution comme une période à part, hors de comparaison avec toute autre, où nos convulsions intérieures avaient absorbé et déconcerté la politique européenne, dicté à nos propres gouvernements une attitude et des démarches sans précédents. Tel avait été pour les contemporains l'aspect extérieur des événements, et l'on sait assez combien notre pays, tout en se piquant de scepticisme, se laisse prendre aux apparences. Il ne fallait rien moins que les ressources d'une vaste érudition, d'un lumineux talent d'exposition, d'un style nerveux et coloré, pour nous démontrer que nous nous trompions du tout au tout, et que ce que nous prenions pour un conflit de principes, pour une sorte de lutte apocalyptique, avait été simplement un épisode, dramatique et passionnant entre tous, de la grande partie engagée sur l'échiquier européen depuis l'aurore de la Renaissance. jusque vers la fin du dix-neuvième siècle.

Du côté de la coalition d'abord, si tous affectent un zèle plus ou moins empressé pour la restauration de l'ordre et de l'ancien régime en France, chacun entend commencer par pourvoir à ses intérêts personnels. Cette intervention dans la politique intérieure d'un Etat voisin est un procédé classique pour l'énerver, et si possible le démembrer; c'est ainsi que Philippe II a failli venir à bout de cette même France, et que, plus récemment et avec un meilleur succès, Catherine et Frédéric ont dépecé la Pologne. Le projet très arrêté des coalisés est de se payer de leurs bons offices par quelques fructueuses annexions, et si l'anarchie se révèle totale, de supprimer la France comme nation indépendante lors de l'invasion de 1792, à l'étonnement et à l'indignation des émigrés, l'armée autrichienne ne prend-elle pas possession des villes de Flandre au nom de l'empereur, et non de Louis XVI? C'est que ces émigrés et leurs princes, bien loin de dicter, comme ils s'en flattent, la politique des alliés, ne sont qu'une carte dans leur jeu, carte qu'on est prêt à sacrifier pour gagner la partie, comme avaient été naguère les Stuarts et les jacobites pour Louis XIV, les réfugiés huguenots pour Guillaume d'Orange et pour le grand-électeur de Brandebourg. Plus tard, quand la Révolution française prend l'offensive, quand avec Napoléon elle vise à l'hégémonie de l'Europe, les vieilles monarchies redoutent assurément la contagion des idées subversives, mais ce qu'elles exècrent

par-dessus tout, c'est le triomphe de cette France qui est pour elles la rivale séculaire, l'ennemie héréditaire; telles invectives de Pitt ou de Stadion contre le bandit corse reproduisent, non seulement au fond, mais dans les mots mêmes, le langage par lequel Eugène de Savoie et Marlborough dénonçaient les usurpations ou les agressions de Louis XIV.

En France, même analogie, moins apparente à cause du triple changement des acteurs, du décor et du vocabulaire. A part deux brefs accès d'exaltation idéaliste au début et de frénésie sanguinaire en 1793 et 1794, les nouveaux maîtres du pays, imprégnés des traditions diplomatiques de la monarchie capétienne, en poursuivent plus ou moins inconsciemment l'accomplissement, en même temps qu'ils renversent le trône, mettent le roi à mort et proscrivent ses héritiers. Le but immédiat est celui que Louis XI a entrevu dès le lendemain de l'expulsion des Anglais, auquel se sont appliqués Henri IV et Richelieu après la pacification religieuse, que Louis XIV a cru toucher, et que Vauban a défini d'un mot expressivement familier la France doit « faire son pré carré », c'est-à-dire s'étendre en maîtresse, sans barrières et sans enclaves, dans l'espace contenu entre les deux mers, les Pyrénées, les Alpes et le Rhin. Où les légistes de la monarchie invoquaient les frontières historiques de la Gaule, les mariages, les hérédités, tel ou tel droit féodal de retrait ou de dévolution, ceux du Comité de salut public parlent des limites naturelles, des droits de l'homme, de l'indépendance des peuples: mais si la logomachie s'est modifiée, elle n'est toujours qu'un verbiage de procédure, derrière lequel se dissimule la raison d'Etat, demeurée aussi réaliste, aussi âpre, aussi orgueilleusement pénétrée de la grandeur nationale. Une autre visée, plus lointaine, est héritée non seulement des traditions capétiennes, mais de la légende romaine, si puissante chez tous ces bourgeois nourris de l'antiquité classique: elle consiste, après avoir élargi la France jusqu'à ses limites naturelles, à l'entourer d'une ceinture d'Etats vassaux, tributaires et dépendants, et à en faire ainsi la puissance dominante en Europe. Mais cet atavisme romain, loin de le dissimuler, les révolutionnaires en font étalage à tout propos et hors de propos, avec un pédantisme scolaire tandis que l'audace de leurs coups de main, la hauteur de leurs prétentions, l'inflexibilité de leurs ultimatums, rappellent à s'y méprendre les procédés diplomatiques de Lionne et de Louvois, ils se targuent de négocier « à la Popilius ».

Ainsi, par une double et parallèle hypocrisie, les coalisés ne rêvent que conquêtes et démembrements en se vantant de faire une guerre de défense monarchique, et les jacobins, sous couleur

de lutte de propagande, poursuivent assidùment le plan d'extension nationale conçu par la royauté. Mais j'ai tort de parler de parallélisme, car ces deux hypocrisies ne tardent pas à venir en contact, et les négociations qui s'engagent entre elles ne sont rien moins qu'édifiantes. Par une application ou un abus du fameux principe d'équilibre, la diplomatie du dix-huitième siècle en était arrivée, au mépris des droits des sujets et de l'indépendance des petits Etats, à tout réduire à des questions matérielles de troc, de compensations et d'arrondissement. De prime abord, les révolutionnaires se révèlent maîtres consommés dans ces marchandages, si révoltants au point de vue des idées qui sont leur raison d'être au pouvoir; pour s'assurer la possession d'une province, ils cèdent aux « despotes » tel pays qu'ils avaient envahi avec des allures de libérateurs, telle contrée même qui jusqu'ici n'avait pas connu de maître. Réciproquement, les souverains et les ministres de la coalition, qui ont sans cesse à la bouche le respect des droits acquis et des situations traditionnelles, n'hésitent guère à satisfaire leur cupidité aux dépens des petits princes très légitimes; la catholique Autriche, pour se dédommager de la perte des Pays-Bas et du Milanais, profite de la sécularisation des principautés ecclésiastiques et convoite les dépouilles de la plus vénérable de toutes, c'est-à-dire de l'Etat pontifical. Si d'un camp à l'autre le langage est totalement dissemblable, les sentiments ne sont que trop à l'unisson croisés de la légitimité et du vieil ordre politique, missionnaires du progrès et de la liberté, tous se mettent d'accord pour dépecer des terres et se partager des peuples comme des troupeaux on ne dispute sérieusement que sur la composition et la respective importance des lots.

Une puissance fait exception et, tout en prenant à la coalition une part prépondérante, se tient à l'écart de ces trafics. Non que l'Angleterre se pique de désintéressement: au contraire, n'admet tant comme solution à la lutte que la consécration de son empire maritime et le définitif abaissement de l'influence française en Europe, elle dédaigne toute transaction. Si le mot d'impérialisme n'a point encore été inventé, l'idée hante dès lors les ambitions britanniques, et avec cette indomptable constance qui est sa maîtresse qualité, l'Angleterre refuse déjà de traiter à d'autres conditions que celles qu'elle imposera après Toulouse et Waterloo.

En 1892, M. Sorel avait conduit cette triste, mais instructive et poignante histoire jusqu'à la séparation de la Convention. Après dix années de recherches et d'études, il la reprend aujourd'hui, avec le projet de la poursuivre sans relâche jusqu'à son naturel aboutissement, qui est le congrès de Vienne. Le volume qui va

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