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térature à travers une vie pleine d'amertume et de détresse, bat en ruine l'ordre établi et trace le Contrat social. Ne lui demandez pas l'impartialité savante de Montesquieu; sa mission est autre. Ainsi Montesquieu, dans une œuvre pleine de calme et de proportion, déroule une inépuisable suite de tableaux pittoresques et dramatiques; il considère curieusement la féodalité et lui consacre la fin de son Esprit des lois. Jean-Jacques, au contraire, la flétrit de quelques phrases fougueuses; sans impartialité, car il doit accuser et détruire; sans érudition sur le passé, car il doit s'agiter dans les pressentiments d'un avenir vague. Il s'inspirera, pour l'histoire des passions, de Richardson; pour la morale et pour la politique, de Plutarque, de Montaigne et dé Locke; il pétrira de tous ces emprunts une œuvre brûlante, et, la jetant dans son siècle, il entraînera ses contemporains par sa fiévreuse éloquence à des commotions inouïes.

La révolution française, voilà le philosophe qui succède à Rousseau. Nous examinerons les hommes qu'elle a suscités. Et d'abord voici venir un adversaire passionné de cette révolution; il a de très-bonne foi contre elle l'injure à la bouche et l'indiguation dans le cœur; il s'arme d'une ironie qui brûle, d'une invective qui ne tarit pas, et d'un bonheur d'expressions de colère qui fait frémir le lecteur. Qui n'a pas nommé M. de Maistre? C'est le vengeur du passé, c'est le Michel-Ange de la philosophie catholique artiste de génie, il mérite de comparaître dans cette évocation de penseurs depuis Platon jusqu'à la révolution française. Nous pouvons l'admirer tout en le blâmant; notre cause, à nous amis de la liberté, est assez bonne pour nous laisser être justes; c'est à nous à confesser la vérité sur toute chose et sur tout homme, à saluer la gloire partout où elle se trouve, même dans les rangs ennemis.

Maintenant voici trois théoriciens politiques appartenant aux idées nouvelles, Condorcet, Saint-Simon, Benjamin Constant. Le premier a disparu dans les orages de notre ré

volution; le second est mort avec calme et foi dans l'avenir sous la restauration; le troisième a expiré après avoir vu le réveil de la liberté; espérons fermement qu'il n'a pas douté de ses destinées futures. Ils sont tous trois représentants célèbres de la révolution française: Condorcet a de remarquables aperçus sur la philosophie de l'histoire; Saint-Simon pose et travaille puissamment à résoudre le problème de l'association; Benjamin Constant voue son esprit étendu, si vif, si varié, si gracieux et si juste, à la défense de la liberté et des garanties politiques.

Mais depuis 1850 et surtout depuis 1848, le socialisme est venu 'donner à la révolution française une face et une portée nouvelles, qui en ont dénaturé les premiers principes et gravement compromis l'avenir. Nous examinerons les caractères généraux du socialisme et la valeur morale du principal système qu'il ait produit, nous voulons parler du fouriérisme. Enfin il nous faudra bien apprécier les idées de M. Proudhon, de cet étrange logicien du socialisme, qui tantôt dogmatise en son nom et tantôt en démontre le néant.

Après avoir parcouru l'homme, la société, l'histoire et la philosophie, nous pourrons convenablement définir et asseoir la science de la législation dans la cinquième partie de ce livre nous la distinguerons de la science du droit proprement dite, nous définirons ses rapports avec l'économie politique, avec la philosophie, avec la religion. La législation posée, nous examinerons comment aujourd'hui elle doit être faite et rédigée c'est le problème de la codification; comment appliquée : c'est celui des institutions judiciaires. Nous finirons en interrogeant d'un regard les destinées futures de la science et de l'humanité.

Le dix-huitième siècle nous a conquis la liberté, et nous a nécessairement encombrés de ruines. Sous l'empire, la pensée se reposa un peu: on était dans les camps. Pendant la restauration on vécut peu dans les camps, beaucoup avec les livres ; on s'instruisit avec sincérité; mais par une inévitable

réaction on fut enclin à croire que le passé pouvait souvent devenir légitime par la connaissance que l'on en acquérait et les raisons que l'on en donnait. Il faut sortir de cette disposition, qui conduit les esprits et les peuples à l'apathie, et dont au surplus le temps est passé. Ainsi l'école historique allemande, si fertile en riches matériaux, semble être close dans ses véritables résultats : le grand Niebuhr est mort (1), et apparemment la disparition des individus signifie quelque chose.

Que l'histoire soit donc désormais pour nous la conscience du passé et de l'avenir, un appui à des inductions philosophiques.

CHAPITRE II.

DE L'INDIVIDUALITÉ.

Le lyrique grec, dans une de ses Pythiques, proposant quelque chose à Arcésilas de Cyrène sous des paroles énigma tiques et obscures, lui dit de prendre la sagesse d'Edipe (2). Que tout homme qui essaie d'ouvrir la bouche sur lui-même et sur la nature des choses profite de l'avis du poëte, et qu'il s'arme, s'il peut, de la sagesse d'Edipe.

Pourquoi fut-il donné au fils de Laïus de percer l'énigme et la poitrine du sphinx sur le mont Phicéus ? C'est qu'il avait souffert et combattu; et il acheta, au prix d'une vie tragique, d'expliquer et de représenter au monde le destin, comme plus tard le Christ versa son sang pour expliquer et représenter la Providence.

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Douloureuse et profonde leçon ! Il faut donc souffrir pour apprendre et agir; et tant que l'âme n'a pas passé par le

(1) Le célèbre historien de l'ancienne janvier 1831, sous le coup de l'émotion de 1830.

Rome mourut à Bonn, le 2 que lui causa la révolution (Note de la 3e édition.)

(2) Γνῶθε νῦν τάν Οιδιπόδα σοφίαν. (Pythia, carm. IV, V. 467.)

feu, que voulez-vous attendre de cette salamandre qui n'a pas subi son épreuve! Oui, lisez ce qu'ont écrit les hommes, compulsez les penseurs, exténuez-vous sur les philosophes, usez-vous dans des veilles ardentes, errez dans les cités et parmi les hommes sans les regarder ni les voir, mais la tête pleine de spéculations infinies: eh bien! qu'avez-vous recueilli? quels fruits? quelle moisson? J'entends la réponse mêlée d'un éclat de rire dans la bouche d'Hamlet des mots, des mots, des mots. Mais qu'un jour la foi en quelque chose se soit emparée de vous, vous anime et vous possède, puis languisse et vous délaisse, vous ressaisisse encore pour vous quitter; que vous vous soyez trouvé le courage d'agir une fois à la face de tous selon votre pensée et votre désir: alors, quels que soient l'issue et le dénoûment de cette lutte avec vous-même et la vérité, dussiez-vous en sortir en lambeaux, au moins vous aurez senti, vous aurez vécu ; ce que les livres n'avaient pu vous donner, vous l'aurez au moins conquis et trouvé le sentiment de l'humaine nature, grandeur et misère, fange et feu divin.

Ce livre sera pur de tout mensonge et dégagé de toute hypocrisie; on n'y trouvera ni croyances officielles, ni traditions adoptées de confiance; et je dirai simplement mes opinions et mes ignorances.

Il est une manière commode de philosopher. Depuis Platon jusqu'à Kant, que de systèmes l'esprit de l'homme n'a-t-il pas façonnés! Que de vues divergentes! que d'idées moitié heureuses, moitié folles! Etudiez-les toutes, enchaînez-les les unes aux autres par le point où elles peuvent se heurter le moins; de tant d'incohérence tàchez d'abstraire une unité; et, sans avoir engagé en rien votre imagination et votre cœur, vous annoncerez à vos semblables que tout est vrai et que rien n'est faux. Mystification amère ! J'ai lu quelque part qu'un grand alchimiste avait consumé ses nuits à construire un corps de géant. Il avait dérobé dans un cimetière les éléments de sa création, ici il avait pris une jambe, là un bras;

il avait tourmenté beaucoup de cadavres pour devenir le père d'une créature; cependant la vie ne venait pas, et de plus en plus notre alchimiste en désespérait, quand, une nuit, penché sur son ouvrage pour l'observer de plus près, il voit peu à peu s'ouvrir et se diriger sur lui un œil jaunâtre; puis le corps s'anime, se meut, se dresse, se lève, poursuit son créateur, et le tue. Ne reconnaissez-vous pas ce monstre? il s'appelle le scepticisme; il est sorti de l'accouplement des plus illustres systèmes, ces cadavres empaillés de la philosophie.

Sans doute, il est bon de connaître l'histoire des opinions et des gestes de l'homme, pourvu que le souvenir du passé ne soit pas tourné en empêchement de l'avenir. Autre chose est de faire du passé un objet d'études, autre chose est de faire de la connaissance du passé la science même de l'humanité.

Demander à la poussière des livres la conscience de soimême, c'est se tromper gravement: sortez des illusions et des brouillards du Collegium logicum pour vous recueillir profondément en vous-même, et dire comme un juré la main sur le cœur: Je crois à tel ou tel fait de la nature humaine. Or, qui nous donne l'éveil? qui nous sonne le signal de la vie, de la lutte, et, par contre-coup, de l'énergique conscience de nous-mêmes? les passions. Voilà l'aimant divin qui nous envoie la secousse et le branle d'une première et irrésistible électricité. C'en est fait dès que la corde pathétique a vibré dans l'âme du jeune homme, la vie s'est révélée à lui; je ne sais quel instinct mystérieux et puissant le conduit sourdement au sentiment de ses forces et de lui-même ; son cœur se gonfle et veut déborder, son front s'agrandit et semble devenir le siége de la puissance. Amour, science, gloire, postérité, il aspire à vous; et vous pourrez à peine, en vous réunissant, combler le vide de cette âme qui se dévore et s'alimente sans relâche. Qui donc a calomnié les passions? quels docteurs ont voulu les extirper, ou du moins les

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