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en est à la fois le serviteur et le chef, le soldat et le général. Rien par lui-même, tout par les autres, sa puissance consiste à représenter ceux qui le suivent, à ne pas se séparer de la foule qui est derrière lui; car si, par hasard, l'imprudent en se retournant apercevait entre lui et les autres un large espace qui serait un abîme, s'il était seul, il tomberait.

Qu'est-ce que la légitimité? Tout pouvoir veut être légitime; il en a le besoin et le désir. Quelle est la source de la légitimité? La durée ou le mérite? L'antiquité ou les services présentement rendus? Avoir été ou être ? C'est être. Le pouvoir dans une société est aimé, puissant; il fait les affaires du peuple, il l'éclaire, l'élève alors il est légitime. Il n'y a pas dans l'histoire et chez un peuple d'hypocrisie possible, et la popularité est le signe irrécusable de la légitimité des gouvernements. Mais les peuples se détachent; les murmures éclatent; le pouvoir a cessé de comprendre et de satisfaire la société ; il en est averti par une révolution; et ici je ne parle pas de séditions folles, de troubles avortés: il n'est plus légitime.

Ce serait une doctrine commode, celle qui mettrait la légitimité dans la durée. Et voici comment cette illusion s'est faite dans l'esprit de quelques-uns, et comment elle a été volontairement exploitée dans l'intérêt de quelques autres. Tout pouvoir qui sert et satisfait un pays dure; cette durée se prolonge et devient un fait acquis; ce sont pour ainsi dire les états de service de ce pouvoir alors ses partisans en tirent un argument (et la théorie historique de la légitimité est là tout entière): ce pouvoir a duré pendant longtemps; il fut aimé, vénéré, puissant; donc il a été légitime. Oui. Donc il sera toujours légitime. Non. - Un homme peut ne paraître que douze ans dans l'histoire, et s'y installer d'une manière tout à fait légitime. Qui a jamais contesté la légitimité de Napoléon à Austerlitz et à léna? Pas plus qu'on n'a contesté celle de Louis XIV. Soyez fort, marchez à la tête de votre siècle et de votre peuple, vous serez légitime; car vous mériterez bien de votre pays, et encore une fois vous,

pouvoir, vous n'êtes au-dessus de nos têtes qu'à la condition de nous servir.

La doctrine historique de la légitimité est fille de la féodalité. On a voulu régler les droits au trône sur l'héritage du fief, et traiter les peuples comme la seigneurie de Robert le Fort.

Quoi de plus légitime que le patriciat romain? Il avait fondé Rome; le premier il avait mis la main dans les destinées de la ville éternelle, et fut longtemps investi d'une incontestable légitimité. La démocratie n'arriva que la seconde au partage: elle revendiqua son droit et sa liberté par ses tribuns, par Canuleïus, par les Gracques, par la terrible épée de Marius, dont la cause triomphe même après la mort paisible de Sylla, et trouve dans César un vengeur qui relève les statues et continue l'entreprise de l'exilé de Minturnes. Le patriciat succombe, et cependant Sylla n'a pas ménagé le sang. La cause démocratique devient légitime à son tour sous la pourpre de César, et supplante la liberté patricienne, cette vieille liberté aristocratique de Scipion Nasica et de Cornélius Sylla.

La légitimité dans son principe est philosophiquement vraie; elle participe du caractère universel de la loi et de Dieu, mais à travers l'histoire elle change de représentants et de costume, et il ne faut pas vouloir en faire une borne immobile. Je ne sache pas que l'Angleterre ait été si fort déconcertée par les souvenirs turbulents qui combattaient la dynastie nouvelle; et malgré Culloden, où le prétendant réclamait son droit soixante ans après, Guillaume III était légitime en posant le pied sur le sol anglais (1).

(1) Dans cette théorie de la légitimité du pouvoir, j'étais injuste envers le passé, dont je méconnaissais la puissance morale; j'étais aussi en contradiction avec moi-même, puisque, quelques pages plus haut, j'insistais sur l'autorité nécessaire de la tradition. Dans la légitimité du pouvoir, il y a trois éléments: 1o le principe philosophique, que tout pouvoir émane de la raison générale, de Dieu : Omnis potestas à Deo; 2o la tradition historique; 3o la force dans le présent, et les services rendus par cette force. (Note de la 3e édition.)

J'arrive à la liberté. Ici plus que jamais se montre l'insuffisance de l'analyse; car comment concevoir la liberté politique sans la bonté de la loi et la légitimité du pouvoir? La liberté est le résultat et l'harmonie de tous les éléments de la sociabilité. Elle est l'ordre organique, l'ordre en action. Que prouve chez un peuple une insurrection, si ce n'est qu'un ordre nouveau tend à s'établir sur les ruines de l'ancien ? Partout où la légalité est mauvaise, où elle est judaïquement interprétée, vous verrez la moralité sociale se soulever : il y a souffrance, schisme, douleur, révolution. Que les révolutions soient philosophiques, religieuses, sociales, elles sont toujours l'indice d'innovations nécessaires qui ont besoin d'être satisfaites; elles sont pour ainsi dire l'entrée en scène de la liberté politique, mais elles ne sont pas la liberté même.

La liberté sociale concerne à la fois l'homme et le citoyen, l'individualité et l'association : elle doit être à la fois individuelle et générale, ne se concentrer ni dans l'égoïsme des garanties particulières, ni dans le pouvoir absolu de la volonté collective; principe essentiel que confirmeront les enseignements de l'histoire et les théories des philosophes.

L'insurrection qui déchire la légalité quand elle est corrompue et perfide est dans l'histoire des peuples un accident terrible et nécessaire, que les progrès de la sociabilité tendent de plus en plus à supprimer. Voilà l'exemple et le bienfait que l'Europe doit à la constitution anglaise; elle nous montre la liberté politique, surtout comme une résistance; elle fait sortir de l'action du gouvernement et de la réaction parlementaire un développement oscillatoire et harmonique qui avance toujours sans se précipiter jamais rouage merveilleux de l'industrie politique, si son mécanisme parvient aujourd'hui à se corriger lui-même, à suffire et à s'adapter aux mouvements accélérés de la civilisation.

Mais, si la liberté moderne a trouvé jusqu'ici dans la constitution anglaise sa manifestation la plus complète et la plus sage, elle n'en est pas moins indépendante de toutes

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les formes destinée à les user, à leur survivre, à ne s'incorporer éternellement dans aucune. Dans le dernier siècle, Mably et Rousseau ont écrit que la liberté, patrimoine exclusif de l'antiquité, était presque impraticable aux temps modernes erreur dont a fait justice surtout Benjamin Constant, qui cependant, nous le verrons, a méconnu un des caractères de la liberté sociale. Les progrès de l'émancipation politique sont sensibles chez les modernes. La liberté commence sa carrière par briller à Athènes au sein de cette jeune et gracieuse république, où vingt mille citoyens, l'élite du monde, s'occupaient tour à tour de ce que l'esprit a produit de plus enchanteur et de plus profond; où l'on se préparait dans les jardins de l'Académie aux combats de la tribune; où le même peuple qui écoutait Périclès riait aux comédies d'Aristophane, et avait peur aux drames d'Eschyle; où mieux qu'en aucun lieu du monde s'est développée la liberté des mœurs, la philosophie et l'éloquence. Sparte, fondée sous la sombre inspiration du génie dorien, combat comme un seul homme, asservie à une discipline austère contre laquelle la vie du citoyen ne peut avoir ni refuge ni secrets. Rome, qui achète la liberté plus cher encore, la garde plus longtemps et la transmet au monde moderne; car à la vie antique succède l'individualité des mœurs et du droit civil. Paraît enfin le christianisme, avénement d'une liberté plus féconde et plus complète, véritablement humaine. Des forêts de la Germanie. sort l'homme moderne, portant dans le cœur le sentiment énergique de sa force et de son droit personnel; progrès sur la place publique d'Athènes et sur le Forum romain. Désormais la liberté moderne, s'appuyant sur le christianisme, présente chez tous les peuples, progressive à toutes les époques, s'accommodant de toutes les formes, de la théocratie romaine comme de la monarchie royale, arrivant à la monarchie représentative, affranchissant l'Amérique, éclatant en 1789, relevant son drapeau en 1830; la liberté, cette volonté de Dieu, cette destinée des peuples, a toujours poursuivi sa

course;
c'est à nous à marcher sur ses traces d'un pas
et courageux.

ferme

Ayons les mœurs de la liberté, puisque nous la possédons. Nous sommes, avec l'Amérique et l'Angleterre, le peuple le plus libre l'Amérique a sur nous certaines supériorités ; l'Angleterre également; nous en avons sur elles deux : espèce d'enseignement mutuel où il sera glorieux d'être plus souvent qu'un autre le moniteur. Des mœurs et des passions sociales doivent succéder aux habitudes d'un égoïsme étroit et calculé associons-nous; sachons nous réunir pour débattre nos intérêts, nos idées et nos droits avec calme, fermeté, sans factions. Soyons libres comme des hommes libres, et non pas comme des affranchis; et portons dans notre vie de citoyen cette sérénité de la force qui se connaît et se possède.

CHAPITRE II.

DU DROIT DES GENS

-

DE LA PAIX ET DE LA GUERRE.

Une nation, pas plus que l'homme, ne saurait se suffire à elle-même. Elle aussi cherche à sortir de sa sphère, et a besoin de se mettre en rapport avec d'autres associations. Une tribu n'a pu longtemps exister sans songer à s'enquérir si autour d'elle, par delà la montagne qui la couvrait et la protégeait de ses flancs, il n'y avait pas une autre peuplade, d'autres hommes. Puis on échangea le superflu contre le nécessaire; il y eut commerce; un lien se forma entre deux sociétés naissantes: fait qui n'est pas purement industriel, car il y a commerce de sentiments comme de marchandises, échange d'idées comme de produits. Les peuples se cherchent d'abord, poussés par leurs besoins, mais ils se touchent ensuite par leurs pensées et leurs affections morales.

La terre fécondée par l'agriculture fut au commencement l'unique théâtre de cette industrie naissante; mais un autre élément vint provoquer l'audace de l'homme loin de le

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