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plus d'indépendance et de gloire; en réalité, elle a disparu du monde.

Ce problème capital de la propriété va se poser avec une bien autre importance chez l'impitoyable héritier de l'antiquité tout entière, le peuple romain. Entre les patriciens et les plébéiens le débat était inévitable. L'ennemi commun vaincu, son territoire devenait le domaine de la république, ager publicus; une partie était vendue au profit du trésor, une autre concédée aux citoyens moyennant une redevance et un fermage; mais la république retenait la propriété du fonds. Voilà les possessiones des Romains; voilà pourquoi chez eux la possession se distinguait si profondément de la propriété : distinction dont a hérité, sans la comprendre toujours, la légalité moderne.

Mais poursuivons. Les patriciens faisaient le partage de ce prix de la victoire commune, et ils furent exposés à une rude tentation de prendre beaucoup pour eux et de donner peu aux autres. La population plébéienne, la force et la substance de Rome, infanterie de fer qui gagnait les batailles, ne reçut pas son lot légitime, et resta prolétaire malgré ses conquètes de tous les jours. L'injure était flagrante. Aussi le sénat ne refusa jamais directement les propositions des tribuns sur le partage des terres; il savait qu'au fond la démocratie avait raison. Les tentatives des tribuns s'étaient succédé sans grands résultats jusqu'au commencement du septième siècle de Rome, quand, après la ruine de Carthage et de Corinthe, éclata l'entreprise des Gracques, si méconnus, si calomniés. On en a fait des démagogues furieux, sans intelligence, voulant un nom à tout prix, et Juvénal s'est rendu l'écho de ce lieu commun misérable :

Quis tulerit Gracchos de seditione querentes?

Tant les poëtes ont parfois d'aveuglement et d'insuffisance pour comprendre les idées et les révolutions ! Les Gracques eurent

le malheur de ne pouvoir développer leurs intentions et leurs desseins que par une commotion de l'État; mais c'étaient de grands hommes politiques; dévoués au peuple, ils sont morts pour lui.

Le mal en était venu à ce point où la patience n'est plus possible. La démocratie se trouvait tout à fait en dehors de la propriété et frustrée de ce qui donne à la vie de l'homme sécurité, douceur et puissance. Depuis Licinius Stolon, qui avait porté une loi dans la dernière moitié du quatrième siècle, ne quis plus quingenta jugera agri possideret, et qui fut condamné quelques années après pour en posséder dix mille, tant la pente était irrésistible! les abus avaient encore grandi, et ne pouvaient être corrigés que par une révolution. Tiberius Gracchus résolut fermement de l'accomplir. Sa mère l'y encouragea; car cette femme aimait ses enfants, mais elle aimait encore plus la gloire de ses enfants. Alors tout ce qu'une politique habile, tout ce que l'esprit de conservation et de bon sens pouvait apporter d'adoucissement dans une entreprise si âpre et si tranchée, Tibérius s'y prêta; âme généreuse et tendre, mélange d'irrésistible volonté et de douceur charmante dans le caractère, il descendit, pour gagner le sénat, pour désarmer son collègue Octavius, aux prières, aux supplications; mais il ne recula jamais dans l'exécution de son dessein sur la place de Rome il en démontre la légitimité aux yeux et aux oreilles de toute l'Italie. Il confond ces patriciens qui refusent à la démocratie victorieuse le prix de son sang; il revendique avec un invincible ascendant les droits de ces malheureux plébéiens, et il termine par ces énergiques paroles « On les appelle les maîtres du monde, et ils n'ont pas « en propriété une motte de terre. » La loi passa ; le sénat nomma des commissaires; deux ou trois ans après, Tibérius mourait sous les coups de l'aristocratie ameutée par Scipion Nasica, et l'entreprise demeura suspendue.

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Caïus avait neuf ans de moins que son frère; il ne put que lui succéder, et non pas s'associer à ses efforts: peut-être

ces deux hommes réunis eussent-ils eu une meilleure destinée. Qu'il est beau de voir Caïus pas du tout jaloux de se jeter sur-le-champ dans la même aventure que son frère. Non. Il hésite, il délibère; il rêve, il est triste. Il faut que les plébéiens lui mettent des inscriptions sur les statues du forum pour lui demander s'il oublie son frère, sa gloire et ses devoirs de Romain. Enfin il se dévoue avec un pressentiment secret de marcher comme son frère à sa ruine. Il propose plusieurs lois pour augmenter le pouvoir du peuple et affaiblir celui du sénat : par l'une il établit des colonies et distribue des terres aux pauvres citoyens qu'on y envoie ; une autre ordonnait d'habiller les soldats aux frais du trésor public; une troisième donnait aux alliés le même droit de suffrage qu'aux citoyens de Rome; enfin il adjoignit aux trois cents sénateurs qui siégeaient alors dans les tribunaux autant de chevaliers romains. Malgré ces diverses entreprises, on trouve dans ce grand homme moins de résolution et d'initiative que dans son frère; mais l'aristocratie ne lui pardonne pas davantage, et, comme Tibérias, il succombe tragiquement. Scipion était au siège de Numance lorsqu'il apprit la mort du premier des Gracques ; il prononça ce vers d'Ilomère :

Périssent con.me lui tous ceux qui lui ressemblent!

Revenu à Rome, on l'interrogea sur ce qu'il pensait des lois des deux frères, il les condamna. Scipion représentait la fière obstination du patriciat remain, et il avait horreur de toute entreprise révolutionnaire.

les hommes ordinaires succèdent aux Gracques : Saturninus, Livius Drusus. Mais Marius arrive, et avec lui la guerre civile, digne fruit des excès des patriciens. Pourquoi la démocratie s'enrôle-t-elle sous les enseignes de Marius, de César et d'Octave? pour recevoir des terres après la victoire des mains de ses généraux. Sous Auguste l'Italie se partage à ses vétérans, et la propriété subit des révolutions dont vous

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entendez encore le retentissement dans les Églogues de Virgile. Ainsi la démocratie renonce à la liberté pour la propriété, pour les droits et les douceurs de la vie civile; et la cause de Tibérius et de Caïus, de ces deux républicains, vengée par Marius, triomphe par la dictature de César. C'est qu'elle était trop légitime, trop vraie, pour ne pas aboutir à bien. Un homme qui à force de passion pénétrait d'un coup dans la vérité de l'histoire, Mirabeau, ne s'y est pas trompé : « Ainsi, dit-il, périt le dernier des Gracques de « la main des patriciens; mais, atteint d'un coup mortel, il « lança de la poussière vers le ciel, en attestant les dieux « vengeurs; et de cette poussière naquit Marius, Marius « moins grand pour avoir exterminé les Cimbres que pour << avoir abattu dans Rome l'aristocratie de la noblesse. » Entendez-vous ces deux démocrates, comme ils se répondent! comme l'âme de Mirabeau comprend celle de Caïus Gracchus, et comme il le venge, à travers les siècles, de l'aveuglement, des fureurs et du poignard de l'aristocratie!

Quand les barbares inondèrent la Gaule et l'Italie, ils ravagèrent d'abord les villes, les palais et les temples; puis ils les conservèrent, et s'en firent les propriétaires, en vertu du droit de conquête, droit de puissance, de supériorité sur ce qui ne peut plus ni résister ni vaincre. Étaient-ils encore les légitimes possesseurs du monde, ces Romains, ces Italiens, ces Gaulois, dont le bras ne pouvait plus soutenir l'épée? On a beaucoup trop calomnié le droit de conquête, qui, lorsqu'il n'est pas un brigandage inutile, régénère et renouvelle les sociétés. La grande invasion du cinquième siècle l'a trop clairement écrit dans l'histoire pour qu'on puisse en méconnaître la raison profonde; et la hache du barbare est véritablement la première colonne de la société moderne. La conquête amène la propriété, loin de l'anéantir; les formes en sont nouvelles, compliquées, tortueuses, sans analogie avec rien de l'antiquité. Au système de la légalité romaine, la barbarie donne pour héritière la féodalité, base

solide des temps modernes, tellement qu'elle résiste encore, en plusieurs endroits de l'Europe, au flot des révolutions.

Cependant, dans ce conflit des nouveaux maîtres et des vaincus dépossédés, il y avait une puissance qui savait alors diriger et consoler les peuples: c'était l'Église, qui, peu à peu, devint riche dans l'intérêt des faibles et des pauvres. Jusqu'à Constantin elle n'eut pas d'existence civile. Cet empereur néophyte permit le premier de donner par testament. aux églises; et le code Justinien, après avoir consacré le premier titre du premier livre à la très-sainte Trinité, à une profession de foi catholique, et à une législation assez dure contre l'hérésie, traite dans le second titre des intérêts temporels de l'Église naissante. D'abord on donna aux prêtres ce qu'il y avait de meilleur dans les produits de la terre et de la chasse, primitiæ; la dixième partie d'une récolte, decima; mais ces dons (oblationes) n'eussent pas suffi. Si, dans la société féodale, où la propriété terrienne était la règle de tout, le clergé ne fût pas devenu propriétaire, comment eût-il obtenu l'estime des peuples? où aurait été son autorité, son utilité ?

Voici un spectacle nouveau : la propriété venait d'être la récompense et la conquète de la victoire irritée; elle est maintenant l'hommage volontaire des peuples, rendu à la supériorité pacifique de l'intelligence et de la religion. De toutes parts on donne à l'Église à pleines mains; les donations, les testaments, ne se dressent que pour elle; le territoire se couvre de fondations aussi bien que de fiefs. Alors les hommes de l'Église choisissaient des situations pittoresques tantôt s'établissant au haut d'une montagne, ils y mettaient le signe de Dieu, un monastère; tantôt ils cachaient au fond d'une vallée une société de cénobites intelligents et pieux, dont tout le voisinage recevait la salutaire influence. C'est par les fondations que l'Europe moderne s'est civilisée. Sans richesses et sans propriétés, l'Église eût été impuis

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