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PRÉFACE

DE LA TROISIÈME ÉDITION.

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Quelles sont, dans la science politique, les parties permanentes, générales et marquées d'un irrécusable caractère de nécessité morale? Quelles autres sont au contraire transitoires, locales, et destinées au changement par une mobilité naturelle? Telles sont les quesauxquelles je voudrais répondre en publiant aujourd'hui la troisième édition de la Philosophie du droit.

tions

Où la science politique prend-elle son point de dé part? Dans les faits. Avant que l'homme se mit à méditer, il avait spontanément agi. Des sociétés se formè

rent, des villes furent bâties, et des gouvernements

fondés, avant que la réflexion conçût des systèmes. Les théoriciens ne vinrent que longtemps après les législateurs, ces poëtes primitifs de la civilisation.

Il faut qu'une société ait déjà beaucoup vécu pour qu'à côté des hommes d'Etat qui la mènent, il se trouve des penseurs qui l'observent, l'étudient et en cherchent les lois nécessaires. Tel est l'office de la science politique. Plaçant son point d'appui dans les faits, dans les

a

institutions, elle a pour but le bien général, tout le bien praticable, et pour instrument la connaissance de la nature des choses, connaissance qu'elle doit continuellement accroître. Alors, elle embrasse tout, l'homme et ses facultés, la société et ses conditions, l'histoire et ses enseignements; et, de cette grande étude, elle tire des principes et des théories.

Les principes sont la plus simple expression des vérités élémentaires, et, à ce titre, ils sont immuables. Les théories sont la déduction de toutes les conséquences et de toutes les applications des principes. Déduction rarement définitive et parfaite, et dans laquelle, au contraire, se trahit trop souvent l'ambitieuse faiblesse de la raison humaine.

Quand la raison aspire au gouvernement des sociétés, cette ambition en soi n'est pas illégitime, mais elle devient féconde en naufrages par les fautes et les impatiences de la raison même. Pour détruire les anciennes institutions, la raison a de nos jours déployé une irrésistible énergie. Elle a souvent été sagace, éloquente, quand elle en a démontré les vices et signalé la caducité. Après en avoir précipité la ruine, elle a passé avec audace au soin de fonder des établissements nouveaux. Mais il lui arriva de prendre dégoût de ses propres ouvrages aussitôt après les avoir produits et de les renverser, comme elle avait fait des choses antiques, pour y substituer d'autres conceptions destinées à la même inconstance et à la même fragilité. Ainsi nous avons vu les constitutions tomber les unes sur les autres on avait eu à peine le temps de les lire qu'elles n'étaient déjà plus.

Lancée dans l'infini de ses désirs et de ses pensées,

l'humanité apparaît ici comme une force immense à laquelle rien ne résiste, mais qui, elle-même, ne peut ni s'arrêter, ni se contenir. A la fin du dernier siècle, la société française, qui semblait à plusieurs vieille et fatiguée, s'est levée avec l'impétuosité d'un jeune homme pour s'engager dans l'inconnu. Lorsque, avide d'émotions et brûlant d'essayer sa vigueur, le jeune homme s'empare de la vie comme d'une proie féconde en jouissances, il est hors d'état de maîtriser les idées et les sentiments qui fermentent dans son imagination et dans son cœur. Ouvert à toutes les passions, il a de beaux élans, de déplorables chutes; il se relève, il retombe. il erre à l'aventure, de projets en fantaisies, de bonnes résolutions en folies fougueuses, n'appartenant jamais sans retour ni au bien, ni au mal. N'est-ce pas là le spectacle que, depuis soixante années, a donné, à certains moments, la société française?

L'histoire, dans d'autres temps, nous montre des sociétés énervées, corrompues, convergeant à leur ruine : au dernier terme de leur existence, ces sociétés n'avaient ni le soupçon, ni l'instinct de l'avenir, et, pour ainsi parler, elles consentaient à mourir. Aujourd'hui, au milieu de leurs déchirements, les nations européennes ne sont pas assiégées par la pensée de la mort, elles se sentent plutôt tourmentées par une irrégulière et fiévreuse vitalité.

Alors, l'homme s'agite avec anxiété, au lieu de marcher d'un pas ferme et continu; il a des impétuosités aveugles et des défaillances mortelles. On dirait qu'en se proclamant reine et souveraine, l'humanité a pris tous les caprices du pouvoir absolu. Elle veut et ne veut pas; elle commande, puis de brusques contre-ordres

défont ce qu'elle avait prescrit. Elle imprime trop souvent à ses œuvres je ne sais quel caractère de violence impuissante.

D'où proviennent surtout d'aussi tristes résultats? De fausses théories. Lorsque des théoriciens incomplets, qu'exaltent aussi des passions ardentes, provoquent par leurs systèmes une révolution, ou prétendent la pousser plus loin, si elle est accomplie, il y a dans la société un malaise étrange, des déchirements douloureux. Comment en serait-il autrement, dès que les théories qu'on veut appliquer à la société, dénaturent ou violent quelque principe élémentaire?

S'il est un principe certain, c'est que le droit a sa source dans l'intelligence de l'homme. A tous les degrés de la vie sociale, ce principe se retrouve. Si l'homme respecte son semblable, c'est parce qu'il reconnaît chez lui le signe sacré de l'intelligence; s'il consent qu'un autre ou que d'autres le gouvernent, c'est parce qu'il les croit plus intelligents que lui; enfin, s'il réclame le droit d'élire lui-même ceux qui doivent délibérer sur les intérêts de tous, c'est que, pour faire ce choix, il s'estime assez intelligent.

Les droits politiques ont pour cause nécessaire l'intelligence, et ils se mesurent à l'étendue des idées de ceux qui doivent les exercer. De cette façon, l'émancipation politique d'un peuple est le corollaire de son éducation morale. Plus ce peuple s'élèvera dans l'ordre de l'intelligence, plus il devra exercer d'influence et de pouvoir sur ses propres affaires. Telle est la marche simple et normale des choses. Cette route peut être longue, mais elle est sûre, et toute société qui saurait la parcourir arriverait infailliblement à un grand résultat,

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