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toute ambition, retiré du monde pour vivre avec l'histoire, étudiant les pages des Annales humaines avec une profondeur naïve, pensant plus à la postérité qu'à ses contemporains, homme antique, s'étant voué sans retour au culte des idées et de la vérité.

Cette expansion de la philosophie catholique vient d'amener récemment une manifestation du protestantisme qui, dans deux recueils périodiques (1), semble vouloir appliquer aux intérêts sociaux l'esprit évangélique. Nous souhaitons cordialement à cette tentative un succès efficace; il y a de nos jours un beau champ ouvert au rationalisme chrétien.

Mais l'apparition la plus significative a été sans contredit celle du saint-simonisme. Ici je dois parler du système et de moimême; il est naturel de donner le pas aux idées sur quelque chose de personnel.

La force du saint-simonisme est dans la nouveauté et l'originalité de ses doctrines économiques : sur ce point il est puissant. Or, comme il se proposait pour but d'améliorer la condition du peuple, comme il en trouvait en partie les moyens dans le progrès de ses idées économiques, il avait, tant pour compléter son système que pour réaliser son dessein, deux voies à choisir. Il pouvait fonder une école philosophique, travailler à mettre d'accord les autres sciences morales avec les résultats de son économie politique, chercher ainsi à concilier la propriété et l'industrie, appeler à lui les esprits, et remettre à l'avenir de plusieurs années, et entre les mains des générations qui arriveront bientôt au maniement des choses, le soin d'appliquer ses réformes. Il pouvait aussi vouloir descendre immédiatement dans l'arène et dans la pratique, pour combattre et triompher sur-le-champ, vivre sur le fond de ses idées sans s'inquiéter de l'augmenter, ne plus rien chercher, mais tout affirmer, prêcher plutôt qu'enseigner, et déserter la philosophie pour tourner à une manière de religion.

Le saint-simonisme pouvait si bien prendre l'un ou l'autre de ces deux partis qu'il les a pris tous les deux. Il s'est partagé en école philosophique et en école théocratique. En ce moment la première travaille en silence, et sans vouloir, suivant son expression, tenter l'usurpation de l'avenir (2), elle poursuit, avec

(1) Le Protestant et le Semeur.

(2) Lettre d'un disciple de la science nouvelle, p. 11.

b

une persévérance pleine de foi, des études, dont une publication récente, courte, mais substantielle, doit donner une haute idée. L'école théocratique imite de plus en plus l'organisation de l'Église catholique, et continue de se produire comme apportant une révélation pour principe, et une révolution sociale pour conséquence.

Les journées de juillet ont beaucoup contribué à précipiter l'allure de l'école théocratique. Quand je rencontrai pour la première fois les saint-simoniens, c'était dans les premiers jours d'août 1830. Dans ces moments trop courts d'allégresse et d'espérance, tout le monde se connaissait et se parlait; je trouvai chez les disciples de Saint-Simon l'ardeur la plus généreuse; ils me pressèrent de lire et d'étudier leur doctrine, m'apportèrent leurs livres. Je n'ai jamais refusé d'apprendre quelque chose; d'ailleurs leur enthousiasme plaisait au mien, et puis entre jeunes gens la familiarité est prompte :

<< Mihi mens juvenali ardebat amore

« Compellare virum, et dextræ conjungere dextram. »

Dès que la Charte de 1830 eut renouvelé le principe constitutif de la société française, il était urgent que les sciences philosophiques et politiques remissent les théories au niveau des faits accomplis. Du moins cette pensée s'empara fortement de moi; il me semblait que la jeunesse, que son àge écartait encore des affaires, devait retremper ses études et ses idées, penser, pour mieux agir plus tard, j'estimais encore que, si les esprits jeunes et actifs se ralliaient en un faisceau, cette association des intelligences qui devait se tenir les portes ouvertes et ne pas être une coterie, accélérerait les progrès nécessaires. Nous débattions ces points, les saint-simoniens et moi, dans nos entretiens. Mais j'étais préoccupé de la science, eux de la pratique immédiate; moi de la philosophie, eux d'une entreprise de religion. Néanmoins ils entraient assez dans mon point de vue et me pressaient de m'associer à leurs efforts pour travailler moi-même au but que je me proposais J'y consentis trop promptement, car, une fois entré dans la société saint-simonienne, je ne respirais plus à l'aise sous la responsabilité d'une religion nouvelle je trouvai encore quelques paroles dans deux ou trois conférences philosophiques; mais, en assistant parmi les saintsimoniens à leurs prédications, j'étais hérétique, et je sentais

:

que jamais à leur chaire je ne trouverais une parole puissante. Cette gêne d'esprit et d'âme ne pouvait durer. Je résolus de me retirer en silence et de m'éloigner avec rapidité. J'annonçai un soir mon départ à un parent qui m'est cher, et le lendemain j'étais sur la route de Lyon, après avoir chargé un de mes amis, que surprit la promptitude de ma résolution, de m'expédier à Marseille un passe-port pour l'Italie. J'oubliai bientôt la religion nouvelle sur ce théâtre de l'histoire et de l'art; il y avait pour moi quelque charme à passer du fracas de juillet au silence du Forum.

Voilà toute l'histoire. Je n'eusse jamais songé à conter ici ces petites circonstances, sans la publicité que les saint-simo niens ont donnée, je ne sais pourquoi, à mon adhésion et à ma retraite. On peut tous les jours se réunir à une conférence, à une société, et se retirer, si l'on aperçoit des causes graves de dissentiment. Les saint-simoniens ont imaginé de répandre qu'en m'éloignant d'eux, j'avais cédé aux suggestions de l'amitié; j'avouerais non-seulement sans peine, mais avec joie, cette influence, si elle eût existé mais personne n'a pris part à ma détermination; seul j'avais abordé le saint-simonisme, j'en ai pris congé seul : des intentions généreuses m'avaient attiré, la solidarité insoutenable d'une doctrine bigarrée où se trouvent accouplés de Maistre et Bentham, le mysticisme et l'économie politique, m'inspira la pensée de reprendre ma liberté. Concevoir et exécuter cette résolution fut pour moi même chose. Il y a quelque temps, les saint-simoniens ont jugé convenable de m'adresser quelques injures, et m'ont arraché, au milieu de mes études, une courte et vive réponse. Il est sans doute trèsflatteur pour moi que ces messieurs aient été assez sensibles à ma retraite pour faire succéder aux éloges dont ils m'avaient environné des invectives d'assez mauvais goût. Ils auraient dû se rappeler seulement que je ne leur dois rien, et qu'ils me doivent quelque chose; car ils ont exploité ma présence parmi eux, car je n'ai pas peu contribué à leur ouvrir les colonnes du Globe, et à tourner l'attention de plusieurs sur leur école.

Mais laissons ces misères pour ne plus parler que des intérêts généraux de la philosophie. La science de la législation devient plus importante que jamais pour la France à une époque où toutes les conditions de la sociabilité sont, pour ainsi dire, révisées.

«Fœderis æquas

Dicamus leges. >>

Il est nécessaire que le pays, qui a l'initiative dans les révolutions, ne soit pas médiocre dans la connaissance des lois sociales.

Appelé à un enseignement supérieur par un gouvernement libre et national, je devais définir la nature de la législation, son but, poser toutes les questions, contribuer à en résoudre quelques-unes, mettre en saillie quelques principes dirigeants, et placer la science des lois au centre du mouvement de la philosophie européenne. C'est ainsi du moins que je conçus ma tâche. Un premier essai m'en facilitait un peu l'accomplissement. Déjà, dans un ouvrage intitulé: Introduction générale à l'Histoire du Droit, j'avais essayé de tracer une théorie du droit positif, et de démontrer que le droit subsiste à la fois par l'élément philosophique et l'élément historique : j'avais, de ce point de vue, écrit une histoire de la jurisprudence en Europe depuis le douzième siècle jusqu'à nos jours, et tiré de ce tableau des enseignements et des conséquences. Cette introduction était animée d'une pensée spécialement scientifique : mon dessein était surtout d'y montrer le progrès et le caractère tant historique que philosophique de la jurisprudence européenne. Les philosophes n'étaient pas oubliés, mais les jurisconsultes y primaient ainsi l'unité du plan avait exigé que je laissasse dans l'ombre la figure de Hobbes pour ne peindre que Grotius, Rousseau pour mieux faire ressortir Montesquieu : c'était un essai d'histoire philosophique de la jurisprudence, et non pas une philosophie du droit, dont je remettais la tentative à une autre époque, aujourd'hui arrivée.

On trouvera le plan de la philosophie du droit que je présente aujourd'hui au public dans le premier chapitre de l'ouvrage, je n'en tracerai pas de nouveau l'esquisse je dirai seulement les intentions qui m'ont dirigé.

J'ai désiré d'abord mettre sur le premier plan la puissance et la dignité de la pensée humaine, montrer dans l'esprit humain la raison des choses et célébrer Dieu par l'homme. C'est ma foi la plus intime que l'homme ne peut être grand et fort que par la conscience énergique de tout ce qu'il peut; qu'il est constamment appelé, dans sa lutte de tous les jours, à être volon

taire; que, dans ce siècle qui se débat pour s'enfanter luimême, et qui perce déjà de torrents de lumière les nuages qui disparaissent de plus en plus pour nous en laisser voir et la face et la cime, l'homme ne reviendra à l'intelligence efficace de la Providence que par sa propre liberté, de la religion que par la philosophie, de Dieu que par lui-même, de la vérité que par la force de l'esprit. Eh! que serait la vie, si ce n'est penser et vouloir? Autrement pourquoi l'espèce humaine ne se donneraitelle pas rendez-vous dans les cafés de Constantinople pour y boire l'opium à longs traits, et pour trouver le néant dans ces voluptés mortelles?

Je désirais ensuite, même dans un essai philosophique, m'autoriser de l'histoire. Non-seulement je l'ai appelée à mon aide le plus souvent que j'ai pu, mais j'ai consacré une des parties de cet ouvrage à tracer la suite directe de son évolution. L'histoire a été trop souvent commentée par les regrets du passé ou par une érudition apathique; il faut se hâter de la rallier à la marche de notre siècle, pour lequel elle ne saurait être un bagage inutile destiné à embarrasser sa course; elle indique les routes déjà parcourues: plurimi pertransibunt, et augebitur scientia.

Ce n'était pas simplement l'histoire de certaines révolutions politiques qu'il me fallait esquisser, mais aussi l'histoire des principales théories qui se sont produites sur le problème de la sociabilité humaine. J'avais, dans l'Introduction, fait connaître les jurisconsultes; il me restait à apprécier les travaux des philosophes, mais seulement les travaux efficaces des grands hommes. Il n'entrait ni dans mon but ni dans mon plan de m'arrêter à considérer certaines curiosités littéraires et bibliographiques; je ne poursuivais que le spectacle du génie utile à l'humanité. Ainsi on ne trouvera, dans cette Philosophie du Droit, ni l'analyse de l'Utopie de Thomas Morus, ni celle de l'Oceana d'Harrington, ni celle de la Cité du Soleil de Campanella; je n'ai pas non plus, dans une époque plus rapprochée de nous, rappelé l'estimable Essai sur l'histoire de la société civile, par Fergusson (1). Pourquoi? Parce que ces ouvrages n'ont exercé aucune influence sur le temps qui les a vus naître. C'est ainsi que dans le Musée du Capitole je me suis arrêté da

(1) An Essai in the history of civil Society, by Adams Fergusson. The fifth edition. London, 1782.

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