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INAUGURATION

DE LA CHAIRE D'HISTOIRE DES LÉGISLATIONS

AU COLLEGE DE FRANCE.

Les révolutions ne changent pas seulement le sort et la condition des peuples; elles déplacent aussi les bornes de la science et de la pensée pour les porter plus loin. A chaque catastrophe historique, l'esprit de l'homme, même à son insu, fait un pas, comprend mieux les lois modératrices du monde, et devient meilleur philosophe, juge mieux les faits accomplis, et devient plus grand historien. Aussi est-il véritablement digne d'un gouvernement sorti de la lutte du droit et de la liberté, d'avoir songé à nous convier, nous jeunes gens, au spectacle général du droit et de la liberté chez tous les peuples, à la vue scientifique de leur législation, à la comparaison réfléchie des institutions sociales, et d'avoir fondé dans cet établissement illustre (1) une chaire d'histoire générale et philosophique des législations comparées.

C'est alors qu'on a vivement senti la perte d'un homme célèbre parmi les jurisconsultes, sans avoir laissé de monument, et qui a terminé, il y a quelques années, sur une terre étrangère, une vie si jeune, si ardente, et qui promettait d'être si féconde. Je remplis un devoir sacré en prononçant dans l'inauguration de cette chaire le nom du docte et infortuné Jourdan, que je regrette amèrement (1) Le Collége de France.

sans l'avoir connu, et dont la mort a glacé, avec une précipitation cruelle, l'esprit étendu et la science élevée. Cette enceinte réclamait aussi une autre personne qui, depuis seize ans, s'est montrée censeur infatigable des aberrations d'un pouvoir arbitraire, publiciste éminent et patriote, qui a donné, il y a trois ans, et presque de concert avec celui qui vous parle, le premier et salutaire exemple de l'enseignement libre, et qui, aujourd'hui, est honorablement distrait des travaux de la science par une vie politique qui ne paraît pas devoir être moins riche que le passé en sacrifices et en dévouement à la liberté (1).

Maintenant, s'il m'est permis d'interpréter ma présence dans cette chaire, je ne dirai qu'un mot. Dans cette absence d'hommes véritablement compétents et achevés, on a pensé que ce n'était pas le temps d'exclure la jeunesse, mais de l'encourager on a cru que, comme éclaireur dans une science nouvelle qu'il s'agit de fonder, l'élite de la jeunesse française verrait sans déplaisir un jeune homme, et que, dans des études mises en commun, elle accepterait volontiers pour moniteur un de ses condisciples. Il n'y a pas, messieurs, de lieu commun de ma part à réclamer ici votre inépuisable indulgence et votre appui. En réalité, je ne puis rien sans vous jeune, libre de tout lien et de toute entrave, c'est en vous seuls, en votre fraternelle assistance, que je puis trouver la force de ne pas succomber du premier coup à la tâche immense qui m'est imposée.

(1) On a reconnu M. Charles Comte. Dans l'année 1828 à 1829, nous avons ouvert des cours indépendants de ceux de la Faculté de droit : M. Comte professait le droit naturel et la législation criminelle; l'objet de mon cours fut l'histoire philosophique et littéraire du droit. L'année suivante, j'ai traité l'histoire du droit romain.

PHILOSOPHIE

DU DROIT.

LIVRE PREMIER.

DE L'HOMME.

CHAPITRE PREMIER.

PLAN DE L'OUVRAGE.

Quand Grotius, en 1625, publia le livre qui changea la science politique, quelle cause agitait l'Europe sur ses fondements? la cause de la liberté religieuse. Aujourd'hui que nous sommes réunis dans cette enceinte pour inaugurer la science des législations comparées, et pour renouer avec Montesquieu, quelle cause occupe et travaille profondément l'Europe? la cause de la liberté civile. Au dix-septième siècle une lutte de trente ans fut nécessaire pour assurer aux croyances et aux idées du seizième leur juste empire, et deux peuples restèrent à la fin maîtres du champ de bataille et les arbitres de l'Europe, un peuple du Nord et nous, les Suédois et les Français, Gustave Adolphe vainqueur après sa mort,

et Richelieu. Au dix-neuvième siècle les droits les plus sacrés et les plus positifs de l'humanité veulent être satisfaits, et les destins s'accompliront.

Serait-il vrai que de pareilles époques fussent contraires et fatales à la science, et qu'au moment où l'homme agit le plus, sa pensée doive s'arrêter et tarir dans sa course? Non : les révolutions n'étouffent pas l'intelligence; elles l'agrandissent et l'exaltent; et pour ne pas sortir des sciences historiques et morales, je ne sache pas que Thucydide, Salluste, Machiavel, Jean Bodin, Thomas Hobbes, Hugo Grotius, aient vécu dans des temps de calme et de quiétude. Quand les peuples sont remués par des mouvements intérieurs ou des agressions étrangères, leur histoire n'en devient que plus vive et plus saisissable. Pourquoi l'Orient commence-t-il à être accessible de toutes parts à l'érudition, et se rend-il pour nous peu à peu familier? Parce qu'il chancelle sur ses bases primitives longtemps réputées immobiles, parce qu'il se détériore de plus en plus dans son originalité native, parce qu'il converge sans relâche au génie européen, parce qu'il fut visité par Napoléon comme il le fut par Alexandre. Si la Grèce dépouille pour nous les fausses couleurs d'une rhétorique traditionnelle, son insurrection n'y a-t-elle pas aidé? Et Rome, gouvernée tour à tour par Marius et César, Grégoire VII et Jules II, théâtre des Gracques et de Rienzi, du droit romain et du catholicisme, ne nous revient-elle pas mieux connue, grâce à une érudition contemporaine de ses efforts depuis quarante ans pour ressaisir sa liberté, efforts toujours malheureux et toujours renaissants? L'Allemagne, du milieu de sa réforme et de sa métaphysique, commence à s'agiter et à se tourner vers la vie politique. L'Angleterre travaille noblement à prévenir et à supprimer une révolution en innovant elle-même dans son antique légalité.

Temps excellent pour étudier l'histoire! Ce que disait un poëte en chantant une catastrophe tragique peut s'appliquer aujourd'hui anx annales du monde :

Adparet domus intus, et atria longa patescunt;
Adparent Priami et veterum penetralia regum (1).

Oui, au milieu des révolutions, l'œil plonge plus avant dans l'intérieur, et, pour ainsi dire, dans la domesticité de l'histoire; et loin de voir dans les faits qui nous pressent rien qui doive décourager pour les destinées de la science, Jy découvre au contraire un indice de renaissance et de ré

novation.

Une histoire particulière peut intéresser vivement, surtout celle de son pays. Toutefois il n'est plus donné aux annales d'aucun peuple de captiver exclusivement la curiosité de l'esprit; il lui faut aujourd'hui les rapports et les comparaisons d'une histoire générale. Au milieu des nations qui à la fois tendent à se rapprocher dans une commune alliance, et retiennent encore leur propre originalité, l'esprit veut saisir en même temps ce que chaque peuple a d'intime, et ce qu'il y a de général dans le système historique du monde.

Or, pour comparer, il faut tout voir, tout comprendre et tout sentir, et s'il était une nation assise véritablement au centre de l'Europe; qui, par la Provence et la Méditerranée, touchât aux peuples du Midi, à l'Italie, à la Grèce, et fùt à cinq journées de l'Afrique; qui, sur les bords du Rhin pût entrer en conférence avec le génie germanique; qui, à Calais, ne fût séparée que par sept lieues de mer de son illustre rivale, de l'Angleterre; qui, terre hospitalière de tout ce qui est illustre et malheureux, sût jouir avec délices des diversités les plus éclatantes dans les arts comme dans la pensée, distribuant la gloire à pleines mains, car elle n'a rien à craindre de cette prodigalité magnanime: ne pourrait-on pas dire, sans apporter ici l'exagération d'un patriotisme vulgaire, que cette nation si bienveillante, si impartiale et si

(1) Eneid., lib. II.

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