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l'on peut dire qu'il est unique, parce qu'il contient tous les autres avec éminence. Car il faut considérer que Jésus-Christ prend quelquefois le nom de Seigneur, quelquefois celui de Père, et quelquefois celui d'Epoux. Quand il veut nous donner de la crainte, dit saint Grégoire (in Cant., Præm. n. 8. tom. III. part. I. col. 400.), il prend la qualité de Seigneur lorsqu'il veut être honoré, il prend celle de Père: mais quand il veut être aimé, il se fait appeler Epoux.

grâce habituelle qui est commune à tous les justes, | Epoux, celui de l'amour est le premier; et même ou par l'amour actuel, même extatique et jouissant, qui ne se donne qu'aux grandes âmes; mais c'est le plus haut degré de la contemplation, le plus sublime don de l'Epoux, qui se donne lui-même, qui s'écoule intimement dans l'âme, qui la touche, qui se jette entre ses bras, et se fait sentir et goûter par une connoissance expérimentale, où la volonté a plus de part que l'entendement, et l'amour que la vue. D'où vient que Richard de Saint-Victor dit << que l'amour est un œil, et qu'aimer c'est voir a (de grad. Charit., cap. I. p. 353.) : » et saint Augustin : « Qui connoît la vérité la con> noit, et qui la connoit connoît l'éternité : c'est » la charité qui la connoît (Conf., lib. vii. cap. x. » tom. I. col. 139.). »

On peut bien dire avec saint Bernard, que cet embrassement, ce baiser, cette touche, cette union, n'est point dans l'imagination ni dans les sens, mais dans la partie la plus spirituelle de notre être, dans le plus intime de notre cœur, où l'âme, par une singulière prérogative, reçoit son bien-aimé, non par figure, mais par infusion; non par image, mais par impression. On peut dire avec Denis le Chartreux, que le divin Epoux, voyant l'âme toute éprise de son amour, se communique à elle, se présente à elle, l'embrasse, l'attire au dedans de lui-même, la baise, la serre étroitement avec une complaisance merveilleuse ; et que l'épouse, étant tout à coup, en un moment, en un clin d'œil, investie des rayons de la divinité, éblouie de sa clarté, liée des bras de son amour, pénétrée de sa présence, opprimée du poids de sa grandeur, et de l'efficace excellente de ses perfections, de sa majesté, de ses lumières immenses, est tellement surprise, étonnée, épouvantée, ravie en admiration de son infinie grandeur, de sa brillante clarté, de la délicieuse sérénité de son visage, qu'elle est comme noyée dans cet abîme de lumière, perdue dans cet océan de bonté, brûlée et consumée dans cette fournaise d'amour, anéantie en elle-même par une heureuse défaillance, sans savoir où elle est, tant elle est égarée et enfoncée dans cette vaste solitude de l'immensité divine. Mais de dire comment cela se fait, et ce qui se passe en ce secret entre l'Epoux et l'épouse, cela est impossible : il le faut honorer par le silence; et louer à jamais l'amour ineffable du Verbe, qui daigne tant s'abaisser pour relever sa créature.

LES DEVOIRS DE L'AME QUI EST ÉPOUSE DE JÉSUS-christ.

Entre les devoirs de l'épouse envers son divin

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Faites réflexion sur l'ordre qu'il garde; de la crainte procède ordinairement le respect; du respect l'amour. En cet amour consiste, comme dit excellemment saint Bernard (Ibid. Serm. LXXXIII. n. 3. col. 1557.), la ressemblance de l'âme avec le Verbe, selon cette parole de l'Apôtre (Ephes., V. 1, 2.) : « Soyez les imitateurs » de Dieu, comme étant ses enfants bien-aimés, »>> et marchez dans l'amour et la charité, comme » Jésus-Christ nous a aimés; » afin de vous joindre, par conformité, à celui dont l'infinité vous sépare. Cette conformité marie l'âme avec le Verbe, lorsqu'elle se montre semblable en volonté et en désir à celui à qui elle ressemble par le privilége de la nature, aimant comme elle est aimée; si donc elle aime parfaitement, elle est épouse.

Qu'y a-t-il de plus doux que cette conformité? qu'y a-t-il de plus souhaitable que cet amour, qui fait, ô âme fidèle, que ne vous contentant pas d'être instruite par les hommes, mais vous adressant vous-même confidemment au Verbe, vous lui adhérez constamment, vous l'interrogez familièrement, vous le consultez sur toutes choses, égalant la liberté de vos désirs à l'étendue de vos pensées et de vos connoissances?

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Certainement on peut dire que c'est ici que l'on contracte un mariage spirituel et saint avec le Verbe je dis trop peu quand je dis qu'on le contracte; on le consomme : car c'est en effet le consommer, que de deux esprits n'en faire qu'un, en voulant et ne voulant pas les mêmes choses. Au reste il ne faut pas craindre que l'inégalité des personnes affoiblisse aucunement la conformité des volontés, parce que l'amour n'a pas tant d'égard au respect. Le mot d'amour vient d'aimer, non pas d'honorer. Que celui-là se tienne en respect qui frissonne, qui est interdit, qui tremble, qui est saisi d'étonnement : tout cela n'a point de lieu en celui qui aime. L'amour est plus que satisfait de lui-même; et quand il est entré dans le cœur, il attire à soi toutes les autres affections et se les assujétit. C'est pourquoi celle

qui aime s'applique à l'amour, et ne sait autre chose; et celui qui mérite d'être honoré, respecté et admiré, aime mieux néanmoins être aimé l'un est l'époux; l'autre est l'épouse.

Quelle affinité et quelle liaison cherchez-vous entre deux époux, sinon d'aimer et d'être aimé? Ce lien surpasse celui des pères et des mères à l'égard de leurs enfants, qui est celui de tous que la nature a serré plus étroitement. Aussi est-il écrit à ce sujet que « l'homme laissera son père et >> sa mère, et s'attachera à son épouse (Genes., » II. 24.; MATTH., XIX. 5. ). » Voyez comme cette affection n'est pas seulement plus forte que toutes les autres, mais qu'elle se surmonte elle-même dans le cœur des époux. Ajoutez que celui qui est l'époux n'est pas seulement épris d'amour; il est l'amour même. Mais n'est-il point aussi l'honneur? Pour moi, je ne l'ai point lu : j'ai bien lu que « Dieu est charité (1. JOAN., IV. 8.) ; » mais je n'ai point lu qu'il soit honneur ni dignité. Ce n'est pas que Dieu rejette l'honneur, lui qui dit : « Si je suis Père, où est l'honneur qui m'est dù » (MALAC., I. 6.)? » mais il le dit en qualité de Père. Que s'il veut montrer qu'il est époux, il dira: Où est l'amour qui m'est dû? Car il dit aussi au même endroit : « Si je suis Seigneur, où » est la crainte qui m'est due?» Dieu donc veut être craint comme Seigneur, honoré comme Père, aimé et chéri comme Epoux.

De ces trois devoirs, lequel est le plus excellent et le plus noble? L'amour. Sans l'amour, la crainte est fâcheuse, et l'honneur n'est point agréable. La crainte est une passion servile, tandis qu'elle n'est point affranchie par l'amour; et l'honneur qui ne vient point du cœur, n'est point un vrai honneur, mais une pure flatterie. La gloire et l'honneur appartiennent à Dieu, mais il ne les accepte point, s'ils ne sont assaisonnés par l'amour car il suffit par lui-même; il plaît par lui-même et pour l'amour de lui-même. L'amour est lui-même et son mérite et sa récompense. Il ne demande point d'autre motif ni d'autre fruit que lui-même : son fruit c'est son usage. J'aime parce que j'aime ; j'aime pour aimer. En vérité, l'amour est une grande chose, pourvu qu'il retourne à son principe; et que, remontant à sa source par une réflexion continuelle, il y prenne des forces pour entretenir son cours.

De tous les mouvements, de tous les sentiments et de toutes les affections de l'âme, il n'y a que l'amour qui puisse servir à la créature pour rendre la pareille à son auteur, sinon avec égalité, pour le moins avec quelque rapport. Par exemple si Dieu se fâche contre moi, me fâcherai

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je contre lui? Non, certes; mais je craindrai, mais je tremblerai, mais je lui demanderai pardon de même, s'il me reprend, je ne le reprendrai pas à mon tour; mais plutôt je le justifierai et s'il me juge, je n'entreprendrai pas de le juger; mais plutôt de l'adorer. S'il domine, il faut que je serve; s'il commande, il faut que j'obéisse : je ne puis pas exiger de lui une obéissance réciproque. Mais il n'est pas ainsi de l'amour car quand Dieu aime, il ne demande autre chose qu'un retour d'amour, parce qu'il n'aime que pour être aimé, sachant bien que ceux qui l'aiment sont rendus bien heureux par l'amour même qu'ils lui portent.

Ainsi l'âme, qui est assez heureuse pour y être parvenue, brûle d'un si ardent désir de voir son Epoux dans la gloire, que la vie lui est un supplice, la terre un exil, le corps une prison, et l'éloignement de Dieu une espèce d'enfer, qui la fait sans cesse soupirer après la mort. Dans cet état, dit saint Grégoire (in Cant., c. II. tom. I. p. 419.), elle ne reçoit aucune consolation des choses de la terre; elle n'en a aucun goût, ni sentiment, ni désir au contraire, c'est pour elle un sujet de peine, qui la fait soupirer jour et nuit, et languir dans l'absence de son Epoux : car elle est blessée d'amour; et cette plaie, qui consume les forces du corps, est la parfaite santé de l'âme, sans laquelle sa disposition seroit très mauvaise et très dangereuse. Plus cette plaie est profonde, plus elle est saine. Sa force consiste dans la langueur; et sa consolation est de n'en avoir point sur la terre. Tout ce qu'elle voit ne lui cause que de la tristesse, parce qu'elle est privée de la vue de celui qu'elle aime. Il n'y a qu'une seule chose qui la puisse consoler ; c'est de voir que plusieurs âmes profitent de son exemple, et sont embrasées de l'amour de son Epoux.

Tel étoit saint Ignace, martyr, qui soupiroit après les tourments et la mort, par l'extrême désir qu'il avoit de voir Jésus-Christ. Quand sera-ce, disoit-il (Epist. ad Rom.), que je jouirai de ce bonheur d'être déchiré des bêtes farouches dont on me menace? Ah! qu'elles se hâtent de me faire mourir et de me tourmenter! et, de grâce, qu'elles ne m'épargnent point comme elles font les autres martyrs: car je suis résolu, si elles ne viennent à moi, de les aller attaquer, et de les obliger à me dévorer. Pardonnez-moi ce transport, mes petits enfants; je sais ce qui m'est bon je commence maintenant à être disciple de Jésus-Christ, ne désirant plus rien de toutes les choses visibles, et n'ayant qu'un seul désir, qui est de trouver Jésus-Christ.

Qu'on me fasse souffrir les feux, les croix et les dents des bêtes farouches; que tous les tourments que les démons peuvent inspirer aux bourreaux viennent fondre sur moi; je suis prêt à tout, pourvu que je puisse jouir de Jésus-Christ! Quel amour! quels transports! quelle ardeur pour Jésus-Christ! Puissions-nous entrer dans ces sentiments; et comme le saint martyr, n'avoir plus de vie, d'être, de mouvements, que pour consommer notre union avec le divin Epoux!

PREMIER SERMON

POUR LA FETE

DE LA CONCEPTION DE LA STE. VIERGE,

PRÊCHÉ LA Veille de cette FÊTE,

Priviléges de Marie, ses prérogatives; l'amour éternel de son Fils pour elle, sa victoire sur le péché en la personne de sa Mère. Question de l'immaculée conception, non décidée. Extrémité de la foiblesse de l'homme; son impuissance sans la grâce de Jésus-Christ, seul vrai médecin.

Tota pulchra es, amica mea.

Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée (Cant., IV. 7.)..

Si le nom de Marie vous est cher, si vous aimez sa gloire, si vous prenez plaisir de célébrer ses louanges, chrétiens enfants de Marie, vous, que cette Vierge très pure assemble aujourd'hui en ce lieu, réjouissez-vous en NotreSeigneur. Demain luira au monde cette sainte et bienheureuse journée, en laquelle l'âme de Marie, cette âme prédestinée à la plénitude des grâces et au plus haut degré de la gloire, fut premièrement unie à un corps, mais à un corps dont la pureté, qui ne trouve rien de semblable même parmi les esprits angéliques, attirera quelque jour sur la terre le chaste époux des âmes fidèles. Il est donc bien juste, mes frères, que nous passions cette solennité avec une joie toute spirituelle. Loin de cette conception les gémissements et les pleurs qui doivent accompagner les conceptions ordinaires. Celle-ci est toute pure et toute innocente. Non, non, ne le croyez pas, chrétiens, que la corruption générale de notre nature ait violé la pureté de la Mère que Dieu destinoit à son Fils unique. C'est ce que je me propose de vous faire voir dans cette méditation, dans laquelle je vous avoue que je ne suis pas sans crainte. De tant de diverses matières que l'on a accoutumé de traiter dans les assemblées ecclésiastiques, celle-ci est sans doute la plus délicate. Outre la difficulté du sujet, qui fait cerTOME II.

tainement de la peine aux plus habiles prédicateurs, l'Eglise nous ordonne de plus une grande circonspection et une retenue extraordinaire. Si j'en dis peu, je prévois que votre piété n'en sera pas satisfaite. Que si j'en dis beaucoup, peut-être sortirai-je des bornes que les saints canons me prescrivent. Je ne sais quel instinct me pousse à vous assurer que cette conception est sans tache, et je n'ose vous l'assurer d'une certitude infaillible. Il faudra tenir un milieu qui sera peut-être un peu difficile. Disons néanmoins, chrétiens, disons à la gloire de Dieu, que la bienheureuse Marie n'a pas ressenti les atteintes du péché commun de notre nature; disons-le, autant que nous pourrons, avec force; mais disons toutefois avec un si juste tempérament, que nous ne nous éloignions pas de la modestie. Ainsi les fidèles seront contents; ainsi l'Eglise sera obéie. Nous satisferons tout ensemble à la tendre piété des enfants et aux sages réglements de la Mère.

Il y a certaines propositions étranges et diffi ciles, qui, pour être persuadées, demandent que l'on emploie tous les efforts du raisonnement et toutes les inventions de la rhétorique. Au contraire il y en a d'autres qui jettent au premier aspect un certain éclat dans les âmes, qui fait que souvent on les aime, avant même que de les connoître. De telles propositions n'ont pas presque besoin de preuves. Qu'on lève seulement les obstacles, que l'on éclaircisse les objections, s'il s'en présente quelques-unes, l'esprit s'y portera de soi-même, et d'un mouvement volontaire. Je mets en ce rang celle que j'ai à établir aujourd'hui. Que la conception de la Mère de Dieu ait eu quelque privilége extraordinaire, que son Fils tout-puissant l'ait voulu préserver de cette peste commune qui corrompt toutes nos facultés, qui gâte jusqu'au fond de nos âmes, qui va porter la mort jusqu'à la source de notre vie ; qui ne le croiroit, chrétiens? Qui ne donneroit de bon cœur son consentement à une opinion si plausible? Mais il y a, dit-on, beaucoup d'objections importantes, qui ont ému de grands personnages. Eh bien! pour satisfaire les âmes pieuses, tâchons de résoudre ces objections: par ce moyen j'aurai fait la meilleure partie de ma preuve. Après cela sans doute il ne sera pas nécessaire de vous presser davantage sitôt que vous aurez vu les difficultés expliquées, vous croirez volontiers que le péché, originel n'a pas touché à Marie. Que dis-je, vous le croirez? vous en êtes déjà convaincus; et tout ce que j'ai à vous dire ne servira qu'à vous confirmer dans cette pieuse créance.

7

PREMIER POINT.

Il n'est pas, ce me semble, fort nécessaire d'exposer ici une vérité qui ne doit être ignorée de personne. Vous le savez, fidèles, qu'Adam notre premier père s'étant élevé contre Dieu, il perdit aussitôt l'empire naturel qu'il avoit sur ses appétits. La désobéissance fut vengée par une autre désobéissance. Il sentit une rébellion à laquelle il ne s'attendoit pas; et la partie inférieure s'étant inopinément soulevée contre la raison, il resta tout confus de ce qu'il ne pouvoit la réduire. Mais, ce qui est de plus déplorable, c'est que ces convoitises brutales qui s'élèvent dans nos sens, à la confusion de l'esprit, aient si grande part à notre naissance. De là vient qu'elle a je ne sais quoi de honteux, à cause que nous venons tous de ces appétits déréglés qui firent rougir notre premier père. Comprenez, s'il vous plaît, ces vérités; et épargnez-moi la pudeur de repasser encore une fois sur des choses si pleines d'ignominie, et toutefois sans lesquelles il est impossible que vous entendiez ce que c'est que le péché d'origine : car c'est par ces canaux que le venin et la peste se coulent dans notre nature. Qui nous engendre, nous tue. Nous recevons en même temps et de la même racine, et la vie du corps, et la mort de l'âme. La masse dont nous sommes formés étant infectée dans sa source, elle empoisonne notre âme par sa funeste contagion. C'est pourquoi le Sauveur Jésus, voulant comme toucher au doigt la cause de notre mal, dit en saint Jean (JOAN., III. 6.), que «< ce qui naît de la chair est chair: » Quod natum est ex carne, caro est. La chair en cet endroit, selon la phrase de l'Ecriture, signifie la concupiscence. C'est donc comme si notre Maitre avoit dit plus expressément : 0 vous, hommes misérables, qui naissez de cette révolte et de ces inclinations corrompues qui s'opposent à la loi de Dieu, vous naissez par conséquent rebelles contre lui et ses ennemis : Quod natum est ex carne, caro est. Telle est la pensée de Notre-Seigneur ; et c'est ainsi, si je ne me trompe, que l'explique saint Augustin (in JOAN. Tract. XII, tom. III, part. 1, col. 383 et seq.), celui qui de tous les Pères a le mieux entendu les maladies de notre nature.

Que dirons-nous donc maintenant de la bienheureuse Marie? Il est vrai qu'elle a conçu étant vierge; mais elle n'a pas été conçue d'une vierge. Cet honneur n'appartient qu'à son Fils. Pour elle, dont la conception s'est faite par les voies ordinaires, comment évitera-t-elle la corruption qui y est inséparablement attachée? Car enfin

l'apôtre saint Paul parle en termes si universels de cette commune malédiction de toute notre nature, que ces paroles semblent ne pouvoir souffrir aucune limitation. «Tous ont péché, dit-il ; >> et tous sont morts en Adam, et tous ont péché >> en Adam (Rom., v. 12.). » Et il y a beaucoup d'autres paroles semblables, non moins fortes, ni moins générales. Où chercherons-nous donc un asile à la bienheureuse Marie, où nous puissions la mettre à couvert d'une condamnation si universelle? Ce sera entre les bras de son Fils, ce sera dans la toute-puissance divine, ce sera dans cette source infinie de miséricorde qui jamais ne peut être épuisée. Vous avez, ce me semble, bien compris la difficulté. Je l'ai proposée dans toute sa force, du moins selon mon pouvoir. Ecoutez maintenant la réponse, et suivez attentivement ma pensée. Je dirai les choses en peu de mots, parce que je vois que je parle ici à des personnes intelligentes.

Certes il faut l'avouer, chrétiens; Marie étoit perdue tout ainsi que les autres hommes, si le Médecin miséricordieux, qui donne la guérison à nos maladies, n'eût jugé à propos de la prévenir de ses grâces. Ce péché, qui, ainsi qu'un torrent, se déborde sur tous les hommes, alloit gâter cette sainte Vierge de ses ondes empoisonnées. Mais il n'y a point de cours si impétueux, que la toute-puissance divine n'arrête quand il lui plaît. Considérez le soleil, avec quelle impétuosité il parcourt cette immense carrière qui lui a été ouverte par la Providence. Cependant vous n'ignorez pas que Dieu ne l'ait fixé autrefois au milieu du ciel, à la seule parole d'un homme. Ceux qui habitent près du Jourdain, ce fleuve célèbre de la Palestine, savent avec quelle rapidité il se décharge dans la mer Morte, du moins si je ne me trompe dans la description de ces lieux. Néanmoins toute l'armée d'Israël l'a vu remonter à sa source, pour faire passage à l'arche où reposoit le Seigneur tout-puissant. Est-il rien de plus naturel que cette influence de chaleur dévorante qui sort du feu dans une fournaise? Et l'impie Nabuchodonosor n'a-t-il pas admiré trois bénis enfants qui se jouoient au milieu des flammes, que ses satellites impitoyables avoient vainement irritées? Nonobstant tous ces exemples illustres, ne peut-on pas dire véritablement qu'il n'y a point de feu qui ne brûle, et que le soleil roule dans les cieux d'un mouvement éternel, et qu'il ne se rencontre aucun fleuve qui retourne jamais à sa source? Nous tenons tous les jours de semblables propos, sans que nous en soyons empêchés par ces fameux exemples,

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bien qu'ils ne soient ignorés de personne. Et d'où vient cela, chrétiens? C'est que nous avons accoutumé de parler selon le cours ordinaire des choses; et Dieu se plaît d'agir quelquefois selon les lois de sa toute-puissance, qui est au-dessus de tous nos discours.

Ainsi je ne m'étonne pas que le grand apôtre saint Paul ait prononcé si généralement, que le péché de notre premier père a fait mourir tous ses descendants. En effet, selon la suite naturelle des choses que l'Apôtre considéroit en ce lieu, être né de la race d'Adam à la façon ordinaire, enfermoit infailliblement le péché. Il n'est pas plus naturel au feu de brûler, qu'à cette damnable concupiscence d'infecter tout ce qu'elle touche, d'y porter la corruption et la mort. Il n'est point de poison plus présent, ni de peste plus pénétrante. Mais je dis que ces malédictions si universelles, que toutes ces propositions, si générales qu'elles puissent être, n'empêchent pas les réserves que peut faire le souverain, ni les coups d'autorité absolue. Et quand est-ce, Ô grand Dieu, que vous userez plus à propos de cette puissance qui n'a point de bornes et qui est sa loi elle-même, quand est-ce que vous en userez, sinon pour faire grâce à Marie?

Je sais bien que quelques docteurs assurent que c'est imprudence de vouloir apporter quelques restrictions à des paroles si générales. Cela, disent-ils, tire à conséquence. Mais, ô mon Sauveur ! quelle conséquence! Pesez, s'il vous plaît, ce raisonnement. Ces conséquences ne sont à craindre, qu'où il y peut avoir quelque sorte d'égalité. Par exemple, vous méditez d'accorder quelque grâce à une personne d'une condition médiocre vous avez à y prendre garde; cela peut tirer à conséquence; beaucoup d'autres par cet exemple prétendront la même faveur. Mais parcourez tous les chœurs des anges, considérez attentivement tous les ordres des bienheureux, voyez si vous trouverez quelque créature qui ose, je ne dis pas s'égaler, mais même en aucune manière se comparer à la sainte Vierge. Non: ni l'obéissance des patriarches, ni la fidélité des prophètes, ni le zèle infatigable des saints apôtres, ni la constance invincible des martyrs, ni la pénitence persévérante des saints confesseurs, ni la pureté inviolable des vierges, ni cette grande diversité de vertus que la grâce divine a répandues dans les différents ordres des bienheureux, n'a rien qui puisse tant soit peu approcher de la très heureuse Marie. Cette maternité glorieuse, cette alliance éternelle qu'elle a contractée avec Dieu, la met dans un rang tout singulier qui

ne souffre aucune comparaison. Et dans une si grande inégalité, quelle conséquence pouvonsnous craindre? Montrez-moi une autre Mère de Dieu, une autre vierge féconde; faites-moi voir ailleurs cette plénitude de grâces, cet assemblage de vertus divines, une humilité si profonde dans une dignité si auguste, et toutes les autres merveilles que j'admire en la sainte Vierge ; et puis dites, si vous voulez, que l'exception que j'apporte à une loi générale, en faveur d'une personne si extraordinaire, a des conséquences fàcheuses.

Et combien y a-t-il de lois générales dont Marie a été dispensée? N'est-ce pas une nécessité commune à toutes les femmes d'enfanter en tristesse et dans le péril de leur vie? Marie en a été exemptée. N'a-t-il pas été prononcé de tous les hommes généralement, « qu'ils offensent tous >> en beaucoup de choses? » In multis offendimus omnes (JAC., H. 2.). Y a-t-il aucun juste qui puisse éviter ces péchés de fragilité que nous appelons véniels? Et bien que cette proposition soit si générale et si véritable, l'admirable saint Augustin ne craint point d'en excepter la très innocente Marie (de Natur. et Grat., n. 42, tom. X, col. 144, 145.). Certes si nous reconnoissions dans sa vie qu'elle eût été assujétie aux ordres communs, nous pourrions croire peutêtre qu'elle auroit été conçue en iniquité, tout ainsi que le reste des hommes. Que si nous y remarquons au contraire une dispense presque générale de toutes les lois; si nous y voyons selon la foi orthodoxe, ou du moins selon le sentiment des docteurs les plus approuvés ; si, disje, nous y voyons un enfantement sans douleur, une chair sans fragilité, des sens sans rébellion, une vie sans tache, une mort sans peine ; si son époux n'est que son gardien, son mariage le voile sacré qui couvre et protége sa virginité, son Fils bien-aimé une fleur que son intégrité a poussée; si lorsqu'elle le conçut, la nature étonnée et confuse crut que toutes ses lois alloient être à jamais abolies; si le Saint-Esprit tint sa place, et les délices de la virginité celle qui est ordinairement occupée par la convoitise : qui pourra croire qu'il n'y ait rien eu de surnaturel dans la conception de cette Princesse, et que ce soit le seul endroit de sa vie qui ne soit point marqué de quelque insigne miracle?

Vous me direz peut-être que cette innocence si pure, c'est la prérogative du Fils de Dieu; que de la communiquer à sa sainte Mère, c'est ôter au Sauveur l'avantage qui est dû à sa qualité. C'est le dernier effort des docteurs dont nous

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