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joies trompeuses et passagères de ce monde, et de s'attacher aux joies les seules vraies, les seules durables de l'éternité.

Vous voyez, je suppose, cette jeune fille qui est amenée solennellement au pied de l'autel elle est toute vêtue de blanc et parée commeaux plus beaux jours de fête. C'est que réellement une grande fête se prépare pour, elle! Chaste vierge, elle veut se donner au céleste Epoux, et contracter avec lui une angélique union! Renonçant à toutes les joies si séduisantes de ce monde, elle va promettre, sous les yeux de l'Eglise, qui recevra ses voeux, d'être uniquement à celui auquel elle s'est donnée, et de le servir avec un entier dévouement, non-seulement en luimême, mais dans ses créatures les plus faibles, les plus malheureuses, les plus souffrantes. Résolution héroïque, et d'autant plus méritoire qu'elle ne l'aura prise qu'après les méditations les plus sérieuses! De longues épreuves lui ont été imposées, depuis que ce désir d'être ainsi à Dieu d'une manière particulière a commencé à naître dans son cœur. Elle les a toutes subies avec un invincible courage. Le ministre de la religion lui retrace, en ce moment, dans le langage le plus élevé et le plus austère, toute l'étendue des obligations qu'elle va contracter, la grandeur du sacrifice auquel elle va se soumettre. «Réfléchissez-y bien, ma sœur, » s'écrie-t-il à la fin, d'un ton inspiré, et d'une voix qui semble venir du ciel, « réfléchissezy plus sérieusement que jamais! Il en est temps encore, vous pouvez reculer..! »

Les yeux de tous les assistants se fixent alors sur la jeune postulante. « Que va-t-elle faire?» se dit intérieurement chacun d'eux. Tous sont émus, excepté celle qui cause l'émotion de tous. Elle a écouté sans doute avec la plus grande attention ce qui lui a été dit au nom de l'Eglise; mais tout cela n'a fait qu'ajouter encore au calme et à la sérénité de son visage. Sa détermination solidement arrêtée se serait fortifiée alors, si cela eût été possible, au lieu de faiblir. Elle s'est donc inclinée devant le tabernacle, et se retire pour reparaître quelque temps après. Mais, cette fois, il ne lui reste plus rien de son ancienne parure; tout, jusqu'à la couronne qui ornait sa chevelure, tout a disparu Sous le vêtement sévère, sous le voile noir de la communauté. Ce n'est plus la fiancée, quittant le monde et en ayant encore les livrées; c'est l'épouse de celui qui est mort pour le salut du genre humain, et la voilà disposée, avec ses vêtements de deuil, à aller partout où l'appellera la religion, moraliser cette pauvre humanité, adoucir ses peines, guérir les blessures dont elle ne cesse d'être atteinte, pendant son passage sur la terre.

C'est comme pour renouveler les sacrifices humains détruits par le christianisme,. observez-vous. N'y a-t-il pas là réellement l'immolation d'une victime humaine? Tout le prouve, et chacun le reconnaît, en la déclarant morte au monde.

Vous connaissez bien peu la nature humaine et l'esprit de notre sainte religion,

vous qui parlez de la sorte. Les sacrifices humains qui ont souillé si longtemps les autels du paganisme étaient abominables en effet, et le christianisme a purgé la terre d'une lèpre affreuse en les abolissant, parce qu'ils n'étaient pas autre chose que des meurtres commis, au nom du ciel, avec les circonstances les plus aggravantes. Quant au sacrifice volontaire, autorisé, commandé même souvent pour l'accomplissement d'un grand devoir, se fit-il avec l'effusion complète de ce sang que Dieu, qui l'a créé, nous défend dé verser contre sa volonté, non-seulement il n'est point abominable, mais c'est au contraire l'acte le plus religieux auquel l'homme puisse coopérer; c'est, en quelquesorte, l'essence même du christianisme.

Qu'est-ce que Jésus-Christ, qui s'est immolé pour le salut de tous les hommes ? Une victime. Que sont les apôtres qui se sont sacrifiés pour la propagation de l'Evangile ? Des victimes. Que sont les martyrs qui ont versé leur sang pour la confession de leur foi? Des victimes. Et, dans un autre ordre de choses, que sont les soldats qui meurent tous les jours pour la défense de la patrie? Des victimes. Si donc la religion approuve et commande même quelquefois de tels sacrifices qui se font de la manière la plus sanglante, pourquoi n'approuverait-elle pas, pourquoi ne commanderait-elle pas aussi, dans certaines circonstances, le sacrifice non sanglant qui a lieu quand quelqu'un entre en religion? Il y a là une victime, nous en convenons avec vous, mais cette victime n'est point détruite. Au contraire, elle puise au pied des autels, dans le sein de la Divinité où elle s'est réfugiée, une vie nouvelle, une vie toute spirituelle et tout angé lique, qu'elle consacre à la gloire du ciel et au bonheur de la terre. Voyez, en effet, si ce n'est pas là la vie de tous ceux qui entrent en religion, et prennent véritablement l'esprit de leur état. Nous disons, il est vrai, es tout d'ailleurs le dit avec nous, que la victime est morte au monde. Oui, comprenezle bien, morte au monde, et non pas pour le monde. Morte au monde, c'est-à-dire à ses joies coupables, à ses plaisirs dangereux, à tout ce qui est mal en lui ou peut conduire au mal, mais non pas morte pour le monde, puisqu'elle n'en devient que plus propre à coopérer à sa sanctification. Morte au monde réellement, c'est-à-dire dans la partie de son être qui tient au monde, dans la partie animale, si je puis parler de la sorte, mais non pas morte pour le monde, puisque, dégagée des sens, jusqu'à un certain point, elle n'en vaque que mieux à l'oraison et à toutes ces œuvres spirituelles, qui contribuent si efficacement à la gloire de Dieu et au bonheur de l'humanité.

C'est, en quelque sorte, le renouvellement moral du sacrifice d'Abraham, si renommé dans l'ancienne loi (Gen. xxu), et dont nous apercevons quelque ombre dans les fables du paganisme. Le bûcher se dresse, le couteau se lève, la victime tombe.... Mais quelle est cette victime qui tombe et périt

ment la nature humaine. Ces sombres conleurs ne sont donc point pour ajouter à la noirceur du tableau, ainsi que vous le dites, mais pour qu'il soit conforme à la nature des choses. Ce tableau, du reste, a aussi son genre de beauté, et surtout son utilité. Car, sous cette espèce de drap mortuaire, comme vous l'avez appelé, il y a la ferme espérance des récompenses éternelles.

réel.ement? Est-ce la créature aimée du Seigneur? Nullement; c'est le bélier embarrassé au milieu des ronces de la terre. Quant au fils de la promesse, comblé de plus en plus de toutes les bénédictions divines, il devient le père d'une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable qui couvre le rivage de la mer. Voyez les fondateurs d'ordres. D'eux aussi il a été dit : « Ils sont morts au monde!» Et cependant énumérez, si vous le pouvez, leur descendance spirituelle, essayez de compter toutes les bonnes œuvres qu'ils ont faites par eux-mêmes ou par leurs enfants.

Pourquoi donc, ajoutez-vous, ce dépouillement complet de la victime? Pourquoi ce sombre habit, espèce de drap mortuaire, dont elle est revêtue, et qui ajoute encore à la noirceur du tableau?

Pourquoi ? mais parce que c'est la conséquence nécessaire de ses dispositions intérieures. Telle est la nature de l'homme, que ce qui se passe au plus profond de son âme se manifeste en partie sur son visage et quelquefois sur tout son extérieur. Voyez l'homme qui a renoncé aux plaisirs de la terre, pour se livrer à la méditation des plus sérieuses pensées. Est-ce que cet abandon des joies terrestres, ce recueillement intérieur, ces graves pensées, ne se remarquent pas dans les traits du visage, dans tout l'extérieur, et jusque dans le vêtement? Celui qui entre en religion a dit adieu au monde, probablement pour toujours; et vous ne voulez pas qu'il en quitte, pour toujours aussi, les livrées? Il entreprend d'approfondir, chaque jour, les plus sérieuses pensées de l'éternité, et d'en tirer, chaque jour aussi, les conséquences pratiques, et vous ne voulez pas que ce recueillement profond, que la gravité de ces pensées se remarquent dans les traits du visage, dans tout l'extérieur, et jusque dans le vêtement? Mais c'est méconnaître complétement la nature humaine. Voyez l'homme qui conduit à sa dernière demeure la dépouille périssable de ce qu'il avait de plus cher au monde. Est-ce que le voile de la douleur n'est pas abaissé sur son front? est-ce qui n'est pas tout enveloppé aussi d'un sombre habit en rapport avec la douleurdans laquelle son âme se trouve plongée? Cela est tout à fait convenable, naturel même. Ce n'est point précisément pour ajouter à la noirceur du tableau, mais pour qu'il n'y ait rien de choquant en lui. Ce tableau, du reste, a aussi son genre de beauté, et surtout son utilité. Car, sous ce sombre habit, sous cette espèce de drap mortuaire, comme vous l'appelez, il y a l'espérance et l'attente de la vie éternelle. Celui qui entre en religion quitte déjà, moralement parlant, comme nous l'avons dit plus haut, sa propre dépouille périssable. Et vous ne voulez pas que le voile de la douleur soit abaissé sur son front? et vous ne voulez pas le voir enveloppé d'un habit en rapport avec la situation de son ame? Je le répète, c'est méconnaître entière

Pourquoi cet habit, demandez-vous? mais pour que celui qui en est revêtu n'oublie jamais les sacrifices qu'il a faits, le saint état dans lequel il est entré, les grands devoirs qui lui sont imposés. Que dis-je! Ce n'est pas seulement pour les lui rappeler, c'est aussi pour l'aider à les bien remplir, ces difficiles devoirs. Car, quoique l'habit ne fasse pas le moine, comme on dit communément, il aide pourtant à le faire. Ceci peut sembler à quelques-uns un paradoxe, et pourtant c'est une vérité incontestable, à laquelle tout rend hommage: la religion, la raison, l'expérience. La religion, qui prescrit si rigoureusement à tous ceux qui ont pris l'habit religeux de le porter; ce qu'elle ne ferait point assurément si elle ne croyait pas cet habit très-utile à l'accomplissement de leurs devoirs. La raison, qui nous dit que, vu l'intime union qu'il y a entre l'âme et le corps, si, d'une part, l'intérieur a beaucoup d'influence sur l'extérieur, par réciprocité aussi, l'extérieur a beaucoup d'influence sur l'intérieur. Et enfin l'expérience. Il faut être bien étranger à ce qui se passe tous les jours. sur la terre pour ne pas voir que l'habit dont l'homme est revêtu est souvent pour beaucoup dans sa conduite. Voyez le soldat, par exemple. Tant qu'il n'a pas l'habit militaire, ce n'est qu'un conscrit, comme on l'appelle vulgairement, c'est-à-dire un soldat sans. fermeté et sans courage ordinairement. Mais à peine a-t-il endossé l'habit militaire, à peine a-t-il touché ces armes offensives et défensives que lui confie la patrie, ce n'est plus le même homme, c'est quelquefois un héros, capable d'affronter les plus grands dangers, de faire les actions les plus éclatantes. Il en est de même de celui qui est appelé à l'état religieux. Tant qu'il n'a point pris l'habit, ce n'est encore qu'un conscrit en religion, si je puis m'exprimer de la sorte, c'est-à-dire un Chrétien n'ayant pas encore ordinairement la fermeté et le courage qui lui seront nécessaires dans son état; mais à peine s'est-il revêtu de son saint habit, à peine a-t-il touché ce rosaire, cette croix, toutes ces armes spirituelles que la religion lui confie pour engager les combats du Seigneur, ce n'est plus le même homme, c'est un héros aussi capable d'affronter les plus grands dangers, d'aller jusqu'aux extrémités de la terre, se sacrifier à la gloire de JésusChrist, et au salut d'hommes qui lui sont complétement inconnus, qui ne reconnaîtront peut-être son dévouement que par l'indifférence, si ce n'est même par la plus atroce cruauté.

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PROGRÈS.

Objections. Notre siècle est le siècle du progrès N'y a-t-il pas progrès en tout? Ce n'est point étonnant; car nous avons secoué le joug de la religion, qui empêche l'homme d'avancer, et ne cherche même qu'à le faire reculer.

Réponse.-Le progrès est, en effet, le dieu du siècle. Il y en a bien peu qui ne lui aient érigé des autels, qui n'aient brûlé de l'encens en son honneur, qui n'aient chanté des hymnes à sa gloire.

Nous pensons, nous, qu'il ne faut pas se prosterner, en aveugle, à ses pieds. Qu'il nous soit donc permis de rappeler, à cette occasion, les sages réflexions de Mgr l'évêque de Rodez, dans un discours prononcé par lui, au moment d'appeler les bénédictions du ciel sur l'une de ces œuvres grandioses dues à l'industrie moderne.

« Comme il y a une vraie et une fausse science, dit-il, « il y a un vrai et un faux progrès. Tout progrès est un mouvement, mais tout mouvement n'est pas un progrès. Il y a des mouvements désordonnés qui renversent les institutions sociales et détruisent les plus belles œuvres du génie, sous le prétexte de refaire l'humanité d'après un plan nouveau. C'est la force brutale mise au service des multitudes égarées ou des peuples enfants; c'est la barbarie et non le progrès.

1 « Qu'est-ce donc que le progrès? C'est le développement régulier des forces vitales de l'humanité sous l'empire de l'intelligence bien dirigée, ou, si vous l'aimez mieux, c'est l'acquisition de quelques grands principes dans l'ordre moral ou matériel, et la déduction pratique de leurs conséquences. Ainsi, il y a progrès moral et progrès matériel; mais, de quelque nature qu'il soit, il repose toujours sur les premiers principes, et il ne doit jamais les détruire. Pour qu'un arbre soit en progrès, faut-il commencer par saper ses racines ? Pour qu'un édifice atteigne sa perfection, faut-il commencer par ruiner ses fondements? Dans la sphère des sciences naturelles, on ne procède jamais ainsi. Au contraire, on conserve précieusement les trésors des connaissances acquises et des secrets ravis à la nature, pour s'élever à de nouvelles découvertes et à des applications utiles dans les arts et dans l'industrie. Mais trop souvent on a suivi une marche inverse, lorsqu'il s'est agi de la vie morale et sociale de l'homme. Sous prétexte de mieux faire, on a supposé que nos pères n'avaient rien fait de bon, et, sous prétexte de progrès, on a commencé par détruire les bases éternelles de la religion, de la morale, de l'autorité, de l'ordre, de la propriété, en un mot, de toute

civilisation. >>

Ainsidonc, progrès veut dire avancement, mais avancement en bien. Toutes les fois que c'est en mal, ce n'est plus le progrès véritable, ce serait plutôt reculade et chute pême quelquefois. Cela reconnu, écoutons

ce qu'on dit le plus communément à l'occasion du progrès, et répondons à ce qui s'y trouve d'hostile à la religion,

Notre siècle est le siècle du progrès, s'écrie-t-on d'un air de triomphe: n'y a-t-il pas progrès en tout?

Notre siècle est le siècle du progrès ! qu'est-ce à dire? qu'il a apporté aussi son contingent au travail de l'humanité? Personne n'en doute. Il a appliqué ce travail aux sciences physiques principalement, et il leur a fait faire un pas immense, Cela est incontestable. Voulez-vous dire que c'est lui qui a tout fait? Ce serait absurde. Est-ce que la société en était à zéro avant nous ? Voulezvous dire qu'il en a fait beaucoup plus que tous les autres siècles? Cela demande explication. En certains points? Oui. En tout? Non. Et encore, sous le rapport où il a fait le plus avancer l'édifice social, a-t-il réellement plus de mérite que les autres? C'est fort contestable. Le progrès a été plus frappant sans doute; mais il en est toujours ainsi, quand il s'agit d'achever. Lorsqu'un édifice commence, tout marche avec une lenteur désespérante. Ne faut-il pas préparer les matériaux, les amener de loin quelquefois, s'exercer au travail, poser de solides fondements que l'observateur superficiel compte pour rien, parce qu'il ne les voit pas ? Lorsque l'édifice est déjà fort élevé, arrivent les derniers travailleurs, qui, voyant tout marcher rapidement, et croître à vue d'œil, comme on dit, ne manquent pas de s'écrier: « C'est nous qui avons tout fait, ou à peu près. » Hommes présomptueux ! peut-être n'eussiez-vous rien fait, si d'autres n'avaient travaillé avant vous.

N'y a-t-il pas progrès en tout? avez-vous demandé.

Assurément, non. Pour abréger la discussion, prenons un objet également connu de nous tous, et qui nous intéresse tous aussi également; je veux dire l'homme lui-même. Il faut bien le compter pour quelque chose dans la société. Or, je vous le demande, notre siècle l'a-t-il fait progresser réellement? ou, en d'autres termes, l'homme vaut-il mieux qu'auparavant? Oui, répondez-vous. Mais moi, je ne crains pas de dire: non; et je prouve ce que j'avance. Pour arriver à une appréciation plus exacte de l'humanité, tant de nos jours que de ceux qui nous ont précédés, faisons-en comme l'inventaire, si je puis parler ainsi, l'examinant successivement dans chacune de ses parties.

Ceux entre les mains de qui est tombé le pouvoir depuis 89, je suppose, valent-ils mieux que nos anciens rois, au nombre desquels je compte Charlemagne, saint Louis, François Ier, Henri IV, Louis XIV, et le plus honnête homme de son temps, l'infortuné Louis XVI, que ses vertus n'ont pu préserver de l'échafaud?

Non.

Ceux qui, depuis la même époque, ont été chargés, en première ligne, de la direction

des affaires, les ministres de ces différents gouvernements que nous avons vus se succéder avec une rapidité effrayante, valent-ils mieux que les ministres de nos anciens rois, parmi lesquels je compte un Alcuin, un Joinville, un Suger, un Sully, un Richelieu, un Colbert?

Non.

Le clergé actuel, quelque respectable qu'il puisse être, vaut-il mieux aujourd'hui que notre ancien clergé dans lequel je vois d'abord ces premiers évêques de France qui ont fait le royaume comme les abeilles font une ruche, pour me servir ici d'une expression célèbre, puis un Vincent, un Bossuet, un Fénelon, un Bourdaloue, un Massillon, puis cette nuée de confesseurs et de martyrs qui, à une époque de douloureuse mémoire, n'ont pas balancé, un seul instant, à faire le sacrifice de tout ce qu'ils possédaient, et même de leur vie? Non.

Et notre armée, quelque brave que vous la supposiez, vaut-elle mieux que cette ancienne armée de France dans laquelle je compte Jeanne d'Arc, Bayard, Crillon, Condé, Turenne, tant de capitaines et de soldats, sans peur et sans reproche, qui ont porté si haut et si loin la gloire du nom français?

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Non.

Et notre magistrature, quelque intègre que vous la supposiez, vaut-elle mieux que cette antique magistrature française, espèce de sacerdoce, qui rendait la justice au nom et sous les yeux de Dieu, bien plus encore qu'au nom et sous les yeux du roi, et dans laquelle je compte un de l'Hôpital, un de Thou, un d'Aguesseau ?

Non.

Et le corps enseignant, vaut-il mieux, tel qu'il est aujourd'hui, que cet antique corps si respectable, où je vois un Rollin, et tant d'autres non moins remarquables par toutes leurs vertus et par leur dévouement à la jeunesse ? Non.

Et nos ouvriers, si impatients de tout joug, si divisés entre eux, valent-ils mieux que ces corporations si dévouées au bon ordre, si étroitement unies par les liens les plus sacrés de la probité et de l'honneur ?

Non.

Et pour dire un mot de ce sexe aont le principal mérite doit être de se tenir caché sous le voile de la modestie, les femmes du siècle valent-elles mieux que ces femmes d'autrefois, qui se rendirent véritablement utiles, sans le chercher pourtant les unes par leurs talents, les autres par leurs vertus, toutes ou presque toutes, à quelque rang qu'elles appartiennent, par un dévouement à toute épreuve, comme on a pu s'en convaincre à l'époque de notre révolution? Trouveriez-vous facilement, par exemple, une reine Blanche, une Jeanne d'Arc, une Maintenon...?

Non.

Je suis donc en droit de conclure que l'homme ne s'est point amélioré, et que notre siècle, qui a tout fait progresser, dites

vous, n'a point fait progresser l'homme luimême, pour lequel cependant tout progrès doit avoir lieu.

Mais, allez-vous me dire, vous n'avez procédé qu'individuellement, en quelque sorte, et puis, vous vous êtes fait vous-même juge et partie, comme on dit.

Je n'ai procédé qu'individuellement ! m'objectez-vous. Vous vous trompez, ce me semble, à moins que vous n'entendiez par individu un corps tout entier. Alors, je vous répondrais qu'ayant considéré, à peu près, tous les corps dont se compose la société, ma conclusion n'était plus, comme on dit, du particulier au général. J'ai nommé quelques individus, il est vrai, mais je n'entendais les opposer qu'à d'autres individus auxquels il vous était bien facile de penser, quoique je ne les eusse pas nommés. Ceque Vous me reprochez encore de m'être fait moi-même juge et partie n'a pas plus de fondement; puisque nos jugements n'étaient pas autres que ceux de tout le monde. Je vous le prouverai facilement. N'est-il pas vrai que le plus bel éloge que l'on puisse faire de quelqu'un, à quelque rang de la société qu'il appartienne, c'est de dire de lui: ce n'est point un homme d'aujourd'hui, c'est un homme d'autrefois ? C'est un mot que tout le monde dit, que tout le monde accepte, qui a cours en tout et partout. Or, que signifie ce mot, si ce n'est que l'homme valait mieux autrefois, généralement parlant, qu'il ne vaut aujourd'hui ? Je sais bien que cela s'est toujours dit; et qu'il y a, en chacun de nous, une propension naturelle à vanter ce qui n'est plus. Mais, d'où viendrait cette propension générale et naturelle, selon vous, si elle n'avait un fondement réel, lequel n'est ici que la détérioration de la société, qui, en effet, finit toujours par périr? Pour ce qui nous concerne, en particulier,je crains bien que la propension que nous avons tous ou presque tous à reconnaître la supériorité de ceux qui nous ont précédés, n'ait un fondement trop réel.

Quoi qu'il en soit ici, voulez-vous que nous procédious autrement? J'y consens volontiers. Je considérerai donc la société en général, et, sans prononcer moi-même la sentence, je l'attendrai de ceux qui sont en position de la bien prononcer.

Je divise la société en deux grandes parties, l'une de ceux qui possèdent de manière à pouvoir vivre sans travailler, l'autre de ceux qui ne possèdent point du tout, ou qui ne possèdent pas, du moins, de manière à pouvoir se passer de travailler. Et d'abord, vous, travailleurs, classe si nombreuse et si intéressante, ne fût-ce que par la position dans laquelle vous vous trouvez, dites-moi, que pensez-vous de vos directeurs et de vos maîtres? Ah! je vous entends me répondre tous ou presque tous, plus ou moins ouver tement, plus ou moins énergiquement, et quelquefois même, il importe de le dire fci, plus ou moins malhonnêtement: « Ce ne sont plus les hommes d'autrefois; il y en a encore un petit reste, mais les nouveaux ne les va

Croyez-vous qu'il y ait plus de lumière dans le clergé, dans le corps enseignant, dans la faculté de médecine, etc., qu'il y en avait autrefois?

Pour moi, je ne le pense pas.

Croyez-vous qu'il y ait plus d'éloquence, je ne dis pas de verbiage, mais plus de véritable éloquence au barreau, qu'il y en avait autrefois?

Pour moi, je ne le pense pas.

lent pas. Ils sont fiers, intéressés, sans entrailles pour le malheureux... » Assez, assez. Et vous, propriétaires, que pensez-vous de vos travailleurs, de tous ceux que vous employez, pour quelque cause et à quelque titre que ce soit? Ah! je vous entends aussi me répondre, tous ou presque tous, plus ou moins ouvertement, plus ou moins énergiquement, et quelquefois même, il importe de le dire ici, plus ou moins grossièrement: « Ce ne sont plus les hommes d'autrefois; il y en a encore un petit reste, mais les autres sont bien différents. Ils sont presque tous sans reconnaissance et sans dévouement. Quelques-uns même n'ont ni foi ni loi. Ils nous voleraient et nous assassineraient peutêtre, si ce n'était les gendarmes... » Assez, assez. Voilà pourtant ce que j'entends dire partout. Voilà le touchant concert de louanges exécuté par un nombre infini de voix à la louange de l'homme tel que nous l'a fait le siècle-présent, le siècle du progrès concert auquel vous avez pris part aussi quelquefois, je n'en doute point, vous qui voudriez porter si haut la gloire de votre époque.

Suis-je bien en droit de conclure actuellement que l'homme ne s'est point amélioré, et que le siècle qui a tout fait progresser, affirmez-vous, ne nous a pas fait progresser, nous que pourtant il ne devait point oublier? Vous allez me dire peut-être encore que je considère ici l'homme sous le rapport moral principalement.

N'est-ce donc rien? N'est-ce pas l'essentiel? vous dirai-je même.

Aimez-vous mieux pourtant que je le considère sous le rapport intellectuel ? Eh bien!

soit.

Quels hommes opposerez-vous aux Bacon, aux Descartes, aux Malebranche, aux Leibnitz, aux Pascal, sous le rapport de la philosophie?

Aux Ximenès, aux Richelieu, aux Mazarin, pour le génie politique?

Aux Conde, aux Turenne, aux Louvois, pour le génie militaire ?

Aux Bossuet, aux Bourdalone, sous le rapport de l'éloquence?

Aux Fénelon, aux Massillon, pour le charme du style?

Aux Dante, aux Tasse, aux Camoëns, aux Milton. aux Shakspeare, aux Caldéron, aux Corneille, aux Molière, aux la Fontaine, aux Racine, sous le rapport de la poésie?

Aux Sévigné, pour le génie épistolaire ? Oui, pour le génie épistolaire.

Vous m'objecterez peut-être que je ne considère que des individus.

Mais n'est-ce pas dans quelques individus marquants que se résume un siècle? Et pourtant, si vous désirez que nous procédions autrement, la chose est facile ici.

Croyez-vous qu'il y ait plus de lumières dans les sociétés savantes du siècle qu'il y en avait autrefois, sous Louis XIV par exemple? Croyez-vous qu'il y en ait même autant? Pour moi, je ne le pense pas.

Prenez actuellement les assemblées politiques, où une nation doit se retrouver tout entière, puisque les membres qui les composent sortent de son sein et sont censés la représenter; croyez-vous qu'elles aient plus de lumières aujourd'hui qu'elles en avaient autrefois?

Pour moi, je ne le pense pas. On a même remarqué que les chambres législatives, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, étaient bien inférieures, pour le talent, à la constituante de 89. La constituante de 48 avait encore baissé; en sorte que, si nous avions continué à progresser, je ne sais où nous serions descendus.

Vous allez me demander sans doute où se retrouve ce progrès dont tout le monde parle, et qui doit nécessairement se rencontrer quelque part

Il est, selon moi, en ce que les lumières se sont divisées entre tous ou presque tous, à peu près comme la fortune; en sorte qu'il y aurait eu bien plutôt diffusion qu'élévation de la pensée parmi nous. Si à cela vous ajoutez le progrès immense qu'ont fait les sciences physiques, comme nous l'avons dit précédemment, et l'application sans fin que nous en faisons à toutes les choses de la vie, vous aurez le véritable cachet du siècle.

Et encore devons-nous remarquer que les œuvres matérielles du jour, malgré toutes les ressources que nous avons à notre disposition, manquent souvent de ce cachet de grandeur qu'on voit dans les œuvres d'autrefois.

«Nos pères n'étaient que des ganaches, s'écrie quelquefois le mendiant qui, du portique de la cathédrale où il implore la charité, contemple avec ébahissement les rues si bien alignées et si coquettement embellies de nos villes modernes; « notre siècle est le siècle du progrès!»« Aveugle!» lui répondrai-je, « qui donc a bâti l'incomparable édifice que tu vois, ou plutôt que tu ne sais même pas voir, tant il est hors de ta portée par son élévation comme par son immense étendue?»

« Nos pères n'étaient que de vieilles ganaches,» s'écrie encore quelquefois l'ouvrier typographe en voyant passer ce nombre infini de feuilles volantes auxquelles il touche un instant, lui aussi, et qui vont, avec une rapidité extraordinaire, porter partout l'idée du jour, ou ce qu'on a la complaisance d'appeler ainsi; « notre siècle est le véritable siècle du progrès! » - « Insensé! » lui répondrai-je encore, « d'où sont donc venues ces immenses bibliothèques, que nous avons en partie détruites, dans notre aveugle fu

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