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avec une exactitude parfaite, sous l'impulsion du ressort divin caché dans les cieux, les heures saintes qui passent et nous entraînent à l'éternité bienheureuse.

C'est là, me direz-vous peut-être, un état excessivement pénible auquel bien peu pourraient se faire.

J'en conviens. Aussi demande-t-il une vocation particulière. Mais vous devez convenir, de votre côté, qu'un tel état, et tout autre semblable qui suppose la mêine ahnégation, la même obéissance, le même attachement à Dieu et aux hommes, ne peut guère manquer de conduire à la sainteté, et ceux à qui il est donné de l'embrasser, et ceux qui subissent indirectement sa divine influence.

Ces hommes-là, me direz-vous peut-être encore, ces hommes, avec toute leur sainteté, sont néanmoins perdus pour le monde.

une cause d'édification. Car il est impossible de la considérer avec un peu d'attention sans qu'elle nous prêche, dans un langage intelligible à tous, le détachement des choses périssables du temps et la recherche des biens immuables de l'éternité. Il n'est donc pas vrai que ceux qui s'y renferment soient perdus pour le monde. Croyez-vous que, dans une autre position, ils eussent été plus utiles à leurs frères, religieusement parlant surtout? Est-ce que, manquant leur vocation, je suppose, ils n'auraient pas été bien exposés à se perdre et à en perdre heaucoup d'autres avec eux? Vous n'ignorez point ce qui est arrivé à l'époque de notre révolution. Des législateurs impies avaient brisé toutes les portes de ces abbayes si florissantes alors sur le sol de la France, et en avaient fait sortir tous ceux qui s'y trouvaient enfermés. Hélas! ce fut parmi ces malheureux que se sont rencontrés les plus ardents promoteurs du désordre.

C'est, me direz-vous, que la passion dormait en eux seulement, et n'était point éteinte.

C'est une question que nous examinerons tout à l'heure, mais ce n'est point celle qui nous occupe en ce moment. Il s'agit seulement de savoir si l'abbaye, et, en général, toute association religieuse, est favorable à la sanctification des âmes. Or, il me semble que je viens de l'établir de la manière la plus incontestable, en montrant que, pour le nier, il faudrait fermer les yeux à la lumière du jour, repousser la plus convaincante évidence. Oui, je ne crains pas de le dire ici, le fait, et le fait le plus frappant, est là pour déposer en ma faveur: prenez un certain nombre d'hommes, quarante ou cinquante, je suppose, parmi ceux que nous venons de visiter en dernier lieu, et que nous avons vus volontairement et néanmoins scrupuleusement assujettis au joug si doux de la sainte obéissance. Le bien chez eux, ce sera la règle générale; le mal ne sera que l'exception, et probablement une bien petite exception. Après cela, prenez le même nombre d'hommes parmi ceux que nous avons visités en premier lieu, et que nous avons vus, brisant tout frein, s'abandonner à l'entraînement des plus violentes passions. Le résultat de l'examen sera précisément tout op-gain, au contraire; car ce monstre a couposé le mal, chez eux, ce sera la règle générale; le bien ne sera que l'exception, et malheureusement peut-être une très-petite exception.

Mais, ajouterez-vous, plus il y a de mal dans le monde, et plus il importe que les bons y restent pour combattre ce ma!, en travaillant à leur propre sanctification.

Aussi l'abbaye ne doit-elle être, comme nous l'avons dit déjà, qu'une exception dans la société. Placée, du reste, en dehors du monde, elle n'en aura pas moins part, pour cela, à sa sanctification. Que de prières, que de bonnes œuvres de tout genre sortent de là, chaque jour, et vont intercéder pour nous auprès de la divine miséricorde! L'enseignement de la parole et du bon exemple en sort également, soit que nous allions l'y chercher nous-mêmes, soit qu'il vienne nous trouver dans le monde, au milieu de nos occupations ou de nos plaisirs. Que dis-je? mais la maison elle-même est encore pour le monde

Soit. Mais, de grâce, le lion qui dort enchaîné au pied des autels, où il a pris la douceur de l'agneau, n'est-ce pas un chefd'œuvre de la religion, et l'un des plus grands services qu'elle ait rendus à la terre? Maiheur à vous, si vous l'éveillez! Trois fois malheur, si, brisant les liens qui l'enchatnent, vous le lancez imprudemment dans la toule, car bientôt peut-être, il sèmera partout le carnage! On sait que Robespierre dut aux libéralités du clergé une éducation toute chrétienne. Si son âme ardente se fût donnée alors aux idées religieuses, comme plus tard aux idées politiques, peut-être que, ne connaissant de moyen terme en rien, il fût allé s'enfermer à la Trappe. « C'est une perle pour le monde, n'eût pas manqué de dire quelque philosophe à courte vue, comme il s'en trouvait partout à cette époque, c'est une perte véritable, car cet homine ne manquait pas de talent. » C'eût été un grand

vert la France d'une mer de sang, à laquelle son sang infâme n'est venu que trop tard se réunir. Tout le monde sait encore que Mirabeau se trouvait, avant la révolution, dans une position où ceux de sa classe n'avaient pas de ressource plus avantageuse alors que de se placer dans quelque riche abbaye. Si, revenant aux sentiments honorables et chrétiens de sa famille, il eût pris cette géné reuse détermination: « Quel malheur, eûton dit peut-être encore, quel malheur! car cet homme est un génie. » Quel bonheur c'eût été, au contraire 1 car, lâchant la bride aux passions les plus violentes qui furent jamais peut-être, cet homme a usé rapidenent sa constitution excessivement robuste, et, de plus, il a beaucoup contribué à précipiter la France dans une crise d'où elle n'est point encore sortie aujourd'hui, après plus d'un demi-siècle de troubles, de combats et de crimes.

Nous avions donc raison de dire que l'ab

baye, et, en général, toute association religieuse a, de sa nature, les résultats les plus heureux pour la sanctification des âmes. N'eût-elle point d'autre avantage, que ce serait bien suffisant pour lui assurer notre vénération et nos sympathies. Mais ce n'est pas tout évidemment; car, si elle fait beaucoup pour le bonheur éternel de l'homme, elle ne fait guère moins pour son bonheur temporel.

Et d'abord elle fait le ponheur de ceux qui l'habitent. Ne l'avez-vous pas entendu répéter mille fois? Si vous en doutez encore, malgré tant d'affirmations, assurez-vous-en par vous-même; la chose est bien facile. Allons visiter, de nouveau, si vous le désirez, une des abbayes où la règle la plus sévère est rigoureusement observée, une abbaye de Chartreux, par exemple. Ou, si vous l'aimez mieux, rappelons-nous ce que nous avons pu observer déjà dans celle que nous avons précédemment visitée. Quel silence profond dans cette habitation! Que de privations dans le vêtement, la nourriture, en toute chose! Que de mortifications, que de veilles, que de travaux! Et, malgré tout cela, pas une seule plainte, pas le moindre signe de mécontentement!

.

C'est de l'hypocrisie, allez-vous dire.

De l'hypocrisie! en cela!.. mais c'est absurde! Quand l'homme souffre, il se plaint. C'est le besoin impérieux de la nature auquel il est obligé de se soumettre. Quelquesuns s'en abstiendront peut-être, pendant quelque temps seulement; mais une grande réunion, pendant un temps considérable, la vie entière, ou, pour mieux dire, pendant une suite de vies qui se succèdent l'une à l'autre de manière à nous présenter une prolongation indéfinie d'existence? Cela n'est pas possible. Voyez ce qui se passe dans les hôpitaux ou les prisons: c'est un concert ininterrompu de murmures et de plaintes. Si donc la souffrance ne se manifeste ici en aucune manière, c'est qu'elle ne se trouve point dans les cours. Et pourquoi ces hommes ne se plaindraient-ils point, s'ils souffraient réellement? Pourquoi ne quitteraient ils pas une position qu'ils ont embrassée volontairement, et qu'ils conservent encore de plein gré? Rien ne les enchaîne ici, rien absolument, si ce n'est l'attachement qu'ils ont, en général, pour une demeure qui est devenue, pour eux, la maison paternelle. S'ils ont pour elle tant d'attachement, comme il n'est pas possible d'en douter, c'est une preuve incontestable que non - seulement ils n'y souffrent point, mais qu'ils y sont, au contraire, très-heureux.

Est-ce que nous ne le voyons pas à cet empressement avec lequel ils vaquent à toutes les fonctions, quelquefois difficiles et répugnantes, qu'ils ont à remplir chaque jour ? Est-ce que nous ne le voyons pas encore à cet air de contentement qui s'épanouit sur leur visage, dans tout leur extérieur? Interrogez-les d'ailleurs, et ils vous le diront tous. C'est un joug qu'ils se sont imposé sans doute, mais, pour eux, ce joug n'est

que douceur. C'est un fardeau qu'ils ont continuellement à porter, mais c'est un fardeau léger. Ils ont renoncé au monde, il est vrai, mais, dans la solitude où ils se sont retirés, Jésus-Christ parle à leurs cœurs, et cet inénarrable entretien est comme un avant-goût· du bonheur céleste. Un seul jour passé dans ces tabernacles de la pénitence vaut mieux que mille sous les tentes du plaisir. Leur vie entière est pleine de délices, et leur mort beaucoup plus précieuse encore.

En tout cas, me direz-vous, en appliquant ici une observation que vous avez déjà faite relativement à la sanctification des âmes, en tout cas, ce bonheur n'est que pour eux; et le bonheur qui ne s'étend point au dehors n'est point le bonheur véritable. Renfermés dans la solitude, ces hommes ne peuvent s'occuper évidemment que de leurs intérêts propres, et de ceux de la communauté.

Et quand cela serait, jusqu'à un certain point, je veux dire pourvu que cette recherche de leurs intérêts propres, et des intérêts de ceux qui leur sont particulièrement attachés, ne dépassât pas les limites tracées par le devoir, quel mal y trouveriez-vous? N'estce pas là, au contraire, le vou de la nature et de la religion, qui s'accordent pour nous dire que charité bien ordonnée commence par soi-même? Le bien-être général est préférable au bien-être individuel incontestablement. Mais ne comprenez-vous pas que c'est précisément de ce bien-être individuel, recherché par chacun, que résulte le bienêtre général? Oui, je ne crains pas de l'affirmer ici, à moins d'une vocation toute particulière, non-seulement il n'est point or donné aux individus d'oublier leurs intérêts propres, ainsi que les intérêts de ceux qu'ils doivent regarder comme d'autres euxmêmes, pour s'occuper des intérêts de tous, mais cela n'est pas permis, parce que, comme il est aisé de le comprendre, et comme le prouve d'ailleurs l'expérience de chaque jour, de là résulte la perturbation dans les sociétés particulières, et, par suite, dans la société générale. Voyez encore ce qui se passe dans la famille bien réglée. Quand, depuis le matin jusqu'au soir, chaque membre s'est occupé sérieusement de son bien-être personnel, et de celui des autres membres de la famille, personne ne s'avise d'en demander davantage.

Pardon, me direz-vous, le christianisme veut encore que le superflu de la maison soit donné aux pauvres qui viennent le demander, ou bien à ceux qui n'osent ou ne peuvent venir, et qui ordinairement en ont plus besoin que les autres.

N'est-ce pas ce qui se fait aussi dans toute famille religieuse, dans une abbaye par exemple? Et ce n'est pas seulement la part inférieure ou dernière, le superflu, comme on dit communément, qu'elle donne aux indigents, c'est bien, au contraire, la première et la meilleure part, ce qui est nécessaire quelquefois aux besoins les plus pressants de la communauté. Admirons, je vous prie, le mystère de charité qui s'accomplit, cha

que jour. dans une abbaye de Chartreux, ou autre semblable! A l'heure où les religieux prennent un repas si frugal qu'on ne conçoit pas comment il peut suffire aux besoins de la nature, à l'heure même où, pour plus de mortification, ils s'en privent complétement, qu'un pauvre, qu'un étranger quelconque vienne frapper à la porte, demandant l'hospitalité : « Soyez le bien-venu, mon frère!» lui est-il aussitôt répondu. Et on s'empresse de mettre à sa disposition ce que les religieux se sont interdit pour toujours. Est-ce là la limite extrême de leur charité? Non. Si cet homme, comme il arrive quelquefois, au lieu de demander l'hospitalité pour quelque temps, la demande pour toute sa vie, quelle qu'ait été sa conduite passée, quelle que soit la position dans laquelle il se trouve actuellement, fut-ce meine un ennemi acharné de la communauté, un persécuteur public du nom chrétien; quand, après avoir été suffisamment éprouvé, il a donné des marques suffisantes d'un sincère repentir et d'une vocation véritable, le cercle s'ouvre pour le recevoir, et l'abbé, père de toute la famille, manifeste la plus vive allégresse, au retour de cet autre enfant prodigue dans la maison paternelle. C'est un fait notoire, et que quelques-uns reprochent même aux associations religieuses comme un envahissement. Oui, c'est un envahissement véritable, mais un envahissement qui honore, au lieu de mériter le blâme, c'est l'envahissement de la charité.

L'influence de l'abbaye, par rapport au bonheur temporel de l'homme, ne se manifeste pas seulement d'une manière transitoire, si je puis m'exprimer de la sorte, à l'égarn de ceux qui l'habitent ou la fréquentent; elle a des effets beaucoup plus étendus et plus durables. Ne sont-ce pas les abbayes qui ont défriché autrefois une partie des terres en Europe, et ne les cultiventeiles pas encore, en raison de leur nombre, avec autant d'activité que de succès? Ne sont-ce pas elles, également, qui ont cultivé presque exclusivement, pendant tout le moyen âge, le champ des sciences, des belles-lettres et des arts, et ne les cultiventelles pas encore, en certains lieux, avec autant de dévouement que d'intelligence? N'ont-elles pas fourni et ne fournissent-elles pas encore, par cette double culture, nonseulement aux individus, mais aux générations elles-mêmes, l'aliment matériel qui nourrit le corps et l'aliment spirituel qui nourrit les âines?

Arrêtons-nous d'abord un instant à la considération du service que les abbayes ont rendu autrefois, et rendent même encore aujourd'hui à la société, par la culture des terres. S'il est fait acquis à l'histoire, c'est que les abbayes ont défriché, comme nous venons de le dire, une partie des terres en Europe, et les ont longtemps cultivées avec une activité et un succès dont elles étaient seules capables alors. Les invasions continuelles, les divisions sans cesse renaissan tes chez des peuples qui n'étaient point en

core définitivement établis, tout contribuait à les détacher du sol, et à leur donner le goût et les habitudes des armes, beaucoup plus que des instruments d'agriculture. Mais, au milieu de cette société, quelques fractions plus stables se rencontraient de distance en distance. C'étaient ces familles religieuses que nous défendons aujourd'hui contre les attaques de ceux qui, dans l'aveuglement de l'ingratitude, méconnaissent leurs bienfaits de tout genre. Protégés par la Croix qui avait sauvé le monde, et dont les plus violents eux-mêmes éprouvaient souvent la vertu régénératrice, elles jouissaient d'une paix inconnue partout ailleurs, et pouvaient se livrer, pour les autres parties de la société comme pour elles-mêmes, avec autant de suite que d'ensemble, à la culture de ces terres qui leur appartenaient par don, par héritage ou par acquisition, mais dont personne ne songeait à leur disputer la possession.

De là ces grandes richesses territoriales et autres dont beaucoup d'abbayes ont été trouvées plus tard en jouissance, et que tant de personnes leur ont reprochées comme preuve d'oisiveté, tandis que c'était, au contraire, la preuve incontestable d'un grand travail, du moins dans les premiers possesseurs: ce qui est encore à la louange de leurs successeurs légitimes; car, tout étant lié dans une famille, en durée comme en étendue, et ne faisant, pour ainsi dire, qu'un seul être moral, la gloire de chaque membre est nécessairement imputable aux autres, jusqu'à un certain point.

Les abbayes ne possèdent plus aujourd'hui qu'une très-faible partie du sol en Europe, mais, ce peu qu'elles possèdent, elles le cultivent aussi bien que possible, et il faut encore leur en tenir compte.

Non, me direz-vous, car, ce qu'elles font. d'autres le feraient à leur place.

Je ne le contesterai pas. Toujours est-il que leur travail existe, et qu'il doit avoir son prix à nos yeux. Est-ce que vous ne vous croyez redevables, en aucune manière, aux personnes qui ont fait quelque chose pour vous, quand vous pouvez vous dire : si elles ne le faisaient, d'autres le feraient à leur place?

Mais, ajoutez-vous, ceux que nous avons en vue, c'est-à-dire les travailleurs laiques, agiraient avec beaucoup plus d'énergie, car ils apporteraient au travail tout le feu des passions.

Qu'en savez-vous? Ignorez-vous, d'ailleurs, que ce feu dont vous parlez, est un feu souvent coupable, diabolique même quelquefois, comme nous avons déjà eu occasion de le remarquer, et qu'il manque rarement de brûler et de détruire, au lieu de produire et de conserver. Il aura peut-être, d'abord, des résultats qui paraîtront admirables; mais attendons quelque temps: tout arbre produisant nécessairement son fruit, comme dit le proverbe, le mal engendrera le mal, et le bien, tôt ou tard, engendrera le bien.

Trois catégories d émigrés ont tout récemment quitté la France pour aller, sur la terre étrangère, fonder des établissements plus ou moins durables. L'une est cette colonie de trappistes qui, sans autre impulsion que ces mots : «Dieu le veut!» n'ont point hésité à échanger leur douce et paisible abbaye pour le sol brûlant et agité de l'Afrique. L'autre est cette colonie de condamnés que l'autorité, le glaive à la main, a conduite dans une île de l'Amérique méridionale, pour faire tourner, s'il est possible, au profit de l'agriculture, ces passions ardentes qui menaçaient de bouleverser la société. Dans la troisième, je comprends tous ces émigrés volontaires qui sont fallés sur une des côtes de l'Amérique septentrionale, conduits par la plus détestable peut-être de toutes les passions, celle qui a engendré et engendre encore tant de crimes dans la société :

Auri sacra fames...

(VIRGIL., Eneid. lib. ш, vers. 57.)

Allez visiter tour à tour ces trois colonies si différentes. Il ne vous faudra pas beaucoup de réflexion pour comprendre de quel côté est le travail sagement ordonné, celui qui doit produire, tôt ou tard, les fruits les plus avantageux, à moins de quelqu'une de ces révolutions qui viennent si fréquemment ici-bas changer inopinément la marche des choses.

Si de la culture indispensable des terres, nous passons à la culture moins générale ment nécessaire, mais plus élevée des sciences, des belles-lettres et des arts, la bienfaisante influence de nos abbayes s'y fait sentir d'une manière encore plus marquée. N'estce pas, en effet, dans ces demeures solitaires que s'est conservé, comme le charbon sous la cendre, le feu sacré du génie qui devait jeter tant d'éclat à l'époque d'un saint Thomas, et, plus tard encore, après une seconde rénovation, à l'époque d'un Bossuet? N'est-ce pas au moyen de ces asiles inviolables qu'a pu se transmettre, de génération en génération, le double dépôt de toutes les sciences sacrées et profanes, où sont venues puiser ensuite et où viennent puiser encore, chaque jour, comme dans des sources intarissables, les plus fécondes intelligences elles-mêmes? Le religieux, daus son abbaye, copiait les livres qui lui avaient été confiés; et qu'il regardait tous, en quelque sorte comme sacrés, avec autant de respect et de zèle que le lévite, dans le temple, copiait les livres sacrés de la Loi. C'était pour lui, comme un bien patrimonial, une propriété inaliénable appartenant à la famille. Voilà pourquoi sans doute quelques-uns se sont imaginé que ces immenses richesses intellectuelles provenaient réellement de son travail. C'était une exagération. Toujours est-il qu'à ne le considérer que comme conservateur et comme copiste (ce qu'il fut uniquement par rapport à ces richesses antiques dont nous parlons ici), le religieux du moyen âge a produit par là encore d'in

comparables cnefs-d'œuvre de patience et même de véritables chefs-d'œuvre d'art, que nous aurons bien de la peine à surpasser aujourd'hui, avec les ressources infinies de toutes les inventions modernes.

« Rendons, s'écrie à ce sujet, l'illustre écrivain qui a commencé à rendre populaire parmi nous le goût de l'antiquité et surtout de l'antiquité religieuse (CHATEAUBRIANT, Etudes historiques), rendons un éclatant hommage à cette école de Bénédictins que rien ne remplacera jamais. Si je n'étais maintenant un étranger sur le sol qui m'a vu naître, si j'avais le droit de proposer quelque chose, j'oserais solliciter le rétablissement d'un ordre qui a si bien mérité des lettres. Je voudrais voir revivre la congrégation de Saint-Maur et de Saint-Vannes dans l'abbatial de Saint-Denis, à l'ombre de l'église de Dagobert, auprès de ces tombeaux dont les cendres ont été jetées au vent au moment où l'on dispersait la poussière du trésor des chartes il ne fallait aux enfants d'une liberté sans loi, et conséquemment sans mœurs, que des bibliothèques et des sépulcres vides.

Des entreprises littéraires, qui devaient durer des siècles, demandaient une société d'hommes consacrés à la solitude, dégagés des embarras matériels de l'existence, nourrissant au milieu d'eux les jeunes élèves héritiers de leur robe et de leur savoir. Ces doctes générations, enchaînées au pied des autels, abdiquaient à ces autels les passions du monde, renfermaient avec candeur toute leur vie dans leurs études, semblables à ces ouvriers ensevelis au fond des mines d'or, qui envoient à la terre des richesses dont ils ne jouiront pas. Gloire à ces Mabillon, à ces Montfaucon, à ces Martène, à ces Ruinart, à ces Bouquet, à ces d'Achery, à ces Vaissette, à ces Lobineau, à ces Calmet, à ces Ceillier, à ces Labat, à ces Clémencet et à leurs révérends confrères, dont les œuvres sont encore l'intarissable fontaine où nous puisons tous tant que nous sommes, nous qui affectons de les dédaigner! Il n'y a pas de frère lai, déterrant dans un obituaire le diplôme poudreux que lui indiquait dom Bouquet ou dom Mabillon, qui ne fût mille fois plus instruit que la plupart de ceux qui s'avisent aujourd'hui, comme moi, d'écrire sur l'histoire, de mesurer du haut de leur ignorance ces larges cervelles qui embrassaient tout, ces espèces de contemporains des Pères de l'Eglise, ces hommes du passé gothique et des vieilles abbayes, qui semblaient avoir écrit eux-mêmes les chartes qu'ils déchiffraient. Où en est la collection des historiens de France? Que sont devenus tant d'autres travaux gigantesques? Qui achèvera ces monuments autour desquels on n'aperçoit plus que les restes vermoulus des échafauds où les ouvriers ont disparu?

« Les Bénédictins n'étaient pas le seul corps savant qui s'occupât de nos antiquités; dans les autres sociétés religieuses ils avaient des émules et des rivaux. »

Ainsi parlait le génie; mais les choses saintes sur lesquelles il appelait, avec une éloquence si touchante, l'amour et la vénération des peuples, étaient, en ce moment-là même, méprisées au contraire, insultées, traînées dans la boue. Des jours plus calmes sont enfin revenus; et ce que le génie a tenté vainement, un grain de foi le fera peut-être avec le plus grand succès. Au lieu d'être de nouveau abattues, les abbayes se relèvent partout en Europe, et commencent même à renouer la longue chaîne des bienfaits de tout genre que nous devons à leur influence.

Or, je vous le demande, à la vue de si nombreux et de si importants bienfaits, estil raisonnable de se laisser défavorablement impressionner par quelques abus qu'on trouve en toute chose ici-bas? Existent-ils d'ailleurs, comme on le dit, ces abus? Où se trouvent-ils ? et quelle peut en être la conséquence?

Abus dans les bâtiments! avez-vous dit. Comment cela? Est-ce à cause de leur grandeur et de leur majesté, si je puis m'exprimer de la sorte? Est-ce à cause de la régularité et de la beauté de leur architecture; Mais ils ne sont, par là, que mieux en rapport avec leur destination. Une abbaye, en effet, c'est aussi un monument élevé à la religion, mais que celle-ci met à la disposition de quelques enfants bien-aimés qui se dévouent complétement à son service. La chapelle en est l'oeuvre principale, et les autres constructions n'en sont, en quelque sorte, que l'accessoire. Vous voyez donc que les bâtiments dont elle se compose ne sauraient faire trop d'impression sur les

sens.

Je causais tout récemment avec un homme assez âgé pour avoir vu, dans toute sa splendeur, la célèbre abbaye de Marmoutiers, fondée par le grand saint Martin, sur les bords de la Loire, à quelque distance seulement de la ville de Tours. «Monsieur,» me disait-il d'une voix profondément émue, «j'y allais fréquemment, car mon père était le médecin de la maison. Il y a bien longtemps déjà, je n'étais alors qu'un enfant, et pourtant tout est encore sous mes yeux comme si nous y étions en ce moment. Quand on avait visité les cours, les escaliers, les dortoirs, les vastes salles, on se disait intérieurement: « Tout est grand ici!» Mais quand, après cela, on entrait à la chapelle: à l'aspect de ce magnifique vaisseau et de toutes les splendeurs qu'il renfermait, à la vue de ces autels, de ces statues, de ces tableaux, de tous ces objets sacrés où la beauté du travail surpassait encore la richesse de la matière, on était réellement terrassé d'admiration, et on se jetait involontairement à genoux pour adorer le Dieu de majesté qui y avait établi sa de

meure. >>

A ne considérer même qu'au point de vue purement humain ces vastes et riches bâtiments qui se trouvaient autrefois, de distance en distance, au milieu de nos paisi

bles campagnes, ne voyez-vous pas qu'ils pouvaient avoir encore de grands avantages? C'était un moyen de fournir du travail aux ouvriers, de leur faire prendre le goût et la connaissance des beaux-arts, de leur fournir des modèles à imiter dans de semblables constructions, ou dans d'autres moins importantes qu'ils avaient à faire ailleurs... Que dis-je? c'était aussi le moyen de les transformer eux-mêmes en quelque sorte, el de les élever quelquefois bien au-dessus de la position dans laquelle ils se trouvaient, sans aucune crainte d'orgueil pour leur propre cœur, ni de trouble pour la société. Les ouvriers qui sont venus travailler à l'abbaye y prennent, je suppose, après un séjour prolongé, le goût de la solitude et de la vie religieuse qu'on y mène. Ils demandent donc à faire partie de la communauté. Ils y sont reçus après une épreuve suffisante; et quand ils montrent des talents extraordinaires, ce qui peut très-bien arriver, en de pareilles circonstances principalement, ils s'élèvent, et même rapidement, du rang le plus modeste aux dignités les plus élevées.

Abus, avez-vous dit encore, abus dans la conduite de ceux qui s'y trouvent, ou qui, étant censés s'y trouver, vont étaler ailleurs, comme l'abbé de cour, le scandale de leurs mœurs!

C'est une infâme calomnie, puisque, comme nous l'avons montré de la manière la plus incontestable, l'abbaye est un moyen très efficace de sanctification. Plusieurs y sont placés ou bien y entrent d'eux-mêmes sans vocation; mais ils ne peuvent manquer de sentir plus ou moins, à la longue, l'influence salutaire de la maison qu'ils habitent. Quant à ceux qui y restent sans en prendre l'esprit, ils ne sont qu'une exception d'après laquelle il n'est pas permis de juger de la majorité. Quant à ceux encore qui, étant censés s'y trouver, vont étaler ailleurs, comme l'abbé de cour, le scandale de leurs mœurs, ils sont une nouvelle preuve de ce que nous avons avancé plus haut, à savoir que l'abbaye est un lieu de sûreté dont ne sauraient s'éloigner ceux qui y sont appelés, sans danger grave pour eux comme pour les autres. Pourquoi l'abbé de cour, comme on dit, devient-il presque toujours ridicule, pour ne pas dire corrompu ? précisément parce qu'il n'est plus qu'un être déplacé. Aussi y a-t-il contradiction, en quelque sorte dans les termes mêmes dont on se sert pour le désigner: le premier rappelant l'abnégation, la gravité et la régularité; le second, le plaisir, la légè reté et souvent le désordre.

Abus par rapport à la religion, avez-vous ajouté.

C'est encore une fausseté, puisque les abbayes sont tout à fait dans les intérêts de la religion. Vous me direz peut-être que les revenus de ces maisons religieuses étaient donnés autrefois en France, et le sont encore aujourd'hui, dans certains pays, par l'autorité civile, comme bénéfices, à des personnes du monde. Mais, potrvu que la collation

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