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qu'il faut dire plus le christianisme est élevé, pur, saint, plus il doit entrer péniblement dans l'intelligence faible et obscure de la plupart des hommes, plus il doit rencontrer de préjugés à vaincre, de passions à combattre, de vices, partout établis, à détruire et à remplacer par toutes les vertus opposées. Le voyez-vous, en effet, s'élever comme un géant pour parcourir sa carrière, disent les saintes Ecritures: Exsultavit ut gigas ad currendam viam. (Psal. xvIII, 6.) Grand Dieu! quelle lutte terrible la terre entière, cette terre livrée à l'ignorance, au vice, possédée en quelque sorte par l'enfer, engage contre lui, pour se soustraire à sa domination! Que de coups lui sont portés ! Pendant trois siècles, son sang n'a cessé de couler et de rougir la terre. Il triomphe cependant; mais, depuis ce temps, il n'a pas eu un instant de repos, et, de quelque côté qu'il se soit dirigé, il a toujours du combattre pour vaincre. Et vous appelez cela un triomphe naturel et facile? Je vous le répète, c'est tout le contraire qu'il faut dire.

Mais, afin de mieux faire comprendre ce que nous venons de dire, entrons, si vous le voulez bien, dans quelques développements à ce sujet.

« Pour bien sentir la force du phénomène de l'établissement du christianisme, » dit l'apologiste que nous venons d'entendre, « il faudrait pouvoir s'ôter de l'esprit tout ce que nous en savons déjà, et en recevoir l'impression comme celle d'un tableau qui nous aurait été jusqu'ici caché, et dont on nous lèverait peu à peu le voile.

Trois choses y sont à considérer successivement: l'entreprise, le moyen, le succès. Le christianisme nous apparaît aujour d'hui avec un système théologique parfaitement déduit et formulé, avec une morale profondément justifiée par l'expérience, avec un culte rayonnant de beautés, honoré par des rois, défendu par des génies, orné par les beaux-arts, alimentant la terre de ses bienfaits, appuyé sur dix-huit siècles d'épreuves et de triomphes; centre nécessaire de tous les rapports qu'il a créés dans les mœurs, dans les lois, dans les institutions civiles et sociales, et enveloppant le monde de sa lumineuse et vivifiante atmosphère. En cet état, nous ne pouvons nous défendre de voir en lui une chose grande, forte, belle, divine; et encore que d'esprits lui sont fermés, lui sont hostiles, et de quelles violences récentes ne porte-t-il pas les profondes cicatrices! Mais dépouillons le christianisme de tous ces ornements, de tous ces fruits, de tous ces témoignages, de tous ces rapports, de toutes ces lumières, qu'il nous a donnés sur lui-même; enlevons-lui tout cela, et ne lui laissons que sa croix, sa croix de bois, sa rude et sanglante croix, n'étant encore qu'un gibet infame réservé pour le supplice des esclaves. Faisons descendre cette croix d front des rois, du faite des temples, et faisons-la passer du centre du monde à ses extrémités; rejetons-la au dehors comme

un objet d'exécration, d'horreur et d'infamie; puis, en présence de cette croix obseure, ignoble, tachée du sang des plus vils criminels, plaçons le monde païen, ce monde de la force, de la volupté, de l'orgueil féroce, de la plus abrutissante corruption, qui supportait un Tibère, un Claude, un Néron, un Héliogabale; qui, dis-je, les encensait, et en échange de cette brutale servitude, ne leur demandait que deux choses: du pain et des jeux. Mettez-vous bien dans l'esprit que cet état du monde païen, dont nous avons si souvent remué le scandale, n'était pas passager et accidentel, mais bien le résultat progressif et comme l'égoût universel de la morale humaine depuis l'origine des sociétés. Représentez-vous bien que les abominables excès dont il était le théâtre, n'étaient pas seulement inspirés par la perversité primitive, mais enhardis par l'exemple officiel et public, autorisés par les lois, consacrés par la religion, naturalisés par l'habitude, et que, de quelque côté qu'on se tournât, on y était plongé, on y vivait, on y était retenu par les préjugés de l'esprit, par les penchants du cœur, par l'emportement des sens, par la crainte des hommes et des dieux, par l'autorité et commo par le poids des âges.

« A ce monde venir proposer... Quoi ? De changer par tout l'univers les religions établies; de renoncer soudain à ce culte de l'idolâtrie consacré par la majesté des ancêtres, armé par la superstition, et surtout identifié avec les vices de l'âme et les plus douces comme les plus violentes inclinations de la nature; ce n'est pas tout: arracher ces vices non plus seulement de leurs temples et de leurs autels extérieurs, mais des habitudes de la vie, du fond des cœurs, des entrailles de l'âme; les rejeter, les abhorrer, pour recevoir à la place des vertus rigides, impitoyables, désolantes, cruelles à la nature, invisibles, inouïes, la chasteté, le pardon des injures, l'amour de la pauvreté, la pénitence, la charité, la mansuétude, l'humilité, l'abnégation; c'est-à-dire le contraire de tout ce qui existait; le renversement de toutes les idées reçues, la condamnation du monde et de soi-même, sans se rien réserver, pas même le mérité du sacrifice; et tout cela pour n'être heureux que quand on sera mort... Et sur quel gage?... parce qu'un homme crucifié à Jérusalem l'a enseigné de la sorte, et que cet homme, dit-on, s'est ressuscité lui-même et est monté au ciel, où il est Dieu; non pas un dieu, mais le seul et unique Dieu, pour lequel on doit abandonner tous les autres... Dieu en cet état;de crucifié, voulant être adoré avec sa croix et sur sa croix, et non-seulement adoré, mais suivi et imité, dans ce même étal de souffrance et d'ignominie... par tout le monde... Aller ainsi, dis-je, proposer cette doctrine, la croix à la main, non pas à quelques adeptes dans quelque lieu secret, mais dans les rues et sur les places publiques, parmi les statues des dieux et les saturnales de leur culte, à tout venant, de ville en

ville, de l'orient à l'occident; faire tomber l'univers au pied de cette croix, la porter du Golgotha au Capitole, et l'imposer au monde, comme le type souverain et absolu sur lequel tout doit venir se reformer: voilà l'entreprise.

dans son succès, le plus incroyable, et, prouvé qu'il fût, le plus décisif de tous les miracles? « Or, ce miracle a eu lieu. Le succès le plus rapide, le plus immense et le plus durable est venu trancher hautement la question et faire éclater la divinité du principe dans le néant des moyens. Les envoyés de Jésus, après avoir accepté la charge d'aller dans tout l'univers prêcher l'Evangile d toute créature, se sont partagé le monde, et, de leur vivant, ils l'ont conquis à JésusChrist; ils ont inoculé au genre humain la foi chrétienne; ils ont planté la croix au cœur du paganisme; et depuis lors le paganisme, frappé de mort, n'a fait que se débattre au pied de cette croix, principe d'une nouvelle vie, et qu'achever de mourir en se débattant.

Voici les moyens: douze Juifs, la plupart pêcheurs d'un lac de Galilée, n'ayant rien, ne sachant rien, commandés par Pierre, le moins entreprenant d'entre eux, celui qu'un propos de servante suffit pour faire reculer... telle est l'armée du Christ, tels sont les conquérants de l'univers. Leur consigne, la voici:

« Jésus envoya ainsi les douze, après leur avoir donné les instructions suivantes: N'ayez point souci d'avoir de l'or ou de l'argent dans votre bourse. Ne préparez ni sac pour le chemin, ni souliers, ni baton... ne vous mettez point en peine comment vous parlerez. Lorsque quelqu'un ne voudra point vous recevoir, sortez de la maison ou de la ville en secouant la poussière de vos pieds... Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups... Ils vous feront comparaître dans leurs assemblées, ils vous feront fouetter dans leurs synagogues, et vous serez persécutés à cause de moi. (Matth. x, 9 seq.; Luc. ix, 1-5; Marc. vi, 7-11.) C'est ainsi que vous rendrez témoignage au Crucifié dans Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. (Act. 1, 8.) Allez donc de la sorte dans tout l'univers prêcher l'Evangile à toute créature, et assurez-vous que moi qui n'en vais, et que vous ne verrez plus, je suis néanmoins avec vous jusqu'à la fin du monde.» (Matth. xxvi, 19, 20.)

Il n'y a rien qui ne soit littéralement vrai dans ce fait... C'est au grand jour, e'est de l'orient à l'occident, c'est de fond en comble que le christianisme envahit le monde païen et le dissout en le pénétrant. C'est là l'histoire, la grande histoire, toute l'histoire, à partir du premier siècle. Alors s'élevèrent du pied des trônes des Césars, et face à face avec leur puissance, ces grandes voix des apologistes chrétiens, si pleines de raison, de calme, de dignité, de conscience, de liberté. Ces premiers accents de la raison chrétienne, de la pure raison et du droit, dont nous jouissons aujourd'hui și complétement que nous en oublions la source, s'adressant pour la première fois à la force et lui opposant une puissance spirituelle sur laquelle elle ne peut rien, sont doux à l'âme; et il est sublime, ce combat où « On croit rêver et être dupe d'un délire chaque coup porté au christianisme est un moqueur, lorsque, abstraction faite de la dicoup reçu par le paganisme, où la vérité use vinité de Jésus-Christ, de sa résurrection la violence et plane invincible au-dessus des véritable et de la descente de son Esprit, on chevalets! Surpris d'une résistance qu'il n'aassiste à ce complot ourdi ainsi par douze vait encore jamais rencontrée, jamais imahommes de néant contre l'univers. On ne ginée, et ne comprenant rien au principe sait que renvoyer le plus loin, ou de la folie qui la nourrissait, le colosse romain devint de l'entreprise ou de l'extravagance des furieux. Il souleva toutes ses forces, ces moyens. Et on admire ce parfait rebut de mêmes forces par lesquelles il avait conquis toute prudence humaine avec lequel l'Au- le monde et se le tenait asservi, et enveloppa teur du christianisme a conçu d'atteindre à le christianisme d'appareils de mort. Il avait ce qu'il y eut jamais de plus gigantesque, par tout ce qui assure le triomphe dans l'ordre ce qu'il y eut jamais de plus infime, et de re- des choses humaines : la force, la séduction, faire tout avec rien: c'est le choix de l'im- l'opinion, la vraisemblance; tout, si ce n'est possible, c'est-à-dire que c'est le jeu d'un la vérité (13). Pendant que les magistrats défou, si ce n'est celui d'un Dieu : à l'événement crétaient la mort des Chrétiens, ceux-ci n'ade le décider. vaient d'encouragement et de refuge nulle part sur la terre ni dans la pitié du peuple qui, avide de spectacles de sang, applaudissait à leur supplice et les y poussait; ni dans l'opinion des sages et des philosophes, qui, jaloux de leur vertu et offusqués de leur doctrine, les raillaient; ni dans la révolte et

« J'en appelle sans crainte à toute raison assez libre de préjugés pour voir la chose en elle-même; n'est-ce pas ainsi que se présente l'entreprise de l'établissement du christianisme? Et si l'issue nous en était inconnue, ne consentirions-nous pas à voir

(13) Barthélemy raconte ainsi l'établissement de
saint Pierre à Rome, qui devint, par cela même, le
centre du christianisme :
En ces lieux

Vint un pêcheur obscur; aux flots de Césarée
Il laissa les débris de sa barque égarée;
Il marcha bien longtemps, solitaire piéton,
La croix dans une main, et dans l'autre un bâton:
L'âge et la pénitence avaient courbé sa taille.
Seul, il défia Rome, et lui livra bataille!

:

Et cette Rome avait un empereur puissant,
Qui, dans ses doux loisirs, jouait avec du sang;
Et des soldats si forts que, d'un seul coup de lance
A l'univers mutin ils imposaient silence.
Eh bien! comme l'épi sous la main du faucheur,
Tout Rome s'écroula quand parut ce pêcheur,
Les dieux prirent la fuite: un évêque sans glaive
S'installa sur la place où Saint-Pierre s'élève,
Et ce fut un mystère à donner des frissons,
A briзer notre corps et notre âme... Pensons!

la défense naturelle à laquelle, par principe d'ordre, ils n'auraient jamais recouru, ni enfin dans la nécessité et le désespoir, ces derniers stimulants du courage, puisque toutes les portes de la vie et de la société, avec ses honneurs et ses plaisirs, leur étaient ouvertes, et que jusqu'à leur dernier soupir il ne tenait qu'à eux d'y rentrer. Méconnus, calomniés, méprisés, abandonnés, repoussés de la terre entière, subissant mille morts dans une seule mort, et, jusque dans le fort des plus affreux supplices, libres de vivre, sollicités de vivre, les Chrétiens de tout rang, de tout âge, de tout sexe mouraient... Et c'est ainsi que le christianisme acheva de vainere, et qu'après trois siècles de cette affreuse lutte il n'y eut plus... que des Chré

tiens.

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Cela est déjà réfuté d'avance par ce que nous venons de dire.

Nous avons montré, en effet, que le christianisme n'aurait pu s'établir comme il l'a fait sans l'assistance divine. Or, Dieu ne pourrait aider de son assistance l'établissement d'une religion qui viendrait détruire celle qu'il a établie dans le monde. Ce serait se contredire lui-même et se combattre en quelque sorte. Il est vrai qu'il a établi le christianisme qui venait remplacer le judaïsme, mais cela était prédit; en sorte qu'il n'a fait, par là, que réaliser ses promesses, tandis qu'il y serait positivement infidèle, contraire même, s'il établissait une autre religion actuellement.

L'épreuve, du reste, a été faite déjà, et même de nos jours encore; a-t-elle réussi? Bien loin de là. Qui n'a entendu parler des saint-simoniens, des icariens? Que sont-ils devenus? Il n'a pas été nécessaire de s'armer du glaive de la persécution pour les combattre, de susciter à leur établissement d'obstacles bien difficiles. Après quelques jours d'existence, ils sont tombés sous les coups de la risée publique, et plus encore de leurs propres passions.

Il est des sectes qui ont eu plus de succès,

(14) J.-J. Rousseau lui-même l'expose ainsi Après la mort de Jésus-Christ, douze pauvres pêcheurs et artisans entreprirent d'instruire et de convertir le monde. Leur méthode était simple : ils prêchaient sans art, mais avec un cœur pénétré ; et de tous les miracles dont Dieu honorait leur foi, le plus frappant était la sainteté de leur vie. Leurs disciples suivirent cet exemple, et le succès fut prodigieux. Les prêtres païens alarmés firent entendre anx princes que l'Etat était perdu, parce que les offrandes diminuaient; les philosophes, qui ne trou

il est vrai. Par exemple, le mahométisme et le protestantisme. Mais, outre que ce succès s'explique naturellement par les passions que ces sectes ont flattées, puisque le mahométisme était tout favorable au sensualisme, et le protestantisme à l'indépendance, où en sont-elles aujourd'hui? Si le mahométisme n'est pas encore enterré, il est bien mort assurément; le protestantisme s'en va en lambeaux, et tout ce qu'il y a de vital en lui se hâte de rentrer dans le sein de l'Eglise catholique.

Il en sera de même de celles qui viendront après, avez-vous dit.

Mais cela ne peut avoir lieu qu'autant que le christianisme périrait et céderait la place qu'il occupe dans le monde. Or, quelles preuves avez-vous de la destruction de cette religion si miraculeusement établie? N'avons-nous pas, au contraire, les preuves les plus irrécusables de sa conservation? Avez-vous oublié les promesses de Notre-Seigneur à ses apôtres, et particulièrement à saint Pierre? Avez-vous oublié les triomphes qu'elle a remportés en tout temps et en tout lien, par suite de ces infaillibles promesses?

Ecoutez de quelle manière un publiciste de talent, M. Eugène Robin, a rendu l'impression que doit faire éprouver à tout homme qui ouvre les yeux, le grand fait de la perpétuité du pouvoir catholique au milieu des ruines de toutes choses:

« Un homme d'esprit et de cœur dit un jour devant moi (j'étais encore enfant alors): Aujourd'hui, il n'y a rien au monde de fixe et de stable à quoi l'on puisse rattacher sa vie. Les idées et les rois passent; tout se déplace, tout s'use avec une dévorante rapidité. La société change dix fois de face entre le berceau et la tombe d'un mortel. En vérité, au milieu de cette versatilité des choses, il n'y a qu'une ville et qu'un homme qui, par leur immobilité dans l'océan du temps, présentent à notre esprit une image de suite et de perpétuité, Rome et le Pape. Trouvez-moi, pour ceux qui sont las d'errer à la merci de tous les vents et qui demandent à la vie le calme de l'éternité, un refuge assuré où chercher un abri, un port toujours ouvert où amarrer leur barque, si ce n'est ce rocher plus haut que toutes les tempêtes, Rome et la papauté!

« Cette parole, jetée sans prétention au milieu d'une causerie tour à tour frivole et sérieuse, est tombée en moi et y est demeurée depuis, tant elle avait frappé mon imagination. En effet, pour les cœurs indifférents ou distraits, pour les esprits irré

vaient pas leur compte dans une religion qui prêche l'humilité, se joignirent à leurs prêtres. Les railleries et les injures pleuvaient de toutes parts sur la nouvelle secte, les persécutions s'élevèrent, et les persécuteurs ne firent qu'accélérer le progrès de cette religion qu'ils voulaient étouffer. Tous les Chrétiens couraient au martyre, tous les peuples couraient au baptême l'histoire de ces premiers temps est un prodige continuel. (Réponse au rai de Pologne.)

solus ou ceux que retient la honte d'avouer leur erreur, pour l'incrédulité systématique, pour les convictions les plus rebelles, pour tous tant que nous sommes enfin, ainsi égarés dans les ténèbres du doute, n'est-ce pas un spectacle capable de réveiller le sentiment croyant endormi ou étouffé en nous, que cette formidable immutabilité où le temps, la guerre, la torture, le mépris, se sont brisé le front; que cette fixité d'un seul point au milieu de tout ce qui passe; que cette lumière traversée par le souffle de toutes les tempêtes, qu'aucun souffle n'éteint; que cette foi toute mystique, toute in matérielle, qui éclate surtout aux regards de l'humanité par l'évidence d'un fait matériel unique dans l'histoire du monde?

« Je ne sais à qui l'on doit cette spirituelle boutade: Rien n'est absurde comme un fait. Oui, le fait de la veille que contredit le fait du lendemain, le fait éclos par hasard dans le travail quotidien d'un peuple que dément l'idée spéculative sortie du cerveau isolé d'un homme, le fait qui se hâte de se placer derrière le fait pour prouver quelque chose, et dont un choc imprévu jette à bas les rangs à grand'peine alignés.

Mais un fait comme celui-ci : L'apostolat confié par le Christ il y a dix-huit cents ans à l'un de ses disciples, s'est perpétué de Pape en Pape jusqu'à nos jours; pouvoir dire cela, et être sûr qu'on le dira demain, cela doit bien signifier quelque chose (15). Et si l'on songe que, depuis le jour où cette parole a été prononcée en Judée, la barbarie, le schisme, la réforme, la philosophie, se sont rués tour à tour, la torche et le fer à la main, sur le siége occupé par le même apôtre, continué dans mille vies; que Rome, Ja ville éternelle des temps modernes, comme elle l'était des temps antiques, a été prise, reprise, occupée, saccagée par tous les déaux venus de l'Orient et de l'Occident; qu'il n'y a pas plus de trois siècles, des soldats ivres, conduits par un renégal, y sont entrés au nom de Luther; qu'il n'y a pas trente aus qu'un empereur, son souverain par la conquête, lui envoyait un préfet, comme faisaient ceux de Constantinople, dans les premiers temps de ses Pontifes; ob! alors le fait grandit à la taille de l'idée, devient immense comme le dogme; et, quoi qu'on en ait, il faut bien, je le répète, que ce fait signifie quelque chose.

• C'est en vain que nous voudrions dé-tourner les yeux de cette prodigieuse image de perpétuité. Nous qui sommes venus après les plus grandes persécutions que Rome ait essuyées depuis les siècles des martyrs, nous sommes forcés de nous dire : Sans doute les promesses des temps s'accompliront. Le rêve de la philosophie était d'abattre la Papauté, parce qu'elle comprenait que là est la tête, là est le cœur du catholicisme, et que, s'il pouvait mourir, c'était à cette tête et à

(15) C'est le cas d'appliquer cette autre boutade qui vaut bien la première : Rien n'est cutêté comme un fais.

ce cœur qu'il fallait viser; car la Papauté et le christianisme même sont inséparables à ce point, que la réforme n'existe qu'à la condition d'entretenir sans cesse le souvenir de sa rébellion, et que sa foi, fondée sur la défiance, ne retrouve un peu de cette vitalité qui lui manque qu'en s'excitant à la baine de ce qu'elle a nommé le Papisme. La durée de la Papauté était donc pour nos pères toute la question d'avenir. Dix-huit cents ans sont de belle haleine sans doute dans le cours des choses; mais, la Papauté détruite, la philosophie gagnait son procès, qui était de prouver qu'elle n'avait jamais existé qu'à l'aide de l'ignorance et de la barbarie. La révolution est venue, elle savait le mot d'ordre: elle a visé au cœur; elle a traîné le Pape dans l'exil, il y est mort! Un autre Pape lui a succédé, la chaîne de perpétuité ne s'est pas plus rompue qu'elle ne s'était brisée aux jours les plus mauvais de la vie du catholicisme. Maintenant la philosophie a fait son temps. Les destructeurs dorment dans le passé à côté de Luther, l'Encyclopédie, la république, et l'empire (16). Rome est toujours debout, et à ce centre de la chrétienté, déchirée par les ravages de l'incrédulité et de l'indifférence, il y a un Pape, comme ily en avait un sous Néron, alors que le christianisme naissant était déchiré dans le cirque par les bêtes féroces.

« Autour de cette miraculeuse continuité, l'Europe a changé trois fois de face; l'antiquité s'est éteinte, le moyen âge est mort. Trois empires, celui de Charlemagne, celui de Charles-Quint, celui de Napoléon, se sont élevés et ont disparu. Des nations ont brillé qui ne sont plus. Un monde découvert est échu en partage à la puissance temporelle et et à la puissance spirituelle; celle-ci seule a gardé sa part. Tout a fait son temps, idées, peuples et empires. Rome seule est restée debout; le Pape seul est resté. Il y a dans ce fait, je ne saurais trop le répéter, quelque chose qui vaut bien la peine qu'on y rélléchisse un peu.

«Mais nous sommes dans un temps où l'on a inventé, à l'usage des partis, une logique habile qui sait nier l'évidence. Les vieilles haines contre Rome ne sont pas mortes dans nos cœurs révolutionnaires. Les pères ont cru avoir régénéré le monde, et les fils, qui ont accepté leur grandeur, ne peuvent s'accoutumer à cette idée, qui élève le catholi cisme à leurs yeux aux dépens de la gloire fugitive dont ils s'enorgueillissent; que la Papauté, de son inexpugnable hauteur, aurait contemplé, avec un regard plein d'une tendre commisération et d'une certitude entière dans les promesses divines, nos terribles révoltes, nos puissants enfantements, nos incendies allumés à tous les coins du monde, le sang versé à faire bondir le cœur, ce fracas d'empires et de rois tombés à confondre l'esprit, tout cela comme un vieux

(16) L'empire est revenu; mais, & prodige! aucun gouvernement n'a rendu un plus sincere et plus écla tant hommage que lui à la papauté.

marin regarde de la piage la lutte des éléments, assuré qu'il est, par les signes qu'il a vus dans le ciel, que demain tout ce grand bruit aura cessé, et que l'Océan débordé rentrera dans ses abîmes.

འ Notre orgueil ne saurait consentir sans violence à cette domination d'une pensée immuable, éternelle, sur la terrible pensée de notre histoire d'hier; et si nous ne pouvons nier que le rocher ne soit resté debout, que la lumière du phare ne se soit pas éteinte, Landis que notre révolution lassée ne laisse plus échapper que de sourds grondements, nous nous en consolons en songeant que le rocher s'éloigne toujours de nous, par cela seul que nous marchons en avant, et qu'il est un point immobile; qu'emportés par le mouvement irrésistible du progrès, comme si ce mouvement qui pousse l'humanité n'avait commencé que d'hier, nous irons si loin que nous finirons bien par échapper à la sévérité de ce grand œil ouvert sur nous depuis dix-huit siècles.

Aveuglement de l'orgueil ! Un humble prêtre (M. Lacordaire), qui fut l'ami et le compagnon de Lamennais, mais qu'une vaine gloire n'a pas précipité, comme lui, dans un abime sans fond, vient d'élever son éloquente voix, et il vous répond: Non, quoi que vous fassiez, vous qui ne voulez point reconnaltre ce qui a été et ce qui sera, vous avez beau marcher en avant, vous jeter à perte d'haleine dans les voies infinies de l'avenir; ce calme regard, qui plane sur votre présent comme il a plané sur votre passé, vous poursuivra toujours, partout, jusqu'aux derniers horizons de l'éternité; car cette lumière, que rous croyez pouvoir fuir, parce qu'elle est fixe, est immobile et mobile à la fois. Où que vous alliez, elle est toujours parmi vous, votre centre, votre milieu; elle est comme le

soleil, dont on ne saurait s'éloigner a un seul pas, eût-on la vitesse du vent, et l'infini du désert devant soi. Vous croyez que la Papauté sommeille, qu'elle s'endort dans le passé, grande comme la fosse d'un géant, par la grandeur de ce qu'on lui a ôté. Vous vous trompez: elle a toujours présidé aux affaires du siècle, elle y préside encore, elle est toujours debout, agissante, prête à lier et à délier. Aujourd'hui que nous acceptons toutes les gloires du passé, les esprits les plus sages ont reconnu les bien faits que lui doit l'humanité. Vous savez ce qu'elle a fait : voyez ce qu'elle fait mainte

nant !»

Pour nous résumer donc, d'après l'expérience la plus décisive, comme d'après la promesse de son divin fondateur, le fondement sur lequel repose le christianisme est indestructible. D'où il suit que cette religion est elle-même impérissable, et que vous êtes complétement dans le faux, quand vous affirmez qu'elle sera remplacée par d'autres dont l'établissement aura le même succès que le sien propre.

Au lieu donc de dire que le christianisme s'est établi naturellement et facilement sur les ruines des religions qui l'ont précédé, et qu'il en sera de même de celles qui viendront après, dites plutôt, sans craindre de vous tromper, car alors vous aurez pour vous la parole de la vérité mêine et l'expé rience des siècles: cette religion s'est établie miraculeusement sur les ruines de toutes celles qui l'avaient précédée, et elle n'a cessé depuis de s'y maintenir. Ce colosse divin couvre aujourd'hui le monde, et tout ce qui viendra s'y heurter ne manquera pas, comme précédemment, de se briser et de périr: Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et porte inferi non prævalebunt adversus eam. (Matth. xvi, 18.)

CIEL.

Objections. Le ciel est sur la terre.- Le ciel, c'est l'argent, c'est la gloire, c'est le plaisir, c'est ce qui est agréable à chacun. -Qu'est-ce que la religion peut nous offrir de préférable?

Réponse. L'homme est né pour le honheur: tous en conviennent; et j'ajouterai qu'il est né pour un bonheur parfait; car dès que chacun a trouvé l'objet qu'il croyait capable de le satisfaire, trompé bientôt dans son espérance, il le rejette avec dégoût, pour courir après un autre objet, qu'il ne tarde pas à trouver défectueux également, et à rejeter avec le même dégoût. Un tel bonheur ne se trouvant point ici-bas, la religion nous apprend que nous n'avons d'espoir de le trouver que dans le ciel. Mais, comme il y en a qui ne veulent point écouter la religion, ni faire surtout ce qu'elle nous commande: Le ciel est sur la terre, disent-ils.

Le ciel est sur la terre! Et comment se faitil donc que jamais personne n'ait pu y rencontrer le bonheur? Comment se fait-il qu'on n'y trouve, au contraire, que travail, misère et souffrance ?

Le ciel est sur la terre! quelle cruelle ironie! oui, il est sur la terre, comme il est au lieu d'exil, au bagne, à l'hospice. Car, qu'estco la terre, si ce n'est tout cela, un peu en grand?

Vous allez me dire peut-être que c'est la faute de l'humanité dégradée.

Eh bien! rêveurs, séparez-vous de cette humanité dégradée; faites bande à part; et pourtant je pourrais vous demander ici comment il se fait que le bonheur que vous dites être sur la terre ne s'y trouve pas à la portée de tous mais passons sur cette petite difficulté; séparez-vous donc, ai-je dit; faites votre choix; allez loin, bien loin, dans le lieu le plus propre à réaliser vos espérances, et vous nous donnerez de vos nouvelles... Hélas! nous n'avons pas attendu longtemps le résultat de l'épreuve. Votre terre promise a dévoré ses habitants; ou, plutôt, elle n'a pas eu besoin de le faire, car, à peine réunis, Vous vous êtes pris à vous dévorer vousmêmes les uns les autres. Tout le monde connaît l'histoire de Cabet et de ceux qui ont eu le malheur de l'écouter, et de le suivre.

Le ciel est sur la terre! mais non, car nous

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