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manque-t-il donc, de quelque côté que vous l'envisagiez! Que lui manque-t-il par exemple sous le rapport de la vertu? Fait-il défaut, en aucune circonstance, à l'Eglise, à la patrie, aux individus? A quel genre de bonnes œuvres reste-t-il étranger? Que n'entreprend-il pas lui-même? Les maux sans nombre qui affligent l'humanité peuvent-ils se montrer en aucun lieu et sous aucune forme qu'il ne soit prêt à les combattre? Son zèle n'aurait-il pas plutôt besoin d'être modéré qu'excité?

J'en dirai volontiers autant sous le rapport de la science, de celle sortout qu'il doit posséder. Quel corps que l'épiscopat français ! Quel autre lui est supérieur, et je dirai même comparable! Et, parmi ses curés, comme parmi ses religieux, comme parmi ses prêtres libres,! que de science encore, inalgré la modestie de la position! Voulez. vous que nous citions quelques noms pro pres?

Quels orateurs que les Lacordaire, les Ravignan, les Félix, les Deplace, les Combalot et tant d'autres moins connus comme orateurs, parce que chez eux le feu de l'éloquence est venu se confondre avec celui du zèle. Quelle plume que celle du malheureux Tertullien des temps modernes ! Queile plume encore que celle des Giraud, des Parisis, des Gerbet, des Berthaud, des Gratry, des Dupanloup ! Quand ce dernier fut reçu à l'Académie française, son éloquente parole se trouva tout naturellement à la hauteur des paroles les plus éloquentes. Quoi qu'on attendit beaucoup, l'événement surpassa encore l'attente générale. Il en serait ainsi d'un grand nombre d'ecclésiastiques français, j'en suis convaincu. Aussi, quand celui dont nous parlons fit à l'empereur sa visite d'usage, le prince, juste appréciateur du mérite, adressa-t-il aux académiciens qui le académiciens qui le présentaient cette phrase non moins vraie que délicate: Messieurs, quand vous avez tourné vos regards du côté du clergé, vous n'avez en que l'embarras du choix. »

Ecoutons actuellement, sur le sujet que nous venons de traiter, un simple laïque, mais un laïque plus dévoué au clergé qu'aucun de ses membres, et dont la plume remarquable n'a qu'un défaut, celui d'une trop grande force.

« L'art ou le don des ennemis du clergé, »> s'écrie-t-il, lorsqu'ils touchent aux questions religieuses, est de se tenir si complétement en dehors du vrai, qu'un traité serait nécessaire pour les redresser sur chacune des idées qu'ils effleurent. Un scélérat, prêt à rejeter sa robe sainte, la souille d'un forfait jusqu'alors sans exemple, ceux dont nous parlons insinuent qu'il y a dans le clergé bien d'autres gens de cette espèce, et cela par une conséquence même de l'éducation du clergé : ils n'assassinent pas, mais ils corrompent, ils pervertissent les esprits et Jes cours qu'ils ont mission d'éclairer. Jetons un rapide coup d'œil sur ce clergé que l'on traite ainsi. Voyons ce qu'il est, quelles œuvres il fait dans la société devant qui on

l'outrage. Le tableau tout entier serait immense. Quelques traits suffiront pour marquer combien une seule goutte de l'encre de ses ennemis peut maculer de vertus.

« Le clergé actuel est né du martyre. Rappelons-nous la destruction totale de l'Eglise en France, à la fin du siècle dernier. Le berceau des hommes qui gouvernent aujourd'hui l'Eglise a flotté sur les ruines des autels submergés du sang des prêtres. Lorsqu'on se représente cette spoliation etce massacre préparés par de si savantes injures, accomplis par de si persévérantes atrocités; et lorsqn'en même temps on voit, après un demisiècle, la famille sacerdotale si nombreuse, si féconde en œuvres, si forte en vertus, l'esprit s'incline devant Dieu, reconnaissant là sa main et sa miséricorde. A mesure que l'on entre dans les détails de cette merveilleuse résurrection, l'admiration augmente, et l'on prend aussi une idée plus haute de

la France.

Il plaît aux ennemis du clergé de le représenter comme une sorte de caste étrangère à la France, parce qu'il relève de ce Père de la famille catholique que certains hommes d'Etat ont appelé un souverain étranger. Le prêtre français est étranger comme le paysan, son père, et comme le soldat, son frère. Par le sang, par les idées, par les doctrines, il n'y a rien de plus anciennement et de plus profondément national. Ce qui est vraiment étranger en France, c'est ce qui renie la foi des aïeux, c'est ce qui n'est pas catholique. Hérétique ou incrédule, on prend racine ailleurs que dans le sol sacré de saint Remi et de saint Louis, on se dénationalise, on est Anglais ou Allemand, on appartient à la révolution qui n'a pas de patrie.

a Donc le peuple, après la destruction révolutionnaire, répondant à un miracle de confiance par un miracle de foi, donne ses fils à l'Eglise ; et dans toute la France l'autel se relève et le prêtre remonte à l'aute! Mais l'épreuve n'est pas tinie. A mesure que les vocations sacerdotales sont plus nombreuses, l'esprit antichrétien s'irrite. Par l'administration il multiplie les tracasseries et les entraves; par la littérature il multiplie les outrages. Sous la restauration pius bienveillante en apparence que l'empire, il y a la persécution subtile de la bureaucratie, l'assaut continuel de la presse.

« Les articles organiques, les chansons, les romans, les pamphlets, les journaux ne suffisent pas, et l'on ressuscite Voltaire : les vocations se multiplient ! on contraint le gouvernement à frapper la Compagnie de Jésus; on crée contre l'Eglise, contre le sacerdoce, contre le christianisme un inferna! torrent de haine : le peuple fournit toujours des prêtres! Lo torrent grossit, emporte le trône, et bientôt se décharge sur l'Eglise : Saint-Germain l'Auxerrois et l'archevêché sont pillés, les croix sont abattues et jetées à l'égoût, l'habit ecclésiastique est proscrit dans la capitale de la liberté et de la civilisation le recrutement du sacerdoce, à peine

:

ralenti, s'il l'a été, reprend bientôt sa marche ascendante, et enfin les cadres sont presque remplis sous le règne de Louis-Philippe, pendant que l'impiété dirige contre la religion une guerre d'écrits et de discours des plus acharnés. Cette période voit la naissance de la Propagation de la Foi, aussi fondée dans le sein du peuple, et les missions chez les sauvages et chez les infidèles prennent leur magnifique essor. Le peuple qui donne ces apôtres dont la vie héroïque se termine par le martyre, fait encore une liste civile à l'apostolat. Le clergé français a peut-être des supérieurs quant à la science et des égaux quant à la vertu ; il marche à la tête de la grande famille sacerdotale catholique par le nombre des vocations à l'apostolat et au martyre. Cette gloire nous élèvera plus haut dans l'estime du monde que toutes celles dont les ennemis de l'Eglise se font de préférence les hérauts.

« Ainsi, en cinquante ans, voilà ce que la Providence a fait, et comment le clergé français a repris naissance du pied des échafauds, a rempli les postes vidés par la proscription la plus implacable, a jeté des éclaireurs de la civilisation chrétienne au sein des contrées du monde les plus rudes et les plus éloignées. Dans les sables, dans les neiges, chez les païens, chez les idolâtres, parmi les sauvages, il a des représentants, des frères de son sang et de sa langue. I pénètre où la force européenne recule encore, où l'avidité du négoce n'ose pas s'aventurer. Dès qu'une terre est découverte, il y a un prêtre français qui en prend possession pour Jésus-Christ, presque toujours au prix du martyre. Récemment, nos vaisseaux s'avançant dans les mers périlleuses de l'Océanie, y ont porté plus loin le drapeau de la France. La croix, la croix catholique et française les avait précédés. Elle les attendait sur cette terre inconnue, et avec elle la prière et l'amour de la patrie.

Lorsque l'histoire jugera les temps où nous vivons, leurs continuels orages et leurs perpétuels avortements, elle rabattra beaucoup de la vanité qu'ils nous inspirent; bien des glorieux feront triste figure, bien des gloires n'obtiendront pas même la mention du mépris. Siècle de révolutions, de partage, d'é. critures, de pacotilles, de choses manquées. Mais cette renaissance de l'Eglise décapitée et abolie, mais cette moisson sacerdotale couronnant en moins d'un demi-siècle un si vaste entassement de ruines, mais cette fécondité de la foi populaire produisant un clergé si nombreux dans des conditions ma térielles si rebutantes, voilà notre honneur et l'admiration de ceux qui viendront après nous; voilà l'œuvre de Dieu par le grand cœur du peuple de France; voilà ce qui restera quand les papiers de toute sorte seront dévorés par le feu ou emportés par le vent; voilà enfin ce qui sauvera la civilisation, ou du moins ce qui saura combattre et périr pour elle. On ne fait pas monter l'Eglise dans un fiacre, on ne l'enferme pas dans une prison, on ne lui défend pas de parler,

on ne lui donne pas le jeu de la bourse pour la consoler de son silence, et de même qu'il est impossible de l'engager dans une sédition ni dans une intrigue, on ne parvient pas à la faire glisser dans une apostasie. Elle souffre, elle résiste, elle lutte. Tant qu'elle n'a pas succombé, la société peut vivre

encore.

« Ce simple exposé répond aux réflexions des ennemis du clergé sur l'insuffisance de l'instruction sacerdotale, où ils voient la source des plus grands maux et même des plus grands crimes. Si l'instruction sacerdotale est restée imparfaite, ce qui n'est, après tout, qu'un inconvénient, il est au moins certain que l'éducation sacerdotale n'a pas manqué son but essentiel et salutaire. En cinquante ans, malgré des obstacles sans nombre, elle a relevé, elle a créé à elle seule la principale, peut-être l'unique force sociale que nous possédions; elle a formé des millions et des millions d'hommes d'une trempe évidemment supérieure, qui, bravant les séductions également redoutables de la fortune et de la pauvreté, ont fait leur ambition de mépriser tous les avantages du monde pour se dévouer au salut d'une société dont les chefs prenaient à tâche de les accabler d'ingratitude et de mépris. Et ces hommes obscurs et maltraités ont vaincu ces chefs arrogants. Ils les ont vaincus, puisqu'enfin la société est chrétienne et catholique, fidèle à Jésus-Christ, au vicaire de Jésus-Christ, dont on voulait les séparer. Leurs armes ont été la fuite du péché, la patience et l'obstination dans le dévouement à Dieu et aux hommes. Vieilles armes, éprouvées depuis dix-huit cents ans : Deponentes omne pondus, circumstans nos peccatum, per patientiam curramus ad propositum nobis ceriamen. (Hebr. xII, 1.) Leur labarum, tiré des catacombes, se dresse partout, et l'on n'y peut toucher sans que le monde vacille. L'existence de la société est un autre témoignage de leur victoire. En effet, la société n'a pu résister à ses délires que par la force des dictames divins dont ils sont les dispensateurs.

« Qui voudra réfléchir avouera que l'éducation ecclésiastique a été donnée saine et sainte dans ces écoles austères, objet à la fois de tant de mépris et de tant de terreurs, autour desquelles l'esprit antichrétien n'a cessé de dresser mille obstacles, pour empêcher le dévouement d'y entrer et la lumière d'en sortir.

« Si l'instruction n'a pas été tout d'abord au niveau de l'éducation, à qui la faute? Qui donc, après avoir multiplié les ruines, s'est opposé inexorablement aux restaurations? Qui donc, après avoir pillé les bibliothèques, dissous les écoles, tué, dispersé ou séduit les maîtres, a ensuite forgé des règlements et des lois pour rendre l'accès des hautes études difficile et impossible au clergé? Qui a prolongé la proscription des ordres religieux? Qui a mis tout en œuvre pour séparer nos Eglises de l'Eglise mère et maîtresse, en qui la science réside comme

l'autorité? y a de l'impudence a provoquer qe pareilles questions. L'étouffement de la science de l'Eglise et des sciences dans l'Eglise a toujours été l'œuvre préférée des passions des ennemis du clergé. Leur tactique est connue elles accusent le clergé d'ignorance et font l'impossible pour qu'il soit ignorant. Grâce à Dieu, le succès n'a point répondu aux immenses ressources et à la persévérante iniquité de l'entreprise.

«L'effroyable quantité des vides à combler, jointe aux causes que nous venons d'indiquer, n'a pu arrêter les études, mais en a retardé les progrès et l'éclat. Il fallait d'abord songer aux besoins du service actif, munir les paroisses, faire le catéchisme, administrer les sacrements. Aux yeux des impies, tout cela peut n'être pas nécessaire, mais c'est avec tout cela, et non pas avec de la littérature, que l'on fait des Chrétiens. Peu de fidèles ont besoin que leur curé soit en état de soutenir avec distinction une thèse philosophique; tous les fidèles ont besoin de la Messe. Il faut que les vérités de la foi soient enseignées, que les mariages soient bénits, les enfants baptisés, les pécheurs réconciliés, les mourants assistés. Voilà le nécessaire ou plutôt l'indispensable. Il y a été pourvu, et la France est restée ou redeveDue chrétienne, ce qui est la première des sciences et le plus grand des biens.

«Quel bon marché feraient ces messieurs, même au point de vue de la science humaine, s'ils pouvaient échanger la partie conjecturale de leur bagage contre les lumières du plus plus humble cure de campagne, et vérifier le reste à ce flambeau. Ils s'intitulent les maîtres de la science, et nous-mêmes, qui gémissons de leur aveuglement, nous leur donnerons, par une politesse malheureuse, ce titre dont leur orgueil se targue contre Dieu. Mais quelle est la valeur de la science qui s'éloigne de la foi, qui se préfère à la foi, qui méprise la foi? Que savent ces savants de si certain, de si précieux et qui doive tant nous humilier? Le pied sur le brin d'herbe, dont ils ont analysé la composition chimique, ils regardent fièrement les astres, dont ils ont évalué le nombre et mesuré la course. Mais la main qui forma le brin d'herbe et créa l'étoile, où ils ne la voient pas ou ils ne l'adorent pas. Ils ne savent pas que Dieu a fait un ouvrage plus beau que ce monde, et qu'il nous a donné son Fils unique; ils ne savent pas que leur me ne sera sauvée et ne verra Dieu que par Jésus-Christ; ils ignorent Dieu et ce qu'ils doivent à Dieu; ils ne se connaissent pas eux-mêmes. D'où sont-ils, que font-ils, où vont-ils? Cela même ne les occupe pas. Ils vivent là-dessus dans un abrutissement véritable. Et ce sont des amants de la science, des gens qui vivent pour savoir !

« Quels sont les organes où se forme le venin de la vipère et quels sont les articles organiques du concordat, combien une arai

gnée a de paltes et combien tel livre a eu d'éditions, comment se fait le travail de la digestion dans l'estomac du ver et à quel endroit précis Alexandre a passé le Granique, ils le savent. Comment l'âme de l'homme se souille ou se régénère, comment elle descend dans l'abîme, et comment elle remonte vers Dieu, ils ne le savent pas ; et si l'homme a une âme, ils en doutent ou ils le nient. Dans le corps humain, le scalpel de Broussais n'a pas trouvé le gîte de l'âme; ni dans les entrailles de la terre, ni dans les espaces du ciel, la pioche et le télescope de Humbolt n'ont reconnu la trace de Dieu. Voilà ces maîtres de la science qui ne sont pas les humbles disciples de la foi. Les prophètes les ont connus, et leur folie est la même depuis plus de deux mille ans : La science de tous ces hommes les rend imbéciles; leur ouvrage n'est que vanité, n'est qu'une illusion qui donne à rire. Au jour de sa colère, Dieu les visitera: ils périront (22).

<< Plus haute, plus sûre et plus nécessaire au monde est la science de Dieu, dont le même oracle nous dit que celui qui la possède et qui la médite, jour et nuit, sera comme l'arbre planté près du courant des eaux et qui donnera son fruit en son temps. (Psal. 1, 1 seq.) C'est la science du prêtre, et le monde en a vu les fruits. Est-ce à dire néanmoins que le clergé, qui possède exclu sivement ceite science sublime, n'en a point d'autre, et que les clartés inférieures de la science humaine lui sont à peu près aussi inconnues que les beautés de la science divine sont ignorées de nos savants? Cela se répète beaucoup, et, chose étrange, des catholiques et des prêtres même semblent disposés à le croire. Quant à nous, jamais nous n'avons remarqué que, pour la connaissance générale du latin, de la philosophie, de l'histoire et du français, le clergé fût inférieur à aucune autre classe de la société, et cette infériorité, si elle a existé un moment, est de moins en moins visible.

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« Si nous allons dans les campagnes, les curés peuvent assurément soutenir la comparaison avec les maires; et la maison de la commune où l'on est assuré de trouver des livres n'est pas celle du magistrat, ni celle du bourgeois, ni même le château : c'est le presbytère. Dans les bourgades et dans les villes, la mesure est la même; dans les cités les plus importantes, la même encore. En général, réserve faite des spécialités, le cabinet de l'évêque n'est pas un lieu de ténèbres comparé au cabinet du préfet, et il y a, pour l'ordinaire, autant d'humanité, tout au moins, dans le chapitre que dans le conseil de préfecture et dans le tribunal de première instance ou la Cour impériale. Si les ennemis du clergé veulent lire avec un peu d'attention les mandements de nos évêques, ils ne les trouveront pas inférieurs, pour la pureté du style, aux discours de nos académiciens; ils nous permettront d'en préférer la

(22) Stultus factus ut omnis homo a scientia... Vana sunt, et opus risu dignum; m tempore visitationis sa peribuni. (Jerem. x. 14.)

doctrine. Le clergé n'est pas obligé d'être mathématicien, physicien, etc. Toutefois, on pourrait lui citer encore tel prêtre à qui les maîtres de ces sciences ne refusent point leur hommage.

a L'archéologie sacrée, qui domine toutes les branches de la science de l'antiquité, a dans le clergé des maîtres incomparables. II y a sans doute des professeurs d'hébreu, de sanscrit, de chinois; mais c'est le clergé qui sait l'hébreu, le sanscrit, le chinois. L'abbé Rohrbacher, écrivain très-inférieur à M. Gui

zot, a beaucoup mieux enseigné l'histoire ; l'abbé Gorini. très-humble prêtre, dont personne ne parle, a redressé les plus fiers, et personne ne lui a répondu. Le R. P. Gratry est un philosophe qui sait écrire... Nous pourrions citer beaucoup d'autres noms, beaucoup d'autres faits, beaucoup d'autres œuvres. A quoi bon? et qui ne voit assez que ceux à qui nous répondons n'ont nul sujet de triompher dans ce combat, qui se livre d'ailleurs si loin et si fort au-dessus d'eux. » (Louis VEUILLOT.

CLOCHE.

Objections. Le son de lacloche est réellement assourdissant, et je ne sais pourquoi on en laisse emplir nos villes une partie du jour et quelquefois de la nuit. Vous dites que c'est pour appeler les hommes à la priè re; mais appelez à prier ceux qui en ont envie, et laissez les autres tranquilles. D'ailleurs, pour parler à l'homme, être vivant et animé, il faut une voix vivante aussi et animée. Or la voix de la cloche est stupide et sans conscience, a dit notre grand poëte. -Que signifie le baptême d'une cloche?

cnes ait produit aucun effet fâcheux sur les natures exceptionnellement impressionnables. Il les plonge, au contraire, dans une douce rêverie non moins agréable à l'artiste que la méditation religieuse au Chrétien. «Jamais je n'ai pu entendre le son d'une cloche, » disait Napoléon, « sans en éprouverje ne sais quelle impression indéfinissable. Je faisais quelquefois, dans le jardin des Tuileries, de longues promenades pendant lesquelles on me croyait bien occupé à former le plan de quelque nouvelle campagne en Europe. Point du tout, mon âme se berçait au son des cloches de la capitale. »

Réponse. Convenez que ce n'est point la cloche elle-même que vous avez envie d'attaquer, mais bien l'Eglise, dont la cloche n'est que la voix matérielle. Sans cela, n'est-il ce pas ? vous la laisseriez bien tranquille dans son clocher. Ce n'est donc point sa voix réellement qui vous importune; ou ce n'est elle que parce qu'elle en éveille une autre en vous, la voix de la conscience, qui vous reproche de ne pas remplir vos devoirs. Ecou tons cependant, et répondons, comme si vous Stiez de bonne foi.

Le son de la cloche est réellement assourdissant, dites-vous, et je ne sais pourquoi on en laisse emplie nos villes une partie du jour et quelquefois de la nuit.

Vous vous trompez; ou plu'ôt vous le savez aussi bien que nous, mais vous ne voulez pas en convenir: le son de la cloche n'est point assourdissant du tout. Ecoutez mon raisonnement là-dessus. Ou vous êtes Chrétien, ou non. Dans le premier cas, le son de la cloche n'est point assourdissant pour vous. Bien au contraire, il vous est très-utile, nécessaire même, puisqu'il sert à régler votre vie. Dans le second cas, ce n'est rien pour vous. Vous n'y faites pas plus d'attention, quand vous y êtes accoutumé, que vous ne faites attention à la pendule qui sonne à vos oreilles, à l'eau de la cascade qui tombe à quelques pas de vous, et que vous ne feriez attention au bruit des flots de la mer, si vous demeuriez dans une ville maritime.

Vous allez me dire peut-être que vous êtes d'une nature exceptionnellement impressionnable.

A cela je réponds d'abord que ce n'est point d'après les natures exceptionnelles que l'on se règle, quand il s'agit de ce qui regarde te public. J'ajoute ensuite que je n'ai jamais entendu dire que le son des clo

Le son de la cloche n'est donc point tel que vous le dites. Mais, quand bien même le serait, ce ne serait point une raison de l'empêcher, s'il a son utilité. Or, cette utilité est incontestable: c'est lui qui appelle les Chrétiens à la maison du Seigneur, pour y remplir leurs devoirs religieux, et se former à l'amour et à la pratique de tous leurs autres devoirs, c'est lui qui invite, en dehors même du temple, au recueillement, à la méditation et à la prière. Tantôt, il ouvre l'âme à une sainte allégresse; tantôt il la plonge dans une profonde et salutaire tristesse. C'est à la commémoration des fidèles trépassés, je suppose, ou c'est à la mort de quelque grand personnage, ou bien encore dans un deuil public. Le son des cloches a comme rempli la ville, ainsi que vous le disiez tout à l'heure, et il se répand au dehors: « Qu'estce donc?» se demande-t-on de tous côtés; et, sur la réponse qui est faite, chacun rentre en soi-même, et prend la résolution de mener une vie de plus en plus régulière.

Je n'ignore point ce qu'a dit Boileau à ce sujet :

Tandis que, dans les airs, mille cloches émues
D'un funèbre concert font retentir les nues.
Et, se mêlant au bruit de la grêle et des vents,
Pour honorer les morts font mourir les vivants.

Mais ce n'est là que de la poésie, et même de la poésie d'un critique que tout importune, même son ombre. En définitive, il ne s'agit ici ni de peinture, ni même de raisonnement; il ne s'agit que d'un fait que tout le monde est appelé à constater. Or, je le demande, qui meurt au bruit des cloches? Qui en est réellement importuné! Ou on ne s'en occupe point; ou, si on y songe sérieusement, c'est, comme nous venons de le dire, pour faire de salutaires réflexions, pour pra

tiquer toutes sortes de bonnes œuvres, qui, dans un temps ou dans un autre, ne se trouvent pas moins utiles à nous-mêmes qu'aux défunts.

Vous dites que c'est pour appeler les hommes à la prière, avez-vous ajouté; mais appelez à prier ceux qui en ont envie, et laissez les autres tranquilles.

Oui, le son de la cloche a principalement pour but d'appeler les hommes à la prière; mais il ne les appelle à la prière que pour les porter, ainsi que nous le disions tout à l'heure, à un accomplissement plus exact de tous leurs devoirs; car, d'une part, la prière leur fait prendre de bonnes résolutions, et, d'une autre part, elle leur obtient la grâce de les mettre à exécution. Ce but n'est-il pas assez grand, assez saint pour que l'Eglise, notre mère, emploie tous les moyens de l'obtenir.

Vous nous dites d'appeler à prier ceux qui en ont envie.

Ce sont eux aussi que nous appelons. C'est à eux principalement que cette voix s'adresse, et ce sont eux qui l'entendent. Voyez plutôt : Qui écouté et se recueille, quand la cloche sonne? Le fidèle. Qui se rend à l'Eglise, quand elle appelle aux saints offices? Le fidèle. L'impie y vient bien quelquefois, mais croyez-vous qu'il n'a point envie de prier? Croyez-vous que ce n'est point un besoin aussi pressant, plus pressant peut-être encore chez lui que chez le fidèle ? Vous connaîtriez bien mal, en ce cas, la nature humaine. Il n'a que trop souffert sur la terre, laissez-le donc s'élever un instant au ciel, pour commencer à y goûter le bonheur que Dieu a promis à ceux qui le servent.

Vous dites de laisser les autres tranquilles.

Je vous ai déjà répondu : la cloche ne les trouble guère. C'est pour eux comme la pendule qui sonne, comme l'eau de la cascade qui tombe, comme la mer qui gronde. Admettons qu'ils y fassent attention quelquefois. Est-ce une raison pour s'abstenir? Voyez un peu où nous conduirait l'idée que vous voudriez faire prévaloir: « Le son de cette cloche m'importune, dites-vous, qu'il cesse.» Un autre viendra qui dira: « Cette croix me trouble qu'on l'arrache. - Cette Cette église m'offusque, qu'on la démolisse.» Un troisième poussera plus loin la conséquence: « Cette prison. m'ennuie, qu'on la fasse disparaître. Ce tribunal me déplaît, qu'on le renverse, » etc., etc. Tout cela ne vous convient pas, pouvons-nous répondre à ces mécontents déraisonnables, ainsi qu'à vousmême; nous en sommes fâchés; mais cela convient aux personnes sensées, cela leur est utile, nécessaire, cela vous est également utile et nécessaire, comme vous serez les premiers à en convenir, quand vous serez revenus à de meilleurs sentiments. Donc, nous le conserverons.

Laissez les autres tranquilles - Mais c'est précisément pour qu'ils soient tranquilles que le son de cette cloche s'adresse aussi

à eux, s'ils veulent bien l'entendre. Il n'y a de paix pour l'homme ici-bas que dans l'exact accomplissement de ses devoirs; et cet accomplissement ne peut avoir lieu que par la religion, comme chacun est obligé d'en convenir. Vous refusez d'invoquer Dieu Eh bien ! soyez-en convaincu, au lieu de trouver la paix dans votre impiété, vous vivrez dans une continuelle inquiétude, et vous tremblerez alors même qu'il n'y aura pour vous aucun sujet de crainte. C'est l'Esprit-Saint lui-même qui l'a dit, et son divin oracle se trouve confirmé par l'expérience générale, et sans doute aussi par la vôtre: Deum non invocaverunt, illic trepidaverunt timore, ubi non erat timor. (Psal. LII, 6.)

D'ailleurs, remarquez-vous, pour parler à l'homme, être vivant et animé, il faut une voix vivante aussi et animée. Or, celle de la cloche est stupide et sans conscience, a dit notre grand poëte.

Je sais que notre grand poëte a dit cela, mais je sais aussi que s'il n'avait pas rapporté d'autres souvenirs d'Orient, il aurait beaucoup mieux fait de ne point y aller. Au milieu de toutes les belles choses que nous trouvons dans notre grand poëte, il y a bien aussi quelques sottises. Or, vous allez voir que c'en est là une des plus pommées, comme on dit vulgairement :

Quandoque bonus dormitat Homerus.
(HORAT., De art. poetica, vers. 359.)

a dit un grand poëte, en parlant d'un autre grand poěte. Cela veut dire que le génie dort quelquefois, et qu'en dormant il fait de mauvais rêves.

Pour parler à l'homme, dites-vous, être vivant et animé, il faut une voix également vivante et aniinée.

Cela dépend. Dans une chambre, dans un palais, dans un temple? Oui. Mais en plein air, cela n'est plus aussi bien, et quelquefois même ce n'est plus possible. C'est là simplement une règle de proportion; et vous conviendrez que celui qui a fait de si belles Harmonies poétiques ne se trouve plus aussi fort sur les harmonies mathématiques. Et encore le principe que je viens d'émettre n'est-il pas sans exception. Est-ce que, dans un salón, un instrument de musique, le violon ou le piano, par exemple, ne parlent pas aussi bien à l'homme que l'homme lui-même? est-ce que leur voix vous paraît aussi une voix stupide et sans conscience?

La voix de la cloche stupide et sans conscience! cience Pour vous peut-être qui ne la comprenez pas, qui ne voulez même pas l'entendre; mais pour le Chrétien, pour l'artiste, pour l'homme de raison seulement, c'est toute autre chose. Ecoutez ce que nous en avons dit ailleurs:

Ce que nous avons de pius extraordi naire peut-être, en fait d'instrument, c'est la cloche, ce mélange de métaux divers, et de timbre dès lors différents, unis en un corps d'une forme déterminée par certaines courbes géométriques. Placée au sommet

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