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<< I! faut avouer que l'homme qui étudie la sagesse ne conçoit parfaitement le bien que par la comparaison du mal, et que rien ne l'éclaire plus que ces contrastes.

précautions; la première serait de l'honorer. La réputation qu'il a depuis si longtemps a pour effet d'amener sur les théâtres plus d'enfants prodigues que de véritables Vocations. Qu'il devienne une profession respectée, on n'aura pas plus à se plaindre de son personnel que de celui des autres états. La seconde serait de n'ouvrir le théâtre du lieu qu'à des troupes qui auraient pris pour règle de chasser de leur sein quiconque se conduirait mal, et qui exécuteraient cette loi avec rigueur.

Nous connaissons plus d'un moraliste qui pense, avec Rousseau, qu'une femme a cessé d'être honnête dès qu'elle a osé se montrer sur la scène, qui soutient que ce ne peut être le lieu ni d'une fille, ni d'une épouse, ni d'une mère, et qui voudrait faire du métier de comédien la profession exclusive de l'homme, comme est le métier des armes et plusieurs autres. La nature s'est chargée de les réfuter en donnant à la femme toutes les qualités qui conviennent sur la scène, la voix, la grâce, la finesse, le sentiment, le talent de la musique, etc. Nous ne voyons pas pourquoi la femme ne participerait pas avec l'homme, par ce côté, à la prédication publique, puisqu'elle ne le peut par les moyens plus sérieux, et puisque la nature l'a pourvue de ressources si puissantes qui seraient perdues autrement. Que toutes les précautions soient prises, et il y aura moins d'occasions de corruption pour les actrices, dans les théâtres, qu'il n'y en a pour les jeunes personnes dans les bals du monde.

Si Rousseau, au lieu de plaider devant sa ville natale pour l'empêcher d'établir chez elle une salle de spectacle, avait employé son génie à imaginer un plan d'institution d'un genre nouveau, ayant pour but de donner aux Génevois un théâtre moralisateur, et avait réussi à le faire exécuter, il se serait rendu utile non-seulement à Genève, mais à toute l'Europe en lui fournissant un modèle de ce qui devrait être. Avec sa diatribe, qu'a-t-il obtenu? Tout le monde le lit et l'admire, citoyens, auteurs et acteurs, les les uns avant d'apprendre leur rôle, les autres avant d'écrire leurs scènes, les autres dans les entr'actes, et les spectacles vont leur train avec tous leurs inconvénients.

Une puissante raison, bien avant Rousseau, avait fait la critique du théâtre, non pas pour le condamner complétement, mais pour le soumettre à une censure sévère. Voici ce qu'elle en avait dit :

Tous les citoyens égaux de notre république participeront aux mêmes plaisirs, réglés invariablement par le législateur, qui doit se charger à la fois de leur bonheur et de Jeur vertu.

« Mais les danses graves, les nobles chants, images de la belle nature, ne suffisent pas; on peut croire aussi que les défauts du corps et de l'esprit, les ridicules, exprimés par les discours, les chants et les gestes, enfin les tableaux comiques ont besoin d'être offerts aux regards et à la réflexion du peuple.

« Mais peut-il se permettre également les deux rôles, pour peu qu'il veuille rester vertueux ? Non, il ira seulement s'instruire à ces jeux de théâtre, de peur que son ignorance ne lui fasse faire au dire à lui-même des bouffonneries déshonorantes; et nous ne souffrirons pour acteurs que des esclaves ou des ouvriers mercenaires.

« Le goût de ces représentations sera réprimé; aucune femme, aucun homme de condition libre ne pourra s'exercer dans l'art des histrions, et l'imitation en ce genre aura des spectateurs toujours novices. Tous ces jeux qui n'ont pour but que le rire, ces divertissements que l'on nomme comédies, doivent être ainsi jugés par la raison et par nos lois.

<< Mais si quelques-uns de ces poëtes sérieux, que nous appelons tragiques, entraient dans nos murs et venaient nous dire :

« Peuple hospitalier, nous accorderezvous le libre accès de votre pays et de votre ville? Souffrirez-vous que nous y conduisions notre muse, et que doit-elle attendre de vos décrets?

«S'ils parlaient ainsi, quelle réponse aurions-nous à faire aux enfants et aux chantres des dieux?

« Etrangers vénérables, leur dirais-je, nous aussi nous essayons de construire le plus beau, le plus sublime des drames; dans tout le plan de notre république, c'est le beau, c'est le grand que nous voulons imiter; et nous ne croyons pas qu'il y ait dans la nature de plus sainte imitation. Vous êtes poëtes; nous sommes poëtes comme vous, et nous cherchons, par la beauté de notre fable, à mériter d'être vos rivaux. La loi, la vraie loi nous a promis le succès, noble espérance de la patrie.

«Ne croyez pas cependant que nous vous laissions ainsi élever en liberté votre scène dans nos places, y amener vos premiers acteurs, et, d'une voix plus harmonieuse et plus forte que la nôtre, proclamer devant nos enfants, nos femmes, notre peuple, des maximes trop souvent contraires à nos leçons.

« Nous voudrions nous faire accuser de folie; notre gouvernement serait aveugle, s'il vous donnait cet étrange droit, avant d'être informé par ses magistrats, devenus vos juges, que tous vos vers peuvent être applaudis sans dangers sur nos théâtres.

Allez donc, fils et nourrissons des muses faciles, allez prier les magistrats de comparer vos chants aux nôtres, et si vous dites comme nous, si vous êtes mieux inspirés, nous vous donnerons un chœur pour vos tragédies; sinon, poëtes aimables, ce n'est pas nous qui vourrons vous enten

dre.

« Voilà, je crois, les usages à introduire et les lois à porter sur les représentations théâtrales, où nous distinguerons toujours

ce qui convient aux hommes libres de ce qu'il faut laisser aux esclaves. » (PLATON, Lois, liv. vi.)

Une seule chose est choquante dans cette charmante critique; c'est qu'un génie comme celui de Platon soit assujetti au vieux préjugé contre le métier de comédien, et ne le permette qu'aux mercenaires et aux esclaves. Comment n'a-t-il pas vu que c'était le vrai moyen d'en perpétuer les abus? Mais il y a des bornes à l'audace du génie; la hardiesse absolue contre les préjugés universels, dont l'esclavage était le plus hideux, ne devait surgir que sous l'inspiration de l'Evangile.

Le reste du morceau se lit sans répulsion. Platon reconnaît l'utilité des spectacles; il les veut bons; et il prend ses précautions contre les abus. Ces précautions sont une censure sévère exercée par les gardiens des lois. Or, nous admettons la moitié de la mesure. Un comité de censure est nécessaire pour que les pères de familles puissent, sans crainte, mener leurs enfants au spectacle; mais nous ne la voudrions pas exercée par les gardiens des lois ou par un pouvoir quelconque relevant de l'Etat. Un tel pouvoir n'est pas un juge sur le point important; c'est un parti qui négligera les choses à considérer, pour ne voir quejce qui l'intéresse. La seule censure qui puisse atteindre le but sans paralyser l'art, est celle qu'exercerait un comité de pères et même de mères de famille de la localité, choisi par les habitants, et délégué par eux pour ne juger que les questions de religion et de morale, et ne rien tolérer, sur cet article', qui pût attrister la vertu,

Jean-Jacques oserait-il nous dire d'un tel comité que la comédie tournera les censeurs en ridicule, ou que les censeurs feront chasser les comédiens? >

Voici ce que dit des spectacles un moraliste moderne:

Le théâtre et particulièrement l'opéra, qui dans notre civilisation actuelle, ne tend qu'à efféminer les mœurs, qui est une arène de galanterie, un appât à la dépense, et souvent un moyen de corruption, doit devenir une institution sociale, moralisante; propre à polir et à adoucir les mœurs. Soumis au contrôle d'une administration communale, on n'y verra pas étalés, et en quelque sorte honorés, comme dans nos théâtres modernes, des vices et des principes anti-sociaux. Il sera fait un choix de pièces, dont le but sera de façonner principalement les cœurs à l'harmonie sociale, d'entretenir l'enthousiasme, les idées nobles et généreuses........ On y verra en actions les divers sentiments qui ennoblissent l'homme, depuis les plus intimes jusqu'aux plus élevés, et principalement ceux qui tendent vers l'harmonie sociale et religieuse. Au lieu d'y représenter presque exclusivement les fadaises amoureuses et les proueries guerrières, on y présentera essentiellement le tableau des gran des actions industrielles, sociales et religieuses, en un mot, de l'exaltation des sen

timents et vertus qui coopère aux accords Sociaux et au règne de l'unité universelle. (Esquisse d'une science morale, par Alphonse Gilliot, t. II, p. 397.)

Qui ne serait heureux de voir se réaliser de pareilles espérances, ne pourrait être qu'un méchant homme.

Qu'avons-nous fait, en écrivant ce qui précède, une œuvre de bonne foi et d'impartialité; or si la bonne foi et l'impartialité sont accompagnées de bon sens, c'est de la théologie; il n'y a pas à craindre, alors, de se trouver en désaccord avec elle, bien qu'on puisse parler autrement que certains théologiens. Nous n'ignorons pas ce que les théologiens gallicans en particulier ont écrit contre les théâtres; ils les prenaient avec les abus que le paganisme et la barbarie leur avaient légués, et que le christianisme, qui ne fait pas son œuvre en une fois, n'avait encore pas même entrepris de réformer. C'était tout ou rien; et les théologiens parlaient pour leurs temps, comme l'avait fait Aristote défendant à la jeunesse l'entrée des théâtres, ce qu'ils ne manquaient point de rappeler avec les critiques de Platon. Mais la théologie ne parle pas comme les hommes, quoiqu'elle se serve, pour parler, de la langue des hommes ; elle pose des vérités absolues, convenables pour tous les temps, et, afin d'atteindre son but, elle est modérée Elle condamne les mauvais spectacles comme tout ce qui peut être une occasion de corruption et de relâchement, et elle regrette, en même temps, que le théâtre ne soit pas ce qu'il pourrait être, un grand moyen d'instruction et de moralisation, pour n'être plas obligée de le juger sévèrement. Elle ne prononce pas, comme Rousseau et les moralistes outrés, que les abus en sont insépara bles, que l'arbre ne peut produire que de mauvais fruits, et qu'il n'y ait, à tout jamais d'autre ressource que de l'arracher. Elle sait que les grands hommes qui en avaient désespéré, et qui ont voulu se montrer plus pratiques en condamnant sans merci, l'au raient souvent été davantage en faisant de bonnes pièces de théâtre ou des plans de réforme qui auraient fini par être goûtés dans un temps ou dans un autre, tandis qu'avec leur rigorisme, ils n'ont pas empe ché les spectacles d'exister et la jeunesse de les fréquenter. Elle sait que l'ancienne Synagogue ne condamnait pas les spectacles, que les Hébreux avaient des juges établis pour juger les pièces nouvelles en prose ou en vers, lesquels ne recevaient que celles qui s'accordaient avec la religion et la morale (DACIER, Vie de Platon, p. 118); que si la religion surnaturelle doit avoir son culte extérieur, ses fêtes, ses cérémonies, ses chants, ses prières, ses pompes modestes et sages, nous ajoutons ces mots, car là aussi les abus du luxe sont possibles, et ils ne sont nulle part plus inconvenants, vérité naturelle, individuelle et sociale, doit avoir aussi son culte extérieur; et que l'art dramatique, comme les autres arts, peutavo, de ce côté, une mission sublime à remplir,

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Elle comprend qu'il serait trop malheureux pour l'humanité d'être obligée à jamais de proscrire les deux branches de la poésie les plus vigoureuses, la tragédie et la comédie. Elle n'a jamais pensé à condamner des pièces comme celle d'Athalie, d'Esther, de Polieucte, du Mysanthrope, et beaucoup d'autres. Soyons plus hardi, elle sourit plus d'une fois, avec malice, en entendant crier contre Tartufe. Elle sait que nos livres sacrés renferment des fictions à tableaux qui peuvent servir à justifier celles que la poésie introduit sur la scène lorsque tout y concourt au profit de la vérité et de la vertu. Elle juge enfin que rien ne s'oppose à ce que Ja profession d'acteur ne puisse devenir utile à la société, honnête, et justement honorée.

Voilà ce que pense la théologie. Mais d'un autre côté, elle ne fera jamais la moindre concession aux mauvaises passions, et ce qui sera dangereux pour les mœurs, elle l'atiaquera sans relâche.

Si tous ceux qui ont été ses interprètes avaient eu le bon sens et l'habileté de l'archevêque de Cambrai, à des degrés divers proportionnels à l'étendue du génie, il y a longtemps que la scène serait réformée. Sa règle était la même que celle de Socrate et de Platon. (1" dialog. sur l'éloquence.) On ne doit, disait-il, rien rejeter de ce qui peut rendre les hommes meilleurs, et ne rien admettre d'inutile ou de nuisible. Mais on ne s'est pas occupé de la scène, on l'a abandonnée à elle-même, la condamnant sans modération, ou prenant son parti avec folie. Il n'y a pas de circonstance, dans la vie d'un grand homme, que nous admirions autant que celle de Fénelon se donnant la peine de composer le Télémaque. Si tant de génies honnêtes, qui ont passé leur vie à faire des Ouvrages de haute métaphysique, qui ne sont utiles qu'à une imperceptible fraction du genre humain, avaient daigné sacrifier un quart ou une moitié de leur temps à faire des romans vraiment instructifs et moraux, on ne serait pas embarrassé comme on l'est, sur le choix des lectures à donner à la jeunesse, et ils feraient maintenant un bien immense qu'ils ne font pas, et qu'ils ne feront jamais. Il en est de même du drame.

Si les hommes moraux et religieux avaient toujours lutté contre les abus, non pas en s'isolant et condamnant brutalement, mais en se mêlant, au contraire, à la pratique de l'art pour l'influencer, les uns par leurs écrits, les autres par leur présence et leur compagnie, ils auraient beaucoup mieux travaillé selon l'ordre de Dieu. Il n'est allé au spectacle, dans certaines époques, que les hommes sans foi ni mœurs; qu'en est-il résulté? que les auteurs sans conscience ont travaillé pour ce public, et on pullulé; que les acteurs, sous l'influence de leurs rôles, et de la mauvaise compagnie, sont devenus dissolus, et que le théâtre, sans avoir moins de vogue, s'est corrompu. Pourquoi la vertu a-t-elle perdu courage; que n'a-t-elle levé des armées pour faire tomber les mauvaises

pièces et soutenir les bonnes? Il est arrivé pour le théâtre ce qui arriverait pour la peinture et la sculpture, si la piété, la sagesse, la religion, l'Eglise et la philosophie, n'achetaient point d'oeuvres d'art; il ne se composerait que des Jupiter et Léda, des Mars et Vénus, des Bacchus ivres et d'obscènes Satyres. On a cru bien faire et agir en brave, de déserter les champs de bataille; quelle tactique! On s'est fait oiseau de nuit, et, pendant qu'on grossissait sa moue dans son creux, le profane, au grand jour, poursuivait ses brillantes aventures et consolidait son règne. Depuis le commencement du monde, la morale religieuse n'a pas encore organisé sa ligue ! Il est temps qu'elle y pense.

Le moment serait bon, car on ne peut nier que, depuis un demi-siècle, il n'y ait eu quelque retour vers le bien dans l'art dramatique, et cela vient de ce que les dévols se sont un peu familiarisés avec la scène. Depuis quelques années, aussitôt que paraît une pièce morale et bien faite, ne voit-on pas tout le monde y courir? Remercions M. Ponsard de travailler dans cette direction.

Qui donc se plaindrait parmi les honnêtes gens, si le théâtre devenait tel, que le ministre du culte dût engager ses ouailles à se permettre ce plaisir avec autant d'ardeur qu'il doit en mettre à les convoquer au sermon, et ne donnât qu'un bon exemple en y assistant avec elles.

C'est en travaillant à de pareils résultats, qu'on sert avec intelligence la cause de Dieu, de la religion et de la vertu dans toutes les sociétés. Or qu'on s'entende, ei on trouvera l'œuvre plus facile qu'elle ne paraît.

Rousseau cite un théologien moraliste qui résume très-bien la question des spectacles. *

Il peut y avoir, dit-il, des spectacles blåmables en eux-mêmes, comme ceux qui sont inhumains, ou indécents et licencieux; tels étaient quelques-uns des spectacles parmi les païens. Mais il en est aussi d'indifférents en eux-mêmes, qui ne deviennent mauvais que par l'abus qu'on en fait. Par exemple, les pièces de théâtre n'ont rien de mauvais en tant qu'on y trouve une peinture des caractères et des actions des hommes, où l'on pourrait même donner des leçons agréables et utiles pour toutes les conditions: mais si l'on y débite une morale relâchée, si les personnes qui exercent cette profession mènent une vie licencieuse, et servent à corrompre les autres, si de tels spectacles entretiennent la vanité, la fainéantise, le luxe, l'impudicité, il est visible alors que la chose tourne en abus, et qu'à moins qu'on ne trouve le moyen de corriger ces abus ou de s'en garantir, il vaut mieux renoncer à cette sorte d'amusement.» (Instructution chrétienne, tom. III, liv. 1, c. 16.)

« Voilà la question bien posée, ajoute Rousseau, il s'agit de savoir si la morale du théâtre est nécessairement relâchée, si les abus sont inévitables, si les inconvénients dérivent de la nature de la chose, ou s'ils

« Voilà, Monsieur, l'état de cette personne, Si vous lui répondez, elle fera prendre votre lettre où elle à fait déposer celle-ci. » Nous répondîmes aussitôt :

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« La personne qui vous écrit n'a que de bonnes intentions. Elle vous l'affirme tout d'abord, vu les soupçons qui pourraient surgir dans votre esprit par le temps qui court. Si vous en croyez sa parole écrite, sans avoir vu sa tête et scruté son regard, et si vous lui donnez la preuve de cette confiance en lui répondant, vous aurez sa sympathie et sa reconnaissance.

« Cette personne passe sa vie au milieu d'un monde où la religion est sans cesse attaquée, au nom du progrès et surtout du progrès scientifique. Elle entend dire chaque jour que le catholicisme voit son flambeau pålir, et le verra s'éteindre au rayonnement croissant de la philosophie et de la science.

«Elle voudrait répondre, et elle ne le peut pas. On lui jette des arguments qui la confondent. Ces arguments consistent dans des citations de livres catholiques et d'articles quotidiens qui séparent franchement la cause de l'Eglise de celle du progrès humain, qui les mettent en lutte, en antagonisme. On lui dit sans cesse: Vous le voyez; c'est à choisir entre l'Eglise et le monde, entre la foi et la raison, entre la théologie et la science, entre Ja dévotion et le progrès. Ces deux choses ne peuvent se développer de compagnie ; il faut que l'une soit dévorée par l'autre.

« Que voulez-vous qu'elle réponde, quand elle voit, en effet, les publicistes de la catholicité, les directeurs du clergé français, les représentants de la religion dans la presse, parler de même, quoiqu'au nom de la vérité religieuse, et établir, par un système soutenu sur tous les points, cet antagonisme?

« Elle vous avoue franchement son embarras. Elle vous avoue même que, si quelque lumière ne vient à son secours, ne pouvant déserter la cause de la civilisation, du bon sens et du progrès, elle craindra pour sa

foi.

Paris, septembre 1833

« Monsieur, on Madame, car je ne sais comment vous qualifier; si la phrase dénote l'homme, un incognito si bien gardé fait soupçonner la femme; enfin, vous avez voulu rester pour moi le personnage mystérieux, et je vous en remercie, je n'en serai que plus à l'aise.

« Non, quel que soit le nuage qui passe, le vent qui gronde et le temps quí vole, je ne crains pas la trahison. Fussiez-vous un chef de la nouvelle Eglise, je ne vous en dirais ni plus ni moins. Je crois, au reste, à la sincérité de votre plume, et si vous croyez à la sincérité de la mienne, vous n'en resterez pas à cette première question.

« Il s'est formé, dans ces derniers temps, un parti, une secte, une religion nouvelle qui, sous prétexte de dévouement au SaintSiége, s'attaque, avec un orgueil dont quelques hérésiarques du passé ont seuls donné l'exemple, à la nature humaine, à la science, à l'art, à la philosophie, à la liberté, au bou sens, à tous les droits, à tous les progrès, à toutes les allures de la civilisation. Il n'avait jamais été question, dans l'Eglise, de pareilles théories; et, avant la fin du xix' siècle, croyez bien qu'il n'en sera plus question. Que vous importent donc les arguments dont vous parlez? Ils ont la valeur de l'école même dont ils s'autorisent. Vous désirez défendre la religion, qu'on attaque en la posant comme un antagoniste de tous les biens naturels, de la vie sociale et de la raison; faites-le en établissant ses harmonies avec toutes ces choses, en substituant la paix à la guerre entre deux camps qui sont faits pour s'aimer, et sachez repousser avec énergie une solidarité qui n'existe pas. Reniez l'école nouvelle, reniez - la saus crainte, voilà ce que réclame votre foi, voilà ce que Dieu vous demande. C'est la première condition à remplir; si vous en êtes capable, vous pouvez répondre à tous les feux. Le premier caractère du guerrier, c'est la bravoure; quiconque en est dépourvu perd son temps à étudier la stratégie. Si vous manquez de courage, si vous n'avez pas la force de vous mettre à l'aise, de vous débarrasser des hommes, de ce qu'on appelle des autorités, de ce qui en impose aux timides, vous avez eu tort de m'écrire, et j'aurais tort de vous répondre.

« Je vous crois armé par la nature de la bravoure, qui ne se donne pas, et voilà pourquoi je veux bien entrer avec vous dans l'étude de la stratégie.

<«< Au reste, vous ne serez pas, non plus, sans autorités que vous puissiez invoquer. Tous n'ont pas déserté le camp de la civi lisation et du bon sens. Voici ce que disait dernièrement, dans un discours, un de nos évêques, l'abbé Cœur, dont l'éloquente parole a doté la chaire d'une originalité qu'elle

ignorait encore, et dont le choix pour l'épiscopat honora naguère la république. Voici ce qu'il disait :

« Je ne sais si de nos jours on aurait, en effet, tenté, sous prétexte de religion, de former un parti, et si ce parti s'appliquerait à combattre les instincts les plus nobles et les plus profonds de la France. En tous cas, je sais bien ce que vaut un parti, « et si j'adore la parole de Dieu, si je crois à l'Eglise, je me réserve de juger libre<ment les opinions et les systèmes.

«La religion n'est pas d'enlever à l'homme la dignité que Dieu lui a faite, de nier la raison, de proscrire la philosophie, de jeter des cris perçants contre Homère et Platon, de maudire Descartes, d'attenter à ■ la majesté même de notre Bossuet, et d'ina voquer sur ses contradicteurs tous les feux a du ciel, ou, au besoin, tout ce qu'on peut de persécution, et, si on était assez fort, « les bûchers de la terre.

« La religion n'est pas d'abaisser le droit des nations, de menacer l'indépendance « politique des peuples, de semer des principes destructeurs de l'idée même d'un « pouvoir civil, et tellement contraires à ason essence qu'ils ne pourraient se répan dre un peu sans l'affaiblir, ni prévaloir a sans amener sa ruine.

« Non, ce n'est pas là la religion, ce n'est a point celle au moins du Christ et de l'Eglise. Saint Louis et Bossuet ne l'avaient pas connue. Hier encore on l'ignorait chez nous. D'éminents cardinaux dont il est « permis d'être fier, un de Bausset, un de << la Luzerne, n'en savaient pas le nom. L'archevêque martyr, tombé près de ces murs pour le salut de son peuple, l'archevêque martyr n'avait pas cessé de s'indiagner contre ces tentatives; vivant, il les ◄ a condamnées sur son siége et foudroyées << de son érudition; mort, du fond de sa tombe il proteste contre elles et les re« pousse encore avec l'autorité du sang.

Non; ce n'est point la religion de nos «pères qui furent grands; ce ne sera jamais, non plus, la religion de leur posté «rité, qui n'entend pas déchoir. Nous aimons « invinciblement ce qui honore l'homme, « ce qui élève les peuples; et il n'est pas au cœur de la France un généreux désir, un « noble sentiment, que nous, membres du clergé, ne puissions hautement partager << avec elle. »

« Revenons à nous-mêmes. Il est convenu que nous avons le courage, l'indépendance, le mouvement libre: exposons done la stratégie que nous mettrons en jeu sans plus d'égard aux théories de la nouvelle Eglise, qu'à la brutale éloquence de ses héros.

Essayons aujourd'hui d'en poser les bases. Si vous désirez que nous attaquions ensuite les difficultés une à une, veuillez m'en faire part à mesure qu'elles se présenteront. Si je ne puis les résoudre par moi-même, j'aurai recours à des aides.

Toutes les sciences humaines, et tous les progrès, dont je vais, un peu plus loin,

citer quelques branches, se centralisent dans une force unique qu'on peut appeler la raison, l'intelligence, l'esprit humain, la nature humaine, le bon sens, le travail intellectuel individuel et social, etc., expressions également bonnes, et même identiques, vu qu'il ne s'agit pas ici d'établir des classifications psychologiques d'après les nuances des facultés diverses que Dieu nous a départies.

Il en est de même des sciences et des progrès de l'ordre surnaturel; elles ont un centre de rayonnement, une force pour germe et pour soutien ; c'est la révélation.

<< Ainsi donc, raison et révélation, naturel et surnaturel, voilà les deux forces. Et à ces deux forces correspondent deux sociétés, qui en sont les incarnations vivantes. C'est, en premier lieu, la société naturelle, profane, mondaine, etc., choisissez le mot qui vous plaira le mieux, laquelle se subdivise en société philosophique, société scientifi que, société littéraire, société civile, société industrielle. C'est, en second lieu, la société religieuse, chrétienne, catholique, qui s'appelle l'Eglise. La première remonte à la création et est fille de Dieu; la seconde remonte à la rédemption et est fille du Christ.

« Or, en face de ces deux forces et de ces deux sociétés, l'homme instruit, le lettré, qu'il soit prêtre ou laïque, n'a que trois positions à prendre; celle de soldat de la première, ennemi de la seconde; celle de soldat de la seconde, ennemi de la première, et celle de médiateur.

« Expliquons un peu ces trois positions. « Le soldat du monde, ennemi de l'Eglise, n'est pas le savant, le philosophe, le littérateur, le politique qui, sans volonté préconçue de faire la guerre au christianisme, passe sa vie à feuilleter la nature pour en découvrir et en apprendre aux autres les secrets, les beautés et les droits. Celui-là peut se tromper, mais ses erreurs mêmes seront l'aiguillon du travail et deviendront une occasion, pour les méthodes hypothétique et expérimentale combinées, de découvrir le vrai, qui sera nécessairement, comme l'a dit le savant Wiseman, la conciliation même de la religion et de la science. Le soldat du monde, ennemi de l'Eglise, est celui-là seul qui travaille plutôt, contre l'Eglise que pour le monde, contre la religion que pour le progrès. Il n'est pas réellement un soldat du monde, un ouvrier de l'atelier scientifique, il n'en peut être, et n'en sera proclamé qu'un transfuge, quand la lumière se fera, sans quoi Dieu se serait trompé soit en créant soit en rachetant le monde.

«Le soldat de l'Eglise, ennemi de la société naturelle, n'est pas non plus celui qui, sans idée préconçue et système arrêté de faire la guerre à l'autre camp, emploie sa journée à feuilleter la révélation, à étudier la loi ecclésiastique, à scruter le mystère du Christ et de l'Eglise, ou bien encore à garder son troupeau, surveillant les têtes saines, pansant les malades, moralisant les âmes. Celui-là n'est pas l'ennemi du monde, il est son ami, son guide dans le plus rude

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