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tion et la perception. Mais cette constatation ne fait que reculer la question et préciser le problème. Le réel, infiniment complexe mais identique pour tous, évoque chez un sujet la disposition nécessaire pour telle perception, et chez l'autre la disposition, l'attitude mentale pour une perception toute différente. En dernière analyse, nous revenons donc à une disposition subjective. D'une manière ou d'une autre elle doit avoir un rapport à l'objet perçu, puisque c'est elle qui explique la différence des objets perçus. C'est donc elle qui est la cause de la stérilité de certains efforts scientifiques : le sujet, dans la complexité du réel, ne parvient pas à saisir l'objet spécifiquement scientifique, celui qui constituerait la découverte ou l'initiative féconde, parce qu'il n'est pas en possession de la structure mentale, de l'attitude psychique qui le ferait percevoir.

Nous pouvons encore faire un pas en avant. Cette attitude, cette disposition utile doit être un arrangement spécial de certains objets perçus ou sentis auparavant. Il s'agit, en effet, d'expliquer pourquoi telle portion d'objet est choisie et complétée par les images subjectives qui la font reconnaître. Il est donc infiniment probable que c'est précisément ce complexus d'images, évoqué incomplètement ou au moins mis en jeu par une première sensation brute, qui existe chez un sujet et fait défaut chez l'autre, qui permet une perception déterminée, et notamment l'observation scientifique fructueuse.

Dès que nos sens s'ouvrent aux actions de notre entourage, nous accumulons sans cesse d'innombrables éléments psychiques. Sans restriction, on peut dire que rien ne se perd; et s'il est aussi faux que paradoxal de dire que nous n'oublions rien, il est certain cependant que rien de nos acquisitions psychiques, même de celles qui n'ont jamais été pleinement conscientes, ne se détruit. Nous sommes ainsi en possession de réserves

IIIe SÉRIE. T. XX.

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immenses qui peut-être ne seront jamais mises au jour, mais qui exercent l'influence la plus profonde sur nos tendances, nos actes, nos appréciations, nos jugements, sur toute notre attitude mentale et notre vie consciente. Les questions se pressent au sujet de cet inconscient psychique, de cette conscience virtuelle, de cette subconscience ou conscience subliminale, de cette préconscience, de cette coconscience. Écartons-les toutes pour nous tenir sur le terrain des faits, et pour constater que les éléments accumulés, même lorsqu'ils échappent à notre conscience actuelle, ne sont pas inertes. Ils agissent les uns sur les autres à notre insu; ils s'agencent en structures plus ou moins compliquées, dont plusieurs un jour émergeront de la subconscience, où elles sont plongées, comme une hypothèse nouvelle, une création artistique, ou bien resteront sur les limites flottantes de la conscience vive et de la subconscience pour diriger et compléter nos perceptions.

C'est là, dans ces structures subliminales, dans la manière dont s'agencent subconsciemment tous les facteurs psychiques qui s'accumulent dans le tréfonds de notre être, que se trouve la dernière raison que nous puissions déterminer pour la diversité des esprits et des aptitudes. On conçoit, en effet, que lorsque les éléments latents s'agencent en combinaisons nouvelles sans se morceler, et se présentent brusquement comme un second univers, comme une création personnelle, devant le regard de la conscience vive, le sujet aura le tempérament artistique. Si, au contraire, dans l'ombre épaisse de la conscience virtuelle, les réalités recueillies se débitent en éléments plus simples qui s'agrègent suivant les lois de l'association, de manière à constituer un aspect plus ou moins répandu dans les êtres de la nature, et de l'isoler de tout le reste qui le noie et le défigure, nous aurons le tempérament de l'observateur, du naturaliste qui, en raison mème de sa mentalité, pourra percevoir

dans le complexus de la nature ces coupes opportunes et explicatives qui s'appellent les faits et les lois scientifiques. Lorsqu'enfin les réalités livrent par un procédé analogue leurs points de contact les plus universels et les plus profonds, lorsqu'en outre les concepts ainsi élaborés sont creusés jusqu'à leurs rapports les plus mystérieux et leurs unités les plus foncières, lorsqu'enfin le réel est saisi toujours en raison des structures profondes, spontanées dans sa totalité et éclairé par les acquisitions les plus universelles, nous nous trouverons en face du tempérament philosophique.

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Ainsi done nous naissons plus ou moins spécialistes parce que les éléments réels qui sans cesse nous entrent dans l'âme par tous les pores de notre être, prennent à notre insu des agencements spontanés et différentiels. Nous n'abordons pas le monde avec une âme identique, et c'est pourquoi nous ne percevons pas utilement dans la réalité complexe les mêmes aspects. Et parce que nous n'acquérons pas cette faculté d'arrangement spécial, parce qu'elle échappe à toutes nos initiatives volontaires, force nous est de considérer cette disposition comme congénitale.

Nous avons constaté quelle est la raison profonde, psychologique, de la spécialisation; et nous avons répondu à la question posée ci-dessus: naissons-nous spécialistes? Mais il importe d'ajouter immédiatement que si nous sommes spécialistes dans une certaine mesure dès notre berceau, si nous ne semblons pas pouvoir nous faire à volonté poètes, naturalistes, mathématiciens ou philosophes, il est certain cependant qu'à ce point de vue nous pouvons développer, et dans des proportions énormes, les dons de la nature. Ce qui le montre pour en revenir à notre exemple de l'observateur naturaliste c'est l'extrême habileté que l'on peut acquérir dans l'observation. Mais c'est déjà là un des avantages de la spécialisation, dont il nous faut dire quelques mots.

II

LES AVANTAGES DE LA SPÉCIALISATION

De ces avantages nous ne dirons que quelques mots, en effet, parce que tout le monde les connait parfaitement. Nous pouvons nous contenter de quelques brèves indications et d'un rapide schéma d'explication psychologique.

Ne mentionnons qu'en passant l'avantage fondamental qui s'impose au moins clairvoyant on se spécialise pour mieux savoir ce qu'on veut étudier. Il serait naïf d'insister et de rappeler les résultats superbes de la spécialisation que l'histoire des sciences a enregistrés et enregistre tous les jours. On peut affirmer sans crainte d'exagération que, mis à part quelques coups heureux qui ont plutôt les allures. d'hypothèses fécondes que de découvertes positives, tous les progrès actuels reconnaissent, comme cause subjective au moins partielle, la spécialisation. La comparaison qui nous a servi tout à l'heure conserve ici toute son utilité : la spécialisation est une attention permanente embrassant toute notre vie intellectuelle ; et de même qu'on ne voit vraiment, fructueusement, efficacement, que ce qui fixe notre attention, ainsi nous n'avons quelque espoir d'explorer et de connaitre à fond une partie quelconque du réel qu'en nous y spécialisant.

Encore une fois, il serait naïf d'insister; mais il faut se rappeler toujours que cet avantage est si énorme que pas un inconvénient de la spécialisation ne parvient à le rejeter dans l'ombre. Tous les inconvénients fussent-ils dix fois plus grands, il faudrait encore et intensément se spécialiser. L'attention, à son degré suprême, a aussi ses inconvénients : elle supprime les

mouvements volontaires, elle restreint le champ de la conscience d'une manière violente, et donne lieu à toutes espèces d'incidents comiques qui sont connus sous le nom de « distractions des savants ». Personne ne songera cependant à supprimer l'attention de notre vie psychique. Rappelons-nous done que nous n'avons jamais un motif plausible, malgré les inconvénients et les ridicules, d'écarter la spécialisation. Dans l'état actuel de l'esprit et du savoir, la spécialisation est une condition essentielle du progrès scientifique.

ne

Mais précisons. Le spécialiste qui est devenu tel par la grâce de Dieu et les dons de la nature acquiert graduellement une prodigieuse finesse d'observation pour toutes les réalités qui contiennent un élément quelconque de sa spécialité : il remarque ce qui échappe à tout le monde, il saisit comme d'instinct craignons pas d'insister sur la comparaison avec l'instinct les différences les plus petites et les nuances les plus fines. Et remarquons bien que dans l'observation scientifique, est comprise une appréciation spontanée au moins initiale. Evidemment, nous, intellectuels, nous avons une tendance, parfois trompeuse d'ailleurs, à tout rationaliser: nous trouvons ou nous imaginons immédiatement un motif à toutes nos appréciations, à tous nos jugements spontanés. Mais observons les hommes de métier et les praticiens. Avec quelle justesse ils apprécient les matériaux qui leur sont mis à la main ou les malades qui leur sont confiés ! Qui n'a entendu parler du « coup d'oeil » médical? Évidemment les théoriciens à outrance ont une tendance à négliger ces jugements spontanés; ils croient que l'empirisme dans le plus mauvais sens du mot s'y dissimule souvent, et ils ont parfois raison; mais le coup d'oeil médical, comme le coup d'oeil du métier, est une incontestable réalité psychique. Il est dans l'ordre de connaissance, ce que le tour de main » est dans l'ordre de l'exécu

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