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<< faire quelque fonds sur leur jugement, n'avons-nous pas raison de << penser que, même dans les choses divines, le même esprit muni <«< des aides nécessaires, exercé dans l'Écriture avec une diligence égale, << et assisté par la grâce du Dieu tout-puissant, pourra acquérir une << telle perfection de savoir que les hommes auront une juste cause, <<< toutes les fois qu'une chose appartenant à la foi et à la religion sera << mise en doute, pour incliner volontiers leur esprit vers l'opinion que << des hommes si graves, si sages, si instruits en ces matières, déclare<< ront la plus solide? » Qu'on ne dédaigne donc pas «< cette lumière naturelle,» mais plutôt servons-nous-en pour accroître l'autre', comme on apporte un flambeau à côté d'un flambeau; surtout servons-nous-en pour vivre en harmonie les uns avec les autres. « Car, «< dit-il, ce serait un bien plus grand contentement pour nous (si petit << est le plaisir que nous prenons à ces querelles) de travailler sous le «< même joug en hommes qui aspirent à la même récompense éternelle << de leur labeur, d'être unis à vous par les liens d'un amour et d'une <«< amitié indissolubles, de vivre comme si nos personnes étant plu<«< sieurs, nos âmes n'en faisaient qu'un, que de demeurer démembrés «< comme nous le sommes, et de dépenser nos courts et misérables <«< jours dans la poursuite insipide de ces fatigantes contentions.

En effet, c'est à l'accord que les plus grands théologiens concluent; par-dessus la pratique oppressive ils saisissent l'esprit libéral. Si par sa structure politique l'Église anglicane est persécutrice, par sa structure doctrinale elle est tolérante. Elle a trop besoin de la raison laïque pour tout refuser à la raison laïque. Elle vit dans un monde trop cultivé et trop pensant pour proscrire la pensée et la culture. Son plus éminent docteur, John Hales 2, « déclare souvent qu'il renoncerait demain à la religion de l'Église d'Angleterre, si elle l'obligeait à penser que d'autres chrétiens seront damnés, et qu'on ne croit les autres damnés que lorsqu'on désire qu'ils le soient 3. » C'est encore lui, un théologien, un prébendiste, qui conseille aux hommes de ne se fier qu'à eux-mêmes en matière religieuse, de ne s'en remettre ni à l'autorité, ni à l'antiquité, ni à la majorité, de se servir de leur propre raison pour croire « comme de leurs propres jambes pour marcher, » d'agir et d'être hommes par l'esprit comme par le reste, et de

1. Voyez les Dialogues de Galilée; c'est la même idée qui, en même temps, est poursuivie à Rome par l'Église et défendue en Angleterre par l'Église. 2. Clarendon.

3. Voyez dans J. Taylor (Liberty of prophesying) les mêmes doctrines, 1647.

considérer comme lâches et impies les paresses de l'examen et l'emprunt des doctrines. A côté de lui, Chillingworth, esprit militant et loyal par excellence, le plus exact, le plus pénétrant, le plus convaincant des controversistes, protestant d'abord, puis catholique, puis de nouveau et pour toujours protestant, ose bien déclarer que ces grands changements opérés en lui-même et par lui-même à force d'études et de recherches << sont de toutes ses actions celles qui le satisfont le plus, » et soutient que la raison appliquée à l'Écriture doit seule persuader les hommes; que l'autorité n'y peut rien prétendre; «que rien n'est plus contre la religion que de violenter la religion; » que le grand principe de la réforme est la liberté de conscience, et que les doctrines des diverses sectes protestantes « ne sont point absolument vraies, du moins elles sont libres de toute impiété et de toute erreur damnable en soi ou destructive du salut. » Ainsi se développe une polémique, une théologie, une apologétique solide et sensée, rigoureuse dans ses raisonnements, capable de progrès, munie de science et qui autorisant l'indépendance du jugement personnel en même temps que l'intervention de la raison naturelle laisse la religion à portée du monde, et les établissements du passé sous les prises de l'avenir.

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Au milieu d'eux s'élève un écrivain de génie, poëte en prose, doué d'imagination comme Spenser et comme Shakspeare, Jérémy Taylor, qui, par la pente d'esprit comme par les événements de sa vie était destiné à présenter aux yeux l'alliance de la Renaissance et de la réforme, et à transporter dans la chaire le style orné de la cour. Prédicateur à Saint-Paul, goûté et admiré des gens du monde « pour sa beauté juvénile et florissante, pour son air gracieux, » pour sa diction splendide, protégé, placé par l'archevêque Laud, il écrivit pour le roi une défense de l'épiscopat, devint chapelain de l'armée royale, fut pris, ruiné, emprisonné deux fois par les parlementaires, épousa une fille naturelle de Charles Ier, puis, après la Restauration, fut comblé d'honneurs, devint évêque, membre du conseil privé, et chancelier de l'université d'Irlande. Par toutes les parties de sa vie, heureuse et malheureuse, privée et publique, on voit qu'il est angli-. can, royaliste, imbu de l'esprit des cavaliers et des courtisans; non qu'il ait leurs vices; au contraire, il n'y eut point d'homme meilleur ni plus honnête, plus zélé dans ses devoirs, ou plus tolérant dans les principes, en sorte que, gardant la gravité et le pureté chrétiennes, il n'a pris à la Renaissance que sa riche imagination, son érudition

classique et son libre esprit. Mais pour ce qui est de ces dons, il les a tout entiers, tels qu'ils sont chez les plus brillants et les plus inventifs entre les gentilshommes du monde, chez sir Philip Sidney, chez lord Bacon, chez sir Thomas Brown, avec les grâces, les magnificences, les délicatesses qui sont le propre de ces génies si sensitifs et si créateurs, et en même temps avec les redondances, les singularités, les disparates inévitables dans un âge où l'excès de la verve empêchait la sûreté du goût. Comme tous ces écrivains, comme Montaigne, il est imbu de l'antiquité classique; il cite en chaire des anecdotes grecques et latines, des passages de Sénèque, des vers de Lucrèce et d'Euripide, et cela à côté des textes de la Bible, de l'Évangile et des Pères. Le cant n'était point encore établi; les deux grandes sources d'enseignement, la païenne et la chrétienne coulaient côte à côte, et on les recueillait dans le même vase, sans croire que la sagesse de la raison et de la nature pût gâter la sagesse de la foi et de la révélation. Figurez-vous donc ces étranges sermons, où les deux éruditions, l'hellénique et l'évangélique, affluent ensemble avec les textes, et chaque texte cité dans la langue; où pour prouver que les pères sont souvent malheureux dans leurs enfants, l'auteur allègue coup sur coup Chabrias, Germanicus, Marc-Aurèle, Hortensius, Quintus Fabius Maximus, Scipion l'Africain, Moïse et Samuel; où s'entassent en guise de comparaisons et d'illustrations le fouillis des historiettes et des documents botaniques, astronomiques, zoologiques que les encyclopédies et les rêveries scientifiques déversent en ce moment dans les esprits. Taylor vous contera l'histoire des ours de Pannonie, qui, blessés, s'enferrent plus avant; celle des pommes de Sodome qui sont belles d'apparence, mais au dedans pleines de pourriture et de vers, et bien d'autres encore: car c'est le trait marquant des hommes de cet âge et de cette école, de n'avoir point l'esprit nettoyé, aplani, cadastré, muni d'allées rectilignes comme les écrivains de notre dixseptième siècle, et comme les jardins de Versailles, mais plein et comblé de faits circonstanciés, de scènes complètes et dramatiques, de petits tableaux colorés, tous pêle-mêle et mal époussetés, en sorte que perdu dans l'encombrement et la poussière, le spectateur moderne crie à la pédanterie et à la grossièreté. Les métaphores pullulent les unes par-dessus les autres, s'embarrassent l'une dans l'autre, et se bouchent l'issue les unes aux autres comme dans Shakspeare. On croyait en suivre une, en voilà une seconde qui commence, puis une troisième qui coupe la seconde, et ainsi de suite, fleur sur

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fleur, girandole sur girandole, si bien, que sous les scintillements, la clarté se brouille, et que la vue finit par l'éblouissement. En revanche, et justement en vertu de cette même structure d'esprit, Taylor imagine les objets, non pas vaguement et faiblement par quelque indistincte conception générale, mais précisément, tout entiers, tels qu'ils sont, avec leur couleur sensible, avec leur forme propre, avec la multitude de détails vrais et particuliers qui les distinguent dans leur espèce. Il ne les connaît pas par ouï dire; il les a vus. Bien mieux, il les voit en ce moment, et les fait voir. Lisez ce morceau, et dites s'il n'a pas l'air copié dans un hôpital ou sur un champ de bataille : « Comment pouvons-nous nous plaindre « de la faiblesse de notre force ou de la pesanteur des maladies, quand <«< nous voyons un pauvre soldat debout sur une bâche, presque ex<< ténué de froid et de faim, sans pouvoir être soulagé de son froid que << par une chaleur de colère, par une fièvre ou par un coup de mous« quet, ni allégé de sa faim que par une souffrance plus grande ou par « quelque crainte énorme? Cet homme se tiendra debout, sous les <<< armes et sous les blessures, sous la chaleur et le soleil, pâle et épuisé, << accablé, et néanmoins vigilant. La nuit, on lui extraira une balle de << la chair, ou des éclats enfoncés dans ses os; il tendra sa bouche vio<«<lemment fendue pour qu'on la lui recouse: tout cela pour un homme << qu'il n'a jamais vu, ou qui ne l'a pas regardé s'il l'a vu, un homme « qui l'enverra à la potence s'il essaye de fuir toutes ces misères. >> Voilà l'avantage de l'imagination complète sur la raison ordinaire. Elle produit d'un bloc vingt ou trente idées et autant d'images, épuisant l'objet que l'autre ne fait que désigner et effleurer. Il y a un millier de circonstances et de nuances dans chaque événement; et ils sont tous enfermés dans des mots vivants comme ceux que voici : « J'ai « vu les gouttelettes d'une source suinter à travers le fond d'une « digue, et amollir la lourde maçonnerie, jusqu'à la rendre assez «ployante pour garder l'empreinte d'un pied d'enfant; on dédai<< gnait cette petite source, on ne s'en inquiétait pas plus que des « perles déposées par une matinée brumeuse, jusqu'au moment où << elle eut frayé sa route et fait un courant assez fort pour entraîner les <<< ruines de sa rive minée, et envahir les jardins voisins; mais alors les « gouttes dédaignées s'étaient enflées jusqu'à devenir une rivière fac«tice et une calamité intolérable. Telles sont les premières entrées du << péché; elles peuvent trouver leur barrière dans une sincère prière du <«< cœur, et leur frein dans le regard d'un homme respectable ou dans

<< les avis d'un seul sermon; mais quand de tels commencements sont «< négligés... ils se changent en ulcères et en maladies pestilentielles; << ils détruisent l'âme par leur séjour, tandis qu'à leur première entrée << ils auraient pu être tués par la pression du petit doigt. >> Tous les extrêmes se rencontrent dans cette imagination-là. Les cavaliers qui l'écoutent y trouvent comme chez Ford, Beaumont et Flechter, la copie crue de la vérité la plus brutale et la plus immonde, et la musique légère des songes les plus gracieux et les plus aériens. Les puanteurs et les horreurs médicales', et tout d'un coup les fraîcheurs et les allégresses du plus riant matin; l'exécrable détail de la lèpre, de ses boutons blancs, de sa pourriture intérieure, et cette aimable peinture de l'alouette, éveillée parmi les premières senteurs des champs. « Je l'ai vue s'élevant de son lit de gazon, et, prenant son <«<essor, monter en chantant, tâcher de gagner le ciel et gravir jus<< qu'au-dessus des nuages; mais le pauvre oiseau était repoussé par <«<le bruyant souffle d'un vent d'est, et son vol devenait irrégulier et <«< inconstant, rabattu comme il l'était par chaque nouveau coup de la << tempête, sans qu'il pût regagner le chemin perdu avec tous les <<< balancements et tous les battements de ses ailes, tant qu'enfin la << petite créature fut contrainte de se poser, haletante, et d'attendre <«< que l'orage fût passé; alors elle prit un essor heureux, et se mit à << monter, à chanter, comme si elle eût appris sa musique et son essor << d'un de ces anges qui traversent quelquefois l'air pour venir exer<«< cer leur ministère ici-bas. Telle est la prière d'un homme de bien2.» Et il continue, avec la grâce, quelquefois avec les propres mots de Shakspeare. Chez le prédicateur comme chez le poëte, comme chez tous les cavaliers et tous les artistes de l'époque, l'imagination est si complète qu'elle atteint le réel jusque dans sa fange, et l'idéal jusque dans son ciel.

Comment le vrai sentiment religieux a-t-il pu s'accommoder d'allures si mondaines et si franches? Il s'en est accommodé pourtant; bien mieux, elles l'ont fait naître : chez Taylor, comme chez les autres, la poésie libre conduit à la foi profonde. Si cette alliance aujourd'hui nous étonne, c'est qu'à cet endroit nous sommes devenus pédants. Nous prenons un homme compassé pour un homme religieux. Nous

1. Apples of Sodom. We have already opened this dung-hill covered with snow, which was indeed on the outside white as the spots of leprosy, but it was not better, etc.

2. Paroles à Carolstad.

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