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Mange pour vivre, en redisant tes prières ;

Et ne crois point que la vie soit donnée pour manger » (1).

Feuilletons pareillement le classique « Livre des conseils >> (Pend-Nameh) de Ferid ed-Din Attar († 1230), auquel les Musulmans d'Asie reconnaissent aujourd'hui encore tant d'autorité. Je cite dans la traduction de Sylvestre de Sacy. Le chapitre XIII est intitulé: « Des causes d'une bonne santé ». « Si tu désires, mon ami, jouir d'une santé parfaite, quatre choses pourront te la procurer. L'abondance des choses nécessaires à la vie, puis l'exemption de toute crainte, sont des gages certains d'une bonne santé. Si, au calme d'une âme que rien ne trouble, tu joins la vigueur du tempérament, tu n'auras plus rien à désirer de tous les biens de cette vie. Abstiens-toi, autant que tu le pourras, de te prêter aux désirs de ton âme... Écrase et foule aux pieds les penchants de ton cœur.... Traite rude ment ton âme... ; éloigne-la, autant que tu le pourras, de tout ce qui est souillé... Ne te remplis point sans mesure d'aliments et de boisson, ne t'assimile point aux animaux qui habitent les étables. Lors même que tu ne jeûnes point, prends peu de nourriture pendant le jour et ne mange point jusqu'à la satiété... O toi qui consacres au sommeil toute la durée de la nuit jusqu'au lever du jour, songe à allumer un flambeau qui t'éclaire dans les ténèbres du tombeau. Manger et dormir est une occupation digne seulement des animaux » (2).

En prenant, dans ma bibliothèque, le Pend-Nameh, pour transcrire ces graves conseils, j'entraînai du même geste les Quatrains de l'énigmatique Omar Khayyam (vers 1123), le poète de l'épicurisme tragique et de la bouffonnerie douloureuse. Le contraste avec la sagesse prolixe d'Attar est si complet que je ne résiste pas au plaisir de citer quelques vers. Adieu la frugalité !

Bois du vin... C'est lui la vie éternelle,

C'est le trésor qui t'est resté de tes jours de jeunesse :
Saison des roses et du vin, et des compagnons ivres !
Sois heureux un instant, cet instant c'est ta vie. (XXXVI)

(1) L. Cranmer-Byng, The Rose-Garden of Sa'di. London, 1910, P. 39.

(2) Pend-Nameh, ou le Livre des Conseils, de Férid-eddin Attar. Traduit et publié par Sylvestre de Sacy. Paris, 1819, pp. 42-43.

La vie passe, mystérieuse caravane,
Dérobe-lui sa minute de joie !

Porte-coupe!... Verse du vin... la nuit s'écoule... (LX)

Quand je mourrai, lave-moi avec du vin

Et fais avec du bois de vigne les planches de mon cercueil. (LXIX) (1)

Après une pareille boutade, on ne s'étonnerait pas de voir Omar décocher contre la Faculté quelque flèche barbelée : j'avoue n'avoir rien trouvé de ce genre dans les Quatrains, mais aussi n'avoir fait qu'une battue assez sommaire.

Revenons vite à une hygiène moins extravagante. Si les prudents conseils qui vont suivre évoquent le fâcheux souvenir de quelque « réclame » prudhommesque et « pharmaceutique », de grâce, n'accusons pas l'honnête Attar d'avoir plagié la quatrième page des journaux :

« Quatre choses sont d'une grande importance et dignes d'attention, quoiqu'elles semblent faibles et petites un ennemi, le feu, une indisposition qui produit un malaise, la science enfin, qui est l'ornement de l'homme... Ne néglige point une légère incommodité, travaille à y apporter remède : autrement elle acquerra des forces, et tu te verras dans l'impuissance de la guérir. Si l'on ne travaille pas à guérir un léger mal de tête, dans son commencement, il est à craindre que le tempérament ne finisse par s'altérer » (2).

Et, ajouterons-nous, si tu crois devoir confier ta santé à un homme de l'art, médite cette brève admonestation que t'adresse, au nom de ce dernier, un médecin persan anonyme : << Sache bien que moi, et toi, et la maladie, sommes trois facteurs antagonistes. Si tu veux te mettre de mon côté, ne négligeant rien de que ce je t'enjoindrai, et t'abstenant de tout aliment que je prohiberai, alors étant deux contre un, nous terrasserons ton mal » (Cf. Browne, 78).

Qui serait friand de plus de détails sur l'ancienne conception arabe de l'hygiène, trouverait, dans le Canon d'Avicenne, de longs passages traitant de l'exercice corporel et des sports,

(1) Les Quatrains d'Omar Khayyam. Trad. de Ch. Grolleau. Paris, 1902, pp. 65, 77, 81.

(2) Traduction citée, p. 104.

de la nourriture, du sommeil, des bains et de l'hydrothérapie, du massage, du soin des cheveux et de la peau, etc.

Hôpitaux et maisons de santé.

Lorsqu'un « bon musulman » tombait sérieusement malade, il pouvait être reçu dans les hôpitaux dont étaient munies les principales villes. C'étaient souvent des établissements considérables. Par exemple, le plus important des anciens hôpitaux du Caire, fondé en 1284, disposait d'un budget annuel d'environ un million de dirhems (=approximativement la même valeur en francs). Il était ouvert à tout malade, riche ou pauvre, de l'un ou de l'autre sexe. Le personnel inférieur

gardes et infirmiers était également recruté dans les deux sexes. Il y avait des départements isolés (sinon des pavillons séparés) pour les cas de fièvre, pour les cas d'ophthalmie, pour la chirurgie, pour les malades atteints de dysenterie et d'affections bénignes. L'organisation matérielle comprenait, en outre, des cuisines, des salles de lecture, des magasins où l'on conservait les médicaments et les appareils, un dispensaire, des pièces à l'usage du personnel médical. (Browne, 102). Un peu avant cette époque, les lettres de Raschid nous apprennent ce que fut le grand hôpital de Tabriz, avec ses 50 médecins renommés, assistés chacun de 10 internes choisis parmi les étudiants; sans compter les spécialistes chirurgiens, oculistes et rebouteurs, ayant chacun 5 étudiants sous leurs ordres.

Dans tous ces hôpitaux, une section, ou du moins un certain nombre de cellules, étaient réservées pour les aliénés. On rencontre, dans la littérature ascético-morale musulmane, pas mal d'histoires d'aliénés. Au sujet de ceux-ci se posaient parfois des cas de conscience troublants. Car, en Islam comme chez les Anciens, la folie gardait un caractère mystérieux : on ne savait trop, devant certaines excentricités, si l'on avait affaire à une simple maladie, ou bien à une touche exceptionnelle de la Divinité, qui n'est point astreinte à respecter nos convenances. Aussi y eut-il des fous qui passèrent pour sages, mais aussi des sages, des « soufis inspirés du ciel >> qui passèrent pour fous et se firent colloquer. Ces derniers purent s'écrier, avec le poète mystique, Djélal ed-Dîn Roumi : « Me voilà redevenu fou, ô médecin. Me voilà redevenu fou

(d'amour divin), ô ami... Ma folie a tellement perdu toute mesure, qu'il n'est pas un fou (un sage de ce monde) qui ne croie devoir m'offrir ses conseils » (1).

-

« Un quidam disait : J'ai besoin d'un homme intelligent pour le consulter sur une difficulté.

Quelqu'un lui répondit: Dans notre ville, nul n'est vraiment intelligent, sauf un certain homme qui feint d'être fou.

Vois-tu, là-bas, quelqu'un qui chevauche sur une canne, au milieu d'une troupe d'enfants?

C'est un homme de jugement sûr et d'esprit pénétrant ; grand comme le firmament, brillant comme les étoiles.

Sa splendeur reflète la vie même des chérubins, Mais il demeure caché sous le voile de cette prétendue folie » (2). Folie feinte, dans ce cas? Soit; cependant Djélal fait sagement d'ajouter :

« Ne va pas croire, maintenant, que tout insensé soit une âme (supérieure) » (3).

Voulez-vous entendre l'aventure de Zou'n Noun, l'Égyptien un cheikh soufi de grande réputation (+ 860)? Je laisse au lecteur de poser le diagnostic et d'apprécier la légalité de l'internement :

Une nouvelle attaque de troubles mentaux et de vésanie saisit Zou'n Noun.

Sa folie devint si grande, qu'elle provoqua de l'affliction jusque par-dessus les cieux....

La populace ne put supporter sa conduite étrange; son feu intérieur offusquait leur religion formaliste ;

... ils l'enchaînèrent et le jetèrent en prison.

... Ses amis vinrent alors à la prison pour s'occuper de sa cause; et ils faisaient conjecture sur son cas :

Peut-être, disaient-ils, agit-il ainsi par dessein, et y a-t-il quelque raison mystérieuse de sa conduite; car, dans notre religion, il est un « qibla » (homme privilégié, centre de vie religieuse) et une testification miraculeuse (de Dieu)....

A Dieu ne plaise, qu'en une situation si élevée le nuage de la folie ait éclipsé la lune (de son intelligence)!

(1) Masnavi, by Jalalu'd-Dîn Rûmî. Book II. Translated by

C. E. Wilson. Vol. I. London, 1910, p. 121.

(2) Masnavî, etc... p. 203.

(3) Ibid.

...

Dès qu'ils approchèrent de lui, il se mit à crier : Holà! qui êtes-vous? prenez garde!

Ils répondirent courtoisement: Nous, tes amis, nous sommes venus pour nous enquérir, cordialement, de ta santé.

Comment te portes-tu, ô Océan d'intelligence variée ?... O Lune, ne cache point ta face derrière un nuage de mystère !

... Zou'n Noun, alors, de proférer à tort et à travers, toutes sortes d'expressions grossières et blessantes; comme un insensé, il prononçait des paroles dénuées de signification.

Puis soudain, sautant sur ses pieds, il lança (vers ses amis) une volée de pierres et de bâtons. Tous s'enfuirent, par peur des coups.

Lui, alors, éclata de rire, et secoua la tête avec mépris... Voilà bien des amis, disait-il ! Quel signe d'amitié montrentils? Aux amis véritables, la peine supportée (par amitié) est la vie même.

Un ami doit-il fuir la peine que lui inflige son ami ? » (1)

Formation médicale.

Laissons à son embarras le médecin qui fut sans doute appelé à se prononcer sur les exercices balistiques de Zou'n Noun. Était-ce un médecin autorisé, possédant ses parchemins, ou bien un empirique d'occasion? La question peut être posée. Car, à certains moments, dans l'empire arabe, l'exercice de la médecine fut réglementé par les pouvoirs publics. A la suite d'une bévue d'un guérisseur ignorant, le calife al Mouqtadir prescrivit, en 931, du moins pour la région de Bagdad, un examen préalable. Les médecins déjà établis furent invités, à l'exception d'un petit nombre de praticiens d'une compétence connue, à subir devant le médecin de la Cour, une épreuve d'où dépendait pour eux la licence de pratiquer.

A vrai dire, cet examen ne dut pas être bien terrible, comme le montre l'amusant récit que nous transcrivons ci-après.

Parmi les candidats qui se présentèrent devant Sinân, le médecin délégué par le calife, se trouvait un homme âgé,

(1) Masnavî, etc..., pp. 121 à 128.

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