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tion; elle est avant tout travail d'intelligence. Elle exprime ses résultats en termes de pensée abstraite, en des concepts généraux. Mais ces concepts, d'une part, elle les détermine uniquement par l'étude des phénomènes sensibles qu'ils embrassent, et d'autre part, elle ne leur demande que de fournir la clef permettant de retrouver et de prévoir les phénomènes. Nous expliquerons cela plus à fond dans la suite. Bornons-nous pour le moment à constater que tel est bien l'objet de la science.

Esquissons la suite de ses démarches. Le savant commence par ouvrir grandes, les portes de ses sens, puis pour suppléer à l'insuffisance de ceux-ci, il se construit d'ingénieux appareils qui centuplent leur acuité ou qui lui en créent en quelque sorte de nouveaux. Il observe le monde dans ses moindres détails. Les observations sont généralement guidées par un but entrevu, un pressentiment à vérifier. Mais schématisons et laissons cette première démarche à ce qu'elle a de spécifique. Voici l'imagination enrichie d'un opulent butin de phénomènes. Le savant peut rebâtir le monde avec ces matériaux, il peut l'imaginer; il ne sait pas encore comment il doit le faire.

Car son intelligence a conscience, même avant que les sens lui aient indiqué des consécutions et des groupements constants, que des unités, des nécessités dominent les phénomènes fluents et dispersés; unités et nécessités que l'intelligence n'a pas à y mettre suivant son bon plaisir, mais qu'elle doit accepter de la réalité. Le grand labeur du savant sera précisément de les reconnaître afin de pouvoir réédifier le contenu imaginatif comme il doit l'être, et non plus au hasard des associations. Dans un tableau du monde, les mêmes matériaux pourraient être mis en œuvre par l'artiste et par le savant; mais comme ils seraient différemment groupés, inégalement charpentés !

L'unité et la nécessité organisatrices, le savant les exprime ordinairement par des lois. Les phénomènes y sont fonction de l'espace, du temps, d'autres phénomènes.

Les classifications du botaniste, du zoologiste en sont un exemple; elles affirment, somme toute, que telle configuration, tel éploiement spatial de couleurs, ne sont pas œuvre de hasard, mais caractérisent un type.

Autre exemple ! L'observateur voit mille fois tomber des corps, dans des conditions diverses, avec des vitesses différentes. Cependant ces vitesses ne sont pas quelconques, comme le laisserait supposer l'expérience immédiate. Elles réalisent chacune, sous telle ou telle modalité, uue idée unique qu'exprime la formule simple, mais théorique : v = gt.

De même enfin les lois de Mariotte et de Gay Lussac révèlent, sous l'arbitraire des apparences, une nécessaire solidarité entre la pression, le volume et la température d'un gaz.

Dans un effort ultérieur de systématisation, dans un désir d'unité plus étroite, le savant élabore la théorie. Il y établit que les lois très diverses concernant un ensemble de phénomènes sont vérifiées si l'on imagine tel phénomène simple, soumis à quelques lois plus générales que les premières. La théorie est le plus souvent de l'ordre de l'hypothèse, c'est-à-dire qu'elle affirme sans constater; elle gagne en certitude à mesure qu'elle devient plus largement explicative et que des expérimentations multipliées en des domaines différents la vérifient; elle triomphe plus encore lorsque l'observation découvre des phénomènes nouveaux qu'elle avait fait prévoir.

Comme exemple simple de théorie, citons celle de l'attraction universelle. Les corps tombent suivant une loi; les astres se meuvent suivant des lois. Très bien; mais pourquoi cette multiplicité de lois, et pourquoi précisément ces lois-là? Tout s'explique si (propriété indécelable par nos sens) les corps sont tels qu'ils s'attirent en raison directe de leurs masses, et en raison inverse du carré de leur distance. Mais d'où proviendrait cette attraction mutuelle ? De nouveau l'hypothèse inter

vient et tente de rattacher le phénomène précédemment supposé à un plus vaste ensemble. Et l'on parle de bombardement des corps par l'éther, ou de tension du milieu ou d'autre chose encore.

Nous avons schématisé le développement scientifique. Mais ce que nous avons dit suffit à faire constater que si le savant se base sur l'examen attentif du phénomène, et si le terme de son étude est un tableau phénoménal, il n'y a pourtant science que lorsque son intelligence en des concepts généraux, des points de vue d'unité, des lois, solidifie, articule, organise les représentations. «Comment faut-il imaginer le monde ? » telle est bien la question que se pose la science.

Esquissons maintenant le but et le procédé de la métaphysique.

La métaphysique prétend nous apprendre ce qu'est l'être en tant qu'être.

« Je ne vous comprends pas, dira l'empiriste; l'être vous le voyez, vous le palpez; mes instruments vous le dépècent, en fouillent tous les recoins. Pour autant qu'elle se distinguerait de la science, votre étude de l'être n'aurait pas d'objet.

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Soit, il n'y a qu'à regarder pour voir l'être, à écouter pour l'entendre, à toucher pour le sentir. Mais il ne s'agit plus de le décrire par ce que l'on en voit, par ce que l'on en entend, par ce que l'on en sent; il s'agit d'éclaircir ce qu'il est en lui-même.

Cela a-t-il un sens ? Mais oui. C'est une des données manifestes de notre conscience qu'outre la couleur, le son, la résistance, nous atteignons la valeur d'être, de réalité. Le sensible suppose cette valeur; il ne fait que l'habiller, nous la spécifier.

C'est même parce que nous percevons cette valeur spéciale d'être que nous ne nous sentons plus libres de reconstituer le monde au hasard ou à notre gré; il y

a une vérité et une seule. Mais aussi cette valeur d'être ne se lit-elle pas par les sens ou l'imagination; les scalpels et les réactifs n'ont pas prise sur elle; c'est l'intelligence qui la saisit et qui la pèse.

Seulement, nous ne nous donnons pas la peine le plus souvent de réfléchir à ce constituant primordial de notre connaissance. Nous sommes noyés dans le sensible. Tout en sachant que l'être est, et en fondant profondément làdessus nos pensées et nos actes, notre attention se porte sur les phénomènes comme tels. Une fois élucidé le mystère des apparences, ce qui est l'affaire du savant, nous ne nous étonnons plus de rien. Et pourtant il reste un mystère profond, le mystère de l'être. Car les objets dont nous croyons tout savoir parce que nous avons fixé leur histoire, leur agencement, leur usage,... ces objets sont. Pour le coup, notre imagination demeure silencieuse, déroutée; notre intelligence, elle, a tressailli. Ces objets sont... et nous-mêmes, nous sommes. Nous qui nous sommes si familiers, qui pensons si bien nous connaître, parce que notre mémoire est riche en souvenirs, parce que nous avons constaté nos goûts, nos répugnances, parce que nous nous sentons vivre, parce que nous entrevoyons quelques étapes de notre avenir, nous demeurons interdits, lorsque nous nous disons que nou; sommes. Nous ne nous comprenons plus, si comprendre veut dire relier des phénomènes, rattacher des apparences nouvelles aux anciennes ; nous voilà devant un fait simple, originel, qui soutient tous les autres, un fait qui ne se peint pas devant nos yeux, mais qui cependant nous émeut, auquel notre intelligence sympathise, et dans le mystère duquel elle pressent de grandes choses.

L'être, c'est donc la donnée toujours présente dans notre connaissance, irréductible aux phénomènes, mais trop souvent inaperçue dans son originalité et sa portée, la donnée que la métaphysique se propose d'étudier, non pour nous dire l'impression que l'être fait sur nos sens

ou la façon dont il faut l'imaginer, mais pour savoir ce qu'il est en lui-même. Avant de découvrir que le monde est ceci ou cela, il faut d'abord savoir que le monde est. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'est-ce que cela comporte ?

Peut-être ne parviendrons-nous pas à quitter notre point de départ : nous ne saurons que dire : « C'est au réel que nous avons affaire; l'être est ». Tel fut le premier mot de la métaphysique au temps des Éléates. Ce serait déjà, tout au moins, prendre conscience d'un problème très grand et très humain. Peut-être aussi verrons-nous sous l'effort de notre pensée (et c'est de fait ce que nous verrons) le réel se hiérarchiser, se composer, se diversifier d'une diversité interne, non réductible à la diversité extérieure que sont les phénomènes, et parviendrons-nous à édifier toute une science de l'être comme tel.

Exposons très brièvement la méthode de cette science sui generis et les grandes lignes de son développement. La métaphysique n'est pas expérimentale. Ce n'est qu'accidentellement et point par le jeu de sa méthode, que l'expérience y intervient. Une civilisation plus nuancée, une connaissance plus personnelle de la vie, les découvertes scientifiques peuvent éveiller de nouveaux problèmes, mettre sur la voie de nouvelles solutions; mais problèmes et solutions qu'un esprit suffisamment puissant aurait pu rencontrer à priori, avant l'influence d'aucun fait. En principe, une seule expérience suffit au métaphysicien, l'expérience élémentaire que toutes les autres diversifient, celle que nous faisons quand nous prenons conscience de saisir du réel habillé de qualités sensibles.

L'instrument dont se sert la métaphysique pour dégager de cette expérience ce qu'elle contient est le principe de contradiction: « le réel ne peut pas être contradictoire >> ou encore : «< il ne peut pas être et ne pas être, sous le même rapport ».

Nier ce principe est impossible. Qu'on puisse le faire

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