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Pour avoir meilleur marché des partisans de la loi naturelle, M. de La Mennais feint de les voir tous hors du Christianisme, ou du moins c'est à ceux-ci seulement qu'il s'attaque. Mais jusque-là le combat n'est engagé qu'avec la portion la moins nombreuse, et, pour lui, la moins redoutable de ses adversaires; et, quand il parviendrait à les vaincre, il lui resterait encore à lutter contre les auteurs chrétiens, qui célèbrent tous la réalité de cette loi. Il ne peut regarder son triomphe comme complet et chanter victoire qu'après avoir étouffé leur voix unanime. C'est une entreprise difficile; on voit qu'il appréhende de l'aborder, et qu'il ne se présente qu'avec timidité devant cette nouvelle espèce d'ennemis. A leur tête, il trouve saint Paul, autorité qui ne laisse pas que d'être embarrassante; et, ne pouvant ni la méconnaître ni la décliner, contraint de l'accepter, il la tourmente pour lui donner un aspect favorable à ses vues. « Parmi les chrétiens, dit-il, ceux qui prétendent que chaque homme trouve en soi, sans le secours d'aucun enseignement, les dogmes et les préceptes de la religion primitive qu'ils nomment naturelle; ceux-là, dis-je, s'appuient sur l'autorité de saint Paul, dans son épître aux Romains. Mais si l'on examine avec attention le passage qu'ils citent, on verra qu'il n'est rien moins que décisif en leur faveur. Le texte de l'apôtre est celui-ci : Les nations qui n'ont point la loi (de Moïse) accomplissent naturellement les préceptes de la loi; ceux-là n'ayant pas la loi, sont à eux

mêmes la loi; ils montrent l'œuvre de la loi ecrite dans leur cœur, leur conscience leur rendant témoignage, et leurs pensées s'accusant et se défendant les unes les autres1.

« Il résulte des paroles de saint Paul, 1° qu'il existe chez toutes les nations une loi morale; 2° que cette loi est naturelle ou conforme à la nature; 3° qu'elle est écrite dans le cœur ; 4o que la conscience la reconnaît et lui rend témoignage. Conclure de là que cette loi, pour être connue, n'a pas besoin d'être enseignée, c'est faire dire à l'Apôtre ce qu'il n'a point dit, c'est ajouter une opinion à une vérité certainė. La loi dont parle saint Paul est universelle; elle appartient à tous les peuples, gentes, s'ensuit-il que la connaissance en soit innée dans chaque homine? Pourquoi cette connaissance ne lui viendrait-elle point, comme celle de toutes les vérités universelles, par la société qui en conserve le dépôt ? Une fois connue, elle se grave dans le cœur, elle y devient un sentiment, et c'est ce sentiment qui s'appelle conscience'. »

Quand on connaît la manière ferme et tranchante de l'auteur, on est tout étonné du ton circonspect, embarrassé, défiant, que respire son commentaire de l'Apôtre.

1. Cum enim gentes quæ legem non habent, naturaliter ea quæ legis sunt, faciunt, ejusmodi legem non habentes, ipsi sibi sunt lex. Qui ostendunt opus legis scriptum in cordibus suis, testimonium reddente illis conscientia ipsorum, et inter se invicem cogitationibus accusantibus, aut etiam defendentibus. (Rom., cap. II, v. 14-15.)

2. Essai sur l'indif., IVe partie, chap. 1.

Est-ce bien de M. de La Mennais qu'est cette forme dubitative? « Pourquoi la connaissance de la loi naturelle ne viendrait-elle pas à l'homme, comme toutes les vérités universelles, par la société qui en conserve le dépôt? >> On dirait, non pas qu'il donne une preuve, mais qu'il sollicite une concession. Passons.

Je ne sais si c'est par une illusion invincible, ou par un stratagème toujours nécessaire à ses vues, qu'il s'obstine à confondre la connaissance de la loi naturelle avec la réalité de son existence en nous; mais lorsqu'il prétend que les auteurs chrétiens, auxquels il a maintenant à faire, déduisent du texte de saint Paul que la loi naturelle se manifeste d'elle-même sans aucun enseignement, et qu'ensuite il attaque cette conclusion comme fausse et arbitraire, il leur prête gratuitement une manière de raisonner qui n'est pas la leur, il poursuit un fantôme de son imagination troublée, sans s'apercevoir qu'il s'agite toujours à côté de la question. Encore un coup, de quoi s'agit-il ici? de savoir si c'est par l'enseignement ou par la seule force de la pensée, que nous parvenons à connaître la loi naturelle? Non, mais si cette loi naturelle réside en nous comme partie de notre être; que Platon, par exemple, ait emprunté aux traditions antiques de l'Asie, aux livres hébreux, les idées si sublimes qu'il nous a léguées sur cette loi, ou qu'il les ait découvertes par la puissance de la réflexion, comme on le croit communément, peu importe, ce n'est pas là l'état de la question. La loi naturelle, ca

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chée ou manifeste, silencieuse ou parlante, reposait-elle dans l'esprit de Platon, comme faisant partie de sa nature raisonnable, oui ou non? Voilà ce qu'il faut déci der. Or, Platon ne balance pas à déclarer qu'il la voit dans la lumière de son esprit, comme appartenant à son essence. Et qui ne sait que c'est là la base de son enseignement? N'est-ce pas aussi dans son esprit que la voyait Cicéron, lui qui, ébloui de sa vive lumière, ne craint pas d'assurer que dans l'impossible supposition où toutes les idées, même celles des dieux et des hommes,. viendraient à déserter l'âme humaine, l'idée de la loi naturelle y resterait encore? «Si nous avons, dit-il, retiré quelque fruit de l'étude de la philosophie, ce doit être surtout la conviction qu'alors même que nous pourrions nous dérober aux regards et des dieux et des hommes, nous ne devrions pas moins nous interdire tout acte d'avarice, d'iniquité, d'incontinence, de débauche'. » Telle est l'idée qu'il se faisait de la loi naturelle. Aussi appelle-t-il cette loi « la raison souveraine, résidant dans notre nature, prescrivant les choses qu'il faut faire, et défendant les choses opposées'. »

Après de pareils textes, qui expriment si nettement la doctrine de Cicéron, il serait permis de s'étonner que

1. Satis enim nobis, si modo aliquid in philosophia profecimus, persuasum esse debet, si omnes deos hominesque celare possemus, nihil tamen avare, nihil injuste, nihil libidinose, nihil incontinenter esse faciendum. (Cic. de Officüs, lib. III, cap. vIII.)

2. Lex est ratio summa insita in natura, quæ jubet ea quæ facienda sunt, prohihetque contraria. De leg. lib. I, cap. vi.)

M. de La Mennais ait le courage d'invoquer son témoignage, si on ne connaissait sa constante habitude de s'étayer des écrivains les plus opposés à son système, et selon le besoin du moment, de leur emprunter des passages, pour peu qu'en les mutilant il puisse leur donner une apparence favorable à l'idée qu'il développe. Chez lui il n'est guère de pages qui n'en offrent quelque exemple. En voici un qui regarde Cicéron même et la question qui nous occupe. «Je vois, dit Cicéron, que c'était le sentiment des sages, que la loi n'est point une invention de l'esprit de l'homme ni une ordonnance des peuples, mais quelque chose d'éternel, qui régit tout l'univers par des coinmandements et des défenses pleines de sagesse. C'est pourquoi ils disaient que cette loi première et dernière est le jugement même de Dieu qui ordonne ou défend selon la raison; et c'est de cette loi que vient celle que les dieux ont donnée au genre humain. » C'est là que s'arrête M. de La Mennais, qui avait à établir que Dieu a révélé à l'homme, par la parole, la loi naturelle. Le sens de cette dernière phrase étant vague, parce qu'elle est suspendue, il en fait son profit. Ajoutons les mots qui la complètent et la déterminent, et qui suivent immédiatement, et elle se tournera contre lui : « La loi est la raison et l'esprit du sage, merveilleusement propre à ordonner et à interdire'. »

1. Lex est enim ratio mensque sapientis, ad jubendum et deterrendum prorsus idonea.

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