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soi, et il n'a pu trouver en soi l'obéissance qu'il n'avait pas voulu rendre à Dieu. De là vient qu'il est manifestement misérable en ce qu'il ne vit pas comme il l'entend. Il est vrai que s'il vivait à son gré, il se croirait bienheureux; mais il ne le serait pas même de la sorte, à moins qu'il ne vécût comme il faut.

CHAPITRE XXV.

Qu'on ne saurait être vraiment heureux en cette vie.

A y regarder de près, l'homme heureux seul vit selon sa volonté, et nul n'est heureux s'il n'est juste; mais le juste même ne vit pas comme il veut, avant d'être parvenu à un état où il ne puisse plus ni mourir, ni être trompé, ni souffrir de mal, et tout cela avec la certitude d'y demeurer toujours. Tel est l'état que la nature désire; et elle ne saurait être pleinement et parfaitement heureuse qu'elle n'ait obtenu l'objet de ses vœux. Or, quel est l'homme qui puisse dès à présent vivre comme il veut, lorsqu'il n'est pas seulement en son pouvoir de vivre? Il veut vivre, et il est contraint de mourir. Comment donc vivra-t-il comme il l'entend, cet être qui ne vit pas autant qu'il le souhaite? Que s'il veut mourir, comment peut-il vivre comme il veut, lorsqu'il ne veut pas vivre? Et même, de ce qu'il veut mourir, il ne s'ensuit pas qu'il ne soit bien aise de vivre; mais il veut mourir pour vivre après la mort. Il ne vit donc pas encore comme il veut, mais il vivra selon son désir, quand il sera arrivé en mourant où il désire arriver. A la bonne heure! qu'il vive comme il veut, puis

qu'il a gagné sur lui de ne vouloir que ce qui se peut, suivant le précepte de Térence:

<< Ne pouvant faire ce que tu veux, tâche de vouloir ce qui se peut 1. >>

Mais est-ce bien le bonheur que de souffrir son mal en patience? Si l'on n'aime réellement la vie bienheureuse, on ne la possède point. Or, pour l'aimer comme il faut, il est nécessaire de l'aimer par-dessus tout, puisque c'est pour elle que l'on doit aimer tout ce que l'on aime. Mais si on l'aime autant qu'elle mérite d'être aimée (car celui-là n'est pas heureux qui n'aime pas la vie bienheureuse autant qu'elle le mérite), il ne se peut faire que celui qui l'aime ainsi ne désire qu'elle soit éternelle : sa béatitude tient donc essentiellement à son éternité.

CHAPITRE XXVI.

Que les hommes auraient rempli sans rougir, dans le paradis, l'office de la génération.

L'homme vivait donc dans le paradis comme il voulait, puisqu'il ne voulait que ce qui était conforme au commandement divin; il vivait jouissant de Dieu, et bon par sa bonté; il vivait sans aucune indigence, et pouvait vivre éternellement. S'il avait faim, les aliments ne lui manquaient pas, ni, s'il avait soif, les breuvages, et l'arbre de vie le défendait contre la vieillesse. Aucune corruption dans sa chair qui pût lui causer la moindre douleur. Point de ma

1 Andrienne, acte II, scène 1, v. 5, 6.

ladies à craindre au dedans, point d'accidents au dehors. Son corps jouissait d'une pleine santé, et son âme d'une tranquillité absolue. Tout comme le froid et le chaud étaient inconnus dans le paradis, ainsi son heureux habitant était à l'abri des vicissitudes de la crainte et du désir. Ni tristesse, ni fausses joies; toute sa joie venait de Dieu, qu'il aimait d'une ardente charité, et cette charité prenait sa source dans un cœur pur, une bonne conscience et une foi sincère. La société conjugale y était accompagnée d'un amour honnête. Le corps et l'esprit vivaient dans un parfait accord, et l'obéissance au commandement de Dieu était facile; car il n'y avait à redouter aucune surprise, soit de la fatigue, soit du sommeil. Dieu nous garde de croire qu'avec une telle facilité en toutes choses et une si grande félicité, l'homme eût été incapable d'engendrer sans le secours de la concupiscence. Les parties destinées à la génération auraient été mues, comme les autres membres, par le seul com→ mandement de la volonté. Il aurait pressé sa femme dans ses bras avec une entière tranquillité de corps et d'esprit, sans ressentir en sa chair aucun aiguillon de volupté et sans que la virginité de sa femme en souffrit aucune atteinte. Si l'on objecte que nous ne pouvons invoquer ici le témoignage de l'expérience, je réponds que ce n'est pas une raison d'être incrédule;

'I Tim., 1, 5.

3

2 Comparez cette description du paradis avec celles de saint Basile (Homilia de Paradiso) et de saint Jean Damascène (De Fide orth., lib. 11, cap. 11).

Il y a ici un ressouvenir de Virgile: Conjugis infusus gremio........ (Enéide, livre VIII, v. 406.)

car il suffit de savoir que c'est la volonté et non une ardeur turbulente qui aurait présidé à la génération. Et d'ailleurs, pourquoi la semence conjugale eût-elle nécessairement fait tort à l'intégrité de la femme, quand nous savons que l'écoulement des mois n'en fait aucun à l'intégrité de la jeune fille? Injection, émission, les deux opérations sont inverses, mais la route est la même. La génération se serait donc accomplie avec la même facilité que l'accouchement; car la femme aurait enfanté sans douleur, et l'enfant serait sorti du sein maternel sans aucun effort, comme un fruit qui tombe lorsqu'il est mûr. Nous parlons de choses qui sont maintenant honteuses, et quoique nous tâchions de les concevoir telles qu'elles auraient pu être alors qu'elles étaient honnêtes, il vaut mieux néanmoins céder à la pudeur qui nous retient, que de nous laisser aller au mouvement de notre faible éloquence. L'observation nous faisant ici défaut, tout comme à nos premiers parents (car le péché et l'exil, juste châtiment du péché, les empêchèrent de s'unir saintement), il nous est difficile de concevoir cette union calme et libre sans le cortége des mouvements déréglés qui la troublent présentement; et de là cette retenue qu'on observe à parler de ces matières, quoique l'on ne manque pas de bons raisonnements pour les éclaircir. Mais le Dieu tout-puissant et souverainement bon, créateur de toutes les natures, qui aide et récompense les bonnes volontés, abandonne et condamne les mauvaises, et les ordonne toutes, ce Dieu n'a pas manqué de moyens pour tirer de la masse corrompue du genre humain un certain nombre de

prédestinés, comme autant de pierres vivantes qu'il veut faire entrer dans la structure de sa cité, ne les discernant point par leurs mérites, puisqu'ils étaient tous également corrompus, mais par sa grâce, et leur montrant, non-seulement par eux-mêmes qu'il délivre, mais aussi par ceux qu'il ne délivre pas, combien ils lui sont redevables. On ne peut en effet imputer sa délivrance qu'à la bonté gratuite de son libérateur, quand on se voit délivré de la compagnie de ceux avec qui l'on méritait d'être châtié. Pourquoi donc Dieu n'aurait-il pas créé ceux qu'il prévoyait devoir pécher, puisqu'il était assez puissant pour les punir ou pour leur faire grâce, et que sous un maître si sage, les désordres même des méchants contribuent à l'ordre de l'univers?

CHAPITRE XXVII.

Des hommes et des anges prévaricateurs, dont le péché ne trouble pas l'ordre de la divine Providence.

Les anges et les hommes pécheurs ne font rien dès lors qui puisse troubler l'économie des grands ouvrages de Dieu, dans lesquels sa volonté se trouve toujours accomplie '. Comme il dispense à chaque chose ce qui lui appartient avec une sagesse égale à sa puissance, il ne sait pas seulement bien user des bons, mais encore des méchants. Ainsi, usant bien du mauvais ange, dont la volonté s'était tellement endurcie qu'il n'en pouvait plus avoir de bonne, pourquoi n'aurait-il pas permis qu'il tentât le premier

1 Psal., CX, 2.

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