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Chacun souhaite donc d'avoir la paix avec ceux qu'il veut gouverner à son gré, et quand un homme fait la guerre à des hommes, c'est pour les rendre siens, en quelque sorte, et leur dieter ses conditions de paix.

Supposons un homme comme celui de la fable et des poëtes', farouche et sauvage au point de n'avoir aucun commerce avec personne. Pour royaume, il n'avait qu'un antre désert et affreux; et il était si méchant qu'on l'avait appelé Cacus, nom qui exprime la méchanceté', Près de lui, point de femme, pour échanger des paroles affectueuses; point d'enfants dont il pût partager les jeux dans leur jeune âge et guider plus tard l'adolescence; point d'amis enfin avec qui s'entretenir, car il n'avait pas même pour ami Vulcain, son père : plus heureux du moins que ce dieu, en ce qu'il n'engendra point à son tour un monstre semblable à lui-même. Loin de rien donner à personne, il enlevait aux autres tout ce qu'il pouvait; et cependant, au fond de cette caverne, toujours trempée, comme dit le poëte', de quelque massacre récent, que voulait-il? posséder la paix, goûter un repos que nulle crainte et nulle violence ne pussent troubler. Il voulait enfin avoir la paix avec son corps, et ne goûtait de bonheur qu'autant qu'il jouissait de cette paix. Il commandait à ses membres, et ils lui obéissaient; mais afin d'apaiser cette guerre intestine que lui faisait la faim, et

'La suite du passage fait voir qu'il s'agit ici de la fable de Cacus, racontée par Virgile, à qui saint Augustin emprunte plus d'une expression.

2 Kzxó, méchant.

3 Virgile, Enéide, livre VIII, v. 195-196.

d'empêcher qu'elle chassât son âme de son corps, il ravissait, tuait, dévorait, ne déployant cette cruauté barbare que pour maintenir la paix entre les deux parties dont il était composé; de sorte que, s'il eût voulu entretenir avec les autres la paix qu'il tâchait de se procurer à lui-même dans sa caverne, on ne l'eût appelé ni méchant ni monstre. Que si l'étrange figure de son corps et les flammes qu'il vomissait. par la bouche l'empêchaient d'avoir commerce avec les hommes, peut-être était-il féroce à ce point, beaucoup moins par le désir de faire du mal que par la nécessité de vivre. Mais disons plutôt qu'un tel homme n'a jamais existé que dans l'imagination des poëtes, qui ne l'ont dépeint de la sorte qu'afin de relever à ses dépens la gloire d'Hercule. En effet, les animaux même les plus sauvages s'accouplent et ont des petits qu'ils nourrissent et qu'ils élèvent; et je ne parle pas ici des brebis, des cerfs, des colombes, des étourneaux, des abeilles, mais des lions, des renards, des vautours, des hiboux. Un tigre devient doux pour ses petits et les caresse. Un milan, quelque solitaire et carnassier qu'il soit, cherche une femelle, fait son nid, couve ses œufs, nourrit ses petits, et se maintient en paix dans sa maison avec sa compagne comme avec une sorte de mère de famille. Combien donc l'homme est-il porté plus encore par les lois de sa nature à entrer en société avec les autres hommes et à vivre en paix avec eux! C'est au point que les méchants mêmes combattent pour maintenir la paix des personnes qui leur appartiennent, et voudraient, s'il était possible, que tous les hommes leur fussent soumis, afin que tout obéit à

un seul et fût en paix avec lui, soit par crainte, soit par amour. C'est ainsi que l'orgueil, dans sa perversité, cherche à imiter Dieu. Il ne veut point avoir de compagnons sous lui, mais il veut être maître au lieu de lui. Il hait donc la juste paix de Dieu, et il aime la sienne, qui est injuste; car il faut qu'il en aime une, quelle qu'elle soit, n'y ayant point de vice tellement contraire à la nature qu'il n'en laisse subsister quelques vestiges.

Celui donc qui sait préférer la droiture à la perversité et ce qui est selon l'ordre à ce qui est contre l'ordre reconnaît que la paix des méchants mérite à peine ce nom en comparaison de celle des gens de bien. Et cependant il faut de toute nécessité que ce qui est contre l'ordre entretienne la paix à quelques égards avec quelqu'une des parties dont il est composé; autrement, il cesserait d'être. Supposons un homme suspendu par les pieds, la tête en bas, voilà l'ordre et la situation de ses membres renversés, ce qui doit être naturellement au-dessus étant au-dessous. Ce désordre trouble done la paix du corps, et c'est en cela qu'il est pénible. Toutefois, l'âme ne cesse pas d'être en paix avec son corps et de travailler à sa conservation, sans quoi il n'y aurait ni douleur, ni patient qui la ressentit. Que si l'âme, succombant sous les maux que le corps endure, vient à s'en séparer, tant que l'union des membres subsiste, il y a toujours quelque sorte de paix entre eux; ce qui fait qu'on peut encore dire: Voilà un homme qui est pendu. Pourquoi le corps du patient tend-il vers la terre et se débat-il contre le lien qui l'enchaîne? C'est qu'il veut jouir de la paix qui lui est propre.

Son poids est comme la voix par laquelle il demande qu'on le mette en un lieu de repos, et, quoique privé d'âme et de sentiment, il ne s'éloigne pourtant pas de la paix convenable à sa nature, soit qu'il la possède, soit qu'il y tende. Si on l'embaume pour l'empêcher de se dissoudre, il y a encore une sorte de paix entre ses parties, qui les tient unies les unes aux autres, et qui fait que le corps tout entier demeure dans un état convenable, c'est-à-dire dans un état paisible. Si on ne l'embaume point, il s'établit un combat des vapeurs contraires qui sont en lui et qui blessent nos sens, ce qui produit la putréfaction, jusqu'à ce qu'il soit d'accord avec les éléments qui l'environnent, et qu'il retourne pièce à pièce dans chacun d'eux. Au milieu de ces transformations, dominent toujours les lois du souverain Créateur, qui maintient l'ordre et la paix de l'univers; car, bien que plusieurs petits animaux soient engendrés du cadavre d'un animal plus grand, chacun d'eux, par la loi du même Créateur, a soin d'entretenir avec soi-même la paix nécessaire à sa conservation. Et quand le corps mort d'un animal serait dévoré par d'autres, il rencontrerait toujours ces mêmes lois partout répandues, qui savent unir chaque chose à celle qui lui est assortie, quelque désunion et quelque changement qu'elle ait pu souffrir.

CHAPITRE XIII.

Que la paix universelle, fondée sur les lois de la nature, ne peut être détruite par les plus violentes passions, le Juge équitable et souverain faisant parvenir chacun à la condition qu'il a méritée.

Ainsi la paix du corps réside dans le juste tempérament de ses parties, et celle de l'âme sensible dans le calme régulier de ses appétits satisfaits. La paix de l'âme raisonnable, c'est en elle le parfait accord de la connaissance et de l'action; et celle du corps et de l'âme, c'est la vie bien ordonnée et la santé de l'animal. La paix entre l'homme mortel et Dieu est une obéissance réglée par la foi et soumise à la loi éternelle; celle des hommes entre eux, une concorde raisonnable. La paix d'une maison, c'est une juste correspondance entre ceux qui y commandent et ceux qui y obéissent. La paix d'une cité, c'est la même correspondance entre ses membres. La paix de la Cité céleste consiste dans une union trèsréglée et très-parfaite pour jouir de Dieu, et du prochain en Dieu; et celle de toutes choses, c'est un ordre tranquille. L'ordre est ce qui assigne aux choses différentes la place qui leur convient. Ainsi, bien que les malheureux, en tant que tels, ne soient point en paix, n'étant point dans cet ordre tranquille que rien ne trouble, toutefois, comme ils sont justement malheureux, ils ne peuvent pas être tout à fait hors de l'ordre. A la vérité, ils ne sont pas avec les bienheureux; mais au moins c'est la loi de l'ordre qui les en sépare. Ils sont trou

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