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DU JEUNE ANACHARSIS

EN GRÈCE,

VERS LE MILIEU DU QUATRIÈME SIÈCLE AVANT JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE LXXIX.

SUITE DU VOYAGE DE DÉLOS.

Sur les Opinions religieuses.

J'AI dit que le discours de Philoclès fut interrompu par l'arrivée de Démophon. Nous avions vu de loin ce jeune homme s'entretenir avec un philosophe de l'école d'Élée. S'étant informé du sujet que nous traitions: N'attendez votre bonheur que de vous-même, nous. dit-il; j'avais encore des doutes, on vient de les éclaircir. Je soutiens qu'il n'y a point de dieux, ou qu'ils ne se mêlent pas des choses d'ici-bas. Mon fils, répondit Philoclès, j'ai vu bien des gens qui, séduits

à votre âge par cette nouvelle doctrine, l'ont abjurée dès qu'ils n'ont plus eu d'intérêt à la soutenir1. Démophon protesta qu'il ne s'en departirait jamais, et s'étendit sur les absurdités du culte religieux. Il insultait avec mépris à l'ignorance des peuples, avec dérision à nos préjugés 2. Écoutez, reprit Philoclès, comme nous n'avons aucune prétention, il ne faut pas nous humilier. Si nous sommes dans l'erreur, votre devoir est de nous éclairer ou de nous plaindre: car la vraie philosophie est douce, compatissante, et surtout modeste. Expliquez-vous nettement. Que va-t-elle nous apprendre par votre bouche? Le voici, répondit le jeune homme: La nature et le hasard ont ordonné toutes les parties de l'univers; la politique des législateurs a soumis les sociétés à des lois 3. Ces secrets sont maintenant révélés.

Philocles. Vous semblez vous enorgueillir de cette découverte.

Démophon. Et c'est avec raison.

Philoclès. Je ne l'aurais pas cru: elle peut calmer les remords de l'homme coupable, mais tout homme devrait s'en affliger.

Démophon. Et qu'aurait-il à perdre?

Plat. de leg. lib. 10, t. 2, p. 888 ́, A. — 2 Id. ibid. p. 885. — 3 Id. ibid. p. 889.

Philocles. S'il existait une nation qui n'eût aucune idée de la Divinité, et qu'un étranger paraissant tout à coup dans une de ses assemblées lui adressât ces paroles: Vous admirez les -merveilles de la nature sans remonter à leur auteur; je vous annonce qu'elles sont l'ouvrage d'un être intelligent qui veille à leur conservation, et qui vous regarde comme ses enfans. Vous comptez pour inutiles les vertus ignorées, et pour excusables les fautes impunies; je vous annonce qu'un juge invisible est toujours auprès de nous, et que les actions qui se dérobent à l'estime ou à la justice des hommes n'échappent point à ses regards. Vous bornez votre existence à ce petit nombre d'instans que vous passez sur la terre, et dont vous n'envisagez le terme qu'avec un secret effroi ; je vous annonce qu'après la mort un séjour de délices ou de peines sera le partage de l'homme vertueux ou du scélérat. Ne pensez-vous pas, Démophon, que les gens bien, prosternés devant le nouveau législateur, recevraient ses dogmes avec avidité, et seraient pénétrés de douleur, s'ils étaient dans la suite obligés d'y renoncer?

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de

Démophon. Ils auraient les regrets qu'on éprouve au sortir d'un rêve agréable.

Philocles. Je le suppose. Mais enfin, si vous

dissipiez ce rêve, n'auriez-vous pas à vous reprocher d'ôter au malheureux l'erreur qui suspendait ses maux? lui-même ne vous accuserait-il de le laisser sans défense contre les coups du pas sort et contre la méchanceté des hommes ?

Démophon. J'éleverais son âme en fortifiant sa raison. Je lui montrerais que le vrai courage consiste à se livrer aveuglément à la nécessité.

Philoclès. Quel étrange dédommagement! s'écrierait-il. On m'attache avec des liens de fer au rocher de Prométhée, et quand un vautour me déchire les entrailles, on m'avertit froidement d'étouffer mes plaintes. Ah! si les malheurs qui m'oppriment ne viennent pas d'une main que je puisse respecter et chérir, je ne me regarde plus que comme le jouet du hasard et le rebut de la nature. Du moins l'insecte, en souffrant, n'a pas à rougir du triomphe de ses ennemis ni de l'insulte faite à sa faiblesse. Mais outre les maux qui me sont communs avec lui, j'ai cette raison qui est le plus cruel de tous, et qui les aigrit sans cesse par la prévoyance des suites qu'ils entraînent, et par la comparaison de mon état à celui de mes semblables.

Combien de pleurs m'eût épargnés cette philosophie que vous traitez de grossière, et suivant laquelle il n'arrive rien sur la terre sans la volonté

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