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LYSIS.

Je l'ignore encore. La Divinité ne s'est point expliquée sur la nature des peines et des récompenses qui nous attendent après la mort. Tout ce que j'affirme, d'après les notions que nous avons de l'ordre et de la justice, d'après le suffrage de tous les peuples et de tous les temps1, c'est que chacun sera traité suivant ses mérites 2, et que l'homme juste, passant tout à coup du jour ténébreux de cette vie 3 à la lumière pure et brillante d'une seconde vie, jouira de ce bonheur inaltérable dont ce monde n'offre qu'une faible image 4.

PHILOCLES.

Quels sont nos devoirs envers nous-mêmes?

LYSIS.

Décerner à notre âme les plus grands honneurs après ceux que nous rendons à la Divinité; ne la jamais remplir de vices et de remords; ne la jamais vendre au poids de l'or, ni la sacrifier à l'attrait des plaisirs ; ne jamais préférer, dans aucune occasion, un être aussi terrestre, aussi fragile que le corps, à une sub

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Plat. in Gorg. t. 1, p. 523. Plut. de consol. t. 2, p. 120.2 Plut. de leg. lib. 10, t. 2, p. 905. — 3 Id. de rep. lib. 7, t. 2, p. 521.4 Id. in Epinom. t. 2, p. 973 et 992.

stance dont l'origine est céleste, et la durée

éternelle 1.

PHILOCLÈS.

Quels sont nos devoirs envers les hommes?

LYSIS.

Ils sont tous renfermés dans cette formule

Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fissent 2.

PHILOCLES.

Mais n'êtes-vous pas à plaindre, si tous ces dogmes ne sont qu'une illusion, et si votre âme ne survit pas à votre corps?

LYSIS.

La religion n'est pas plus exigeante que la philosophie. Loin de prescrire à l'honnête homme aucun sacrifice qu'il puisse regretter, elle répand un charme secret sur ses devoirs, et lui procure deux avantages inestimables, une paix profonde pendant la vie, une douce espérance au moment de la mort 3.

1 Plat. de leg. lib. 5, p. 727, etc. - Isocr. ad Nicocl. t. 1, p. 116.Plat. in Phædon. t. 1, p. 91 et 114.

3

FIN DU CHAPITRE SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME.

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CHAPITRE LXXX.

Suite de la Bibliothèque. La Poésie.

J'AVAIS mené chez Euclide le jeune Lysis, fils d'Apollodore. Nous entrâmes dans une des pièces de la bibliothèque ; elle ne contenait que des ouvrages de poésie et de morale, les uns en trèsgrande quantité, les autres en très-petit nombre. Lysis parut étonné de cette disproportion; Euclide lui dit : Il faut peu de livres pour instruire les hommes; il en faut beaucoup pour les amuser. Nos devoirs sont bornés; les plaisirs de l'esprit et du cœur ne sauraient l'être : l'imagination, qui sert à les alimenter, est aussi libérale que féconde; tandis que la raison, pauvre et stérile, ne nous communique que les faibles lumières dont nous avons besoin; et, comme nous agissons plus d'après nos sensations que d'après nos réflexions, les talens de l'imagination auront toujours plus d'attraits pour nous que les conseils de la raison sa rivale.

Cette faculté brillante s'occupe moins du réel que du possible, plus étendu que le réel; souvent même elle préfère au possible des fictions

auxquelles on ne peut assigner des limites. Sa voix peuple les déserts, anime les êtres les plus insensibles, transporte d'un objet à l'autre les qualités et les couleurs qui servaient à les distinguer; et, par une suite de métamorphoses, nous entraîne dans le séjour des enchantemens, dans ce monde idéal où les poëtes, oubliant la terre, s'oubliant eux-mêmes, n'ont plus de commerce qu'avec des intelligences d'un ordre supérieur.

C'est là qu'ils cueillent leurs vers dans les jardins des Muses1, que les ruisseaux paisibles roulent en leur faveur des flots de lait et de miel 2, qu'Apollon descend des cieux pour leur remettre sa lyre 3, qu'un souffle divin, éteignant tout à coup leur raison, les jette dans les convulsions du délire, et les force de parler le langage des dieux, dont ils ne sont plus que les organes 4.

Vous voyez, ajouta Euclide, que j'emprunte les paroles de Platon. Il se moquait souvent de ces poëtes qui se plaignent avec tant de froideur du feu qui les consume intérieurement. Mais il en est parmi eux qui sont en effet entraînés par cet enthousiasme qu'on appelle inspiration di3 Pind. Pyth. 1

' Plat. in lon. t. 1, p. 534. ? Id. ibid.
4 Plat. ibid.

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vine, fureur poétique 1. Eschyle, Pindare et tous nos grands poëtes le ressentaient, puisqu'il domine encore dans leurs écrits. Que dis-je ? Démosthène à la tribune, des particuliers dans la société nous le font éprouver tous les jours. Ayez vous-même à peindre les transports ou les malheurs d'une de ces passions qui, parvenues à leur comble, ne laissent plus à l'âme aucun sentiment de libre, il ne s'échappera de votre bouche et de vos yeux que des traits enflammés, et vos fréquens écarts passeront pour des accès de fureur ou de folie. Cependant vous n'aurez cédé qu'à la voix de la nature.

Cette chaleur, qui doit animer toutes les productions de l'esprit, se développe dans la poésie 2 avec plus ou moins d'intensité, suivant que le sujet exige plus ou moins de mouvement, suivant que l'auteur possède plus ou moins ce talent sublime qui se prête aisément aux caractères des passions, ou ce sentiment profond qui tout à coup s'allume dans son cœur et se communique rapidement aux nôtres 3. Ces deux qualités ne sont pas toujours réunies. J'ai connu un poëte de Syracuse qui ne faisait jamais de si beaux

1 Plat. in Phædr. t. 3, p. 245; id. et Democrit. ap. Cicer. de orat. cap. 46, t. 1, p. 237.—2 Cicer. tuscul. lib. 1, cap. 26, t. 2. p. 254 ; id. ad Quint. lib. 3, epist. 4, t. 9, p. 87; epist. 5, p. 89. 3 Aristot. de poet. cap. 17, t. 2 , p. 665, Gr

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