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ou la permission d'un être suprême 1 ! J'ignorais pourquoi il me choisissait pour me frapper; mais, puisque l'auteur de mes souffrances l'était en même temps de mes jours, j'avais lieu de me flatter qu'il en adoucirait l'amertume, soit pendant ma vie, soit après ma mort 2. Et comment se pourrait-il en effet que, sous l'empire du meilleur des maîtres, on pût être à la fois rempli d'espoir et malheureux ? Dites-moi, Démophon, seriez-vous assez barbare pour n'opposer à ces plaintes qu'un mépris outrageant ou de froides plaisanteries?

Démophon. Je leur opposerais l'exemple de quelques philosophes qui ont supporté la haine des hommes, la pauvreté, l'exil, tous les genres de persécution, plutôt que de trahir la vérité.

Philoclès. Ils combattaient en plein jour, sur un grand théâtre, en présence de l'univers et de la postérité. On est bien courageux avec de pareils spectateurs 3. C'est l'homme qui gémit dans l'obscurité, qui pleure sans témoins qu'il faut soutenir.

Démophon. Je consens à laisser aux âmes faibles le soutien que vous leur accordez.

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Philoclès. Elles en ont également besoin pour résister à la violence de leurs passions.

Démophon. A la bonne heure. Mais je dirai toujours qu'une âme forte, sans la crainte des dieux, sans l'approbation des hommes, peut se résigner aux rigueurs du destin, et même exercer les actes pénibles de la vertu la plus sévère.

Philocles. Vous convenez donc que nos préjugés sont nécessaires à la plus grande partie du genre humain, et sur ce point vous êtes d'accord avec tous les législateurs 1. Examinons maintenant s'ils ne seraient pas utiles à ces âmes privilégiées qui prétendent trouver dans leurs seules vertus une force invincible. Vous êtes du nombre, sans doute; et comme vous devez être conséquent, nous commencerons par comparer nos dogmes avec les vôtres.

Nous disons: Il existe pour l'homme des lois antérieures à toute institution humaine 2. Ces lois, émanées de l'intelligence qui forma l'univers et qui le conserve, sont les rapports que nous avons avec elle et avec nos semblables.

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- 2

Hippod. de rep. ap. Stob. lib. 41, p. 250. Zalcuch. ibid. p. 279. Charond. ibid. lib. 42, p. 289. Hermipp. ap. Porphyr. de abstin. lib. 4, S. 22, p. 378. Xenophon. memor. lib. 4, p. 807. Aristot. magn. mor. lib. 1 , cap. 34, t. 2, p. 166, ɛ; id. rhet. lib. 1, cap. 13, t. 2, p.541, A. Cudworth. de æter. just. et honest notion. t. 2, p. 628.

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Commettre une injustice, c'est les violer, c'est se révolter et contre la société et contre le premier auteur de l'ordre qui maintient la société.

Vous dites, au contraire: Le droit du plus fort est la seule notion que la nature a gravée dans mon cœur1. Ce n'est pas d'elle, mais des lois positives, que vient la distinction du juste et de l'injuste, de l'honnête et du déshonnête. Mes actions, indifférentes en elles-mêmes, ne se transforment en crimes que par l'effet des conventions arbitraires des hommes 2.

Supposez à présent que nous agissons l'un et l'autre suivant nos principes, et plaçons-nous dans une de ces circonstances où la vertu, entourée de séductions, a besoin de toutes ses forces d'un côté, des honneurs, des richesses, du crédit, toutes les espèces de distinctions; de l'autre, votre vie en danger, votre famille livrée à l'indigence, et votre mémoire à l'opprobre. Choisissez, Démophon: on ne vous demande qu'une injustice. Observez auparavant qu'on armera votre main de l'anneau qui rendait Gygès invisible 3; je veux dire que l'auteur, le complice de votre crime sera mille fois plus inté

1

Ap. Plat. de leg. t. 2, p. 890. Ap. Aristot. ibid.—2 Theod. ap. Laert. lib. 2. S.99; id. ap. Suid in Zweç. 3 Plat. de rep. lib. 10,

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ressé que vous à l'ensevelir dans l'oubli. Mais quand même il éclaterait, qu'auriez-vous à redouter? Les lois? on leur imposera silence; l'opinion publique? elle se tournera contre vous, si vous résistez; vos liens avec la société? elle va les rompre en vous abandonnant aux persécutions de l'homme puissant; vos remords? préjugés de l'enfance, qui se dissiperont quand vous aurez médité sur cette maxime de vos auteurs et de vos politiques, qu'on ne doit juger du juste et de l'injuste que sur les avantages que l'un ou l'autre peut procurer 1.

Démophon. Des motifs plus nobles suffiront pour me retenir : l'amour de l'ordre, la beauté de la vertu, l'estime de moi-même.

pas

Philocles. Si ces motifs respectables ne sont

animés par un principe surnaturel, qu'il est à craindre que de si faibles roseaux ne se brisent sous la main qu'ils soutiennent! Eh quoi! vous vous croiriez fortement lié par des chaînes que vous auriez forgées, et dont vous tenez la clef vous-même ! Vous sacrifierez à des abstractions de l'esprit, à des sentimens factices, votre vie et tout ce que vous avez de plus cher au monde! Dans l'état de dégradation où vous vous êtes réduit, ombre, poussière, insecte, sous * Lysand, ap. Plut. apopth. Lacon. t. 2, p.229.

lequel de ces titres prétendez-vous que vos vertus sont quelque chose, que vous avez besoin de votre estime, et que le maintien de l'ordre dépend du choix que vous allez faire? Non, vous n'agrandirez jamais le néant en lui donnant de l'orgueil; jamais le véritable amour de la justice ne sera remplacé par un fanatisme passager; et cette loi impérieuse, qui nécessite les animaux à préférer leur conservation à l'univers entier, ne sera jamais detruite ou modifiée que par une loi plus impérieuse encore.

Quant à nous, rien ne saurait justifier nos chutes à nos yeux, parce que nos devoirs ne sont point en opposition avec nos vrais intérêts. Que notre petitesse nous cache au sein de la terre, que notre puissance nous élève jusqu'aux cieux, nous sommes environnés de la présence d'un juge dont les yeux sont ouverts sur nos actions et sur nos pensées 2, et qui seul donne une sanction à l'ordre, des attraits puissans à la vertu, une dignité réelle à l'homme, un fondement légitime à l'opinion qu'il a de lui-même. Je respecte les lois positives, parce qu'elles découlent de celles que Dieu a gravées au fond de mon cœur 3; j'ambitionne l'approbation de mes

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'Plat. de leg. lib. 10 t. 2, p. 905.. 2 Xenoph. memor. lib 1 p. 728, c. Archyt. ap. Stob. serm. 41, p. 267.

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