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BULLETIN LITTÉRAIRE

LE CHANCELIER FRANÇOIS D'AGUESSEAU, sa conduite et ses idées politiques par M. MONNIER, précepteur du Prince Impérial (1).

I

Henri François d'Aguesseau, né à Limoges (novembre 1668), fut reçu avocat du roi en 1690. Il devint peu de mois après, âgé de vingt-deux ans à peine, avocat général au Parlement de Paris. Le Roi, en le nommant si jeune encore à ce poste considérable, fut déterminé surtout par le témoignage du père de François, Henri d'Aguesseau, ancien intendant du Limousin, dont il estimait fort le caractère et les vertus :

- Je le connais, dit Louis XIV, incapable de me tromper même sur son fils.

Le début de d'Aguesseau fut tel, que le célèbre Denis Talon, à ce qu'on raconte, ne put s'empêcher de dire en l'entendant pour la première fois : Je voudrais finir comme ce jeune homme commence.

Après avoir exercé six ans ces hautes fonctions, d'Aguesseau devint procureur général « et, disent les biographes, de nouveaux devoirs lui fournirent l'occasion de montrer d'autres talents et de rendre plus de services. » L'administration des hôpitaux en particulier fut l'objet de sa sollicitude et lui dut de nombreuses améliorations; il travailla également à maintenir l'ordre et la discipline dans les tribunaux et à simplifier l'instruction criminelle.

Dans la désastreuse année de 1709, où la famine vint s'ajouter aux malheurs de la guerre, d'Aguesseau se fit de nouveaux titres à la reconnaissance publique. Le contrôleur-général Desmarets avait nommé, dans ces circonstances critiques, une commission des principaux magistrats dont d'Aguesseau fut l'âme par sa haute intelligence comme par l'énergie de son dévouement. Grâce à lui les accaparements cessèrent, la circulation des grains fut partout rétablie, ce qui calma les inquiétudes. Le rôle important que d'Aguesseau avait joué dans ces circonstances et la haute estime comme la popularité que lui méritèrent tant d'utiles services, le désignèrent, en 1717, au choix du Régent, pour la place de chancelier, vacante par la retraite de Voysin. Sa courageuse et sage opposition au système de Law lui fit retirer les sceaux qu'on lui rendit, deux ans après,. à la suite de la catastrophe qui n'avait que trop justifié ses prévisions. En 1722, d'Aguesseau, par l'influence de Dubois, à ce qu'on prétend, (1) Didier et Ce, libraires, 35, quai des Grands-Augustins; 2o édition.

dut se retirer de nouveau, et ne fut rappelé que trois ans après. Mais il ne reprit qu'en 1737 les sceaux que le cardinal Fleury, devenu premier ministre, s'empressa de remettre dans ces mains si loyales. Il y restèrent jusqu'à l'année 1750. Alors âgé de plus de quatre-vingt-deux ans, et sentant l'atteinte de douloureuses infirmités, d'Aguesseau se démit de toutes ses fonctions et ne songea plus qu'à se préparer à la mort, à cette mort qui fut toute chrétienne comme sa vie (9 février 1751).

Pourtant, on regrette d'avoir à le dire, le vetueux magistrat, comme beaucoup de parlementaires, même illustres, n'avait pu échapper à l'influence du milieu dans lequel il vivait. Trop imbu des préjugés gallicans, il s'opposa vivement d'abord à l'enregistrement de la fameuse Bulle Unigenitus qui condamnait l'hérésie janséniste. Il est vrai qu'au dire d'un biographe (de Barante), « d'Aguesseau en cela ne prétendait pas se faire juge du fond de la doctrine condamnée par la Bulle, mais de certaines dispositions dans la forme qui lui semblaient porter atteinte aux droits de la monarchie. » Supposé qu'il en fût ainsi, Louis XIV, qui voulait l'enregistrement de la Bulle, ne semble-t-il pas meilleur juge de ses droits que le Parlement et le procureur général?

Tout probablement, l'influence d'Anne d'Ormesson, femme de d'Aguesseau, ne fut pas étrangère à la détermination de son mari, puisque, d'après ce qu'on rapporte, celui-ci étant mandé à Versailles pour cette grave affaire, elle lui dit, au moment où il montait en voiture :

Allez, et oubliez devant le Roi femme et enfants; perdez tout, hors l'honneur.

L'honneur nous semble venir là assez hors de propos et nous inclinerions fort à croire la pauvre dame, fort honnête personne d'ailleurs, quelque peu « entêtée de Jansénisme» comme tant d'autres cervelles féminines de l'époque, parmi lesquelles on regrette de compter M de Sévigné dont Anne était l'amie.

Quoi qu'il en soit, il est juste de dire que, quelques années plus tard, d'Aguesseau chancelier et jugeant mieux des choses en les voyant de plus haut, éclairé sans doute aussi sur les menées jansénistes, proposa luimême dans le Parlement l'enregistrement de la Bulle, ce qui lui valut, de la part de ses anciens collègues, parlementaires fanatiques, les plus violentes attaques. L'un deux, du nom de Pucelle, qui témoignait entre tous de son irritation, se vit repris vivement par le chancelier, qui lui demanda où il avait puisé les étranges maximes dont il appuyait son opinion:

-

Dans les plaidoyers de feu M. le chancelier d'Aguesseau? répondit Pucelle aux applaudissements de certains confrères.

'Quelques jours après, un matin, d'Aguesseau trouva affichée sur sa porte une pancarte où se lisaient en gros caractères ces mots : Et Homo factus est! par une application ironique et sacrilége au chancelier des plus vénérables paroles du saint Évangile. Mais quoi de sacré pour l'esprit de parti? pour le délire de la passion? N'eût-on pas dû cependant témoigner de plus d'égards pour l'homme illustre qui avait rendu à la France tant de services et que la postérité glorifie comme une des plus nobles figures

de la magistrature d'autrefois. On cite de lui quelques paroles vraiment admirables Certain jour on lui conseillait de prendre du repos :

-Puis-je me reposer, répondit-il, tandis que je sais qu'il y a des hommes qui souffrent?

Dans les premiers temps de la régence, comme on l'engageait à faire des démarches dans l'intérêt de son élévation :

-A Dieu ne plaise, dit-il, que j'occupe jamais la place d'un homme vivant!

Dans l'année 1735, il se vit enlever par une mort cruelle sa femme, Anne Lefebvre d'Ormesson, qu'il aimait avec une extrême tendresse, et à propos de laquelle Coulanges avait dit, lors de leur mariage :

C'est la première fois qu'on a vu les grâces et la vertu s'allier ensemble. Le compliment ne semble pas flatteur pour les autres époux contemporains.

Après quelque temps donné au deuil, le chancelier dominant son chagrin, reprit les fonctions de sa place en disant :

Je me dois au public; il n'est pas juste qu'il souffre de mes malheurs domestiques.

On croirait faire injure à une telle mémoire que de parler du désintéressement de d'Aguesseau qui, sauf pour l'achat de quelques livres, ne réservait rien pour lui-même de ses traitements. La meilleure partie allait aux pauvres.

II

Tel on vit ce magistrat illustre qui fut de plus orateur éminent, écrivain distingué, mais avec une recherche de purisme qui, par le manque de spontanéité, donne quelque froideur à son style. On conçoit que cette vie si remplie et glorieuse ait tenté la biographie et surtout les panégyristes. Outre l'Histoire de la vie et des ouvrages de d'Aguesseau en 2 volumes (1835), nous avons les Discours et les Eloges d'Antoine Thomas, de Fresnes, de Vauxcellés, etc.

Le sujet néanmoins n'était point épuisé, et assez récemment a paru, en un beau volume in-8°, une vie nouvelle de d'Aguesseau qui, par la signature de son auteur comme par son mérite intrinsèque mérite de fixer l'attention. Cet auteur est M. Francis Monnier, précepteur du Prince Impérial, et qui a publié quelques autres travaux historiques dont je n'ai pas à m'occuper ici. Le choix du personnage, pour le premier livre, indique un esprit sérieux et qui n'est point préoccupé de l'actualité. L'écrit de M. Monnier atteste de patientes recherches, une étude approfondie de l'époque, quoiqu'il prenne trop volontiers Saint-Simon pour guide après l'avoir jugé sévèrement et justement. L'auteur a su peindre avec charme la noble physionomie du grand magistrat dont il nous fait ce portrait : « Il était d'une taille au-dessus de l'ordinaire, avec des formes larges et robustes, un peu d'embonpoint; il avait des yeux bruns, fort longs, en partie recouverts par ses paupières, surtout l'œil gauche, qu'il fermait davantage par une habitude d'enfance, le regard pénétrant, fin, lumineux et doux, des sourcils épais, noirs, un front proéminent, un beau nez droit, et non pas

arqué comme on le voit sur la plupart de ses portraits, le teint transparent et légèrement hålé par le soleil méridional. Sa physionomie exprimait avant tout l'intelligence et la bonté. »

L'historien ne met pas moins bien en relief le beau caractère de d'Aguesseau, sa vertu rare comme ses talents et la salutaire influence exercée par lui sur son siècle. Cependant je ne dois pas dissimuler que M. Monnier me paraît trop empressé à justifier, j'aurais pu dire à glorifier, l'attitude fâcheuse de d'Aguesseau dans les circonstances dont j'ai parlé plus haut. Il m'est pénible d'avoir à constater ce zèle inopportun pour des opinions aujourd'hui si généralement abandonnées, pour ce gallicanisme posthume qu'il n'a pas été donné à M. Dupin lui-même, avec toute sa science et sa verve, de galvaniser.

Le nouvel historien de d'Aguesseau ne me semble pas seulement trop sympathique au défunt gallicanisme, mais pour les Jansénistes aussi il témoigne de beaucoup d'indulgence; de même qu'en parlant des protestants révoltés il ne fait pas assez, pas du tout peut-être, la part de leurs torts, et il échappe à sa tolérance des expressions que la pitié même juge excessives. Dans l'affaire de la Bulle Unigenitus, il adopte bien facilement l'opinion du passionné Saint Simon, et l'on s'étonne de l'entendre répéter après M. le duc : « Clément XI signa enfin une Bulle où il condamnait le livre de Quesnel, comme renfermant cent et une propositions contraires à la foi. Mais cette Bulle le Pape n'avait fait que la signer, les vrais auteurs étaient ceux que nous avons nommés, Fabroni, Tellier, Tellier surtout (Confesseur de Louis XIV après le P. La Chaise). » Mais Joseph de Maistre, cette grande autorité, répond péremptoirement en s'appuyant du témoignage d'un illustre Prélat : « Si jamais le consentement de l'Église a été clair, décisif, incontestable, c'est sur le sujet de ce décret célèbre (la Bulle Unigenitus), émané du Saint-Siége apostolique, accepté par toutes les Églises étrangères et par tous les Évêques de France, reconnu et révéré dans trois Conciles (Rome, Embrun, Avignon), préconisé par plus de vingt assemblées du clergé, souscrit par toutes les universités du monde catholique; décret qui n'est contredit aujourd'hui que par quelques ecclésiastiques du second ordre, par des laïques et par des femmes. >>

Voilà la vérité sur la fameuse Bulle. On regrette de trouver dans l'ouvrage de M. Monnier, où elles tiennent trop de place, ces erreurs qui, aujourd'hui, ont une gravité particulière et de nature à faire grandement tort au livre, encore qu'on ne puisse refuser à celui-ci, comme je l'ai dit, des mérites sérieux, un style élégant, de l'érudition, l'étude consciencieuse en particulier de tous les écrits de d'Aguesseau; de là, des citations fort heureuses souvent, témoin ce passage emprunté à l'une des premières mercuriales du chancelier :

« Tel est le caractère dominant des mœurs de notre siècle, une inquiétude généralement répandue dans toutes les professions, une agitation que rien ne peut fixer, ennemie du repos, incapable du travail, portant partout le poids d'une inquiète et ambitieuse oisiveté, un soulèvement universel de tous les hommes contre leur condition; une espèce de cons

piration générale dans laquelle ils semblent être tous convenus de sortir de leur caractère; toutes les professions confondues, toutes les dignités avilies, les bienséances violées, la plupart des hommes hors de leurs places, méprisant leur état et le rendant méprisable? Toujours occupés de ce qu'ils veulent être et jamais de ce qu'ils sont, pleins de vastes projets; le seul qui leur échappe est celui de vivre contents de leur état. » Qui croirait ces lignes écrites il y a quelque cent cinquante ans et non pas hier, tant elles ont un cachet d'actualité? BATHILD BOUNIOL.

LA GRANDE VIE DE JÉSUS-CHRIST, par LUDOLPHE LE CHARTREUX, traduite par Dom M.-P. Augustin; 6 vol. gr. in-8°. Ch. Dillet, éditeur, 15, rue de Sèvres. VITA JESU CHRISTI, A LUDOLPHO E SAXONIA; magnifique vol. in-fo, format des Bollandistes. Victor Palmé, éditeur, 25, rue de Grenelle-Saint-Germain. Prix: 50 francs.

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Toujours pressés de produire, nos littérateurs, dès qu'ils ont recueilli quelques matériaux, réuni quelques notes, se hâtent de les mettre en œuvre, et, comme s'ils avaient peur d'être gagnés de vitesse par quelque concurrent, avant même d'avoir terminé leur volume, se mettent en quête d'un éditeur. S'ils ont été assez heureux pour en trouver un, le volume paraît avant que l'auteur ait eu véritablement le temps d'étudier à fond le sujet qu'il se proposait de traiter. Il n'en était pas de même au moyen âge, cette époque d'études sérieuses, de travail consciencieux, surtout de prières. On s'étonnera peut-être de nous voir compter la prière parmi les éléments de succès; mais les écrivains, alors, prosternés au pied de la Croix, demandaient humblement à Dieu d'éclairer leur intelligence et de bénir leur travail. C'est là que les saint Bernard, les saint Thomas d'Aquin, les saint Bonaventure et tant d'autres Saints illustres allaient solliciter et attendre l'inspiration, et l'inspiration ne leur faisait pas défaut. C'est aussi la méthode qu'a suivie l'humble solitaire Ludolphe pour écrire cette admirable Vie de Jésus-Christ dont l'éditeur Palmé a réimprimé le texte latin, comme une digne et magnifique introduction à sa belle reproduction des Acta Sanctorum, et dont l'éditeur Ch. Dillet a publié une traduction nouvelle.

C'était évidemment après avoir longtemps médité et prié au pied de son crucifix, que le prieur de la Chartreuse de Strasbourg écrivait cette belle Vie du Rédempteur. Il ne s'est effectivement point borné à mettre en ordre, d'après les Evangélistes, tous les événements de la vie du Sauveur. Ce travail sans doute eût pu être utile, mais d'une utilité bien limitée. Pénétré de cette pensée que Jésus-Christ s'incarnant en ce monde n'avait point pour unique but de présenter à la suprême justice une expiation supérieure à tous les crimes dont l'humanité déchue s'était rendue coupable, mais encore de lui donner les moyens de se relever et de marcher d'un pas assuré à la perfection à laquelle elle avait été primitivement appelée, Ludolphe a cherché dans tous les incidents de la vie de Jésus-Christ les enseignements qui en résultent pour nous et les exemples qu'il offre à notre imitation. Dans une telle voie on comprend combien il pouvait s'étendre. Aussi pouvons-nous dire que les dévelop

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