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esclaves. Tout leur intérêt terrestre était de déposer contrairement 'à ce qu'ils disaient, et ils n'avaient pour parler comme ils le faisaient, en présence des périls et des supplices, d'autre intérêt que celui d'une vérité absolue et éclatante qui s'imposait à eux. Ils avaient vu Jésus apporter au monde, en même temps que ses enseignements, les preuves miraculeuses et irréfutables de sa Divinité; ils avaient vu le Christ ressuscité se présenter à eux comme les prémices et la preuve vivante de notre propre résurrection; ils avaient reçu le souffle de feu de l'Esprit-Saint, qui leur avait inspiré le courage de tout braver en ce monde pour remplir sans faiblesse leur rôle de témoins incorruptibles, en présence de l'univers déchaîné contre eux.. Aucun ne faillit à sa mission. Tous, sans exception, témoignèrent, au milieu des tourments, de la bonne nouvelle que Dieu les avait chargés de porter à la terre. C'est de leur sang qu'ils ont scellé cette grande déposition qui devait traverser les siècles, portant ainsi en elle-même son irrévocable preuve de sincérité. Avec eux des milliers de disciples attestaient la même chose on les menait au supplice, et, devant les instruments d'une mort affreuse, on les pressait de modifier leurs témoignages : — Dites que vous êtes dans l'erreur, que vous n'avez point vu ce dont vous témoignez, et vous aurez la vie, non-seulement la vie, mais des récompenses.-Non, répondaient-ils, c'est la vérité, et nous ne pouvons dire autrement!... Et ils mouraient!

C'est de ces hommes, c'est de ces héros, de ces martyrs, de ces saints, qu'un malheureux renégat, pris cent fois en flagrant délit de mensonge éhonté, prétend aujourd'hui redresser le témoignage, remplaçant ce qu'ils ont attesté de la sorte par les hypothèses, par les Impostures, par les fourberies de sa fantaisie intéressée. Arrière, Treizième Apôtre !

Nous venons de voir dans son Introduction les bases incertaines et chancelantes de sa soi-disante méthode.. Il faut le voir maintenant à la pratique, le prendre à toute heure, mentant et se contredisant, balbutiant un mensonge et ne sachant pas le soutenir, troublé, inquiet, fuyant et ne montrant à travers les obscurités de son style qu'une chose claire et manifeste, qu'une chose horriblement visible: l'état de son âme bouleversée.

L'examen de l'Introduction a fait aujourd'hui le sujet de notre entretien. L'étude du livre lui-même sera l'objet de notre deuxième et dernier article. HENRI LASSERRE.

(La fin au prochain numéro.)

LA GOUTTE D'EAU

Il semble que l'esprit du xix siècle soit tiraillé par deux tendances directement opposées.

D'un côté, il adore la matière; de l'autre, il la fuit.

Si nous regardons l'art, nous serons frappés des efforts qu'il fait, tantôt pour se perdre dans les nuages, tantôt pour se perdre dans la boue.

Si nous regardons la vie, nous verrons aussi que tantôt elle se précipite dans la matière, avide et cupide, pour la dévorer et essayer de se satisfaire; tantôt elle essaye de la dédaigner, puis retombe un instant après sur elle pour se punir, en la divinisant, de l'avoir méprisée.

L'art, au xix siècle, a reproché à l'art des siècles précédents de n'avoir pas embrassé la matière; il lui a reproché son mépris pour la nature, son mépris pour les choses visibles, extérieures, ordinaires et sensibles. Il lui a reproché d'avoir sautillé entre ciel et terre sur un fil d'archal sans réalité. Il a eu parfaitement raison dans son reproche, et parfaitement tort dans le type nouveau qu'il est venu proposer à son tour.

Il a eu parfaitement raison quand il a refusé d'imiter; il a eu parfaitement tort quand il a voulu devenir un modèle et se faire imiter à son tour.

Au lieu d'employer la matière, il l'a courtisée; au lieu de la dompter, il s'est fait dompter par elle. Tandis que l'homme pouvait devenir dompteur d'animaux, l'animal est devenu dompteur d'hommes. La peinture a suivi la poésie dans la voie de la matière montrée, et a produit des monstres dont elle est fière; car on est toujours fier quand on a fait un monstre. Mais pendant que la littérature se ruait, comme une louve affamée, sur la chair humaine, elle protestait contre elle dans une autre partie d'elle-même et devenait vaporeuse avec passion. Elle devenait vaporeuse avec transport, et cette évaporation avait pour elle la saveur d'une justice qu'on rend

à sa nature intime, ou du moins qu'on croit lui rendre; elle s'évaporait comme quelqu'un qui se venge.

Il y a deux noms souvent rapprochés dans la pensée et dans la critique contemporaines : Victor Hugo et Lamartine. A force de les nommer l'un après l'autre, on a fini par croire presque qu'ils se ressemblaient. Or, ces deux hommes représentent exactement deux tendances contraires. Pendant que M. Victor Hugo réclamait pour la matière et soutenait les droits du laid qu'il confondait avec le réel, prenant ainsi le fait pour le droit, M. de Lamartine se réfugiait dans une sentimentalité singulièrement éloignée des réalités terrestres que réclamait à grands cris son interlocuteur. Je les appelle de ce nom; car ils faisaient à eux deux, dans le monde littéraire, une espèce de dialogue sans demande ni réponse!

M. de Lamartine transportait la poésie beaucoup plus loin de la ville, des salons, des rues, des palais et des bouges qu'on ne l'avait jamais transportée.

Au même moment, l'Allemagne voyait la poésie et la philosophie s'évanouir dans le même rêve. Néanmoins les plus vaporeux de ses poëtes et de ses philosophes ne négligeaient pas la bouteille de bière. La bière et le fantôme, Schubert et le cabaret représentent assez bien en Allemagne les deux tendances que je constate. En Allemagne, le conte fantastique fréquente beaucoup le cabaret, et cela éclaire sur la nature du XIXe siècle.

Autrefois, un héros lui-même, quoique simple mortel, fait de chair et d'os, ne semblait pas capable de manger. Un personnage tragique qui aurait parlé de se mettre à table, eût scandalisé toutes les Universités, toutes les Académies, et se fût rendu indigne pour toujours du cothurne et de la toge. Il fallait faire bonne figure jusqu'au dernier moment, et le trépas, car ce n'était pas la mort, le trépas ne devait rien coûter à la pureté de la diction. Il était permis de recevoir un coup de poignard et même de le donner; mais il était interdit de boire ou de manger. Il était permis de ne pas dormir, mais il eût été interdit de dormir. Il était permis de dire:

Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
Depuis que le sommeil n'est entré dans vos yeux ;

mais il eût été défendu de faire la remarque contraire et de féliciter l'héroïne sur la bonne nuit qu'elle aurait passée. C'eût été un

Tome XV.

123 livraison.

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manque de respect pour la dignité de sa position. Tantôt la trahison, tantôt l'amour, tantôt mille autres obstacles, tous plus nobles les uns que les autres, enlevaient au héros le sommeil et l'appétit.

Et cependant, qu'est-ce qu'un héros près d'un fantôme? Le fantôme moderne semblerait avoir droit, beaucoup plus que le héros antique, à l'abrogation des lois naturelles. Cependant il les accepte, au moins en apparence : il boit, il mange, il dort, il fume, il demande si la bière est bonne, il cause avec l'aubergiste comme un camarade, et on finit par s'apercevoir qu'il est fantôme; tandis que l'ancienne victime du cothurne n'avait d'autre grade que le grade de héros.

L'Allemagne nous avertit par là très-implicitement de sa double tendance; la matière grossière et la matière absente se rencontrent dans ses contes et dans ses mélodies, et ne s'étonnent pas de se

rencontrer.

En France, l'élégie, quand elle a pris le nom de méditation, que M. de Lamartine lui a donné, s'est envolée très-loin des affaires humaines. Elle est allée sur le bord des lacs, et elle s'est mise à chanter. Un peu plus tard, la méditation, en devenant harmonie, a fait une démarche nouvelle pour s'éloigner de la terre. Au même moment le roman et le drame s'accrochaient aux réalités les plus matérielles, comme si les différentes formes de l'art voulaient se venger les unes sur les autres.

Dans le même drame les deux tendances se rencontrent quelquefois. Le même personnage peut les provoquer toutes les deux. On admire de temps en temps la pureté de la courtisane; il est question de sa virginité. Au xvII° siècle on aurait parlé de sa flamme, sans préciser quoi que ce soit. Les mesures du temps même indiquent chez le personnage moderne une certaine tendance vers ce qui est réel, il suppute les années. Le héros antique ne connaissait pas le calendrier. Quand il cherchait quelqu'un, c'était toujours depuis plus de six mois.

Et encore ce n'était pas quelqu'un qu'il cherchait, c'était un confident. Or, le confident était une espèce de fantôme domestique, en qui le héros contemplait avec complaisance son image diminuée.

Non-seulement le confident n'avait pas de nature matérielle, mais il n'avait pas de nature morale. Il n'avait pas de caractère à lui; il n'était qu'un instrument fabriqué pour donner la réplique et fournir au héros une inépuisable occasion de récits et de tirades.

Si le fantôme allemand avait un compagnon de voyage, ce com

pagnon mangerait comme quatre, et nous connaîtrions le menu de ses repas.

On dirait que l'art moderne a le fantôme pour idéal et le cabaret pour tentation. L'art ancien semblait n'avoir ni idéal, ni tentation. Le héros semblait naître, vivre et mourir dans le vestibule du palais, comme une plante dans sa terre natale. Et ce vestibule, aussi favorable aux conspirateurs qu'au tyran, où retentissaient alternativement les déclamations de l'un et les déclamations des autres; ce vestibule impartial ne semblait situé nulle part. C'était là qu'on déclamait en attendant le coup de poignard; mais ce n'était pas un lieu quelconque.

Ce sont les tragédies de Voltaire qui représentent dans sa plénitude le vrai héros de théâtre. Crébillon et Campistron ont eu de la peine à dépasser ce maître.

Il y a même dans Crébillon un beau vers, et je ne sais pas s'il y en a un dans le théâtre de Voltaire.

Le XVIIIe siècle est le lieu où l'on peut le mieux saisir l'art ancien, parce que, dans ce siècle, la chose montre à nu ses ravages; elle se décompose et laisse voir tous ses ressorts; de plus, l'infériorité des hommes montre la machine comme elle est. On n'a plus le talent qu'il faut pour déguiser, et, à ce point de vue, les hommes du XVIII siècle sont des modèles de franchise. Ils sont francs, parce qu'ils déshabillent les idées qu'ils manient. Ils sont francs, parce qu'ils n'ont pas la force d'imposer un masque à leurs personnages. Voltaire et Florian sont francs, parce qu'ils n'ont pas le genie de déguiser leur système littéraire.

Gonzalve de Cordoue et Mahomet sont des œuvres pleines de sincérité; car elles semblent défendre aux lecteurs l'illusion. Elles semblent dire : nous nous donnons pour ce que nous sommes ; trouvez cela beau, si vous pouvez.

Elles sont franches, à la façon de Rousseau dans ses confessions.

Le xvIII siècle étale ses turpitudes, mais ses turpitudes ne le dispensent pas de la vanité. C'est en leur nom qu'il réclame l'admiration; il a en même temps le mérite de la rendre impossible et la honte de la mendier.

Si les deux tendances du XIXe siècle, altéré d'idéal et de réalité grossière, sont visibles dans l'art, elles sont reconnaissables aussi dans la vie. L'homme actuel se précipite sur la jouissance, mais il

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