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parle à chaque instant de grandeur, de dévouement, de synthèse, d'unité, de transcendance, de lumière, de charité, etc., etc...

Ces mots ne sont pas seulement des mots: sans doute, ils sont habituellement des illusions; mais ces illusions révèlent des tendances, des aspirations égarées, des besoins d'âmes, qui se trompent, mais qui existent.

Le jeune homme qui fait fausse route au XIXe siècle pense vaguement à adorer quelque chose ou quelqu'un. L'homme du XVIIIe siècle ne songeait qu'à s'amuser. Il était bas avec sincérité. Il n'avait pas même l'excuse de vouloir admirer! Son abaissement n'était pas un élan brisé, c'était un abaissement pur et simple. Dans la matière, le xvin siècle a cherché simplement le plaisir.

Le XIXe siècle, en se précipitant sur la matière, éprouve un certain besoin d'infini qu'il cherche à tromper. C'est une rage impure; mais elle permet de voir autre chose derrière elle. Souvent les actes qui semblent appartenir le plus exclusivement à la tendance inférieure, révèlent en réalité, dans le xixe siècle, les deux tendances.

Si le xvi avait la hideuse franchise dont je parlais tout à l'heure, le XIXe siècle est trompeur; tantôt il se vante, tantôt il se calomnie; il promène son inquiétude de l'orgueil au désespoir; il n'est dans le vrai que quand il avoue ses infirmités incommensurables.

Si l'art et la vie se promènent et s'égarent des hauteurs sans réalité aux réalités sans hauteur, ne dirait-on pas qu'au XIX° siècle la science s'est chargée de symboliser la vérité que cherchent maladroitement la vie et l'art.

Traîner une masse de matière au moyen de l'impondérable.

La vapeur, emportant le fer à travers les montagnes déchirées, voilà, dans l'ordre de la locomotion, le problème résolu.

La matière est en jeu, la grosse matière : elle est emportée par une goutte d'eau qui s'évapore et qui triomphe.

La vapeur traîne derrière son char de triomphe tout ce qu'il y a de plus gros et de plus lourd, tous les poids, tous les fardeaux, les métaux, les provisions, enfin l'homme, en qui se résume le monde et qui voyage traîné par la vapeur fidèle, docile, soumise, conquise et victorieuse.

Car la victoire de la matière c'est d'être soumise à l'esprit. La gloire du cheval c'est d'être soumis au cavalier. La gloire de la matière c'est d'être conquise. La gloire de la vapeur est d'obéir. L'obéissance est son mouvement, on dirait presque son instinct. C'est par

obéissance qu'elle s'envole, c'est par obéissance qu'elle entraîne, c'est par obéissance qu'elle triomphe.

Le mouvement est sa vertu, sa vie, sa loi, sa force, sa gloire; il est le signe du mandat qu'elle a reçu. La vapeur est une magnifique image de l'impossible réalité.

Imaginez le rire du xvIII° siècle, si on lui avait parlé d'un chemin de fer. Imaginez la coalition des hommes raisonnables, leurs plaisanteries, et la satisfaction qu'ils auraient eue à se moquer! Imaginez la tranquillité de leur ironie, la bonne foi pleine et entière avec laquelle ils auraient raillé les fous, les fous qui auraient dit cela sera. Et les montagnes? aurait demandé le philosophe du xvir avec le plaisir insolent de l'objection qui se complaît en elle-même.

On les percera, aurait répondu le fou. J'entends d'ici l'éclat de rire, le rire fou du philosophe.

Vous direz peut-être à la goutte d'eau que ce n'est pas elle qui transporte les montagnes : elle passe, il est vrai, à travers leurs flancs déchirés, mais ce sont les hommes, armés de leurs instruments, qui lui ont frayé sa route à la sueur de leur front. La goutte d'eau vous répondra que cette circonstance agrandit son triomphe, au lieu de le diminuer. Sa route est faite d'avance : elle va venir et déjà les montagnes ont disparu. L'homme dit à la terre Retire-toi, voici la vapeur. Retire-toi vite, elle est pressée.

L'homme est un héraut d'armes qui annonce que la souveraine va paraître.

au globe terrestre

L'homme qui nie est toujours content de lui. Le doute est le paradis de l'orgueil. Celui qui fait une objection s'admire toujours. C'est que l'objection est la moëlle des os de l'homme. Celui qui affirme, qui annonce, qui proclame, celui qui aurait dit: la vapeur traînera le feu et l'homme à travers la terre percée, celui-là sort de luimême, cet homme se livre au transport. L'homme raisonnable, au contraire, rentre en lui-même; il fait appel à son propre fonds; il invoque ce qu'il sait déjà; il limite l'avenir à lui-même ; il a tout l'avantage de la situation jusqu'au jour où la vapeur, traînant l'homme et déchirant le globe, lui montre de quoi il s'est moqué, et le rieur tombe dans un ridicule énorme! Et les masses énormes de matière, déchirées, soulevées, emportées, vaincues, disent à la force légère, active, motrice, ardente qui va passer :

Voici que nous vous apportons, par notre fuite, le magnifique témoignage de notre faiblesse.

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Le télégraphe électrique est le symbole de la Puissance, car il porte la foudre, et comme il la porte légèrement! comme elle pèse peu! comme elle est docile ! L'électricité ressemble à un effort de la matière pour devenir esprit. On dirait l'élan de la matière qui veut franchir ses frontières et sortir de chez elle. On dirait que la matière, par l'électricité, essaye d'avoir une extase. Or, cette chose, que le télégraphe transporte, cette chose est puissante sur les blocs et les masses de terre. Cette chose change la face matérielle du globe. Le télégraphe porte sur ses fils les destinées des choses les plus lourdes. Elles sont suspendues à lui et attendent ses ordres pour marcher. Le télégraphe électrique est, comme la vapeur, une des paroles de la science, qui dit au XIXe siècle quelle doit être son œuvre. Le télégraphe électrique, comme la vapeur, lui montre ses tendances dans l'union de la force et de la légèreté, dans la puissance donnée à l'invisible et dans l'obéissance du visible.

Un caractère commun à ces deux découvertes, c'est la conquête de la rapidité, et la rapidité est encore un des désirs de notre époque. Autrefois on allait lentement, et cette lenteur n'attristait personne. Depuis cinquante ans, l'humanité presse le pas. Elle presse le pas comme un voyageur en retard qui voit l'ombre s'allonger, car le soir arrive, et il est bien loin de chez lui. Elle presse le pas comme un voyageur surpris par la nuit tombante et forcé par elle au recueillement, car il est loin de la patrie.

N'avez-vous jamais éprouvé en voyage cette méditation profonde qui survient et s'impose, quand l'homme se sent seul, loin du foyer domestique, en pays inconnu, dans la campagne, à l'heure où le soleil se couche? Le voyageur presse le pas : le paysan qu'il rencontre sur sa route doit croire cet homme agité ou égaré. Il dit: en voilà un qui n'est pas du pays. En effet, le voyageur est égaré peut-être, agité peut-être; mais, au fond de son agitation, il y a une chose que le paysan ne voit pas et ne peut pas voir, c'est le recueillement. Le voyageur pense à sa patrie, et le soleil va se coucher. Les ombres des arbres s'allongent sur la route: un certain apaisement annonce l'approche du sommeil. Les hommes rentrent chez eux. Il y a déjà longtemps que les bœufs se sont instinctivement rapprochés de l'étable, comme s'ils attendaient l'heure qui va leur en montrer la route et leur en ouvrir les portes. Le voyageur, sans donner à tout ce spectacle que la campagne lui offre une attention précise, est reporté par

lui vers le souvenir de la maison où il a dormi enfant. Les oiseaux font la prière du soir et éveillent en lui quelque souvenir. Dans le lointain une cloche sonne! c'est peut-être l'Angelus : en tout cas c'est un appel. Que font maintenant ceux qu'il a autrefois connus? Où sont-ils? Que prépare, dans son silence, la journée du lendemain? Que verront ces astres graves qui s'allument les uns après les autres, comme si le ciel ouvrait ses yeux pour regarder la terre?

Le voyageur pressé, égaré, qui sent les approches du soir, c'est l'humanité du XIXe siècle.

La vapeur et le télégraphe électrique sont les instincts de rapidité qui s'éveillent au fond de lui. La rapidité est un mystère. Quand tous les désirs de l'homme seraient accomplis, s'ils étaient accomplis lentement, je crois que la joie manquerait. Si quelque chose pouvait donner une idée de la joie, ce serait peut-être la rapidité.

La vie de l'homme est un étourdissement perpétuel. Mais le voyageur, qui sent la distance et qui veut la franchir dans la soirée, est forcé à un certain sérieux. Il se recueille, et le recueillement appelle à lui le souvenir.

Le souvenir! Quoi de plus commun et quoi de plus rare? Le souvenir, dans sa forme ordinaire, la plus légère, la plus accidentelle, est la monnaie courante de la vie. Mais le souvenir profond, efficace, celui qui fait sortir le passé de l'absence et le fait comparaître devant l'homme, pour rendre ses comptes et raconter ce qu'il a fait, ce souvenir est rare; car il faut, pour l'appeler, le loisir du recueillement, et la solitude, à laquelle on ne songe pas, la solitude intérieure.

Le voyageur, perdu dans un bois de pins, et qui voit à travers les troncs d'arbres les dernières lueurs du soleil couchant colorer à l'horizon les derniers nuages, se souvient profondément. Il se souvient des soirées les plus paisibles de sa maison; il se souvient du feu qui pétillait dans la cheminée; il se souvient des rires qu'on entendait peut-être dans la chambre; il se souvient aussi, il se souvient surtout des larmes.

L'humanité, que je représente sous les traits de ce voyageur, a aussi inventé, dans son égarement du soir, c'est-à-dire au xix siècle, le symbole du souvenir; elle a inventé ce qui eût paru impossible; elle a inventé un miroir qui se souvient. Elle a inventé la photographie!

La photographie révèle la durée virtuelle de l'acte humain, qui semble fugitif et qui est éternel, à moins que quelque chose de supé

rieur à lui ne survienne pour l'effacer. Quand je ne vous aurais vu qu'une fois, votre forme sensible, votre beauté ou votre laideur, image révélatrice de votre nature, vit en moi, telle qu'elle s'est manifestée dans un point donné du temps et de l'espace. Le souvenir soustrait cette image accidentelle à l'empire du temps et de la mort pour lui donner la vie et la permanence. Ainsi fait la photographie. Elle est impitoyable comme la mémoire. Elle arrache la plus fugitive des attitudes, la plus imperceptible des choses visibles à la foule des distractions qui allaient l'ensevelir pour toujours dans l'oubli, et elle dit au bout d'une année révolue : C'est ainsi que vous étiez l'an dernier, à pareil jour.

En général, le souvenir est juste. Le présent provoque chez l'homme la passion qui dénature les choses et trouble les jugements. Mais le souvenir rend justice. Le présent grossit ou diminue: il agite presque toujours. Le souvenir rend aux choses leurs proportions perdues. Il est le dépositaire fidèle des secrets qui lui sont confiés. Il les rend même plus purs qu'il ne les a reçus. Il les dégage des détails extérieurs qui les altéraient en les touchant. Il isole l'objet et le montre en lui-même au lieu de le montrer dans l'embarras et le tumulte des circonstances que le présent accumulait autour de lui.

La photographie, comme le souvenir, est juste. Elle est impartiale, intègre comme la lumière. La peinture peut flatter: c'est l'homme qui agit en pensant à l'homme, et quand l'homme pense à l'homme, qui sait de quoi il est capable? La photographie ne flatte pas. Elle dit ce qui est, avec douceur et avec sévérité, sans colère et sans complaisance. La douceur et la sévérité, ne sont-ce pas les caractères du soir? Le voyageur, que je suivais dans sa marche rapide et recueillie, se souvient parce que le jour baisse : son souvenir est doux, parce qu'il est lointain; son souvenir est sévère, parce que les raisons de flatter sont absentes. Et la soirée qui jette autour de lui les ombres longues et mélancoliques, la soirée, dans sa clémence sérieuse, est douce et sévère comme le souvenir. On dirait, dans un beau soir d'été, que la journée va rendre ses comptes, mais que le juge sera clément.

Je ne m'étonne pas que l'humanité ait inventé vers le soir la photographie.

Le détail des opérations que la photographie exige ressemblerait peut-être beaucoup à celles que fait la conscience. Le nettoyage de a plaque, qui doit être parfait pour que l'opération soit possible,

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