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L'AMATEUR AU SALON

1866

III

PEINTRES DE GENRE: Desgoffes, Lambron, Meyrenheim, Heilbuth, Gide, Frère, Roybet, Toulmouche, Trayer, Tissot, Vautier, Salentin, etc. PAYSAGISTES: Girardet, Rous. seau, Appian, Courbet, Veyrassat, Français, Blhum, etc.

Les tableaux de genre sont, comme à l'ordinaire, en immense majorité au Salon, et l'on ne peut se dissimuler que de ce côté vont les préférences des amateurs en général et à plus forte raison du public. Aussi c'est un spectacle assez curieux de voir, le premier jour de l'Exposition, les tableaux qui attirent la foule livrée naivement à ses instincts et à laquelle la critique n'a pu faire encore la leçon.

Par exemple, on s'étouffait devant les toiles de M. Desgoffes qui paraît croire, et le public avec lui, que le comble de l'art est dans l'imitation exacte, de l'objet représenté, ce qu'on appelle le trompel'œil. Grossière illusion qui rabaisse l'artiste au travail de la mécanique, pour lequel sont superflus l'âme, le cœur, l'intelligence; car tout est dans l'adresse de la main, secondée par de bons yeux, s'aidant au besoin de lunettes. A ce point de vue, M. Desgoffes est un artiste incomparable. Ses tableaux, toujours un peu les mêmes, nous représentent des sujets de nature morte: vases, cristaux, bijoux, statuettes, étoffes et aussi des fleurs et des fruits, mais ceux-ci d'ordinaire moins bien réussis. L'artiste, dans sa merveilleuse exécution, ne varie point, ce semble, assez son procédé. Qu'il aille au Louvre étudier les Van Huysum, et il verra comment dans ces sujets mêmes l'artiste, moins esclave du métier, peut faire sa part à l'imagination: il tâchera à l'avenir que ses fruits, que ses fleurs, moëlleusement caressés par le pinceau, n'aient point la dureté du marbre.

Il y avait foule aussi devant le tableau de M. Lambron, dont les

Croque-morts naguère ont fait quelque bruit. Cette année encore, notre homme tire son pétard, et les badauds de dresser l'oreille et d'accourir! Oh! oui, les badauds, ceux qui font queue sur le PontNeuf pour un chat qui se noie. Une exécution nous représente un Pasquin, très-adroitement peint d'ailleurs, brandissant une grande rapière, avec laquelle il vient de décapiter un infortuné cacatoès, dont on aperçoit le corps gisant d'un côté sur le carreau, et la tête de l'autre. Je voyais des gens que cela faisait rire aux éclats et qui trouvaient l'idée originale. Bonnes gens, bourgeois naïfs, qui, comme feu M. Denis, doivent se coiffer pour dormir du bonnet de coton orné d'une faveur rose !

On faisait cercle encore devant la Ménagerie de M. Meyrenheim, et pas tout à fait, comme pour le précédent tableau, sans rime ni raison. Sans doute le sujet, pas très-neuf, ne prête pas beaucoup à la poésie. Une espèce de Barnum populaire, juché sur une table et ayant en façon de cravate un énorme boa qui fait deux ou trois fois le tour de son col, débite son speech aux curieux, qui, bouche béante, l'écoutent, comme jadis, quand j'étais journaliste, je voyais les provinciaux, voire les Parisiens, gratifiés par leur député d'une carte d'entrée à la Chambre, écouter nos Démosthènes. Il y a parmi les auditeurs, j'entends ceux qui entourent le montreur de bêtes, des figures impayables de vérité, de naturel, d'expression naïve. Elles accusent un singulier talent d'observation et sont touchées avec autant de finesse que d'esprit. Beaucoup de verve et d'entrain dans cette page riche en piquants détails.

La toile de M. Fromentin, Tribu nomade en marche vers les pâturages du Tell, est un très-intéressant et charmant tableau. Au pied d'une montagne qu'elle se dispose à gravir, en deçà comme au delà d'une petite rivière qui égaye le paysage, on voit toute la tribu, femmes, enfants, cavaliers, s'agiter fourmillante et empressée. La diversité des costumes et la variété des épisodes rendent très-attrayant pour l'œil le pêle-mêle pittoresque de cette multitude, dont les personnages nombreux et si vivants sont touchés d'un pinceau spirituel autant que fin et léger. Les sujets orientaux sont nombreux au Salon, trop même, surtout quand ils nous représentent des scènes qui ne peuvent intéresser que des sectateurs du Coran : un Cimetière musulman, la Prière ou la Procession dans la Mosquée, etc. « Nous prendon pour des Turcs?» dirai-je avec la servante de la comédie.

L'Antichambre, par M. Heilbuth, montre ce qu'un artiste intelligent

Tome XV. 125 livraison.

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et habile peut tirer d'une donnée qui semble insignifiante au premier abord. Un pauvre prêtre assis dans une grande pièce où pour tous meubles se voit un canapé, et près de lui un vieux domestique, qui, avec un air de fausse bonhomie, essaye de le faire causer, voilà tout le sujet! Mais comme il est compris et rendu! que les personnages sont vivants, et combien étonnant surtout l'ecclésiastique, dont l'expression de parfaite indifférence n'est pas exempte d'une pointe d'ironie malicieuse, qui se devine au pli de la lèvre. Je loue la couleur vraie et séduisante, la fermeté du contour et la touche pétillante d'esprit, si fine et si franche; mais je regrette qu'un talent si distingué se gaspille dans des sujets d'un ordre inférieur et où tout est pour le plaisir des yeux.

La Répétition d'une messe en musique, par M. Gide, me plaît également par le naturel et la vérité. La perspective aérienne est très-bien entendue; les plans sont habilement ménagés; toutes les têtes, variées de type, grâce à une habile distribution de la lumière, ont beaucoup de relief. Ce dont je loue encore l'artiste, c'est d'avoir traité son sujet honnêtement, sans y mêler des intentions comiques et des profils grotesques de prêtres ou de chantres, comme n'eût pas manqué de le faire quelque barbouilleur réaliste.

L'Ouvroir à Ecouen, de M. E. Frère, est un très-aimable tableau, qui repose doucement les yeux par la vue de toutes ces gentilles petites filles, si joyeusement occupées de leur travail et riant, tout en tirant l'aiguille, à la bonne Sœur de charité qui les couve d'un regard si maternel. A la bonne heure, tout banal que semble le sujet, voilà qui parle au cœur, qui parle à l'âme, et je me suis rappelé les beaux vers du poëte :

Dieu, vois-tu,

Fit naître du travail, que l'insensé repousse,
Deux filles: la vertu, qui fait la gaîté douce,
Et la gaîté, qui rend charmante la vertu.

Le Fou de cour, tenant en laisse deux dogues, par M. Roybet, a tenu, contre l'ordinaire, toutes les promesses de la camaraderie. C'est une œuvre qui serait remarquable pour tout autre même que pour un débutant. Facture large, exécution ferme, coloris vrai et puissant. Par malheur, sujet insignifiant, parfaitement ennuyeux et nul, comme les aime M. About sans doute, lui qui propose sérieusemert, dit-on, le Fou pour la médaille d'honneur. O bon jeune

homme!

Un Mariage de raison, par M. Toulmouche, mérite d'être regardé, parce qu'il y a là une pensée, une idée, n'en déplaise à ces jeunes messieurs qui veulent réduire l'art à la plastique et font fi du sujet. La figure de la jeune et belle mariée, qui maintenant, son sacrifice accompli, en comprend toute l'étendue, nous émeut par son expression de tristesse contenue, de regret amer, mais qui n'ose faire explosion par les larmes. Près de cette douloureuse et pâle figure les autres font contraste par leurs profils gracieux, au teint semé de lis et de roses et qui trahissent un étonnement sympathique. L'une d'elles, la plus jeune, qui essaye devant la glace la couronne de fleurs d'oranger, rit en montrant ses dents, de vraies perles : elle ne comprend pas qu'on soit mélancolique avec une si jolie toilette et la perspective de rouler voiture. Très-adroite exécution; chatoyantes étoffes; touche délicate, non pourtant sans quelque sécheresse dans les carnations.

Ce reproche, M. Tissot, qui l'a tant de fois et si justement mérité pour sa peinture archaïque, paraît avoir eu à cœur de l'éviter dans son tableauintitulé le Confessionnal. Mais je blâme le sujet : car ces scènes graves de la vie chrétienne doivent-elles servir de prétexte aux jeux du pinceau ? Nulle imagination inconvenante d'ailleurs. On ne voit pas le prêtre, et la jeune femme qui vient de quitter le confessionnal n'a point l'air d'une évaporée, avec sa figure allongée et sa grande robe de velours noir largement drapée. Les mains, tout aristocratiques, sont d'un modelé exquis. Rien là qui rappelle les défauts dans lesquels se complaisait naguère le peintre; mais ils se retrouvent un peu trop dans l'autre toile, Jeune femme dans une église, la dite jeune dame si étrangement attifée et emmaillottée.

C'est encore un pinceau fort habile que celui de M. Trayer, chez qui la délicatesse de la touche et le soin curieux mais pas exagéré du détail n'empêchent point une certaine largeur d'exécution. Dans sa Marchande de crêpes, jour de marché à Quimperlé, rien de vulgaire, quoique tout soit vrai. Ces villageoises aux si jolis minois et si coquettement, quoique modestement habillées, sont bien des paysannes, mais de celles que Brizeux mettait en scène dans ses idylles et qu'il se gardait de prendre au hasard et surtout de choisir parmi les laides. Ce charmant tableau, d'un coloris frais, riant, attrayant, et d'une exécution si ferme, nous paraît bien supérieur à l'autre petite toile, la Gardeuse d'enfants. La tête lourde est un peu celle d'une poupée ; mais les accessoires, les vêtements de la petite fille en par

ticulier, sont des mieux réussis. Et puis, sur le devant, les jolis, gentils, mignons poussins!

Je dois louer à peu près sans restriction l'excellent tableau de M. Vautier, de Dusseldorf, Après l'ensevelissement, qui, ce semble, eût été mieux intitulé: Après les funérailles. Il nous représente le repas qui, en certain pays, est d'usage à la suite de la triste cérémonie. Un réaliste, M. Courbet, par exemple, n'eût pas manqué de chercher dans un pareil sujet, pour le mettre en relief, le côté vulgaire et comique : il nous eût montré la plupart des bonnes gens riant d'un œil et pleurant de l'autre, mais se gardant bien surtout de perdre un seul coup de dent, jaloux de prouver que le chagrin ou la promenade matinale aiguise l'appétit. Ce n'est point ainsi, grâce au ciel, que M. Vautier a compris son sujet, mais sérieusement et chrétiennement. Sincèrement affligés, les invités s'entretiennent sans doute du pauvre défunt, qui naguère, peu de jours avant peut-être, riait avec eux et qui, maintenant... maintenant grâce à ses vertus, à sa vie honnête et chrétienne, les attend dans un monde meilleur. Plusieurs, avec un regard douloureux et un geste expressif, se montrent l'infortunée veuve qui, seule, près du foyer, la tête dans ses mains, pleure.... Bonne couleur; dessin élégant; exécution des plus habiles, ferme et consciencieuse, mais sans ces exagérations qui tournent au léché, et dont ne se défient pas assez nos chers peintres allemands.

Non moins réussi, non moins complet comme exécution et expression, me paraît le tableau de M. Salentin, la Fête de Mai, d'un caractère bien différent et tout égayé par ces jolis minois d'enfants si heureux de leur promenade et cavalcade... à âne, à travers bois et champs. Les ânes eux-mêmes, bonnes bêtes, peu gênées d'ailleurs par leur fardeau, ont des airs frétillants, sémillants, sautillants, qui prouvent qu'ils prennent franchement leur part de la fête.

Je ne méconnais pas le talent prodigué par M. Lévy dans la Mort d'Orphée; néanmoins je préfère de beaucoup à cette composition échevelée la délicieuse Idylle au parfum virgilien. La petite fille est ravissante, tout aimable, dans sa simplicité et sa candeur. Gracieux aussi me paraît l'adolescent qui la porte dans ses bras; mais les carnations des jambes, trop teintées de gris, laissent à désirer. Je regrette de même quelques tons plâtreux dans le si touchant tableau de M. E. Castan, la Mère malade, très-habilement peint d'ailleurs, et dont les personnages intéressent par leur expression naïve et si bien sentie. Les accessoires sont des mieux réussis; très-heureux aussi

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