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viennent deux autres voyageurs dans le même appareil et avec les mêmes apparences les manières et les gracieux compliments ne sont en rien modifiés. En voici un plus loin, qui dort profondément sur l'herbe du chemin, à la lisière du bois, maintenant très-fourré.

Le Mexicain, né dans les dangers, s'y accoutume et y devient impassible, comme un vieux zouave au sifflement des balles. Il sait que telle route est infestée de voleurs, telle autre fréquentée par les Sauvages: n'importe ! dès que son intérêt l'y pousse, il faudra qu'il y passe.

Mais la nuit approche; la seconde nuit sur le territoire du Mexique nous surprend en route. Le village de Las Vacas, où nous pensions aller nous mettre à l'abri de tout accident, est trop loin encore: il faut nous résigner à coucher à la belle étoile. La lune est maintenant au-dessus de la forêt; ses blancs rayons, brisés par les hautes futaies, produisent de toutes parts des formes fantastiques. Dans toute autre circonstance, le tableau serait grandiose; mais ici l'imagination s'en assombrit, elle crée elle-même des formes hideuses qui n'existent pas au milieu de cette lumière et de ces ombres, elle se figure les regards étincelants de quelques Sauvages aux agùets; elle voit leurs têtes surmontées de touffes, leurs traits bigarrés, et le haut du carquois rempli dépasser leurs épaules; elle épie leurs mouvemeuts secrets sous le feuillage, elle frémit à la vue de l'arc et de la flèche empoisonnée, déjà prête à envoyer la mort.

Mais le vieil éclaireur l'a décidé il faut faire halte. A l'endroit où le chemin fait un grand coude, entre deux forêts, sur une pelouse large et abondante, on dételle les mules et on les chasse au large dans le bois.

- « Hombre, » crie le vieil Espagnol, a hace fuego, de prisa! de prisa! me muero de hambre (dis donc, garçon, fais vite, vite du feu : je me meurs de faim). » Et aussitôt chacun se disperse et apporte une brassée de bois sec, au milieu duquel s'élève bientôt un feu étincelant.

Pendant ce temps, on choisit sa place sur le gazon, on étale son lit: le vieil Espagnol, le matelas et les couvertures mexicaines dont il s'est pourvu, et moi, la hure qui couvrait le dos de la mule; à la tête je dispose la selle du mozo en guise d'oreiller, et mon lit est prêt.

Maintenant le café et les tortillas réchauffées nous attendent. Comme j'ai plus besoin de sommeil que de nourriture, je mange à la hâte quelquesunes de ces galettes, je prends une tasse de café et vais trouver mon moelleux lit de gazon. L'oreiller me semble d'abord un peu haut; je le vire et le revire jusqu'à ce que ma tête soit aussi confortablement que possible. Je m'étends enfin de mon long, le visage tourné vers l'azur étoilé. J'ignore si jamais roi eut un si beau ciel de lit. Les craintes que j'éprouve ne sont pas de le voir tomber sur moi, mais de sentir la rosée ou la pluie qu'il pourrait très-bien laisser tomber. Pour me garantir d'un tel accident, je me munis d'une hure pareille à celle qui me sert de matelas. J'ôte mon

habit, que j'étends avec la hure aussi loin qu'il peut atteindre, et aussi hermétiquement que sa forme le permet.

Me voilà donc dans mon lit, pensant, ruminant, comme on a coutume de faire à pareille heure. « Mais... les Indiens! » me dis-je. « J'ai oublié les Indiens! Me voici tranquille sur une couche aussi cotonneuse que l'ait jamais pu trouver Adam, tandis que je suis peut-être déjà le but d'une flèche empoisonnée. » Je jette de tous côtés un regard furtif, et n'apercevant rien, je retombe sur mon noble oreiller.

-

A l'instant, des piétinements de chevaux se font entendre au loin, des voix d'hommes se mêlent confusément. « Sont-ce les Indiens? sont-ce les troupes de Santa-Anna? » Je me lève sur mon séant et j'étudie l'aspect de mes compagnons. J'aperçois le gobelet immobile dans leurs mains, et la bouche suspendant son travail. « Qu'est-ce que cela? qu'est-ce que cela? » se disent-ils tout bas. Puis un morne silence règne parmi eux.

Les piétinements deviennent plus forts, les voix plus distinctes. On parle espagnol : ce doivent être des Mexicains. Enfin ils arrivent : on s'aborde avec les grands mots de politesse ordinaire; on cause de Santa-Anna, de Vidaurri et de Monterey. Nous apprenons de bonnes nouvelles des pronunciados.

Deux de ces cavaliers révolutionnaires continuent leur route; les trois autres se joignent à la compagnie, et en une demi-heure tout repose dans le camp. Le fils de l'Espagnol est étendu non loin de moi sur une couche semblable à la mienne; le Gascon et l'Espagnol sont ensemble sur le matelas, et tout le reste, la tête sur une selle, dort sur le gazon nu.

Le lendemain, à la pointe du jour, on se lève rafraîchi, non par la rosée (il n'en tombe presque pas, dans cette saison du moins), mais par le plus délicieux sommeil que j'aie jamais goûté. Pas même un rêve n'est venu troubler mon imagination.

Le mozo a déjà trouvé les mules dans la forêt; elles sont attelées quand nous nous levons.

Mais maintenant le lecteur est impatient et désireux d'avancer. Je ne veux donc le retenir qu'une demi-heure à voir le mozo, les mules et le char vide de voyageurs se débattre au milieu d'un bourbier qui traverse le chemin, et je le conduis au restaurant où nous allons déjeûner. Dans le village de Las Vacas, un amas de cinquante cabanes et maisonnettes, il n'y a pas de restaurant spécial: on peut s'adresser à qui l'on veut. Près de la route se trouve un corral (enclos) plein de vaches; on les trait le moment est favorable. Nous tombons six à la fois dans une de ces pauvres maisonnettes, où le bon propriétaire, qui est, je pense, l'alcade du village, nous reçoit avec cordialité. Pendant que sa jeune fille, un peu timide, mais gentille et gracieuse pour l'endroit, va, sur les ordres du vieil Espagnol (appelons-le vieux caporal pour plus de facilité), va, dis-je, sur les ordres du vieux caporal, préparer des tortillas, des œufs et de la cecina, je m'échappe

au corral et me gorge d'un bol de lait mousseux, qui me semble d'autant plus délectable, qu'il y a longtemps que je n'ai fait pareille bombance et que j'ai un appétit dévorant. J'y vais à deux fois; ça ne coûte pas un sou. Je bois jusqu'à ce que la deuxième timbale soit à moitié vide; je ne puis continuer il faut l'abandonner. La bonne Mexicaine semble être heureuse de me rendre ce service; elle se trouve plus que payée par mon cordial «Muchissimas gracias, Señora »; elle a refusé l'argent que je lui ai offert: tant une pièce de métal a peu de prix pour le Mexicain quand il a le nécessaire assuré!

On peut reconnaître, je crois, le brave homme qui nous héberge, pour l'alcade de la villa de Las Vacas, au faisceau de vieilles carabines et de vieux mousquets rouillés qui se dressent au fond de sa demeure. Ces armes ont été mises par le gouvernement à la disposition de chaque habitant, afin de repousser l'invasion des Sauvages. Aux États-Unis, tous les territoires, et même tous les nouveaux États possèdent une armée fédérale pour maintenir les Indiens dans le devoir, ou pour les obliger à se reculer vers l'Ouest, où ils sont décimés par les maladies, ou à se réfugier au Mexique. Celui-ci, trop impuissant pour dominer les Peaux-Rouges, laisse chaque citoyen pourvoir, comme il le peut, à son propre salut. On peut se figurer la prospérité et le bonheur de colonies toujours tremblantes devant le menaçant macana.

Il est dangereux de s'écarter même dans son hacienda. Aussi un berger qui garde continuellement son troupeau en rase compagne, peut-il être considéré comme une victime dévouée à une mort certaine. Cet esprit de panique habituelle semble se manifester dans les regards et l'attitude même de ces populations. Le nom de l'Indien est en effet pour eux semblable à un de ces Génies du mal dont on effraye les enfants.

La villa de Las Vacas est située tout près du San-Juan, rivière qui coule au fond d'un grand ravin, tantôt sur une vaste nappe de rochers calcaires, tantôt sur un lit resserré et profond. Le paysage d'alentour consiste d'abord en une assez vaste pelouse, puis en une petite clairière entrecoupée de mille sentiers, que forment chaque jour les troupeaux. L'aspect général n'a rien que de champêtre et de gracieux, à part l'ombre sinistre de l'Apache ou du Comanche, que l'on croit toujours voir errant partout dans ce malheureux pays.

(La suite prochainement.)

CHARLES JABOEUF.

CONFÉRENCES ET CONFÉRENCIERS

Fut-il jamais un siècle aussi discoureur que le nôtre? C'est une question que nous serions bien tentés de résoudre dans le sens négatif; cependant, nous ne sommes pas assez érudit pour nous prononcer en dernier ressort sur ce point, et nous croyons faire sagement, en le proposant à l'examen sérieux de ceux qui désireront approfondir les annales de l'humanité parlante. Il y avait à Rome un Forum; à Athènes, une tribune aux harangues, c'est certain. Mais l'histoire nous apprend que ces illustres postes n'étaient pas occupés à toute heure, et que ceux qui se hasardaient à les remplir ne traitaient guère que des grands événements contemporains, des besoins et des intérêts de la patrie.

De ceci résultait naturellement une consommation modérée de plaidoyers et de harangues, car on n'a pas à combattre un Philippe, à flétrir un Catilina tous les jours.

Il est certain cependant qu'à Athènes on criaillait; la tribune aux harangues avait le tort d'être un peu trop voisine du marché aux herbes. A Rome aussi, les rhéteurs apparurent et parlèrent, mais ce fut au temps de la décadence, du luxe bestial, de la corruption dorée; alors que les sénateurs mettaient, dans une même séance, un turbot à la sauce aigre et un empereur au rang des dieux; c'était un peu après Néron et du temps d'Héliogabale. Mais du moins, reconnaissons-le, le mal se concentrait au centre, dans la capitale impériale ou démocratique, turbulente ou putréfiée; il ne rayonnait pas aux extrémités, il laissait le pays intact. Les bourgades infimes, contenues dans les limites de la bonne et vraie Béotie, ne voyaient pas éclore leur bataillon sacré de beaux parleurs; le Samnium, la Rhétie, la Norique et autres provinces, renommées moins pour l'habileté de leurs gens d'esprit que pour la vigueur de leurs gens de guerre, gardaient un silence prudent. L'univers se taisait enfin, tandis qu'Athènes et Rome babillaient, vociféraient, discouraient et divaguaient pour tout le monde.

Les choses ont bien changé en ce dix-neuvième siècle de notre

Tome XV. 126e livraison.

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ère. On voit bien que nous sommes en progrès chaque bourg a, je ne dirai pas son, mais ses Démosthènes; chaque sous-préfecture son Forum ; et l'un de ces jours, en nous réveillant, nous verrons chaque comptoir de café converti en tribune partout des affiches jaunes avec des titres pompeux; partout des réclames chauffées à toute vapeur; partout des tables couvertes d'un tapis vert, des manuscrits couverts de papier bleu, et des messieurs obligeants en cravates blanches, se chargeant de nous expliquer ce que nous savons fort bien ou ce que nous n'avons pas besoin de savoir. Cela nous persécute, cela nous inonde; les oreilles du public sont mises en grand danger et son intelligence encore bien davantage; le mal va toujours croissant et le bavardage aussi : il est donc temps de dénoncer au bon sens de tout le monde la plupart des conférences et des conférenciers.

Nous sentons d'abord la nécessité de dire que nous ne trouvons point étonnant ni blâmable qu'il se fasse des conférences à Paris ou dans tout autre grand centre intellectuel. Dans un certain nombre de villes se trouve un public assez nombreux et d'une culture intellectuelle assez élevée pour qu'un conférencier animé d'un sens droit, d'un esprit pratique et éclairé, et d'une inspiration sainement chrétienne, puisse se flatter d'être agréable à son auditoire et de lui être utile, ce qui vaut mieux.

Seulement combien, parmi les conférenciers parisiens, en est-il qui réunissent les qualités que nous avons plus haut énoncées : l'inspiration chrétienne, l'esprit pratique, le sens droit? Il en existe peutêtre un tout petit nombre, nous nous plaisons à le reconnaître. Mais pour les autres, combien en est-il qui, sous prétexte de science des religions, dressent un programme complet d'athéisme; sous prétexte d'économie politique, rédigent un véritable cours de désorganisation sociale; qui, à propos de soi-disant Mémoires historiques, allèchent le public égrillard par mille révélations éhontées et scandaleuses; qui, au moyen d'une causerie prétendue littéraire, saisissent l'occasion d'envoyer l'auditoire en masse acheter leur vieux roman ou leur drame oublié, chez leur éditeur; ou qui, enfin, nourrissent le peuple des doctrines du matérialisme le plus grossier, en se vantant de l'instruire dans les sciences naturelles!

Cependant, nous le répétons, nous garderions le silence, si cet état de choses n'existait qu'à Paris et dans quelques grandes villes. N'est pas capitale qui veut : dans ce centre tumultueux et divers où tout se combine, où tout converge, les idées et les choses, les forces et les

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