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Fabia se fit conduire en gondole au palais ducal et fit demander à la dogaresse une audience, qui lui fut immédiatement accordée, en raison de son intimité particulière avec cette princesse.

-Eh bien! mon enfant, lui dit la femme du doge, parlez-moi de vos plaisirs. Comptez-vous vous amuser beaucoup cet hiver?

Oui, Altesse, je l'espère. Mon père consent enfin à me donner un grand bal masqué au palais Michieli.

-

Et quel costume avez-vous choisi, mon enfant ?

Le plus beau qu'il soit possible. Je viens justement demander à Votre Altesse la permission de paraître dans ce bal en dogaresse, et de me faire faire un habit sur le modèle de vos vêtements de cérémonie.

La dogaresse y consentit et lui prêta dans ce but son costume d'apparat, sans oublier la corne dogale. Fabia la remercia avec effusion et emporta le précieux paquet dans sa gondole. Le soir même, Grillo vint annoncer que le geolier était gagné. Fabia remit à l'espion le vêtement de la dogaresse, et il se chargea de faire fuir Ruggieri sous ce costume féminin.

Grillo était fort effrayé du double rôle qu'il jouait et dans lequel il risquait sa tête. Les instructions qu'il donna au geôlier se ressentirent du trouble où était son esprit; il faut du moins le supposer: car cela seul peut expliquer la confusion de personnages que fit le geôlier des Puits. Peut-être conclut-il judicieusement qu'une robe ne pouvait servir qu'à une femme: en conséquence, au lieu de faire évader Ruggieri, il crut qu'il s'agissait de sauver Orséola. Il fit revêtir à la bigolante la jupe de velours noir et la robe de satin écarlate, et lui mit sur la tête la corne dogale.

Nous avons vu à Venise, au musée du palais Correr, les portraits de deux dogaresses qui sont la plus délicieuse peinture que l'on puisse voir; il y a quelque chose de plus ravissant encore que leur costume : ce sont leurs pâles visages de Vénitiennes. La porteuse d'eau n'avait pas la grâce délicate d'une patricienne de Venise; mais sa robuste beauté portait fort bien ce costume dogal, et le diadème républicain ne messeyait pas à son front bruni par le soleil. Elle éblouit en cet état les yeux du geôlier et ceux de son fils.

- Vous êtes, s'écria cet homme, plus belle ainsi que la femme du doge, qui a l'air d'une plante poussée à l'ombre et qui craint le soleil. Allons, venez vite, ne parlez pas et mettez cette moreta (masque vénitien.)

Orséola se laissait faire sans crainte et sans étonnement: persuadée que rien n'arrive sans l'ordre ou sans la permission de Dieu, elle n'était pas plus surprise de porter la corne dogale que de porter ses seaux de cuivre à la citerne. On lui avait laissé Carino, qui la suivit, perché sur la couronne ducale.

Les geôliers, chacun une lanterne à la main, firent monter à Orséola des escaliers, traverser de longs corridors, et entrer enfin dans une galerie où pénétrait l'air frais de la nuit.

Victoire! dit le vieux geðlier : nous voici sur le pont des Soupirs. La Bigolante tressaillit en entendant le nom de ce pont ugubre, qui conduit du palais ducal aux prisons d'État.

Arrivés au milieu du pont, les deux geôliers firent arrêter Orséola, et, à l'aide d'anneaux de fer énormes, ils soulevèrent une large dalle. Par l'ouverture qui en résulta, la fugitive aperçut les flots du canaletto et entendit leur clapotement sinistre; ses conducteurs la firent asseoir sur un vieux fauteuil de bois, auquel ils l'attachèrent avec leurs mouchoirs; puis, deux cordes nouées aux bras du fauteuil le descendirent par l'ouverture avec son précieux fardeau. La bigolante ne douta plus qu'on n'eût le projet de la noyer dans le canal: elle ferma les yeux, fit le signe de la croix et recommanda son âme à Dieu; elle descendit lentement, ballottée çà et là par le vent de la nuit ; bientôt elle sentit que sa robe dogale trempait dans l'eau: elle ouvrit les yeux avec terreur; mais à l'instant une gondole, cachée à l'ombre du palais, s'en détacha silencieusement avec son fallot allumé, et reçut tout à coup la voyageuse aérienne. Un homme, debout à la poupe, s'avança pour détacher les mouchoirs qui la retenaient au fauteuil : c'était Grillo. Dans ce mouvement, le masque d'Orséola se dérangea, et l'espion la reconnut.

-

Par saint Marc! se dit-il avec une fureur concentrée, le geðlier m'a trompé il a fait évader la bigolante au lieu du Français. Que faire? Ma foi, tant pis! il faudra bien que cet échange tourne encore à mon profit.

Orséola, de son côté, fit un mouvement de répugnance en reconnaissant son ancien professeur devenu un espion et son accusateur; mais elle se rassura un peu en voyant que le gondolier était son fiancé, le fidèle Beppo. Celui-ci, la prenant pour la dogaresse, lui fit des saluts respectueux, qui la firent rire sous son masque. Grillo la pressa d'entrer bien vite dans le camerino, dont le felz noir la recouvrit aussitôt comme un linceul (1).

O ciel! dit tout bas Beppo à Grillo, ne trouvez-vous pas que la femme du doge ressemble à ma fiancée ?

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Imbécile, qu'oses-tu dire? Cette pensée seule est un crime de lèze-majesté. Tais-toi, et rame vivement: car je crois qu'on nous poursuit.

En effet, une gondole les suivait et les rejoignit sous le pont de la Paille; un homme masqué qui la montait ordonna à Beppo d'arrêter.

Va toujours, s'écria Grillo.

- Arrête et regarde, répondit l'homme masqué en écartant son manteau et en montrant, à la lueur du fallot, ces terribles lettres brodées sur sa poitrine C. D. X.

:

(1), Le camerino est la chambrette vitrée qui renferme les voyageurs d'une gondole, et qui est surmontée d'une sorte de dôme recouvert de gros drap noir: c'est ce qui s'appelle felz. Ce felz se place et s'enlève à volonté, suivant le temps qu'il fait, selon l'incognito qu'on désire garder.

Beppo épouvanté s'arrêta court à la voix de l'agent du Conseil des Dix. Qui voyage à cette heure dans cette gondole ? demanda l'homme masqué.

C'est Son Altesse la dogaresse, répondit Grillo avec sang-froid en entr'ouvrant la porte du camerino.

A la vue de la corne dogale, l'agent s'inclina et fit retourner la proue de sa gondole.

Va bene, se dit Orséola, voici décidément qu'on prend une porteuse d'eau pour la femme du doge. Quel imbroglio! Mais Dieu y pourvoira et saura bien le dénouer.

El la dogaresse improvisée se mit tranquillement à égrener les grains de sa corona (son chapelet.)

EDMOND LAFOND.

La fin au prochain numéro.)

L'ACADÉMIE CATHOLIQUE

DE LONDRES

On sait qu'il existe à Rome une Académie approuvée par S. S. Pie VII, et destinée à encourager les études scientifiques et littéraires en leur donnant une direction opposée à celle que les faux savants et les rationalistes s'efforcent de leur imprimer. La haute intelligence et le zèle ardent de S. Ém. le cardinal Wiseman lui avaient fait apprécier l'utilité de cette association; avec l'assentiment du Saint-Père, il désira en fonder à Londres une toute pareille, qui, même avant d'être organisée, fut affiliée par les soins du cardinal Asquini à celle de Rome. Il appartenait à l'éloquent et pieux auteur des Conférences sur les rapports entre la Science et la Religion révélée de se mettre à la tête de cette croisade intellectuelle contre des adversaires qu'il faut aller combattre sur leur propre terrain, comme nos pères qui couraient chercher en Orient les ennemis de la chrétienté. Il ne suffit plus de repousser des attaques sans cesse renaissantes et toujours plus audacieuses; on doit les prévenir et arracher à l'incrédulité les choses saintes qu'elle profane.

Tel est le but de l'Académie catholique de Londres. Mgr Wiseman, retenu à Rome par sa santé, en avait confié l'organisation au T.-R. Père Manning, qui devait plus tard lui succéder au siége archiépiscopal de Westminster. Le 29 juin 1861, sous le patronage de la Sainte Vierge et des glorieux Apôtres saint Pierre et saint Paul, eut lieu, à la résidence archiépiscopale, l'inauguration de l'Académie catholique de Londres. Son illustre fondateur, ne pouvant prononcer Jui-même son discours d'ouverture, en chargea le T.-R. Père Manning. Dans cette exposition du danger des fausses lumières et de la nécessité urgente d'y substituer des connaissances solides, on retrouve cette éloquence, cette érudition et cette profonde conviction que nos adversaires ne pouvaient s'empêcher de reconnaître chez le Prélat

dont naguère les funérailles étaient entourées de respects universels.

Mgr Wiseman s'attache à démontrer la fausseté d'un des préjugés exploités avec le plus de persévérance par les ennemis du catholicisme, à savoir qu'il est hostile à la science, parce qu'il n'en saurait supporter les investigations. «L'Église, dit Son Éminence, a su de tout temps s'emparer du caractère propre à chaque siècle, pour façonner l'esprit et les tendances de l'époque selon le plan chrétien: ainsi elle s'approprie la basilique païenne en la sanctifiant ; elle adopte le Code romain en y infusant la charité évangélique; elle donne à l'enseignement scolastique du moyen âge l'énergie de ces hommes de fer qui semblent communiquer à son inflexible logique toute la fermeté de leur âme; et en même temps la poésie des trouvères se transforme sur les lèvres d'un saint Bernard, d'un saint Bonaventure, d'un saint François d'Assise, en chants d'amour divin, d'une pureté, d'une suavité infinies. >>

Ainsi l'Église a toujours su, quand elle le jugeait nécessaire, entrer dans le courant, non pour lui céder, mais au contraire pour lui arracher ce qu'il voudrait entraîner.

« Et maintenant, » continue Son Éminence, « c'est au torrent de la science moderne qu'il s'agit de disputer l'esprit humain, dont elle s'efforce de submerger les croyances sous prétexte de l'émanciper. Longtemps l'Église anglicane a accusé le catholicisme d'obscurantisme; et de nos jours voilà que, par une dispensation providentielle, cette orthodoxie anglaise subit ce même reproche de la part de ses propres enfants, dont la science et la philosophie la battent en brèche. >>

Sans s'appesantir sur les perplexités de «< l'Établissement, » Mgr Wiseman représente à ses auditeurs combien il importe à tout catholique de se mettre au courant des progrès des sciences humaines car l'Église ne redoute que les fausses lumières avec leurs éblouissements et leurs vertiges; elle craint surtout pour les siens les applications erronées, les inductions téméraires et calomnieuses qu'on s'efforce de tirer de certains faits mal approfondis et plus mal compris, dont les clabaudeurs à la suite se servent pour scandaliser ou égarer les petits et les faibles. C'est contre ces piéges, contre ces dangers, que cette mère de toute vraie lumière, de toute science véritable, veut prémunir ses enfants; elle ne cherche pas à étouffer le besoin de savoir, mais à le maintenir dans une sage direc

Tome XV. -128 livraison.

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