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il

Et tout ce peuple de vendeurs sent la misère! On devine que vendre, pour lui, c'est question de vie ou de mort, et que cette plume, qu'il vous offre avec tant de grâce, est un morceau de pain que son âme vous demande en pleurant. Je vis un matin, aux heures réservées à l'étude, une de ces pauvres petites marchandes, pâle, fripée, déchirée aux coutures, entrer dans sa boutique : y avait un monde de douleurs dans ses yeux. Elle ôta de ses épaules une pèlerine effilochée, passa une robe de soie bleu pâle à larges plis, la releva par une ceinture brodée, mit sur la tête le petit bonnet à sequins des Levantines, et, transformée, dans son étal mauresque, avec le sourire et le regard des heureuses, elle se prépara à vendre des babouches et des tapis d'Orient... Pauvre enfant! Oh! pour qui saurait ce qui se passe sous le masque de la figure, quelle exposition navrante dans cette Exposition luxueuse!... Que de fois, ma besogne faite, je me suis promené dans les galeries, observant toute cette population interlope mi-indigène, mi-exotique, de nature et d'existence mal définies, voisine des populations foraines, avec plus de décor extérieur parfois, dans le fond plus pervertie et moins digne! Et que de pensées me venaient décourageantes et tristes! Il faut la voir, non pas quand le flot des visiteurs passe, mais, je l'ai dit, aux heures réservées où elle s'abandonne, étant moins vue.

Il faut bien qu'on gagne son pain, n'est-ce pas ? Alors le mari quittera sa femme, la femme quittera son mari et ses enfants, la jeune fille s'assoira derrière un étalage, fera l'Alsacienne ou la Turque et posera devant la foule. Ajoutez tout ce petit monde officiel qui s'agriffe aux sections étrangères; ajoutez toute cette bohème qui surgit on ne sait d'où, par mille, la veille de toutes les expositions du monde, sollicitant et quémandant les représentations et les offices, même les titres de jurés... Tout cela accourt, se rencontre, vit côte à côte et pêle-mêle, rit,

chante, s'amuse, s'aime pour six mois et se hait pour toute la vie ;... ils ne se connaissaient pas hier, ils ne se connaîtront plus demain... Demain, ah !... l'Exposition fermée, ce sera la faim peut-être! Mais aujourd'hui l'on mange, n'y songeons pas !... Et tout cela prend des airs de grand monsieur et de grande dame: on est à l'étranger; qui verra clair?... Et le plaisir est grand de duper le naturel. Le naturel, avouons-le, se laisse prendre avec une naïveté désopilante : j'ai vu autrefois de très honnêtes gens et très rigides ouvrir leur maison à Monsieur un tel, ancien attaché d'ambassade, représentant telle usine hors pair des régions caucasiennes... Monsieur un tel, d'une gentilhommerie parfaite d'ailleurs, n'était qu'un vulgaire voleur en rupture de ban!

On sait l'histoire de ce grand bel Egyptien de 1885 qui faillit contracter, ici, un très beau mariage, et se trouva, au dernier moment, n'être qu'un cuisinier de Marseille.

Devant toute cette comédie, devant toute cette pose, devant cette vie de camp ouverte à toutes les promiscuités, devant les révélations du matin, et les révélations du soir, et les surprises du jour, devant ce que l'on voit et ce que l'on devine, la pitié s'en va et le mépris vient. Or il faut lutter contre le mépris, car il est injuste. Dieu ne méprise pas jusqu'à la dernière heure il a pitié. Il voit la faiblesse, et autant que la faiblesse il voit l'inconscience.

Je marchais remuant ces pensées. Un représentant d'usine qui m'avait vu passer souvent m'aborda, et se découvrant Monsieur le curé, pardonnez-moi, mais je serais si heureux si vous vouliez dire pour moi une messe. Je suis bien mal! j'ai une maladie de cœur très avancée. Et quand je pense que ma femme restera là-bas il regarda au loin. seule avec mes quatre petits enfants! Il ne continua pour ne pas pleurer!

pas... il se mordait les lèvres

Ah! l'honnête homme! Comme j'ai prié pour lui! Et

par-dessus le murmure confus de la foule qui passait, on entendait l'éclat de rire des heureux!

Je voudrais, avant de terminer, dire l'impression d'ensemble qui me reste au sortir de notre Exposition universelle. Elle est incontestablement plus riche et plus belle que ne le fut l'Exposition de 1885. Il n'y a, sur ce point, qu'une voix. Les exposants ont beaucoup mieux compris surtout l'importance de l'étalage. Il n'en est pas un qui n'ait visé à donner à ses produits quelque élégance extérieure. Or l'étalage est moins secondaire que l'on ne pense. Il est au produit ce que le style est à la pensée, ce que la musique est à la parole. Il est ce vernis charmant de bonne compagnie, sans lequel le plus honnête homme du monde et le plus intelligent n'est qu'un rustaud.

Notre petit pays, en particulier, y avait réuni tout l'effort de sa production et de son industrie, et je vous ai dit combien nous pouvions en être fiers.

A de rares exceptions près, les pays étrangers, la France surtout, y avaient coopéré généreusement et grandement. D'où vient que pour beaucoup de gens ce fut une déception? Les raisons en sont multiples. La première, c'est que pour beaucoup de gens l'Exposition n'était plus neuve le souvenir de l'Exposition de 1885 était encore trop frais, et le passé prend toujours à nos pauvres yeux d'hommes des nuances enchanteresses inimitables. Elle avait été neuve celle-là, et la sensation qu'on en avait goûtée avait la saveur inoubliable de tous les printemps.

La seconde, c'est que l'Exposition a été généralement fort mal vue. On se promenait dans les grandes artères où surtout sollicitaient le luxe et la richesse. On n'avait garde de se perdre dans les bas côtés. Or les grandes artères, beaucoup trop encombrées, si riches qu'elles fussent, ne tardèrent pas à devenir monotones.

Enfin, une troisième raison me semble avoir eu grand jeu dans ce mystère : les jardins étaient trop attirants.

Il faisait si bon s'y promener ou s'y asseoir en hémicycle devant l'entrée, voir passer les gens, s'y parler et deviser ensemble de toutes les légendes chuchotées bas du jour et du pays! Et l'on dînait si bien chez Lévillain, et chez Meurice les pâtisseries étaient si fines!

Que si vous demandiez le grand progrès, l'industrie nouvelle, la découverte saillante marquée par l'Exposition qui va finir, j'avoue qu'ici je serais fort embarrassé. Dans mon petit domaine étroit, les instruments de science, franchement, je n'ai rien trouvé. Des amis, des confrères, que j'ai consultés sur leur domaine à eux, m'ont répondu de même: Rien. » Un ingénieur m'a signalé un train de laminoir anglais. Un médecin oui, un médecin, mais très adonné aux choses de la mécanique générale— m'a fait remarquer une turbine à vapeur. C'est tout. Mais j'ajouterais volontiers, Messieurs: «C'est assez. » C'est assez en effet que ce perfectionnement continu des procédés et des méthodes anciennes dont l'Exposition d'Anvers montre à chaque pas la marche ascendante. C'est assez que la diffusion énorme des machines et leur application à tous les recoins où s'applique la force humaine. C'est même assez que l'extension de bien-être répandue presque dans les couches les plus infimes, et venant porter un peu d'aise à ces foyers où les fatalités de l'existence ont jeté tant de misères. Or, de tout cela, l'Exposition a été le témoin. Nous avons marché de l'avant, sinon à pas de géant, du moins à pas d'homme.

Toute marche en avant, tout progrès, tout bien-être doit être béni. Il ajoute au patrimoine de la société humaine. Il faut pleurer les seules déchéances. Je sais bien je dois savoir mieux que personne, moi prêtre que le progrès et le bien-être matériel ne sont pas le tout de l'homme, qu'il y a des biens plus hauts et plus désirables, qu'une civilisation est plus faite d'intelligence et de foi qu'elle n'est faite de pain et d'or. Mais j'estimerais peu le semeur d'Évangile qui ne trouverait pas dans son cœur une bénédiction pour l'humble semeur de grain!

Le jour où, pour la première fois, je vis l'Exposition quise meurt, j'étais allé, sur vos quais magnifiques, assister au départ d'un navire. Il emportait vers les rives sœurs de l'Afrique des ouvriers, des commerçants, des explorateurs, des prêtres et des religieuses... Ils partaient, et le dernier, le plus humble d'entre eux, me paraissait grand! Ils allaient, méprisant le danger et la mort sur des terres homicides, porter, chacun à sa manière, cette civilisation. dont nous sommes fiers; ils allaient, en fin de compte, travailler à l'ascension des âmes.

Nous aussi, Messieurs, nous sommes jetés dans ce grand navire du temps qui porte à travers la vie notre génération vieillissante. Nous aussi, depuis le plus humble, nous avons notre rôle à remplir: travailler à l'ascension des âmes. Nul parmi les humains n'est exempté de cette loi suprême. Et ceux-là seuls sont grands qui, l'heure venue de s'endormir dans la paix, peuvent se croiser les bras sur la poitrine et devant le Juge se dire : « J'ai donné au monde ma part de travail, de lumière, d'honneur et de vertu. Qu'importe que la part vienne d'en bas ou d'en haut, qu'elle soit étroite ou large : celui qui la donne, dans sa mesure, a servi la grande famille humaine.

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VICTOR VAN TRICHT, S. J.

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