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Ce rêve extraordinaire est cité partout et interprété par les auteurs de plusieurs manières. Il n'est peut-être pas très authentique, et a pu être développé et enjolivé par Maury. Même en l'admettant tel quel, rien ne prouve qu'il dérive de la sensibilité externe. La chute de la flèche a pu provoquer rapidement, presque instantanément, le déroulement des scènes racontées, mais tout l'agencement de ce rêve compliqué est imputable à la seule imagination. Les détails y sont nombreux; un seul vient du dehors, et il aurait pu naître comme les autres du sens intime. L'impression tactile est l'occasion du rêve, elle n'en saurait être la cause.

Le rêve de Maury, donné comme preuve de l'extrême rapidité des songes, n'a pas été accepté par tous. Plusieurs le jugent irréalisable, impossible, et déclarent que la chute de la flèche de lit n'est survenue qu'en plein cours du rêve, coïncidant avec le moment psychologique de l'échafaud. L'impression sensible ne constituerait alors qu'un incident approprié du rêve, comme la piqûre de moustique éprouvée par Descartes endormi. L'explication est séduisante et nullement invraisemblable; elle nous plaît en tout cas davantage que celle imaginée récemment par M. Egger (1).

Ce professeur croit à la marche rétrograde du rêve, à une sorte de renversement des images dans le temps. Il suppose que le rêve a commencé au moment de la chute de la flèche, que cette impression douloureuse a provoqué chez Maury l'idée de la guillotine, que l'idée de la guillotine a amené celle du procès et de la condamnation, laquelle à son tour a suscité les souvenirs de la Terreur, etc. Le dormeur a vu les faits dans cette succession; mais à son réveil Maury, désireux de reconstituer son rêve, a repris les faits en sens inverse, dans l'ordre chronologique du souvenir, évoquant successivement les scènes de l'accusation, du jugement et de l'exécution. Rien ne

(1) REVUE PHILOSOPHIQUE, 1895.

prouve l'exactitude de cette hypothèse, qui laisse inexpliquée l'incroyable rapidité des images morphéiques. Le rêve de Maury, en le supposant exact, reste une énigme pour la science.

« L*** rêve un matin qu'il nage en pleine mer après avoir été en barque. Il se réveille avec une sensation de fraîcheur; on venait d'ouvrir la fenêtre qui est à côté de son lit (1).

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Le Dr Tissié, qui rapporte cette observation dans son livre, y voit à tort un exemple de rêve provoqué. Il nous paraît difficile d'établir une relation entre les impressions du rêve et l'impression subie au réveil. On ouvre une fenêtre sur le dormeur, et il se réveille avec une impression de fraîcheur quoi de plus simple! L'ouverture de la fenêtre n'a rien à voir avec le rêve : elle n'en est ni la cause ni même l'occasion. Il nous arrive souvent de rêver à des voyages en mer, à des parties de canot, à des baignades, sans éprouver la moindre sensation de froid. Inversement une impression de fraîcheur ne fait pas rêver à l'eau douce ou à la mer elle a plutôt pour effet de réveiller le dormeur que de provoquer des rêves.

« Un géographe étudie la carte des lacs de l'intérieur de l'Afrique et des sources du Nil. Il s'endort; il fait chaud, il sue. La sueur coule le long de son corps. Il rêve qu'une carte de géographie immense est étendue sur lui avec des cours d'eau aux teintes bleuâtres : la carte était les draps; les cours d'eau, la sueur qui ruisselait (2).

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C'est en vain qu'on cherche là un rêve provoqué. L'impression ne forme pas le rêve, elle s'y surajoute ou plus exactement s'y adapte. Le drap ne constitue une carte que pour le dormeur obsédé par les études géographiques; il

(1) Tissié. op. cit., p. 67.

(2) Max Simon, op. cit., p. 33.

peut être interprété de mille manières par les sujets endormis suivant la nature de leurs rêves. Les sensations externes ne concourent pas d'ordinaire à la formation des songes; mais si elles interviennent quelquefois, elles se transforment et sont interprétées au gré du dormeur. L'imagination s'en accommode comme de tous les éléments internes qu'elle possède; elle reste la grande et nécessaire ouvrière du rêve.

Dugald-Stewart rapporte l'exemple d'une personne qui, ayant un vésicatoire sur la tête, fit en dormant un rêve très long et très suivi dans lequel elle se voyait prisonnière et sur le point d'être mise à mort par les sauvages d'Amérique.

Le rapport qu'on prétend établir entre la plaie crânienne et le rêve nous paraît problématique. On ne peut admettre que le vésicatoire ait donné une sensation douloureuse pendant toute la durée du repos morphéique, et il faut nécessairement supposer que le dormeur n'a éprouvé son impression qu'à un moment donné. Ce moment a coïncidé avec la scène de mise à mort, et le rêveur a ressenti à la tête une impression analogue à celle que déterminerait le scalp, à l'instant même où les sauvages se disposaient à enlever sa chevelure. Voilà toute la part qu'on peut accorder au vésicatoire : elle est faible. Le rêve tout entier, avec son agencement compliqué, avec ses mille épisodes, dépend manifestement de l'imagination. De plus, remarque importante, tant qu'a duré le vésicatoire, les rêves n'ont eu qu'une seule fois un rapport indirect et lointain avec lui preuve nouvelle que les sensations externes ne les alimentent pas d'ordinaire. On applique souvent des vésicatoires sur la tête, mais on ne suggère pas en même temps aux rêveurs des épisodes dramatiques à la Cooper.

III.

Le rêve ne nous arrive pas tout formé par le sens du tact. Il n'est pas provoqué davantage par l'ouïe, et les rares exemples cités par le Dr Tissié ne sont pas concluants.

Le premier est personnel à l'auteur. « Je rêve un matin, écrit-il, que je me trouve en plein Océan, sur un paquebot; la traversée durait depuis un temps que je ne pouvais apprécier. Le navire en accosta un autre en rivière. Je transbordai; il était chargé d'émigrants. J'y revis des types connus, ayant navigué jadis; puis je descendis, par l'échelle du commandant, dans un petit bateau à vapeur plein de monde. Le bateau, étant trop chargé, menaçait de couler. Je sautai dans un petit canot, mais il allait sombrer aussi; je me jetai à l'eau, sans éprouver pourtant de cauchemar. La rivière s'était rétrécie, je touchais le fond avec les pieds; je marchai ainsi jusqu'à la berge et je me trouvai à Paris, sur le bord de la Seine, courant, essoufflé, vers un ponton de bateau à vapeur. Le ponton avait deux étages. A l'étage supérieur se tenaient les employés délivrant des billets de passage; à l'étage inférieur, où je descendis, toujours en courant, je m'égarai à travers des machines à vapeur fonctionnant. J'avais hâte d'arriver au petit bateau qui sifflait, pourtant je ne pouvais retrouver mon chemin ; j'arrivai au moment où le bateau s'éloignait du ponton en sifflant de nouveau.

» Je me réveillai soudain. J'entendis vraiment le sifflet d'un bateau à vapeur qui manoeuvrait en rivière. Ma demeure est à un kilomètre environ de la Garonne. Les sifflets que j'entends durent au plus de cinq à dix secondes. Ce rêve m'avait laissé l'impression d'une durée de trois mois (1). "

(1) Op. cit., pp. 8-9.

D'après notre confrère, tout ce rêve est né de la sensibilité externe. « Le sifflet d'un bateau à vapeur crée un rêve dans lequel une idée principale domine celle du bruit que fait la vapeur (1). Nous avons peine à le croire, et nous sommes persuadé que, sans le moindre sifflet, un tel rêve est possible et se produit souvent. En tout cas, le sifflet du vapeur ne saurait être considéré comme la cause, il est tout au plus l'occasion d'un rêve long et compliqué; il n'en a jamais créé l'agencement ni les péripéties. L'idée principale qui domine le songe du D' Tissié n'est pas celle du bruit de la vapeur, comme il l'affirme, c'est l'idée d'un voyage nautique des plus mou

vementés.

Si le bruit de la vapeur suffisait à provoquer un tel rêve, les observateurs nous en apporteraient cent exemples, et le Dr Tissié lui-même n'en compterait plus les éditions. Or le bruit du sifflet a retenti très souvent aux oreilles de notre confrère endormi sans jamais amener un rêve analogue. Tous les dormeurs qui habitent aux abords de nos grands fleuves, et ils sont nombreux, sont là pour déclarer que le sifflet strident des vapeurs a le défaut de les réveiller quelquefois, mais n'a pas d'ordinaire la vertu de causer le moindre songe. Notre demeure personnelle étant à quelques pas de la Seine, nous pouvons fournir un témoignage conforme et positif. Si les pensées venaient du dehors, si des impressions vives suffisaient à actionner et à former des rêves, chacun de nous pourrait fournir des observations analogues à celle du Dr Tissié. Mais cette observation est isolée et demeure sujette à contestation; en tous cas elle est insuffisante à prouver sa thèse : Testis unus, testis nullus.

Maury raconte qu'il s'était assoupi par un effet de la forte chaleur; il rêve alors qu'on avait placé sa tête sur

(1). Op. cit., p. 15.

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