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de ce cerf, et secouant de là ses plumaches, remplit de sablon les yeux de cette pauvre beste, laquelle ainsi aveuglée courant à travers champs, se jette dans les précipices, où l'aigle incontinent la poursuit et l'estrangle. C'est bien la vérité que le diable est un oyseau de proie, et est ainsi souvent appelé en l'Écriture, mais c'est un oyseau semblable en ruse à l'aigle, car voulant attaquer nos âmes qui sont si fréquemment comparées au cerf, cerf vite à la course, car qui y a-t-il de plus prompt que l'esprit ? Cerf armé de deux cornes, de l'amour de Dieu, et de celuy du prochain: il (le diable) se jette dans la sablonnière du monde, remplit ses ailes de poussière, d'honneurs, de grandeurs, de voluptés, de vanitez, de riens, et puis se perchant tout à coup entre les cornes des asmes, estendant de là ses ailes, son orgueil, ses richesses, et secouant ses vanitez: il leur remplit les yeux de ce méchant gravois d'offices, de bénéfices, de grandeurs, d'honneurs, de toutes mondanitez et estant ainsi aveuglées, elles ne sçavent plus où elles vont, se perdent, se jettent dans les précipices, et lors ce malheureux oyseau leur sautant à la gorge les estouffe.

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Pour achever de donner une idée de la manière de Besse, ajoutons qu'il aime, comme c'était l'usage alors, à surprendre son auditoire en entrant en matière par une histoire en apparence étrangère au sujet. Voici l'exorde d'un sermon sur la purification de la Vierge:

Trois gentilshommes persans entrèrent un jour en grand' dispute dans l'antichambre du roy Darius, pour sçavoir quelle chose estoit la plus forte du monde. Le premier dict que c'estoit le vin qui maistrisoit les petits et les grands. L'autre dict que non, mais que c'estoit le Roy, qui faisoit tout trembler soubs ses armes, la parole duquel servoit de loy, la volonté d'arrest, et le seul signe de commandement. Le troisième, qui fut Zorobabel, adjousta que c'estoit la femme, mais que par-dessus tout cela c'estoit la vérité qui estoit la plus forte et la plus puissante chose du monde, Super omnia autem vincit veritas, o pauvres Persans, permettez que j'entre en cette dispute, permettez que je die aujourd'huy mon symbole, pas un de vous n'a encore rencontré, je dis moy que c'est l'humilité. »

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Les sermons du temps de Henri IV sont pleins de ces agréables surprises. C'est ainsi qu'un auteur cite je ne sais quel sermonnaire du temps, qui prêchant sur le repentir de saint Pierre débuta en ces

termes :

«La Nymphe des bois, étant poursuivic par le berger Apollo, fuyait par monts et par vaux, tant qu'elle arriva au pied d'un rocher où elle ne put grimper, et voyant celui qui la pourchassait maître de sa personne, se print à plorer : ainsi fit saint Pierre, flevit amare. »

On pourrait parcourir tous les recueils de sermons publiés sous le règne de Henri IV et au commencement du règne de Louis XIII, avec les titres bizarres qui les décorent: Les marques des enfants prédestinés de la céleste Jérusalem. Le vrai accomplissement des désirs de l'homme. Le réconfort des désespérés. On retrouverait partout le même mélange de pédantisme, de déraison et de mauvais goût.

III

Ainsi, nous touchons presque à Corneille, à Descartes, et sauf quelques faibles indices de talent constatés chez deux orateurs sacrés, Cospean et Fenoillet, qui d'ailleurs n'ont pas laissé de sermons imprimés, l'éloquence religieuse n'apparaît point encore dans notre langue1.

Cependant parmi les prédicateurs de cette période, il en est un dont nous n'avons pas encore parlé, et qui mérite de n'être point confondu avec eux, car si son goût n'est pas toujours sûr, il se distingue déjà entre tous par la délicatesse de l'esprit, la pureté morale du langage, et ses sermons peuvent être considérés comme le point de départ de la transformation rapide que nous verrons s'accomplir dans la prédication. On devine qu'il s'agit de saint François de Sales. Un petit nombre seulement des sermons de ce gracieux saint nous ont été conservés avec le caractère d'une authenticité complète, puisqu'on en a le manuscrit rédigé de sa main; les autres ont été publiés assez longtemps après sa mort sur des textes fournis en général par les religieuses de la Visitation et plus ou moins altérés. Considérés au point de vue littéraire, les sermons de saint François de Sales n'offrent ni le charme ni le mérite de l'Introduction à la vie dévote, où l'abondance même excessive des images n'altère presque jamais la justesse, la netteté, la simplicité des idées. Le prédicateur laisse plus à désirer sous ce rapport: les rapprochements forcés et poursuivis jusque dans les détails les plus minutieux, l'abus des comparaisons empruntées à la mauvaise médecine et à la mauvaise histoire naturelle de son temps donnent à son éloquence un coloris souvent faux. Le bon saint n'échappe qu'à moitié au goût dominant, cependant il y échappe à moitié. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le petit traité sur la prédication qu'il composa sous forme de lettre, afin d'instruire et d'encourager le jeune archevêque de Bourges André Frémyot, frère de madame de Chantal, qui redoutait de monter en chaire et qui lui demandait des conseils. On a dans ce petit traité toute la doctrine de saint François de Sales sur la prédication. Sa théorie vaut mieux que sa pratique, comme cela se rencontre d'ordinaire pour tous les genres de travaux; elle se distingue souvent par une critique judi

1. Elle n'apparaît pas davantage à travers les huit siècles pendant lesquefs notre idiome s'est formé en travaillant à se soustraire à la tyrannie du latin. Sous la double influence de cette tyrannie et de la maladie de subtilité infligée aux esprits par le système d'éducation adopté au moyen âge, la langue française n'a longtemps réussi que dans les genres légers ou familiers, et n'a guère produit, jusqu'au dixseptième siècle, dans les genres sérieux et élevés, que des caricatures.

cieuse des faux brillants, des platitudes et des grossièretés qui déparent, à cette époque, le langage de la chaire: sans aller jusqu'à proscrire l'usage des histoires profanes, l'auteur veut qu'on s'en serve, dit-il, comme des champignons, seulement pour réveiller l'appétit ; quant aux fables et aux sentences des poëtes païens, il n'en faut ou du tout point ou si peu que rien. Mais là où l'on reconnaît l'homme du temps imbu d'une rhétorique artificielle et intempérante, c'est lorsque saint François insiste sur l'importance et l'utilité des histoires naturelles et sur le procédé par lequel l'orateur découvre de belles similitudes. Comment trouver ces belles similitudes? Est-ce par le moyen naturel qu'indique et qu'emploie Bossuet savoir beaucoup et saisir dans toute leur variété, mais aussi dans toute leur vérité, les rapports naturels des choses entre elles? Non, le procédé que préconise le bon saint François est beaucoup plus artificiel. C'est par l'influence des mots que l'on arrive à l'association des idées.

Pour rencontrer, dit-il, ces similitudes, il faut considérer les mots, s'ils ne sont point métaphoriques; car quand ils le sont, tout aussitôt il y a une similitude à qui les sait bien découvrir. Par exemple: Viam mandatorum tuorum cucurri, cum dilatasti cor meum : il faut considérer ce mot dilatasti, et celui de cucurri; car il se prend par métaphore. Or maintenant il faut voir les choses qui vont plus vite par dilatation; et vous en trouverez quelques-unes, comme les navires quand le vent étend leurs voiles. Les navires donc qui chôment au port, sitôt que le vent propice les saisit aux voiles, et qu'il les emplit et fait enfler, ils cinglent; ainsi lorsque le vent favorable du Saint-Esprit entre dans notre cœur, notre âme court et cingle dans la mer des commandements.

Et certes qui observera ceci fera fructueusement beaucoup de belles similitudes, esquelles similitudes il faut observer la décence à ne dire rien de vil, abject et sale'.

Malgré cette dernière réserve que ne pratiquaient guère les contemporains de saint François de Sales, il est facile de comprendre comment la vive imagination du gracieux prédicateur, toujours prête à s'arrêter à la moindre apparence d'un rapport entre deux idées, se laissait entraîner ensuite par ce premier rapport arbitraire à tous les rapprochements de détail aussi subtils que forcés dont ses sermons sont parsemés. Il y a notamment un oiseau fabuleux dont il abuse étrangement. Après avoir tiré du Phénix des similitudes sans nombre, il arrive à comparer la mort de cet oiseau à celle de la sainte Vierge, et voici comment il motive et poursuit cette comparaison :

Le Phénix, dit-il, meurt par le feu; et cette sainte dame mourut d'amour. Le Phénix assemble des busches de bois aromatique, et les posant sur la

1. Traité de la prédication de saint François de Sales, p. 55; t. IIl des OEuvres complètes, édition in-8°, 1834.

cime d'un mont, fait sur ce buscher un si grand mouvement de ses ailes, que le feu s'en allume aux rayons du soleil. Cette vierge assemblant en son cœur la croix, la couronne, la lance de Notre-Seigneur, les posa au plus haut de ses pensées, et faisant sur ce buscher un grand mouvement de continuelle méditation, le feu en sortit aux rayons des lumières de son Fils.

Ce passage suffit pour expliquer comment le bon saint termine son traité sur la prédication, en recommandant au jeune archevêque de Bourges de chercher des conceptions en la table des auteurs, et comment il ajoute : « Il y a un Espagnol qui a fait un gros livre qui s'appelle Sylva allegoriarum, lequel est très-utile à qui le sait bien manier. » Bossuet ne connaissait probablement pas ce gros livre. Il n'en est pas moins vrai que les sermons de saint François de Sales sont les seuls qui, par leur délicatesse, sinon par leur simplicité, se distinguent au milieu des bizarreries et grossières qui défiguraient encore l'éloquence religieuse au commencement du règne de Louis XIII.

Mais si durant des siècles la prédication en langue vulgaire n'a fait aucun progrès dans notre pays, elle en fera de très-grands à partir du jour où elle entrera dans une voie nouvelle. Aussitôt que l'esprit humain aura commencé à secouer le double joug de la scolastique et de la mythologie, aussitôt qu'il se dégagera de toutes ces vaines subtilités qui l'étouffent comme des bandelettes, de ce goût pour les minuties de l'érudition qui le fait se nourrir d'enfantillages pédan tesques, aussitôt enfin que le sentiment de la véritable éloquence naîtra dans les âmes, il suffira de quelques années pour que le langage de la chaire se transforme avec une rapidité surprenante.

Pour nous convaincre de ce fait et avant même d'entrer dans le détail des causes diverses qui ont concouru à le produire, franchissons seulement un espace de trente-trois ans, l'intervalle qui sépare la mort de Henri IV de celle de Louis XIII, et comparons au recueil d'oraisons funèbres de 1610 quelques oraisons funèbres prononcées en 1643. Nous ne sommes pas encore au temps de la grande éloquence religieuse, il s'écoulera encore quinze ans avant qu'elle fasse son apparition avec Bossuet; mais déjà chez des prédicateurs dont le nom est aujourd'hui onblié, nous pouvons apprécier le mouvement qui s'est accompli. Reportons-nous à cette oraison funèbre si grotesque de Valladier, qui eut deux éditions en quinze jours, et qui fit, dit-il, fondre en pleurs tout son auditoire, et rapprochons-la d'un discours du même genre prononcé en 1643 à l'occasion de la mort de Louis XIII. Voyons d'abord quelle idée le prédicateur qui succède à Valladier se fait de la mission de panégyriste d'un roi, et à la doctrine qu'il énonce nous reconnaîtrons déjà un changement, même dans le fond de l'oraison funèbre jusque-là exclusivement composée d'hyperboles en l'honneur du mort sans aucun enseignement à l'adresse des vivants.

La louange, dit cet orateur, que l'Église me prescrit aujourd'hui ne doit pas être un discours abandonné à des figures excessives, à des hyperboles sans fond et sans rives, ne doit pas être un discours plein de déguisements et d'impostures artificieuses, ne doit pas être un effet de cet art qui n'a été inventé que pour faire les choses grandes petites, et les petites grandes, mais une oraison funèbre qui n'est pas moins instituée pour déplorer la misère et la fragilité des plus grands hommes que pour célébrer leurs vertus et les proposer en exemple aux fidèles. Loin donc d'ici, o lâche flatterie, mère nourrice de la tyrannie, poison mortel de la royauté légitime. Mais toi, ô vérité divine, qui ne peux entrer, comme dit cet ancien, dans les palais des princes que par les fenêtres et en cachette, entre ici par toutes les portes de cette Église, monte en cette chaire où tu fais leçon publique aux hommes et parle par ma bouche,

Ce début, peut-être un peu fastueux, mais d'un tour incontestablement noble et imposant, n'empêche pas l'orateur sacré d'exagérer passablement les mérites de Louis XIII et de se montrer peut-être aussi habile qu'austère dans l'unique reproche qu'il fait expressément à sa mémoire, « celui d'avoir, dit-il, laissé maltraiter sa mère. » Il n'est pas maladroit de n'appuyer que sur ce point, en donnant un exemple de libre appréciation qui ne peut que plaire à la régente Anne d'Autriche, comme un avertissement à son fils mineur. Il est à remarquer que dans la plupart des oraisons funèbres de Louis XIII, es orateurs mettent en relief ce tort du roi défunt, en ayant soin d'ailleurs en cette circonstance, comme dans les autres critiques qu'ils se permettent, de désigner clairement, quoique sans le nommer, comme l'auteur responsable de toutes les erreurs du règne, le cardinal de Richelieu qui, on le sait, précéda son maître de quelques mois dans la tombe. Les appréciations, en ce qui concerne ce fameux ministre, ont été d'abord et assez longtemps empreintes de sévérité; en redressant l'injustice des contemporains, la postérité a fini par tomber dans l'excès contraire, et il serait temps peut-être qu'on abandonnât cette prétendue philosophie de l'histoire, à l'aide de laquelle, depuis une quarantaine d'années, on empoisonne l'esprit, on rabaisse le cœur des générations nouvelles, en leur apprenant à ne chercher dans l'étude du passé que l'apothéose du plus fort, la justification systématique de toutes les iniquités heureuses. Toujours est-il que l'orateur de 1643 dont nous étudions ici l'éloquence, après avoir, dans un exposé rapide et brillant de la politique et des victoires du règne de Louis XIII, fai à celui-ci la part trop large au détriment de son ministre, arrive à l'éloge de la plus incontestable et de la plus personnelle des vertus du roi, par une transition assez habile quoique un peu forcée peut-être dans le détail :

Toutes ces victoires, dit-il, sont pompeuses et magnifiques à la vérité,

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