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-Fi donc les chemins de fer s'y refusent. Je suis venu, au contraire, madame, vous aider à trouver des prétextes pour prolonger votre séjour; et si, en vous déclarant que je ne reconnais d'autres droits à mon amour que ceux que vous voudrez lui accorder désormais, je mets votre conscience à l'aise; je vous rends toute la liberté dont vous avez besoin; j'aurai rempli un devoir d'honnête homme, mon ami aura rempli un devoir de bonne amitié... et mon voyage n'aura pas été inutile.

ami!

Il y a bien de la fatuité dans votre soumission, mon cher

- Comment?

Vous me rendez ma liberté ! l'avais-je perdue? Vous ne voulez plus d'autres droits que ceux que vous obtiendrez désormais! quand donc vous en ai-je accordé ou offert? Que vous soyez un honnête homme, je n'en doute pas, et il était inutile de faire soixante lieues pour une démonstration superflue.

Adèle, sans quitter le ton railleur qu'elle avait adopté en commençant, laissait deviner du dépit et de la fierté. Elle eût peut-être tendu la main, pour ne plus la retirer, au soupirant qui fût accouru de Paris, naïvement alarmé et sérieusement ému. Mais ce persiflage, en l'encourageant dans sa coquetterie, attestait un sang-froid et une habileté incompatibles avec la passion. Elle regarda par un coup d'œil rapide Jules Regnault qui causait avec le docteur Bourgoin, et elle se demanda si celui-là, qui avait au moins autant d'esprit que le Parisien, s'y serait pris de la même façon, et eût voulu la ramener en se moquant d'elle.

M. de Preize ne s'aperçut pas qu'il avait fait fausse route. Il était de ces diplomates de second ordre qui mettent encore l'habileté dans la dissimulation et qui ne savent pas que la franchise et l'audace sont souvent les ruses les plus adroites. En amour, la seule diplomatie supérieure et infaillible, c'est l'amour. M. de Preize, en se vantant d'une générosité qu'on ne lui demandait pas et qui pouvait d'ailleurs agir à distance, mettait madame de Soligny dans son tort et s'attribuait un rôle qui, n'étant pas sérieusement héroïque, devenait une prétention pour lui et une sorte d'injure pour elle. Un esclandre l'eût peut-être mieux servi que cette affabilité de bonne compagnie et que ces manières de parfait gentilhomme. Madame de Soligny était blasée sur les égards; elle ne l'était pas sur une certaine brutalité, qui flatte avant de blesser.

Adèle trouva M. de Preize maladroit, et fut presque humiliée de cette maladresse, comme si elle se sentait responsable des inspirations médiocres qu'elle suggérait. Quant à lui, après quelques mots échangés sur le même ton, il craignit de se donner en spectacle et voulut paraître certain du succès de son voyage, en n'insistant pas publiquement pour le faire réussir. Il se rapprocha de madame Fernel, lui adressa quelques compliments, et se laissa peu à peu entraîner dans une conversation à laquelle chacun s'empressa de prendre part, pour mieux dissimuler son émotion.

Madame de Soligny, toutefois, avec une réserve un peu hautaine, avec une nonchalance qui ne lui était pas habituelle, s'accouda à son fauteuil, parut écouter et s'abstint de se mêler à l'entretien général. On eût dit qu'elle assistait à un spectacle donné pour elle. Son regard allait tour à tour de M. de Preize à Jules Regnault, de madame Fernel au docteur Bourgoin, et de M. Fernel à M. Babel; elle se savait observée, étudiée, menacée par tous ces gens-là, et elle prenait plaisir à opposer le mystère d'un sourire muet à toutes ces curiosités intéressées.

Laure, au contraire, s'acquittait de ses devoirs d'hospitalité avec grâce, avec effusion. Elle questionna M. de Preize sur les bruits de la politique, sur les nouvelles des arts; elle parut au courant des derniers succès, c'est-à-dire des derniers scandales littéraires. Elle était si heureuse d'avoir dans son salon tous ceux qu'elle voulait faire concourir à l'achèvement de son plan, qu'elle témoignait sa joie par des regards caressants dont elle ne savait pas encore modérer la flamme, et que le Parisien, qui n'avait pas vu les réunions de la chambre à coucher, la longue robe noire, la toilette janséniste des jours précédents, se demandait comment cette belle femme, à l'esprit ingénieux, faite pour inspirer l'amour, se résignait à la province et à son mari. M. de Preize n'avait devant lui qu'une madame Fernel élégante, qu'une Parisienne, avec ce charme particulier, avec cet émail, si j'ose ainsi dire, qu'ajoutent à la beauté, la timidité, l'ingénuité de la province. La pensée de la lessive, des racommodages, des grandes conspirations culinaires, ne pouvait pas ternir dans l'imagination du nouveau venu l'image poétique qui s'y présentait; puisqu'il est convenu que la poésie est l'absence et le néant des qualités positives, et qu'une mère de famille est d'autant plus idéale qu'elle n'éveille aucune des vertus nécessaires à l'ordre et à la prospérité de la famille. M. de Preize était un connaisseur; il n'avait pas le jugement embarrassé par des préven

tions; il n'avait pas assisté à la soirée de la préfecture, et il ignorait l'effort de volonté de madame Fernel pour atteindre à ce diapazon de l'élégance parisienne; il fut ébloui.

Parbleu! se dit-il, avec la conscience de son infaillibilité, ma→ dame de Soligny m'avait dépeint son amie comme elle voulait que je la trouvasse; la Parisienne avait peur de la provinciale.

Et tout en causant avec Laure, qui s'étudiait à se transformer de mieux en mieux, M. de Preize plaignait tout bas ces ignorants Troyens, inhabiles à apprécier la beauté et dédaignant une merveille qui leur était familière, pour s'extasier devant une jolie femme dont le premier mérite était de leur être étrangère.

-Ce journaliste est un sot, pensait-il, de me disputer madame de Soligny, quand il voit tous les jours une femme que jedui disputerais bien..., si je venais ici pour cela.

L'amour de M. de Preize, on le voit, n'avait rien d'exclusif, et Adèle était dans la vérité en ne redoutant pas ses exigences. Quant à M. de Preize lui-même, j'ai laissé croire qu'il avait de l'esprit, et j'ai prouvé qu'il était maladroit. Je tiens à démontrer que ces deux propositions sont conciliables.

M. Charles de Preize comptait tout bas plus de quarante ans; mais il avait confit son âge dans tant de petits soins, qu'il pouvait bien ne paraître âgé que de trente-cinq ans. Il était assez grand, bien fait et doué d'une de ces physionomies commodes qui laissent le champ libre à toutes les suppositions honorables, parce qu'elles n'affirment rien, physionomies d'hommes à bonnes fortunes et de diplomates. Des favoris, dont la nuance allait commencer à dépendre de la mode et de la vertu de certaines préparations, encadraient, sans les envahir, de belles joues qui n'étaient point creuses et rejoignaient des cheveux bruns légèrement frisés, mais dont la raie se faisait déjà près de l'oreille, pour mieux dissimuler les éclaircies du sommet. Des yeux bleus, qui semblaient briller, comme des phares incessamment allumés par la politesse et la courtoisie, répandaient un air de bienveillance sur cette figure ménagée par le travail et que la pensée n'avait jamais. altérée. La bouche, bien dessinée, mais souriant avec une facilité abusive, faisait suspecter sa modestie et trahissait une satisfaction, un contentement de soi-même, à peine contenus par les usages et par les complaisances sociales. La bouche de M. de Preize était son ennemie; non pas qu'elle lui servit à dire des choses malavisées ou choquantes, mais parce qu'elle paraissait si fière des choses convena

bles qu'elle débitait, et si fière surtout des autres belles choses qu'elle ne disait pas, qu'on ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir de son orgueil et de sa discrétion. Le sourire permanent de ces lèvres précieuses n'empêchait pas d'ailleurs la figure de conserver une sérénité, j'allais presque dire, une gravité officielle.

C'est là le caractère de certains visages que leurs diverses parties jouent chacune un rôle particulier, et que la bouche peut sourire sans que les yeux s'en émeuvent, sans que les muscles des joues en tressaillent. Le sourire alors est l'exécution d'une consigne donnée à la bouche, de même que les yeux ont la leur, dont ils ne se départent pas. Dans les maisons bien tenues, chaque domestique a ses attributions; dans un visage comme il faut, chaque partie a son devoir. Il n'y a que les visages de rien (et les visages d'artistes sont de ceux-là) qui participent par tous leurs traits à une seule émotion et qui rient ou qui pleurent tout entiers. M. de Preize n'était pas un artiste; c'était un cavalier accompli, un homme du monde, charmant, qui avait eu des duels pour des motifs galants, qui n'en avait jamais eu pour des querelles de jeu. Diplomate dans ses plaisirs, il s'était convenablement ruiné, avec économie; et la main de madame de Soligny lui était apparue au moment opportun, comme un signe indicateur de la route à suivre pour atteindre au repos, à la retraite honorable et décente d'un conquérant qui se fait colon. La belle fortune d'Adèle n'avait pas été seul le motif du choix de M. de Preize, mais elle ne lui avait pas non plus donné de scrupules, et en cherchant un cœur pour lui faire hommage du sien, il n'avait pas été fâché de rencontrer la richesse avec lui.

Tel était au physique et au moral M. Charles de Preize, qui signait souvent C. de Preize, d'où venait naturellement pour ses fournisseurs le prétexte de l'appeler comte de Preize. Après tout, il l'était peut-être, la question n'ayant jamais été discutée, et son droit à la particule n'ayant jamais été vérifié, de façon à autoriser un démenti.

Quoi qu'il en fût, noble ou non, M. de Preize était gentilhomme, comme tout le monde l'est à Paris... dans une certain monde. Loyal dans sa parole, n'ayant jamais trahi que des femmes, ce qui ajoute à l'honneur, au lieu de rien lui enlever, mais ayant adouci ses trahisons par des formules courtoises qui embaumaient les plaies, brave et beau diseur, M. de Preize passait aussi pour un homme d'esprit, ce qui était bien superflu. L'esprit, toutefois, depuis qu'on a perdu le secret

de Voltaire, admet tant de variétés et tant de nuances, que M. de Preize pouvait être un homme d'esprit, au taux du jour, sans que cela fit tort au crédit des imbéciles. L'esprit de M. de Preize n'était pas celui qui invente, qui sait créer des rapports inattendus entre des choses bien diverses; c'était un esprit de tact, d'à-propos, de convenance, qui ménage une retraite dans les situations difficiles et qui permet de corriger adroitement les fautes qu'on a commises par maladresse. Voilà pourquoi ce Parisien pouvait se tromper dans ses petits calculs et sauvait toujours sa vanité, quand il l'avait compromise. On ne s'étonnera donc pas de ses fausses manœuvres ni de ses vives reparties, et l'on comprendra qu'il pouvait être tout ensemble capable de finesse et coupable de sottise.

Pendant que M. de Preize rendait madame Fernel toute confuse des compliments qu'il lui adressait avec une chaleur de conviction à moitié feinte; et pendant que M. le préfet s'entretenait avec les hommes considérables comme MM. Babel et Cavalier, Jules Regnault isolé, abandonné dans un coin du salon, jugeait M. de Preize. Il n'était pas découragé par les prétentions de ce parfait gentilhomme sur le cœur et la main de madame de Soligny : il se rendait à lui-même cette justice qu'avec de la persévérance et de la fierté, il pouvait lutter sans désavantage contre cet invincible; mais l'empressement du Parisien pour madame Fernel le blessait comme un sacrilége. Il n'était pas jaloux, il se sentait indigné. Ce n'était plus son amour, c'était sa religion, son rêve qui souffrait. Il lui semblait que M. de Preize se penchait avec trop de familiarité sur le fauteuil de Laure; il crut remarquer un symptôme d'effroi, une sorte d'invocation à l'amitié dans une ombre qui s'étendit tout à coup sur le beau visage de madame Fernel et dans un regard éploré qu'elle tourna vers lui. Le sang bouillonnait dans les veines de Regnault, et il eût été ravi que le prétendant de madame de Soligny se laissât aller à quelque velléité d'insolence à son égard; il se fût battu volontiers pour la provinciale, au nom de la Parisienne.

M. Fernel paraissait fort éloigné de ces pensées désobligeantes à l'égard de son hôte. Il souriait et montrait une belle humeur devenue bien rare depuis huit jours. Heureux de voir les prétentions de Jules tenues en échec par celles de M. de Preize, flatté dans sa vanité de l'attention que cet élégant Parisien voulait bien accorder à sa femme, il admirait la coquetterie de madame de Soligny et rendait justice au bon goût de Laure.

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