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SOIRÉE XXVIII.

Soirée royale à Mittau, le 2 décembre 1804.- Portraits physiques du comte de Lille (Louis XVIII), du comte de la Chatre, du marquis d'Avarey. Un jeune Vendéen. Propos du roi banni. — Descriptions des insignes impériaux. Lecture faite devant Louis XVIII, du programme des cérémonies qui eurent lieu au sacre et au couronnement de Napoléon Bonaparte. - Réflexions d'un auguste exilé. Que deviendra l'Empire dans l'avenir.

C'était à Mittau, capitale du duché de Courlande, dans un salon orné avec cette imitation de magnificence que les artistes du règne de Louis XIV avaient propagé en Europe; c'était pendant une soirée froïde et humide, le 2 décembre 1804, qu'un homme de taille moyenne, mais de forme lourde et massive, et qui semblait assoupi plutôt que perdu dans ses réflexions, se souleva tout à

coup du vaste fauteuil au bois doré et à l'étoffe de damas rouge, sur lequel il pesait plus qu'il n'était assis.

Il avait dépassé l'époque brillante de la jeunesse : la maturité avec ses chagrins, ses sollicitudes, pesaient sur son front large, haut, dépouillé de chevelure; ses yeux d'un beau bleu d'azur, grands, ouverts, et néanmoins enfoncés sous des sourcils épais, et à la charpente osseuse, renfermaient un mélange indéfinissable d'ennui déguisé, de sollicitude et de sérénité puissante; sa bouche avait des lèvres épaisses, son nez long et un peu recourbé devenait le cachet principal de son origine. Des infirmités précoces avaient de bonne heure alourdi ses membres inférieurs; ses cuisses, ses jambes, étaient énormes; celles-là renfermées dans un haut-de-chausse de drap noir, cellesci contenues sous des guêtres de velours violet, à moitié boutonnées, et laissant soupçonner la présence de ligatures et de corps étrangers, destinés à combattre soit la goutte, soit une tendence rapide à l'obésité. Les hanches, d'un volume démesuré, paraissaient monstrueuses, tandis que la poitrine large, que les bras musculeux, que les mains à la fois puissantes et blanches, portaient ce cachet certain d'aristocratie, et ce témoignage que jamais aucun travail pénible ne les avait profanées. Un col de mousseline blanc et lâche, un gilet de piqué blanc, malgré la saison, un habit demi

civil demi-militaire en drap bleu, paré de deux petites épaulettes à torsades d'or, et ornées chacune d'une couronne fermée, une sorte de withchoura en velours noir, doublé d'admirables fourrures, une épée d'acier d'Angleterre, à pointes et à glands de diamants, un ruban bleu clair passé de droite à gauche sur le gilet, une croix de Saint-Louis attachée à la boutonnière de l'habit, et une plaque d'argent chargée d'un Saint-Esprit, au côté gauche de celui-là, complétaient la parure de cet homme, poudré d'ailleurs à blanc, ayant ses cheveux en arrière, noués avec un ruban, et serrés au bout dans une bourse noire. Un tricorne garni de glands, de boutons et de ganse d'or en dehors, et dont une plume blanche dessinait les contours à l'intérieur, une canne à pomme d'or ciselée, et renfermant une coupe à senteur, reposaient sur un tabouret, à côté de ce seigneur, qui n'était autre que S. M. T.-C. Louis XVIII, alors roi titulaire de France.

Dans le même salon, il y avait trois autres individus, l'un assez beau cavalier, à la figure ouverte et franche, et le plus rapproché du prince, était adossé contre un énorme bureau de marqueterie, et jouait en conversant avec la dragonne de son épée, car il portait un habit militaire : c'était le marquis d'Avaray, l'ami, le Pylade fidèle du comte de Lille, titre sous lequel, depuis 1791, Sa Majesté Très-Chrétienne voilait sa grandeur; en

avant du Roi et vêtu avec la magnificence de la vieille cour de France, se tenaient dans une posture respectueuse, le comte de la Châtre, premier gentilhomme de la chambre, ou qui en faisaît des fonctions; enfin, en arrière de celui-ci, et néanmoins faisant partie du groupe où il tenait sa place, était un jeune homme resplendissant de verdeur, de loyauté, de grâce et de charmes; ses beaux yeux noirs brillaient de la double flamme de l'enthousiasme et du dévoûment; il paraissait, quoique très à son aise dans ce lieu et en telle compagnie, ne faire qu'y passer, et même se préparer à en partir bientôt ; tout en sa personne trahissait des habitudes guerrières. Sa tête haute, sa voix pleine, ses gestes hardis, annonçaient le commandement, non à des valets, mais à des braves; on apercevait sous sa veste entr'ouverte un scapulaire qui soutenait un sacré cœur percé de flèches, et, en outre, la croix vendéenne achevait de certifier son cachet d'origine.

Celui-là, en effet, ne tenait pas à la cour modeste de Louis XVIII; Breton d'extraction, Poitevin de naissance, il faisait partie d'une de ces nobles et belliqueuses familles qui avaient, depuis 1792, versé tant de leur sang sur la terre de France pour le service de leur roi légitime, qu'on s'étonnait qu'un épuisement entier n'eût pas été consommé. Venu à Milan pour recevoir de Louis XVIII des instructions particulières, car on conspirait

sourdement encore dans la Vendée, si on ne s'y soulevait plus, il les avait reçues, et devait le lendemain prendre congé et repartir pour la terre de France, où il rentrerait, à travers mille périls incessants. Il cachait son vrai nom, afin de dépister les espions nombreux que la police impériale tenait en Europe, et particulièrement autour de la demeure du prince, assez téméraire pour se dire maître légitime de cette couronne, si glorieusement portée par Napoléon.

Le comte de Lille se leva tout à coup de son fauteuil, et étendant la main, il saisit un exemplaire d'une gazette étrangère, et la montrant à la compagnie :

«Messieurs, dit-il, que vous semble des choses extraordinairés que ces pages contiennent... ou plutôt que pensez-vous de ce jour-ci?

Il a été bien humide, répondit bonnement le comte de la Châtre, meilleur serviteur d'un roi détrôné qu'homme d'esprit.

Oui, humide à Mittau, répliqua Sa Majesté en ricanant; plût à Dieu que l'on dise de lui à Paris, qu'il a été froid et qu'il n'a pas plu. »

Ce double calembourg, s'il échappa à la préoccupation de M. de la Châtre, frappa les deux autres auditeurs, et le jeu de leur physionomie satisfit la vanité du royal joueur sur les mots. Lui ensuite poursuivant et toujours regardant la feuille hebdomadaire : ..

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