Sayfadaki görseller
PDF
ePub

On pouvait donc espérer que M. le Prince se montrerait conciliant avec son jeune protégé et ferait à la ville de Metz des conditions meilleures que celles de Caillet.

Il fallut envoyer de Metz à Stenay un premier tambour, pour obtenir le passeport des deux députés, Bossuet et Bancelin, et emmener un second tambour de Stenay pour les conduire dans cette ville et les ramener à Metz. Comme M. le Prince se trouvait alors à Rocroy, les deux délégués de Metz eurent d'abord à traiter, au château de Stenay, avec M. Caillet, secrétaire des commandements de Condé. Il se montra inflexible, et les deux Messins quittèrent Stenay sans avoir rien obtenu. Bancelin, découragé, revint directement à Metz.

Bossuet, plus persévérant, demeura à Verdun, pour continuer à lui seul la négociation. Il avait envoyé de Stenay à Rocroy un tambour porteur de lettres pour « Monseigneur le Prince ». Celui-ci dépêcha un autre tambour, qui dut apporter « à M. de Bossuet », disent les Registres de l'Assemblée des Trois Ordres de Metz, jeudi 24 octobre 1653, « les ordres de Monseigneur le Prince,... pour les faire valoir vers le seigneur de Caillet ». Les droits de la ville de Metz étaient si clairement établis et le nom de Bossuet si agréable et si cher au grand Condé qu'il accorda facilement au jeune archidiacre de Sarrebourg tout ce que refusait à tort l'intendant Caillet. Mais celui-ci, malgré les injonctions de son maître, persista dans ses exigences. C'est alors que Bossuet écrivit de Verdun la Lettre suivante à M. de Thiolet, maître échevin de Metz :

« Verdun, 19 octobre 1653.

<< Monsieur,

<< Je viens de recevoir tout présentement les lettres de Messieurs des Trois Ordres avec les vôtres, et les paquets que vous m'envoyez. Il me semble que, pour expédier les affaires, il sera nécessaire que j'aille à Stenay. Un traité ne se fait guère bien par lettres; tout s'arrête au moindre incident. Je me préparais donc à partir, lorsque j'ai reçu cette lettre de

M. Caillet, que je vous envoie avec une autre qu'il m'écrivit hier. Vous verrez par la première qu'il sait les ordres que Monseigneur le Prince a donnés pour lui. Et néanmoins, il ne laisse pas par la seconde de nous demander les contributions du mois de septembre, et en termes fort pressants. M. Bancelin vous aura pu dire qu'il nous avait déjà fait à Stenay la même proposition, mais plus doucement, et nous faisant entendre que l'on s'en pourrait relâcher, si nous faisions un présent un peu honnête; cela voulait dire, comme il me l'expliqua, cinquante ou soixante pistoles; c'est la même chose qu'il me dit. Maintenant il ne parle pas de présent; mais il dit absolument qu'il ne quitterait pas un sou (1) du mois de septembre ». Vous verrez bien, Monsieur, le sujet de cette nouvelle rigueur. C'est que, ou il est fâché que nous avons eu recours à Monseigneur le Prince, comme il le témoigne assez par ses lettres, ou qu'en faisant plus le difficile, il prétend obtenir de nous une plus grande satisfaction. Je crois, pour moi, que c'est l'un et l'autre. »

Le chantage, on le voit, était déjà connu et pratiqué au XVIIe siècle.

<«< Comme je vois que l'intention de Messieurs des Trois Ordres est en ce point bien éloignée de la sienne, j'ai cru que tout notre pourparler serait inutile; et ainsi qu'il était nécessaire d'attendre là-dessus ce que Messieurs des Trois Ordres désireront que je fasse. Mais je vous demande, Messieurs, une prompte résolution, tant pour le repos public que pour ma propre satisfaction, afin que je puisse m'en retourner. Faites, s'il vous plaît, que l'on me mande précisément jusqu'à quel point je pourrai m'étendre sur le fait du présent et jusqu'où je devrai me raidir pour le payement du mois de septembre.

« Cependant j'écris à M. Caillet par son tambour. Je lui demande un nouveau passe-port pour aller à Stenay, parce que le temps du nôtre est expiré, comme il me le mande luimême. Je lui écris votre résolution de ne payer que le mois d'octobre, en suite des ordres de Son Altesse, qui veut qu'il

(1) C'est-à-dire qu'il ne nous ferait pas remise d'un sou.

[blocks in formation]

vous traite comme Damvillers; qu'en le faisant de la sorte, il peut tenir le traité comme conclu; et que j'ai ordre, quand il sera achevé comme il faut, de lui faire un présent; qu'il ne doit point chicaner avec nous pour si peu de chose, puisqu'il voit bien que l'intention de son maître est qu'il nous traite favorablement. Je lui envoie les ordres de Monseigneur le Prince selon que Messieurs des Trois Ordres me le prescrivent, et ne lui fais aucune mention que je vous aie écrit.

<< Cependant j'attendrai vos réponses, au plus tôt, et tâcherai de l'empêcher de rien faire contre nous, en lui demandant encore quelque temps pour l'aller trouver, afin de conclure avec lui selon les instructions de Monseigneur le Prince. C'est là le sens de ma lettre. Je suis, etc.

J.-B. BOSSUet.

Le jeune archidiacre de Sarrebourg revint donc à Stenay, y reprit ses pourparlers avec Caillet et put rapporter à Metz un acte écrit de la main de l'intendant de M. le prince et faisant droit aux réclamations des Messins, comme aussi aux instructions de Condé. C'était pour le négociateur un brillant succès, dont les échevins et les membres des Trois Ordres de Metz surent beaucoup de gré à Bossuet, comme l'attestent les Registres des États, du 30 octobre au 1er novembre et pendant tout ce dernier mois, en 1653.

Cette négociation si habilement conduite et l'intelligence pénétrante avec laquelle Bossuet avait lu dans le jeu de Caillet ne donnent-elles pas un démenti formel à ceux qui, comme M. Rébelliau (1) et M. Brunetière lui-même (2), accusent Bossuet d'avoir «< manqué » plus d'une fois « de souplesse », « de tact, d'adresse, du sentiment des nuances et des distinctions nécessaires », ou d'une certaine expérience, d'une certaine connaissance pratique du monde et de la vie? Trop différent en cela de Fénelon, si «< homme du monde, observateur si pénétrant, on pourrait presque dire ironique et politique

(1) Bossuet, p. 199, 200.

(2) Études critiques, VI, p. 201

si délié, Bossuet, au contraire, a gardé toute sa vie, de son éducation de lévite, un fond de timidité, d'inexpérience et de gaucherie même ». Certes, ce n'est pas là ce que pensaient de lui ses maîtres et ses condisciples de Navarre, où « il fut, dit Le Dieu, procureur de la communauté des bacheliers dans les temps les plus difficiles, au commencement de l'année 1649, pendant les troubles de Paris. Un si beau génie s'est ressouvenu avec plaisir, cent fois dans sa vie, d'avoir gardé à la ruelle de son lit quatre sacs de farine pour assurer la subsistance de ses confrères, lorsqu'on craignit la famine à Paris » (1). L'évêque d'Auguste, suffragant de Metz, Mr Bédacier, ne le soupçonnait ni « de timidité », ni » d'inexpérience », ni « de gaucherie », lorsqu'en 1663 il le nommait «< commissaire apostolique » pour la tâche, délicate entre toutes, de la réformation du monastère de sainte Glossinde à Metz, dont l'abbesse courait les bals masqués et vendait les cloches, les ornements et les reliquaires de son couvent. L'archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, croyait au «tact » et à « l'expérience » de Bossuet, lorsqu'il l'employait en 1664-1665 pour amener les religieuses de Port-Royal à signer le Formulaire et qu'il leur disait : « Voyez l'abbé Bossuet; c'est un homme savant, le plus doux du monde et entièrement comme il vous faut; car il n'est d'aucun parti. » Plus tard, les affaires de Rebais et de Jouarre furent « une des choses de sa vie où il fit paraître plus de charité et de prudence », et l'abbé Le Dieu, après avoir vécu vingt années avec lui, pouvait écrire « Son discernement était exquis; il perçait les hommes jusqu'au fond de l'âme et connaissait fort bien si c'était la vanité, l'intérêt ou un attachement sincère qui les faisait agir... « On croit, disait-il, que je ne pense qu'à mes livres; voyez si ce que je viens de faire pour celui-ci et pour celui-là n'est pas convenable (2). ›

(1) Mémoires, p. 22.

(2) Mémoires, pp. 214,215. On a vu plus haut, à propos du Mémoire adressé à Louis XIV en 1700 sur la conduite à tenir envers les protestants, de quel a esprit éminemment pratique » était animé Bossuet.

II

Quoi qu'il en soit, le jeune archidiacre de Sarrebourg devint archidiacre de Metz en 1654 et, après un premier séjour à Paris, en 1656-57, il s'y établit à demeure à partir de 1659. Il habitait au doyenné de la collégiale Saint-Thomas du Louvre, une vraie pépinière épiscopale au XVIIe siècle, chez son ancien condisciple de Navarre, l'abbé Léonard de Lamet. C'est là qu'il fut pendant six ans, de 1659 à 1665, en relations de commensal et d'ami avec un des futurs évêques de Verdun et des plus distingués, Ms Armand de Monchy d'Hocquincourt.

Il était le second fils du maréchal de ce nom, « homme vaillant et de grand cœur, mais léger et facile à dégoûter », dit Mme de Motteville dans ses Mémoires, et qui, après avoir pris parti pour la cour, pendant la Fronde, et fait vaillamment son devoir à la Marfée, en 1641, contre les Espagnols, à Rethel, en 1650, contre Turenne, à Bléneau, en 1652, contre. Condé, offrit à ce prince de lui livrer, sur les instances de Mmes de Montbazon et de Châtillon, deux places, puis les vendit au roi, moyennant 200.000 écus et un gouvernement pour son fils, enfin alla rejoindre Condé et les Espagnols et fut tué lę 3 juin 1658, devant Dunkerque, les armes à la main contre son roi. Il avait eu des démêlés avec les gabelous; mais « ce n'était pas là de quoi quitter la France », dit la Grande Mademoiselle. Napoléon, pensant peut-être à Moreau frappé à Dresde dans les rangs de la coalition, estime, dans son Précis des guerres du maréchal de Turenne, que « la mort d'Hocquincourt fut la punition de son crime ». Ce crime du père, le seul maréchal de France qui soit mort dans les rangs de l'ennemi, fut effacé par les mérites du fils et par ceux aussi du frère, le vénérable Pierre de Monchy, de l'Oratoire, encore un ami de Bossuet et le maitre de votre futur évêque.

Celui-ci, né en 1636, fit les plus brillantes études d'humanité et de théologie. Les Pères, les Conciles, l'histoire ecclésiastique lui étaient familiers, et ses mérites en science et en

« ÖncekiDevam »