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le monde pour la nation juive... Cela peut être; mais les grandeurs de Cyrus et des Romains ont encore d'autres causes. » La grande erreur de Bossuet, au dire de Voltaire, c'est d'avoir montré le surnaturel dans l'histoire et Dieu dirigeant le monde vers ses éternelles destinées. Rien de plus faux aux yeux du philosophe. D'abord, il s'attache à compléter Bossuet, en étudiant « les anciens peuples de l'Orient, comme les Indiens et les Chinois, qui ont été si considérables, avant que les autres nations fussent formées », et dont les mandarins sont « des philosophes occupés à contempler les beautés de la religion naturelle et veillent paternellement sur la vertu fragile de leur frère» (??). Puis, il corrige Bossuet, en substituant à sa théorie de la Providence un système qui fait « de l'histoire le hasard traversé de temps en temps par le génie » et résume ainsi l'évolution du genre humain : « Antiquité, point de surnaturel; tolérance absolue; liberté de conscience indiscutée. Christianisme : apparition de la croyance au surnaturel dans le monde. Dès lors,... monde déchiré, guerres pour des idées, et des idées qu'on ne comprend pas, persécutions, oppressions, assassinats, bùchers, barbarie, enfer sur la terre. Temps modernes : expulsion du surnaturel,... retour à l'antiquité, paix, bonheur. (1) »

Depuis Voltaire, nos libres penseurs ont répété ses critiques contre la philosophie de l'histoire de Bossuet. M. Brunetière citait récemment à Besancon un article où se trouve ce jugement: « Comment appellerons-nous un Discours sur l'Histoire universelle, où il n'est question ni de l'Asie, ni de l'Afrique, ni de l'Océanie, ni même de certaines parties de l'Europe?»>

L'éminent critique aurait pu tout aussi bien citer la page de Paul Albert (2), où sont résumées, en quelque sorte, toutes les injustices contre Bossuet historien: « On ne pouvait attendre de Bossuet qu'il s'enfermât dans une époque, dans un pays déterminés; qu'il soumit à un contrôle sévère et minutieux les documents; qu'il fit, en un mot, œuvre d'érudit et de savant. Le XVII° siècle n'a rien fait pour l'histoire et le gé

(1) E. Faguet: XVIII° siècle, Voltaire.

(2) La littérature française au XVIIe siècle, p. 275.

nie oratoire de Bossuet répugnait à un travail de ce genre. Mais on revendique pour lui l'honneur d'avoir créé parmi nous la philosophie de l'histoire. Il faut admirer l'ordonnance et la belle exécution du Discours sur l'Histoire universelle; mais le moyen d'admettre le point de départ et les conclusions de l'auteur? L'établissement du christianisme est un fait considérable; ce n'est pas le fait unique auquel tous les autres doivent être subordonnés. Les cadres où se meut l'humanité sont plus vastes que ceux où Bossuet l'enferme. De quel droit supprimer ces antiques civilisations de l'Inde et de la Chine? Est-il possible de ne tenir aucun compte de ces faits d'une importance capitale qu'on appelle le Mahométisme et la Réforme? Ce ne sont pas là de simples omissions. La doctrine qui laisse en dehors des événements d'une telle signification est par cela même entachée d'inexactitude et compromise dans ses principes les plus essentiels. Mais cette doctrine ellemême, si incomplète et si étroite qu'elle soit, appartient-elle en propre à Bossuet? » Paul Albert montre alors qu'elle est dans la Cité de Dieu de saint Augustin, dans Salvien, dans Balzac, dans cette phrase des Pensées : « Qu'il est beau de voir par les yeux de la foi Darius et Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode agir sans le savoir pour la gloire de l'Évangile!» «Tout le Discours sur l'Histoire universelle est là, ajoute Paul Albert, reproduisant une idée de SainteBeuve dans son Port-Royal, III, p. 448... Ce qui est bien à Bossuet, l'idée à laquelle il revient sans cesse, c'est le devoir imposé aux rois de mettre leur puissance au service de l'Église « Pourquoi commandent les hommes, si ce n'est pour faire que Dieu soit obéi? » On sait où mène cette théorie, aussi fausse que barbare et que la conscience du genre humain a condamnée. »

Quant à l'Histoire des Variations, << on admire la forte composition de l'ouvrage, fondé sur un principe unique » : « la vérité est une; l'erreur est multiple. L'Église catholique n'a jamais varié dans sa foi : donc elle possède la vérité; les Églises dissidentes professent sur les points les plus importants des opinions diverses ou contradictoires : donc elles sont dans le faux ». Mais « le temps n'a pas justifié les prédictions de

Bossuet. Non seulement le protestantisme n'est pas mort, mais depuis deux cents ans quels progrès n'a-t-il pas faits? Les nations qui l'ont adopté semblent plus jeunes et plus vivantes que les autres. Une expérience récente et douloureuse pèse sur nous. Jetons les yeux sur l'Amérique. Est-ce au nord ou au midi qu'est la décadence? Il se trompait donc, et s'enchantait lui-même des admirables déductions d'une éloquence dominatrice. »

Entendre Paul Albert, c'est entendre Victor Hugo, qui, dans son William Shakespeare, se montre si insolent pour Bossuet historien (1); de Rémusat, qui appelle ironiquement Bossuet «< conseiller d'État de la Providence »; Scherer et Renan, trop injustes pour le grand évêque de Meaux, qui, d'après eux, ne serait pas même un penseur; M. Jules Lemaître d'avant la Patrie Française, qui voit en Bossuet « le prophète du passé », « impassible », « sublime et monotone », comme une cloche d'airain; M. Hémon enfin, qui parle de « ses préjugés sacerdotaux », de « ses hypothèses théologiques ».

Sans doute, Nisard, M. Rébelliau et M. Brunetière ont répondu à ces critiques, inspirées par la passion. Mais peut-être y-t-il lieu de les serrer encore de plus près et d'en montrer toute la criante injustice. Il ne faut, pour cela, qu'étudier attentivement l'œuvre même de Bossuet. Elle nous révélera l'excellence de sa méthode historique et la valeur des œuvres qu'elle lui a fait produire et qu'on critique souvent sans même les connaître.

II

Ainsi d'abord, y a-t-il beaucoup d'érudits et même d'admirateurs de Bossuet qui aient pris la peine de remarquer qu'il était très bien préparé à écrire l'histoire par l'enseignement qu'il avait reçu, de 1642 à 1652, au collège de Navarre, où étaient en honneur l'érudition, l'archéologie et la théologie positive ou historique. Cette dernière était enseignée alors par le docteur Pierre Guischard et par Jean de Launoy, «< le

(1) J'ai cité et réfuté les dires injurieux du poète sectaire dans ma Conférence de Paris, Victor Hugo contre Bossuet.

nouveau Pythagore », comme disaient ses envieux, contre les témérités suspectes duquel Nicolas Cornet mit en garde son jeune ami, tout en lui faisant comprendre ce que Dom Lamy devait écrire plus tard : « La théologie, dis-je, n'est qu'une histoire de ce que Dieu a révélé aux hommes ou de ce qui a été cru de tout temps par l'Église; c'est pourquoi l'histoire ecclésiastique en est la principale pièce. » (Entretiens sur les sciences, 2e édit., p. 284.) Comment un esprit de la trempe de celui de Bossuet n'aurait-il pas été entrainé par le mouvement qu'inauguraient le P. Sirmond, le P. Petau, le P. Labbe, le P. Lecointe, le P. Thomassin, le P. Morin, qu'allaient suivre Mabillon, Montfaucon, Lamy, Bonaventure d'Argonne et tant d'autres, dont les recherches historiques font époque?

Cette excellente formation intellectuelle porta ses fruits dans le premier ouvrage de Bossuet, la Réfutation du Catéchisme de Paul Ferri, remarquable par l'abondance et l'exactitude des références historiques ou patrologiques. Ce n'était là qu'un début.

Durant les 22 ou 23 années que Bossuet passa à Paris, comme prédicateur et comme précepteur du Dauphin, de 1659 à 1682, il fut en relations d'amitié et d'études (2) avec Le Nain de Tillemont, chargé de préparer pour le Dauphin une Vie de saint Louis; avec Arnauld et Nicole, dont il devait, de par le Roi, examiner la Perpétuité défendue contre les protestants Aubertin, Blondel et Daillé; avec des philologues comme Ménage et Bouhours; avec des épigraphistes et des archéologues comme le duc de Montausier, le duc d'Aumont, le P. de La Chaise; avec « l'Académie Lamoignon »>, où fréquentaient l'érudit Baillet, Charles Patin, l'antiquaire, le voyageur Tavernier et du Cange; avec le « Petit Concile » et ses <«< rabbins » ou orientalistes, l'abbé Renaudot, Thoynard, Barthélemy d'Herbelot, les frères de Veil; ses « pères laïques »>, Caton de Court, La Bruyère, le maréchal de Bellefonds, Pellisson, le comte de Troisville; ses « pères latins », Huet, Gallois, Mabillon, l'abbé de Vares, l'abbé d'Espinay-Saint-Luc, Fleury, (1) La plupart de ces détails sont tirés de Bossuet historien du protestantisme, pp. 95-120.

AUTOUR DE BOSSUET.

T. II.

16

Fénelon, Bossuet étant le « Père grec » (1); avec les amis et les correspondants de l'abbé Nicaise, de Dijon, «< l'officieux chargé d'affaires de tous les érudits de l'Europe », Bayle, Leibniz, Jacob Spon, le célèbre épigraphiste; avec l'illustre compagnie des Bénédictins, dom Martène, son compatriote, dom Michel Germain, dom Bernard de Montfaucon, dom Thierry Ruinart et dom Mabillon; enfin, avec les éditeurs des Classiques du Dauphin, de Cordemoy, Jean Rou, Jean Doujat. «Il va sans dire que, pour être l'ami d'un Tillemont ou d'un Mabillon, on n'est pas pour cela leur émule; mais il est vrai de dire que de telles amitiés obligent. Le jour où Bossuet avait à faire œuvre d'historien, il devait se sentir tenu de suivre, autant que possible, les traces de ces consciencieux chercheurs et de contenter de son mieux leurs exigences. » D'ailleurs, il avait l'habitude de consulter les érudits et les savants pour chacun de ses ouvrages, et il se flattait «< d'apprendre sans cesse et d'apprendre de tous » (2).

Faut-il s'étonner qu'avec de telles habitudes d'esprit et d'érudition Bossuet ait pu dire dans sa Lettre au Pape Innocent XI: « Nous avons enseigné l'histoire (au Dauphin). Et comme c'est la maîtresse de la vie humaine et de la politique, nous l'avons fait avec une grande exactitude; mais nous avons principalement eu soin de lui apprendre celle de la France, qui est la sienne. Nous ne lui avons pas néanmoins donné la peine de feuilleter les livres; et, à la réserve de quelques auteurs de la nation, comme Philippe de Commines et du Bellay, dont nous lui avons fait lire les plus beaux endroits, nous avons été nous-même dans les sources et nous avons tiré des auteurs les plus approuvés ce qui pouvait le plus servir à lui faire comprendre la suite des affaires. Nous en récitions de vive voix autant qu'il en pouvait facilement retenir; nous lui faisions répéter; il l'écrivait en français, et puis il le mettait en latin; cela lui servait de thème et nous corrigions aussi soigneusement son français que son latin. Le samedi, il relisait tout d'une suite ce qu'il avait composé durant la semaine; et

(1) Lettre de l'abbé Le Dieu, du 5 novembre 1696. (2) Relation sur le Quiétisme, sect. V, XVIII.

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