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l'ouvrage croissant, nous l'avons divisé par livres, que nous lui faisions relire très souvent. » Quand le prince a su assez de latin, << nous l'avons fait cesser d'écrire l'histoire en cette langue. Nous la continuóns en français avec le même soin, et nous l'avons disposée de sorte qu'elle s'étendit à proportion que l'esprit du prince s'ouvrait et que nous voyions son jugement se former, en récitant fort en abrégé ce qui regarde les premiers temps, et beaucoup plus exactement ce qui s'approche des nôtres. Nous ne descendons pas néanmoins dans un trop grand détail des petites choses, et nous ne nous amusons pas à rechercher celles qui ne sont que de curiosité; mais nous remarquons les mœurs de la nation, bonnes ou mauvaises, les coutumes anciennes, les lois fondamentales, les grands changements et leurs causes, le secret des conseils, les événements inespérés, pour y accoutumer l'esprit et le préparer à tout; les fautes des rois et les calamités qui les ont suivies; la foi qu'ils ont conservée pendant ce grand espace de temps qui. s'est passé depuis Clovis jusqu'à nous; cette constance à défendre la religion catholique, et tout ensemble le profond respect qu'ils ont toujours eu pour le Saint-Siège, dont ils ont tenu à gloire d'être les enfants les plus soumis; que ça été cet attachement inviolable à la religion et à l'Église qui a fait subsister le royaume depuis tant de siècles. Ce qu'il nous était aisé de faire voir par les épouvantables mouvements que l'hérésie a causés dans tout le corps de l'État, en affaiblissant la puissance et la majesté royale et en réduisant presque à la dernière extrémité un royaume si florissant, sans qu'il ait pu reprendre sa première force qu'en abattant l'hérésie ».

Il y a là, Messieurs, de grandes leçons, et si Paul Albert y avait pris garde, il n'aurait pas accusé Bossuet d'être incapable « de s'enfermer dans une époque, dans un pays déterminés », de « soumettre à un contrôle sévère et minutieux les documents », de « faire en un mot œuvre d'érudit et de savant », parce que « son génie oratoire répugnait à un travail de ce genre ». Il y répugnait si peu qu'il l'a fait et très bien fait il a su remonter «< aux sources », soumettre « les documents » à un « contrôle » autrement « sévère et minutieux >> que celui de Paul Albert, si sujet à caution.

L'Histoire de France du Dauphin n'est assurément pas une histoire complète, ni « une œuvre d'érudition et de critique ». <«< Il ne faut pas être plus ambitieux pour Bossuet qu'il ne l'a été pour lui-même, ni revendiquer en sa faveur une louange qu'il n'a pas prétendue » (1). Mais ce livre a le « mérite de tout temps assez rare, et même dans des ouvrages de visées plus hautes, celui d'être fait d'après les textes originaux » : les Grandes Chroniques et les Capitulaires, interprétés par de Cordemoy, pour les deux premières races des Mérovingiens et des Carlovingiens; Joinville, Guillaume de Nangis, Guillaume de Puylaurens, Guiart et les autres chroniqueurs édités par du Cange, du Chesne et d'Achery, pour les Capétiens, le XIIIe siècle et le règne de saint Louis; Monstrelet, Jean Chartier, Jacques le Bouvier et la Chronique anonyme de la Pucelle, pour le règne de Charles VII; Commines, pour celui de Louis XI; Jean d'Auton, Jean de Saint-Gelais et Claude de Seyssel, pour celui de Louis XII; du Bellay et Guichardin, pour François Ier. Le cardinal de Bausset déclare avoir vu de nombreux cahiers d'Extraits, faits soit par Bossuet lui-même, soit par d'autres personnes sur ses indications.

N'est-ce pas là le fait d'un « érudit » et d'un «< savant »? Bien plus, on a remarqué que, par un scrupule d'érudition, il a été très court sur la régence de Blanche de Castille, que Combault d'Auteuil et le P. Varillas venaient de raconter avec un luxe de détails dont Bayle était « ravi », mais dont Bossuet se défiait, comme plus tard le P. Daniel, qui appelait le Précis de l'Histoire de France de Varillas « un véritable roman ». « C'est peut-être aussi le même scrupule qui lui fait omettre dans l'Histoire de France toute mention de la Pragmatique Sanction, attribuée à saint Louis » (2). Bossuet sera moins bien inspiré, dans le Sermon sur l'unité de l'Église, en admettant l'authenticité de cet acte, si contestable et si contestée, comme on peut le voir dans le Saint Louis de M. Vallon.

Ce que personne n'a remarqué, ce qui, pourtant, est le principal mérite de l'Histoire de France du Dauphin, c'est

(1) Rébelliau, Op. cit., p. 120 et 126.

(2) Ibidem, p. 125.

la manière dont Bossuet entend présenter les choses. Il insiste sur « les mœurs », les « coutumes anciennes, les lois fondamentales, les grands changements et leurs causes », la <«< foi », la «< religion catholique », la « constance à la défendre » et « le respect pour le Saint-Siège ».

En un mot, à «< l'histoire-bataille », comme le disait Duruy, il préfère l'histoire des peuples, de leurs institutions et de leur vie nationale. C'est une innovation de premier ordre, dont il est de mode de rapporter tout le mérite à Voltaire, parce qu'il a écrit au marquis d'Argenson: « Il semble que pendant 1400 ans, il n'y ait eu dans les Gaules que des rois, des ministres et des généraux. Mais nos mœurs, nos lois, nos coutumes et notre esprit ne sont-ils donc rien? » Ils étaient presque tout pour Bossuet, qui réalisait, soixante-quinze ans avant Voltaire, le programme du Siècle de Louis XIV : « On ne s'attachera qu'à ce qui mérite l'attention de tous les temps, à ce qui peut peindre le génie et les mœurs des hommes, servir d'instruction, et conseiller l'amour de la vertu, des arts et de la patrie. » Ainsi faisait le précepteur du Dauphin, auquel il apprenait par l'histoire la manière de conduire les affaires,... de former les desseins et de les exécuter » (1). Il n'y a pas de meilleur moyen de... découvrir ce que peuvent les passions et les intérêts, les temps et les conjonctures, les bons et les mauvais conseils... D'ailleurs, il serait honteux, je ne dis pas à un prince, mais en général à tout honnête homme d'ignorer le genre humain et les changements mémorables que la suite des temps a faits dans le monde. Si l'on apprend de l'histoire à distinguer les temps, on représentera les hommes sous la loi de nature, ou sous la loi écrite, tels qu'ils sont sous la loi évangélique (2). »

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M. Brunetière fait un grand mérite à Chateaubriand d'avoir su distinguer ses Francs et ses Gaulois des Grecs et des Romains et possédé « l'art d'individualiser les époques de l'histoire >> (3). Est-ce que Bossuet n'a pas aussi cet art? Est-ce qu'il n'a pas heureusement différencié, distingué, « individua(1) Lettre à Innocent XI.

(2) Discours sur l'Histoire universelle: Avant-Propos.

(3) Manuel de l'histoire de la littérature française, p. 392.

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lisé les époques »? Est-ce qu'il n'a pas fait de l'histoire «< une résurrection du passé », moins pittoresque, sans doute, que celle d'un Augustin Thierry ou d'un Michelet, mais déjà réelle, vivante et animée?

On ne saurait contester ce mérite à la troisième partie du Discours sur l'Histoire universelle, les Empires, où il y a tant de pages qu'on n'a point égalées sur les Égyptiens, les Assyriens et surtout les Romains, leur caractère et leur génie propre, leur «< amour de la patrie et de la liberté ».

III

Que Sainte-Beuve fasse honneur à Pascal et à Du Guet du programme que le génie impétueux de Bossuet dut embrasser à l'instant, comme le regard d'aigle du grand Condé embrassait d'un coup d'œil l'étendue des batailles, c'est pour l'auteur de Port-Royal le résultat d'une habitude qui lui fait rapporter à ses chers solitaires les plus belles œuvres du xvIIe siècle. Mais M. Lanson a parfaitement montré que, lorsqu'on s'appelle Bossuet, on n'a nul besoin d'emprunter des idées à un obscur janséniste comme Du Guet, ou même à l'immortel auteur des Pensées. Quand elles parurent en 1670, il y avait longtemps que Bossuet avait ses idées arrêtées sur « la suite de la religion », sur « la Loi qui est un Évangile caché », sur « l'Évangile qui est la Loi expliquée », comme il le disait dès 1653, dans le Sermon sur le caractère des deux alliances. Le Sermon sur la bonté et la rigueur de Dieu, prêché en 1652, contient en germe tout le Discours sur l'Histoire universelle, dont on retrouve encore les grandes lignes dans le second Sermon pour la vêture d'une nouvelle catholique, 1654, dans le Sermon sur la divinité de Jésus-Christ, prêché trois fois, et dans le Panégyrique de saint André, en 1668.

Si, d'ailleurs, l'idée de Bossuet « ne lui appartient pas en propre», si saint Augustin et Salvien ou Balzac l'ont eue avant lui, c'est qu'elle est le fond même du christianisme. Au reste, comme le remarque M. Lanson, page 291, « la difficulté n'était pas de concevoir cette idée, c'était de l'exécuter; car il y fal

lait une science, une puissance d'esprit, une logique incroyables. Il suffit d'être chrétien pour regarder les choses humaines de ce point de vue; mais il fallait être Bossuet pour bâtir sur cette idée un tel ouvrage. Il fallait être grand théologien, grand orateur et grand historien. On lui applique avec raison le mot de Montesquieu à propos de Tacite : « Il abrège tout, parce qu'il voit tout. »>

Voltaire lui-même dit dans le Siècle de Louis XIV, chapitre XXXII: «< On fut étonné de cette force majestueuse dont Bossuet décrit les mœurs, le gouvernement, l'accroissement et la chute des empires, et de ces traits rapides d'une vérité énergique dont il peint et dont il juge les nations.» «< Bossuet, dit Taine, résumait l'histoire avec un grand sens, dans un grand style, sous une idée imposante... C'était l'improvisation d'un grand orateur chrétien. » « Montesquieu, écrit à son tour Sainte-Beuve, est inférieur à Bossuet, en ce qu'il a une manière, une préméditation constante. Chez Bossuet, la parole grande et simple sort et se répand par un cours naturel, irrésistible, et en déroulant à grands flots ses largeurs, ses audaces et ses négligences. >>

Que si presque tous les critiques sont d'accord pour admirer ce grand style, si net, si franc, si entraînant parfois, qui fait du Discours sur l'Histoire universelle un des plus beaux monuments de la prose française, d'aucuns disent le plus beau, nous sommes loin de la même unanimité, quand il s'agit du fond même de l'œuvre.

Il serait puéril de nier qu'il y a quelques imperfections dans le Discours sur l'Histoire universelle, comme le reconnaissent les éditions classiques qu'en ont données Delachapelle (Dezobry), Gazeau (Delagrave), Gasté (Librairie des bibliophiles) et surtout M. Jacquinet (Belin), dont les notes et les commentaires sont de beaucoup les meilleurs. Ainsi, l'on signale quelques confusions de noms, quelques identifications hasardées de personnages de l'histoire orientale avec les noms donnés par la Bible, quelques hypothèses exagérées, touchant, par exemple, l'influence de l'Égypte sur la Grèce (1), ou le

(1) Discours, III, chap. I et v.

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