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de remonter à la source, d'interroger la raison des choses, de voir clair dans le brouillard qui les enveloppe? Quelque rare curieux de bonne foi, une lumière à la main et traversant la foule, ira regarder en face les hommes et les choses en question: son regard désintéressé, son œil clairvoyant, son jugement sain découvriront la bévue universelle; force lui sera d'en croire à ses yeux, bon gré mal gré. Qu'il ne s'avise pourtant pas d'en instruire le public: le public ne veut pas être instruit. » On dirait que ces excellents éditeurs ont prophétisé ce qui devait arriver pour M. Crouslé, l'éminent professeur de la Sorbonne son ouvrage, si consciencieux et si savant, Fénelon et Bossuet (2 vol. in-8°, 1894-95, Paris, Champion), n'a pas encore pu triompher du préjugé courant, dont M. l'abbé Urbain s'est fait le défenseur opiniâtre, en attendant l'étude plus complète du P. Boutié sur Fénelon (1899). Mais ni le P. Boutié ni M. l'abbé Urbain ne prouvent qu'il y ait des erreurs historiques dans cette Relation du Quiétisme, rendue nécessaire par Fénelon et ses accusations contre les procédés, incroyables d'après lui, des trois évêques, Ms de Noailles, Mr Godet des Marais et Bossuet, à son égard. «Puisque c'est M. de Cambrai qui nous y presse lui-même, dit Bossuet au début de la Relation, et qu'il a cinq cents bouches par toute l'Europe à sa disposition pour y faire retentir ses plaintes, que pouvons-nous faire que de reprendre les choses jusqu'à l'origine par un récit aussi simple qu'il sera d'ailleurs véritable et soutenu de preuves certaines. » Simplicité et vérité, voilà le double caractère de cette œuvre magistrale, que M. Crouslé, II, p. 501, appelle « un modèle de polémique narrative. On ne saurait, ajoute-t-il, pousser plus loin l'art de prouver en racontant ». «Est-ce un pamphlet?

Non, c'est une histoire, l'histoire de deux hommes de génie engagés dans une querelle où la renommée personnelle de l'un des deux devait succomber avec une doctrine périlleuse, ou celle de l'autre, avec le bon sens public... Quoi qu'il en doive advenir, (Bossuet) se voit obligé d'exposer les choses dès l'origine. Un tel récit, écrit de cette main sûre, conduite par un esprit si puissant et si pondéré, qui veut mettre toute son éloquence dans les faits, va devenir le plus persuasif des

plaidoyers, en même temps qu'une merveille de l'art narratif. Rien n'y trahit le dessein ni de composer une action dramatique, ni de peindre des caractères on sent même que l'auteur, dans sa méthode sévère, se reprocherait de laisser échapper, sans nécessité, quelques-uns de ces vigoureux coups de pinceau qui lui sont si naturels. Ce sont les actes des personnages et leurs propres écrits qui doivent les peindre. Mais l'enchaînement des aventures et les preuves produites ont une telle force et répandent une telle lumière que le lecteur se dit tout ce que l'auteur n'exprime pas. On sourit parfois; on s'indigne plus souvent; on murmure en soi les mots qu'on craint d'appliquer crùment aux personnages de de Mme Guyon et de Fénelon, soit respectivement, soit conjointement illusion ridicule, infatuation, mensonge effronté, bassesse, duplicité et collusion pour tromper un grand évêque amené, par des protestations d'amitié et de déférence aveugle, à servir de couverture aux desseins les plus impénétrables. >>

Ce que pense M. Crouslé, les contemporains de Bossuet le pensèrent à peu près tous. Charles Perrault lui écrivit une longue lettre pour lui dire que, s'il l'avait accusé jusque-là d'un peu de dureté contre un de ses confrères, il trouvait maintenant qu'il l'avait trop épargné », mais que « la faute était si belle, marquait tant de bonté et de générosité, qu'il serait fâché que (Bossuet) ne l'eût pas faite ». — -Mue de Maintenon, plus à même que personne de juger de l'impression produite par le livre de Bossuet, s'en expliquait ainsi dans une lettre à l'archevêque de Paris, Ms de Noailles, le 29 juin 1698 : « Le livre de M. de Meaux fait un grand fracas ici; on ne parle pas d'autre chose. Les faits sont à la portée de tout le monde; les folies de Me Guyon divertissent. Le livre est court, vif et bien fait. On se le prête, on se l'arrache, on le dévore. >> Ni Mme de Maintenon, ni Charles Perrault ni Saint-Simon ne font les réserves que les partisans de Fénelon ont faites depuis, en se plaignant du soi-disant abus de lettres confidentielles commis par Bossuet et du mot tristement fameux : « Si cette Priscille n'a pas trouvé son Montan pour la défendre » personne que Fénelon, qui s'en plaignit

jusqu'à dix fois dans le même opuscule, n'y ajouta d'autre sens que celui qu'avait voulu y mettre M. de Meaux, qui maintes fois a déclaré qu'il n'avait jamais visé les mœurs du prélat, mais seulement son entêtement, son commerce d'illusions avec une fausse prophétesse. Tout le monde savait, d'ailleurs, que, si « Bossuet employait les dernières armes », comme dit M. Crouslé, elles lui étaient peut-être nécessaires et nous n'oserions nier que Fénelon méritât ce traitement »>. (II, p. 524.)

Dom Innocent le Masson, prieur de la Grande Chartreuse, l'en croyait digne, puisqu'il écrivait à Bossuet le 11 juillet : « Votre Relation, que j'ai reçue et comme dévorée sur-le-champ, doit être considérée comme ce qui s'appelle le coup de grâce, qui doit faire cesser l'erreur et la défense de l'erreur, qui doit faire cesser de vivre l'une et l'autre. C'est le coup mortel que vous lui donnez; mais qui fait paraître en même temps votre sagesse et votre modération car on y voit que vous avez épargné, tant que vous avez pu, des gens que vous auriez pu jeter d'abord sur le carreau. »

Ajoutons à ce témoignage si grave celui de Mer de Noailles écrivant à l'abbé Bossuet, le 8 juillet 1698 : « La Relation de M. de Meaux a achevé le bien qu'elle avait commencé; car les plus aveugles voient présentement, et sont étonnés, ou du moins le font. C'est tout vous dire que M. et Mme de Beauvilliers, M. et Mme de Chevreuse, sont revenus tout à fait et renoncent entièrement le parti. Bossuet pouvait done écrire à son ami Ms" de La Broue, évêque de Mirepoix, le 18 juillet 1698: « Il me tarde beaucoup, Monseigneur, que j'aie votre sentiment sur la Relation. Il est vrai qu'elle a eu ici tout l'effet qu'on en pouvait attendre, et au delà. A la cour et à la ville, tous les partisans secrets ou déclarés se sont rendus >>.

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Mais au XIX siècle, il n'en est pas ainsi : l'abbé Rorhbacher, M. l'abbé Urbain se rendent si peu que ce dernier << ne croit pas à la sincérité absolue » de Bossuet dans son explication à propos de Montan et de Priscille, et il cite une lettre où Bossuet approuve, le 1er juin 1698, « la comparaison d'Abélard ». - Mais Bossuet ne parle pas d'Héloïse, avec laquelle Abélard eut des relations qui n'étaient pas mystiques, comme celles

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de Fénelon et de Mme Guyon. On jugera, d'ailleurs, de l'àpreté de M. Urbain contre Bossuet, en comparant ce qu'il écrit dans la Revue d'histoire littéraire, 1895, p. 277, avec les textes les plus authentiques: « L'archevêque de Cambrai, dit-il, reprocha à Bossuet d'avoir révélé, non pas une confession sacramentelle, mais des choses qui lui avaient été racontées ou communiquées sous le secret de la confession, ce qui est bien. différent... Le prêtre doit le secret absolu non seulement sur la confession sacramentelle, mais encore ce qui lui a été confié dans la simple direction... Que l'évêque de Meaux se soit cru, dans l'intérêt de la religion, autorisé à user des confidences de Me Guyon et de Fénelon, c'est affaire entre sa conscience et Dieu; mais je ne connais point de prêtre qui voulût l'imiter. >> Bossuet serait donc le dernier des prêtres? Or, voici ce qu'on lit dans la Réponse à la Relation, xxx : « On a vu dans une de ses lettres, dit Bossuet, qu'il s'était offert à me faire une confession générale : il sait bien que je n'ai jamais accepté cette offre ». « Pour moi, réplique Fénelon, je déclare qu'il l'a acceptée et qu'il a gardé quelque temps mon écrit. >> Ou les mots n'ont plus de sens, ou Fénelon dit que Bossuet a reçu la confession générale de son ancien ami, confession écrite ou non, peu importe. Il ne s'agit pas là de. direction, ou de choses << racontées ou communiquées sous le secret de la confession ». D'ailleurs, Phelippeaux écrivait à Bossuet, le 25 novembre 1698 : « Je crois devoir vous avertir qu'il y a plus d'un an que M. de Chanterac avait dit à qui voulait l'entendre que M. de Cambray s'était confessé à vous; c'était alors une vraie confession sacramentelle. Il suffit de vous nommer pour témoins le P. Estiennot, procureur général des Bénédictins, le P. Prinslet, procureur général de Citeaux, et le P. Cambolas, procureur général des Carmes. » On comprend l'indignation de Bossuet contre le reproche le plus grave qui puisse être fait à un prêtre, la violation du secret de la confession sacramentelle ou de la direction. Mais il n'y a eu entre Fénelon et Bossuet ni confession sacramentelle, ni direction, ni confidence sous le secret de la confession, ni, par conséquent, révélation de secret sacramentel ou professionnel. « J'entends dire par ses amis, écrit Bossuet, Relation, III, 13,

que c'était là comme un secret de confession entre nous... Nous (1) n'avons pensé à rien de semblable, ni imagine d'autre secret que celui de ménager son honneur et de cacher sa rétractation sous un titre plus spécieux. »

Quoi qu'il en soit de l'imputation calomnieuse de M. de Cambrai contre son illustre adversaire, il fallait bien que la Relation sur le Quiétisme fùt un chef-d'œuvre pour détacher de Fénelon des amis intimes et dévoués, comme les de Beauvilliers et les de Chevreuse, et pour produire, non seulement à Paris, à la cour, mais dans toute la France et à Rome même «un merveilleux effet », ainsi que l'écrivait Phelippeaux, le 22 juillet : « Les plus éminents protecteurs de la cause cambraisienne y ont été effrayés de la Relation... Elle a jeté l'abbé de Chanterac et ses amis dans la dernière consternation. Après tant de faussetés publiées, il dit à présent, pour toute excuse, qu'on l'a trompé lui-même et qu'on lui a caché la vérité de tous les faits énoncés. » L'histoire et la critique doivent bien au moins à Bossuet l'hommage que ne lui refusaient pas ses pires adversaires.

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VII

Nous aurons fini d'apprécier son œuvre d'historien, lorsque nous aurons dit un mot de la partie historique de ses Oraisons funèbres, dont M. Jules Lemaitre, dans un article bien dédaigneux sur l'édition qu'en a donnée M. Jacquinet, a eu le tort d'affirmer que « la lecture de ces discours d'apparat est inutile pour former la jeunesse ».

C'est précisément M. Jacquinet qui a le mieux compris et indiqué le rôle de l'histoire dans l'oraison funèbre et les différences que présentent ces deux genres.

L'histoire doit dire la vérité, toute la vérité, sur les événements et les hommes dont elle parle. L'oraison funèbre ne peut pas être obligée « à dire la vérité tout entière, sans en rien retrancher ni voiler, sans ménagements pour les morts, comme

(1) Il s'agit de Bossuet, de Mer de Noailles et de M. Tronson, auxquels Fénelon avait communiqué « son écrit », qui n'était pas, par conséquent, « une confession générale ».

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