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LA

MORALE DE M. LITTRÉ

ORIGINE DE L'idée de justice,

DES ORIGINES ORGANIQUES DE LA MORALE.
par M. LITTRÉ, dans la Philosophie positive, no 4 et 5.

I

Le Positivisme a la prétention d'être une méthode, la méthode dernière de la science, celle qui doit remplacer toutes les autres sans avoir jamais à craindre pour elle une aussi fàcheuse substitution. Cependant il eut été bon de retenir quelques dépouilles de ce passé qu'on rejette: tout n'était pas mauvais. Ainsi, par exemple, les anciennes méthodes prescrivaient de définir avant tout le sujet qu'on se proposait de traiter; il fallait le déterminer, en mesurer l'étendue, en fixer les limites, en un mot, indiquer clairement à l'attention du public ce dont on voulait l'entretenir. C'était, croyons-nous, une garantie contre un défaut, le pire de tous dans un écrivain, celui que la langue vulgaire a flétri du nom de galimatias. M. Littré vient de publier, dans sa Revue ', deux articles sur la morale positiviste, il a horreur des procédés de la vieille logique, et partant néglige les définitions. Je ne me permettrai jamais de penser qu'il ne sait pas quel sens il attache à ce mot morale, mais je défie tout lecteur qui n'en aura pas eu la confidence de le distinguer même confusément à la simple lecture de ces deux écrits. Je ne sais pas pourquoi la sincérité positiviste aime ces ombres, ces faux fuyants. Vous voulez expliquer une des notions communes de l'esprit, pardon, de la cervelle de l'homme. Ayez donc la bonté de la dé

Cet article était sur le point de paraître, quand les événements nous ont forcés de suspendre la publication des Études.

crire d'abord telle qu'elle est, tout entière, sans rien omettre. Cela fait, nous pourrons juger si votre explication embrasse tout son objet; nous ne croirons pas, nous verrons qu'elle ne tombe pas misérablement à côté, ou qu'elle n'en laisse échapper aucune partie importante. Mais sans cette précaution, en vérité, comment parviendrons-nous à vous comprendre? comment enverrons-nous à leur adresse vos doctes explications?

Ce que M. Littré n'a pas fait, nous sur qui la métaphysique a encore quelque autorité, nous devons le faire, si nous voulons éviter le reproche d'avoir follement essayé de dissiper les ténèbres par les ténèbres. Pour cela nous appellerons à notre secours M. Littré lui-même, mais M. Littré philologue et non M. Littré positiviste. Le premier n'a pas de théorie: il enregistre les pensées d'autrui. Dans son grand dictionnaire de la langue française, dans ce catalogue monumental des expressions inventées par le génie métaphysicien de notre pays, M. Littré philologue nous fait lire sous la rubrique Morale ensemble des règles qui doivent diriger l'activité libre de l'homme. Evidemment ce n'est pas ici une définition arbitraire, mais la traduction fidèle de l'idée qu'on attache en France au terme de morale. Il est infiniment probable qu'audelà du Rhin, des Pyrénées et de l'Océan, la morale n'est pas conçue d'une façon différente. Partout elle se présente comme une règle, une règle qui oblige une volonté libre. La loi, le devoir, la liberté, tels sont les trois éléments essentiels que tous les hommes attribuent plus ou moins explicitement à la morale. En tout pays, on se croit obligé de faire certains actes et d'en éviter certains autres, et dans cette conviction, il n'est pas difficile de discerner la loi, le devoir, la liberté. Préjugé ou non, voilà la morale telle qu'on la comprend partout. A ce titre, c'est un fait, un fait certain, dont on ne déterminera les origines organiques, qu'en montrant dans les organes, les origines de la loi, du devoir et de la liberté. Un échec sur un seul de ces points, est un échec total; car la morale disparaît dès qu'un seul de ces trois éléments est supprimé. Voyons de quel genre de succès M. Littré a droit de se glorifier.

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Il y a deux principes de morale, l'égoïsme et l'altruisme. Le premier, représentant les besoins, est un principe de conservation individuelle; le second, représentant la sexualité, est un principe d'expansion hors de l'individu. Tous deux ont pour point de départ l'action de la substance vivante sur le cerveau par l'intermédiaire des nerfs. Ainsi considérés, égoïsme et altruisme ne sont que des germes; l'expérience, le raisonnement et le temps les développent. C'est ainsi que se forment les morales toujours relatives des différentes époques et des différentes nations, mais aussi toujours progressives à mesure que la notion d'humanité, se dégageant, resserre l'égoïsme et dilate l'altruisme'. » C'est en ces termes que M. Littré a résumé lui-même sa propre doctrine sur la morale organique. Si nous ne nous trompons, c'est la théorie même de M. Comte illustrée de quelques observations physiologiques d'une date plus récente. Elle ne laisse pas sous cette forme que de s'envelopper de quelque obscurité. Tâchons d'y répandre d'abord un peu de lumière.

L'égoïsme est un nom sous lequel le positivisme désigne l'ensemble des inclinations naturelles qui ont pour objet le bien propre de l'individu en qui elles résident. C'est en vertu de ces inclinations que nous recherchons les aliments, que nous sommes portés à nous approprier certains objets utiles, et que nous protégeons spontanément notre corps contre toute espèce de dangers. L'altruisme, expression de l'invention de M. Comte, désigne les inclinations naturelles qui ont pour terme le bien des autres. Dans le langage ordinaire, on les appelle simplement les affections sociales; telles sont : l'amour de la famille, l'amour de ses semblables, l'amour de la patrie, la sympathie, etc. Jusqu'ici, à part les noms, rien de bien nouveau, mais c'est le procédé générateur qui mérite notre attention.

M. Littré déclare avec insistance que le cerveau n'est pas la source de la morale, c'est-à-dire, de l'égoïsme et de l'altruisme. Cet organe n'est pas créateur, » il n'est qu'« éla

• N° 4, p. 21.

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borateur. » Il lui faut un « apport, » et cet « apport, c'est « la substance vivante' » qui le lui fournit. Eclairons cette doctrine par un exemple. Il est un phénomène important et vulgaire auquel nous coopérons tous chaque jour avec un zèle qui ne se dément jamais. Je veux parler de la digestion. Cette fonction est exercée par un organe spécial. Sans estomac, pas de digestion; mais l'estomac ne suffit pas, c'est un fait d'expérience quotidienne. Le positivisme, avec cette profondeur qui le distingue, en a trouvé la raison : l'estomac n'est pas créateur, il n'est qu'« élaborateur. Il faut un <apport à cet organe, et cet « apport, » c'est nous qui le lui fournissons par la manducation. Il n'en est pas autrement pour le cerveau. C'est une espèce d'estomac qui produit par une digestion particulière des idées et des sentiments. La matière première qui par la digestion cérébrale est tranformée en sentiments, est puisée dans la substance vivante. » « Cette substance vivante a des besoins; s'ils ne sont pas satisfaits, elle périt, soit comme individu, soit comme espèce. » Les besoins de la substance vivante, tel est l'apport que le cerveau devra élaborer et convertir en ce chyle exquis, connu sous le nom de morale. Les besoins sont apportés au cerveau par les nerfs. Des besoins qui circulent! Une négation en voyage! C'est la nuit, le silence, le vide expédié par le chemin de fer. Enfin les besoins arrivent comme ils peuvent dans l'encéphale. Là, comment deviennent-ils sentiments? Par un procédé infiniment simple, écoutez: « une action du dedans, suivie d'une réaction du cerveau, est une passion, un sentiment'. » C'est très-simple, mais est-ce bien clair? Remarquons en passant que l'estomac cérébral de M. Littré a une singulière manière de digérer. Depuis qu'il y a des hommes, l'estomac ordinaire travaille d'une façon identique, quoiqu'il y ait eu passablement de variété dans l'apport; comment se fait-il donc que l'autre, celui des idées et des sentiments, présente tant de diversité dans ses produits, quoique les besoins qui constituent l'apport soient toujours restés les mêmes? Comment se fait-il que, malgré la permanence des

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conditions, M. Littré, ou, si l'on veut, M. Comte ait été le premier à donner l'exemple d'une digestion positiviste? M. Littré daignera-t-il nous répondre?

En attendant poursuivons la genèse organique de la morale. La substance grise' » élaborant les actions venues du dedans, en compose une véritable hiérarchie de sentiments ou de passions. « Les besoins de la substance vivante > qui se rapportent à sa conservation, étant « suivis d'une réaction du cerveau, » deviennent d'abord le désir de satisfaire les besoins indispensables sans lesquels la vie ne continuerait pas; › ensuite, mais « au-dessus... l'emploi judicieux de toutes ces satisfactions, pour que l'être humain remplisse le plus complétement qu'il est possible, son office, c'est-à-dire, jouisse de la meilleure santé, soit capable de la plus grande somme de travail et atteigne le plus long terme de l'existence; » enfin au-dessus encore... le soin de la personne morale, c'est-à-dire le soin de tous les intérêts que suscite la position de chacun de nous dans l'ordre de la société. » Voilà la part de l'égoïsme. L'altruisme procède d'une manière analogue.

Les besoins de la substance vivante » qui se rapportent à la conservation de l'espèce, éprouvant à leur tour la réaction de la substance grise, deviennent « au premier échelon... la formation de la famille et les attachements familiaux; à un second degré... la sociabilité... ; au-dessus... l'amour de la patrie; et au-dessus encore... l'amour de l'humanité... Ces combinaisons sentimentales... ainsi formées... prennent consistance et deviennent des centres de règle et d'action'. > < A ce point la physiologie psychique retrouve le sens moral3, > et la morale est fondée.

On aurait bien tort d'accuser le positivisme de stérilité. Avec deux besoins de la substance vivante et une réaction de la substance grise, en tout deux opérations physiologiques qui sont l'apport des deux besoins au cerveau, et deux opérations psychiques, qui sont la réaction du cerveau sur les deux besoins, le positivisme épanouit comme par enchantement l'efflorescence la plus variée de sentiments égoïstes et

Partie du cerveau.

• No 4, p. 14. • Ibid., p. 9.

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