Sayfadaki görseller
PDF
ePub

sujet des richesses inespérées, dont il était lui-même le premier à s'étonner.

Par exemple, le voilà sur le point de publier, avec notes et commentaires, le fameux poëme héroï-comique de Boileau, le Lutrin, sujet bien futile en apparence. Or, on sait vaguement, par les révélations de Brossette et de quelques autres, que sous ces grotesques il faut chercher des personnages réels, dont on connaît plus ou moins les noms, mais c'est à peu près tout. Le P. Cahour veut en savoir plus ; il cherche donc le comment et le pourquoi de chaque allusion, de chaque trait satirique, bien persuadé que rien ne se fait sans raison suffisante même en poésie, surtout quand le poëte s'appelle Boileau. Qu'est-ce, demande-t-il d'abord à ses devanciers, qu'est-ce que ce trésorier de la Sainte-Chapelle, Alain, gros et gras, type de sensualité béate et dévote pour lequel Boileau épuise les plus riches couleurs de sa palette? On lui répond que c'est un évêque de Coutances, du nom de Claude Auvry. Mais cela ne lui suffit pas, il cherche, il cherche encore, et à la fin il découvre que le trésorier était l'intime ami de Mazarin, un homme de valeur, très-docte, nullement ridicule et ni gros ni gras, mais grand adversaire des jansénistes et qui avait déployé beaucoup de zèle pour la signature du formulaire. Ah! ah! nous y voilà enfin, Boileau fait cause commune avec Port-Royal, et il y a là-dessous quelque vengeance de ces messieurs. En effet, une fois sur cette piste, le P. Cahour marche de découverte en découverte; tous les masques tombent un à un, y compris celui de Boileau, qui avait rusé pendant vingt ans pour mettre sa satire à l'abri du nom de Lamoignon, complicité posthume dont ce grave personnage est bien innocent, ainsi que le prouve pertinemment notre savant et ingénieux critique. Bref, nous sommes édifiés sur le compte de tous et de chacun, de Jacques Barrin, le chantre, rival du trésorier, du chanoine d'Eusse, de Jacques Aubery, confesseur de Lamoignon, etc., et enfin de M. Fournier, le seul membre de tout le chapitre qui ne fût pas moliniste, le seul, par conséquent, qui méritât l'estime et les éloges de Port-Royal, auxquels il eut la plus grande part comme on peut le voir dans Fontaine. Tout cela ne laisse pas d'être assez piquant. On est charmé de voir le dessous des cartes, et l'on

finit par conclure que l'habile commentateur n'a pas tout à fait perdu son temps en illustrant avec tant de sagacité cette page un peu obscure de la chronique religieuse du dixseptième siècle.

C'était, du moins, l'avis de M. de Montmerqué, bon juge s'il en fut en semblables matières. Mon très-révérend Père, écrivait-il au P. Cahour, j'ai reçu avec une vive reconnaissance l'exemplaire du commentaire du Lutrin de Boileau dont vous avez bien voulu me faire le sacrifice. Je le dépose auprès du Boileau de M. de Saint-Surin, qu'il vient compléter. J'ai reconnu, en le lisant attentivement, qu'il ne suffisait pas d'être littérateur pour dévoiler tous les mystères qu'il renferme ; il faut aussi aborder la théologie et tout ce qui a trait aux petites lettres. D

Un hommage était dû à M. Sainte-Beuve, grand docteur en Port-Royal. Le P. Cahour avait eu l'occasion de le citer dans ses notes et l'avait fait en termes très-bienveillants. Ce n'était pas la première fois que Sainte-Beuve se voyait en rapport avec les Jésuites; il connaissait déjà le P. de Montézon et ces deux hommes, en tout si dissemblables, n'avaient eu personnellement qu'à se louer l'un de l'autre. L'illustre critique fut donc plus flatté que surpris des avances toutes courtoises du P. Cahour. « Monsieur et très-révérend Père, lui écrivit-il, c'est avec beaucoup de reconnaissance que j'ai reçu le témoignage si flatteur de votre affection, et c'est avec plaisir que j'ai lu littérairement les Remarques. J'en profiterai pour mon Boileau Janséniste, qui doit entrer dans un cinquième volume de Port-Royal (car c'est cinq volumes que je vous donne, et le quatrième est entièrement achevé). Je me suis retrouvé avec un peu de confusion sous les éloges que vous m'accordez; mais ce n'est pas la première fois que les Jésuites savent être aimables. Vous nous prouvez, Monsieur et révérend Père, qu'ils sont toujours savants, et vous nous apprenez à mesurer nos paroles quand nous nous mêlons de juger une société qui n'a pas cessé de compter de tels membres. Veuillez agréer l'expression de ma gratitude et de mon respect,

« SAINTE-BEUVE. D

Cette lettre est la première, je crois, que Sainte-Beuve adressa au P. Cahour, ce ne fut pas la dernière. Celles qui nous restent à citer ont un ton d'intimité croissante jusqu'à la fin, mais avec des réserves circonspectes et une mise en défense assez curieuse.

Les meilleures pages que le P. Cahour ait déposées j'allais dire ensevelies - dans le recueil qui nous occupe, les plus instructives et les plus élevées, sont, à mon avis, celles qui ont trait à la poétique de Chateaubriand, de Lamartine et de Victor Hugo.

Ecoutez d'abord ce début :

« Le dix-huitième siècle avait fini dans la nuit de l'athéisme; la raison elle-même, dernier flambeau des sociétés humaines, s'était obscurcie : philosophie, beaux-arts, civilisation, tout avait disparu. Un nouveau jour se leva sur la France avec un nouveau siècle; et, dès l'aube, le géant éveillé par l'ange de la justice et des combats s'arma du glaive des rois ; et l'anarchie, avec ses bêtes fauves, regagna ses antres pour y attendre une autre nuit. L'aurore se montra pleine à la fois de deuil et d'espérance: elle éclairait des tombeaux et des trophées. De nouveaux philosophes et de nouveaux poëtes la saluè

rent.

« Parmi les chantres d'un triste et glorieux matin, qui demandaient à la lyre d'Amphion et d'Orphée des accords pour adoucir les tigres et relever les cités, un chrétien, mieux inspiré et plus poëte dans sa prose que ces poëtes dans leurs vers, recourut à la harpe sacrée des prophètes, et tenta de ramener les cœurs à la foi par les charmes mêmes de l'Evangile. Sa mission parut providentielle. Le génie des lettres a sa puissance réparatrice ou désastreuse comme le génie des armes : la plume a souvent brisé les sceptres et les épées. Ne jugeons la vocation de Chateaubriand ni par ses déviations dans la carrière que le Ciel lui avait tracée, ni par les déplorables aberrations de son école. Dieu a donné aux astres, flambeaux du monde physique, une orbite invariable et une lumière que le temps ne saurait altérer; mais les génies qu'il envoie pour éclairer le monde des intelligences ont la liberté d'abandonner leur route, en déclinant vers la terre, et d'affaiblir, d'éteindre même pour toujours leurs rayons dans les

vapeurs de l'orgueil et des passions qu'ils ont aspirées. > J'arrête à regret la citation, et, je le dis bien franchement, je voudrais tout citer depuis la première jusqu'à la dernière page, tant j'ai trouvé de charme et d'intérêt sérieux à relire d'un bout à l'autre, pour la quatrième fois peut-être, cette belle étude si noblement écrite et si judicieusement pensée. Jamais, non, jamais les doctrines et les œuvres de l'école dite romantique n'avaient encore été appréciées avec tant de justesse et même de profondeur. Jamais, dans ces régions un peu nébuleuses, traversées par d'étranges visions et peuplées d'être fantastiques, personne, avant le P. Cahour, n'avait réussi à faire pénétrer une clarté aussi pure et aussi sereine, mi, par conséquent, aussi propre à dissiper les illusions. C'est que la critique, telle qu'il la comprend et sait la pratiquer, critique élevée et impartiale, sévère quelquefois, mais toujours charitable, a seule le don et le secret de concentrer sur l'objet de son examen les rayons émanés d'un double foyer: la saine philosophie et la théologie catholique. Je n'analyse pas ces pages magistrales, mais je les recommande instamment à la jeunesse catholique, aux maîtres, aux pères de famille, à quiconque voudra savoir ce qui distingue essentiellement, au point de vue des mœurs et de la santé de l'âme, les deux littératures: celle du dix-septième siècle et des grandes époques classiques, si mâle, si fortifiante, si franche en ses allures et si lumineuse dans son expression, et celle des siècles de décadence, en particulier de ce siècle-ci, d'où s'exhale je ne sais quelle molle langueur qui s'insinue par les sens et gagne le cerveau; littérature qu'on pourrait appeler, pour lui appliquer un nom propre, la littérature des Renés.

Oui, malgré d'éclatants mérites que personne ne songe à lui contester, Chateaubriand est ici le grand coupable. C'est lui qui, par la séduction de ses exemples plus encore que par une théorie spécieuse présentée avec un art infini, a entraîné Lamartine dans cette voie funeste et l'a initié à ce vague des passions, à cette mélancolie inconnue, s'il faut l'en croire, à toute l'antiquité païenne, sentiment au fond tout profane, qu'il préconise à l'égal d'une vertu chrétienne et d'une béatitude évangélique.

Quant à savoir où et quand Lamartine s'est laissé séduire,

et à quelle occasion il a subi la contagion de ce grand et dangereux exemple, là n'est pas la difficulté, puisque le poëte des Méditations et des Harmonies nous l'a expliqué lui-même et qu'il a raconté cette circonstance mémorable de sa vie, avec beaucoup de charme et d'intérêt dans son Cours familier de littérature. Ce souvenir de son adolescence, encore pure et croyante, se rattache à son séjour au collège de Belley, dont il fut l'élève quelque temps; c'est là qu'il ressentit ces émotions toutes nouvelles, dont l'influence sur lui fut décisive, la première fois qu'il lui arriva d'entendre, de la bouche d'un de ses maîtres, la lecture de quelques pages de Chateaubriand. Ses aveux à cet égard sont des plus explicites, et le P. Cahour n'a eu, pour ainsi dire, qu'à en prendre acte et à en tirer la moralité.

Mais, puisque nous avons touché ce point, une question; et nous la résoudrons d'après le P. Cahour, son livre à la main. Est-il vrai, autant que Chateaubriand l'affirme et voudrait le persuader, est-il vrai que ce genre de mélancolie ait été inconnue à l'antiquité païenne, et la thèse de l'illustre auteur du Génie du Christianisme se soutient-elle, en ce qu'elle a d'absolu, en présence des données positives et certaines de l'histoire de l'esprit humain? Qu'on nous permette ici cet examen sommaire; ce ne sera pas, comme on le verra plus tard, une digression, et, dans tous les cas, rien ne nous fera mieux connaître la méthode du P. Cahour.

Voilà la réponse de notre judicieux critique: «Non, les anciens n'avaient pas ignoré les tristesses de l'âme, les ennuis du cœur, les rêveries mélancoliques. Le plus ancien, le plus populaire des poëmes de la Grèce ne s'ouvre-t-il pas par de grandes scènes de mélancolie? Chrysès s'en va silencieux et pleurant le long des rivages de la mer retentissante. Le fougueux Achille, abattu par la tristesse, va pleurer aussi aux bords des flots; il se retire dans sa tente pour s'y livrer à l'amertume et à l'ennui: là est le secret de l'inaction du fils de Pélée sur laquelle repose l'Iliade tout entière. Ovide n'a-t-il pas ses Tristes, dont il a rempli cinq livres ? Horace, etc., etc.› Le P. Cahour accumule les exemples empruntés à l'antiquité et termine ses citations par ce trait victorieux : « Ajoutons enfin que, non-seulement les poëtes de Rome et d'Athènes,

Ive série.

- T. VI.

39

« ÖncekiDevam »