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EN FRANCE

RÉSULTATS D'UNE ENQUÊTE OFFICIEUSE

EN 1872

Raconter ce qui n'est pas encore, est-ce toujours témérité folle ou vain jeu d'imagination? Parfois ne peut-il pas être permis à qui n'est point prophète de chercher à deviner l'avenir, quand il s'agit non de le prédire, mais de le prévoir? -En tous cas, il ne saurait être inutile d'en étudier les pronostics, soit pour se mieux préparer aux maux inévitables, soit pour s'épargner ceux qu'il est possible encore de prévenir.

Qui voudra bien agréer cette explication ou cette excuse, peut maintenant s'aventurer avec nous par la pensée dans cet avenir si prochain du reste, dont, par anticipation, nous ébauchons l'histoire.

I

Nous sommes donc en pleine année 1872.- En ce temps-là, au milieu de l'instabilité universelle et des perpétuels bouleversements dont notre cher et malheureux pays est encore, hélas! le jouet et la victime, une seule chose depuis le 4 septembre est restée debout, un seul pouvoir survit, sinon indiscuté, du moins inébranlable, le pouvoir du ministre à perpétuité qui règne, plus souverainement que jamais, sur l'instruction publique. L'auteur de la Religion naturelle et de l'École continue paisiblement sur la jeune génération, dernier espoir de la France, l'expérimentation de ses théories! Ce

n'est pas que, sur le baromètre politique, l'aiguille ait toujours marqué pour lui le beau fixe, sans osciller jamais entre le variable et la tempête; mais ces coups de vent passagers ont à peine un instant troublé les hautes et sereines régions qu'il habite. Heureux qui, ferme en ses desseins, s'il ne brave pas, comme le juste d'Horace, la mauvaise fortune, du moins, comme le roseau de La Fontaine, sait en esquiver les fureurs et dire, en courbant à propos la tête: Je plie et ne romps pas! Vanterai-je la souple habileté dont le ministre fit preuve, quand vers la fin du mois de décembre 1871, il eut à défendre devant l'Assemblée nationale et contre elle, son fameux projet de loi sur l'enseignement obligatoire? Raconterai-je comment l'idée, chère à ces doctrinaires nouveaux, dont M. Jules Simon est un des chefs, après avoir été patronée et propagée par les écrivains et les orateurs du parti, proclamée dans maintes brochures la panacée souveraine applicable à tous les maux, et bruyamment revendiquée par les ligues, plus ou moins franc-maçonniques, de l'enseignement, prit corps enfin dans un projet de loi, seconde édition de la proposition faite dès le mois de février 1870, par vingtdeux membres de l'opposition'? Mais à quoi bon retracer

On se rappelle que, dans la séance du 24 février 4870, MM. Jules Simon, Pelletan, Garnier-Pagès, A. Crémieux, Gambetta, J. Ferry, J. Grévy, Emmanuel Arago, de Kératry, E. Picard, Esquiros, Glais-Bizoin et plusieurs autres de leurs collègues, en tout vingt-trois membres de la gauche, présentèrent un projet de loi pour réclamer de suite l'obligation et la gratuité. Voici les articles auxquels nous faisons allusion dans notre travail :

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« ART. 2. Tout père de famille ou tuteur dont les enfants, garçons ou filles, âgés de 6 ans à 45 ans, ne suivront pas les cours de l'école communale ou d'une école libre, sera tenu de fournir au conseil municipal, dans le courant du mois de janvier de chaque année, la preuve qu'il leur donne ou leur fait donner l'instruction à domicile.

« ART. 3. Tout père de famille ou tuteur dont un enfant, garçon ou fille, aura atteint l'âge de 13 ans dans le cours de l'année, sera tenu de remettre au conseil municipal un certificat signé de l'instituteur public ou libre, constatant que l'enfant a rempli assidûment le devoir d'école de six ans révolus; à défaut de présenter ce certificat, l'enfant sera examiné par une commission composée de cinq membres du conseil municipal, présidée par le maire...

« ART. 4. Les parents ou tuteurs qui n'auront pas fait remplir par leurs enfants ou pupilles le devoir d'école, seront poursuivis devant les tribunaux qui pourront prononcer l'interdiction de toutes fonctions communales électives pour un temps qui ne pourra pas dépasser dix ans. Le tribunal pourra en outre pro

en détail ce que tout le monde se représente à merveille : la séance agitée où triomphe, non sans peine, le projet de loi; la foule, en vain munie de cartes d'entrée, encombrant les galeries et les cours du château; les tribunes combles, sur lesquelles passent, comme un vent d'orage, les tumultueuses émotions de l'Assemblée; les interminables discours, les interruptions violentes, les cris: à l'ordre! les clameurs et les trépignements, tout ce qui chez nous a coutume d'accompagner la confection des lois; puis, le docile esprit de l'extrême gauche, liguée, ce jour-là, chose singulière! avec le gouvernement; M. Gambetta étonné plus que personne, de défendre un ministre et d'adopter la pensée d'autrui; le ministre non moins surpris de discipliner l'opposition irréconciliable et de la conduire à l'assaut; la majorité, toujours bien pensante, mais intimidée, désorientée, divisée, cédant peu à peu, reculant pas à pas, avec un air de mauvaise humeur et de dignité blessée, et s'accrochant en désespoir de cause à un amendement dérisoire, après avoir abandonné l'essentiel, semblable au naufragé qui saisit un brin d'herbe, quand le pied lui manque et que le flot l'emporte... N'est-ce pas depuis longtemps le même curieux et pénible spectacle, que présente à certains jours l'aréopage de la France!

Tout ce que les conservateurs ont obtenu, pour sauver l'honneur et couvrir la défaite, c'est l'article additionnel, assez bizarre, que voici : « Le nouveau système d'enseignement primaire, provisoirement voté par l'Assemblée nationale, sera mis immédiatement à l'essai durant six mois; lequel temps écoulé, si l'enquête officielle qui sera faite alors, démontre

noncer une amende de 400 à 1,000 fr., applicables à la caisse des écoles de la

commune.

« ART. 5. L'école ne sera obligatoire que pour la classe du matin... L'art. 6 impose la même obligation aux patrons vis-à-vis de leurs apprentis et les rend passibles des mêmes peines.

Une proposition de loi ayant pour objet l'instruction primaire obligatoire a été déposée, le 29 août 1874, sur le bureau de l'Assemblée nationale, par MM. George, Vacherot, E. Charton, Bethmont, H. Martin, Ferry, Flottard, etc. « Cette proposition se caractérise par un grand luxe de réglementation et une intervention continuelle et réellement menaçante des fonctionnaires de l'État.» C'est l'aveu d'un partisan déclaré de l'obligation, M. Ch. Robert, ancien secrétaire général du ministère de l'Instruction publique. V. L'Instruction obligatoire, par Ch. Robert, Paris, 1874.

que les avantages espérés sont loin de compenser les inconvénients, la présente loi sera considérée comme non avenue et déclarée telle. >

Désormais, la victoire du ministre est complète. Une enquête officielle, une loi rapportée, vains mots que tout cela ! Après six mois, il y a prescription en pareille matière ; ce qui est fait est bien fait. Quant à l'enquête, le gouvernement s'en charge, et qui ne sait que la statistique ministérielle, en matière d'instruction surtout, est douée d'une merveilleuse élasticité et ménage aux calculateurs scrupuleux les plus étranges surprises?

Ah! si par bonheur, cette fois, l'opinion publique se réveillait, protestait, opposait partout à l'enquête officielle l'enquête officieuse, aux fictions les réalités !...

II

La France entière, malgré tant d'autres préoccupations aussi importantes que douloureuses, attendait, à cette époque, avec une légitime impatience, le résultat des informations officielles, réclamées dans tous les départements au sujet de l'enseignement primaire. Quels fruits avait portés la loi récemment votée ? Quelle transformation miraculeuse avait produite, comme par enchantement, le nouveau système? Quelle explosion de reconnaissance attendrie avait accueilli la gratuité? Quelles salutaires conversions avait opérées chez les pères de famille cette loi d'obligation, avec son effrayant cortége de pénalités? Existait-il encore sur le territoire français, des communes sans écoles, des écoles sans instituteurs, des instituteurs sans élèves?... Telles étaient les questions qui s'entrecroisaient dans les conversations, se discutaient dans les journaux, s'éclaircissaient au grand jour de l'enquête. De hauts fonctionnaires, dignes de tout respect, descendaient à la préfecture ou à la mairie, citaient les témoins, posaient les demandes, aidaient aux réponses, contrôlaient et paraphaient les procès-verbaux qui, confluant par ballots à Paris, venaient encombrer le ministère de l'instruction publique. Là, tous les

Ive série. 7. VI.

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documents étaient classés, collationnés, analysés, et les données qu'ils renfermaient, ingénieusement réduites à des moyennes du plus satisfaisant effet.

Sur ces entrefaites, un beau jour, dans un wagon de première classe, s'échangeaient entre trois voyageurs les propos suivants, tandis que le train filait à toute vapeur vers Carpentras.

« L'expérience est heureusement faite, et la loi triomphe, à la gloire du ministre, à la confusion de ses contradicteurs. Désormais, l'obligation ne sera plus en France un épouvantail; l'enseignement obligatoire, ah! messieurs! c'est le programme de l'avenir! D Celui qui parlait ainsi avec un peu d'emphase méridionale, était un respectable personnage, chez qui l'attitude un peu raide mais imposante, le geste démonstratif et plein d'autorité, la toilette aussi correcte que le langage, tout, en un mot, trahissait le professeur. Ce jeune homme, aux longs favoris châtains, à la voix claire et perçante, à la parole abondante et facile, qui lui donne la réplique avec autant d'urbanité que d'à-propos, c'est, à n'en pas douter, un avocat. Leur compagnon de voyage, type parfait du gentleman, n'a pas besoin d'ouvrir la bouche, encore moins de montrer son passe-port, pour apprendre à chacun qu'il arrive de Londres, tant chez lui tout est admirablement anglais.

— « Le programme de l'avenir!... reprit le jeune avocat, est-il ce que vous dites, mon cher monsieur? Quant à moi, j'en doute bien fort, ou plutôt je ne le crois pas. Bien peu d'esprits réussissent à entrevoir sur quoi se fonde votre théorie de l'obligation: c'est qu'elle est contraire, ne vous en déplaise, aux plus élémentaires principes du droit.

Bravo! j'accepte volontiers le débat sur ce terrain, s'écria le professeur gascon avec enthousiasme! Milord sera juge entre nous.

Fort bien, murmura laconiquement l'étranger.

-M. l'avocat, je prouve ma thèse droit rigoureux de l'Etat d'imposer à tous comme obligatoire l'instruction primaire; et pour ne pas forfaire aux devoirs d'un professeur de philosophie, j'argumente en forme. Gare à vous!

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D'abord, veuillez noter ceci : comme l'a fort bien dit avant

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