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ment revenu à Dieu lorsque le roi le désigna pour l'épiscopat. Effrayé du fardeau qu'on allait lui imposer, il consulta Arnauld:

« J'étois en peine de vous écrire, lui dit-il, pour savoir si, connoissant les dispositions de mon esprit et de mon cœur, et les désordres de ma vie passée pendant plus de vingt ans, vous croyiez que les cinq années de retraite que j'ai faites, l'éloignement que j'ai assez fait connoître pour l'épiscopat, et les contradictions que j'ai eues de tous côtés sont des marques suffisantes de vocation, et si je puis me prêter à la résolution, que tout le monde me fait prendre, de me faire sacrer. Je vous supplie de me le mander, comme devant Dieu, afin que je puisse prendre une dernière résolution. »> La réponse d'Arnauld est digne d'un Père de l'Eglise et mérite d'être enregistrée toute entière par l'histoire :

« J'ai considéré devant Dieu, lui dit-il, ce que vous m'avez proposé; mais je ne sais comment pouvoir reconnoître si ce qui m'est venu dans l'esprit sur ce sujet est de Dieu ou de moi-même. L'engagement où est déjà cette personne, l'embarras étrange où il se trouveroit s'il changeoit tout d'un coup de résolution, l'improbation qu'en feroient plusieurs personnes de mérite qui l'ont poussé à ce qu'il est prêt de conclure, donnent beaucoup de lieu d'appréhender qu'on ne puisse que bien difficilement se mettre dans cet équilibre, où il semble que l'on devroit être pour examiner comme il faut une affaire si importante, sans se sentir porté à pencher plutôt d'un côté que d'un autre par des considérations humaines. Je suis d'ailleurs épouvanté lorsque j'envisage les suites que peut avoir le conseil que l'on me demande. Car, d'une part, qui ne trembleroit quand il s'agit de prendre sur soi la vocation d'un homme à la dignité d'un apôtre, en le déterminant à l'accepter, et à se charger d'un fardeau redoutable aux anges mêmes, comme disent les conciles, surtout quand il ne se trouve pas dans l'état où saint Paul veut que soient tous ceux qu'on élève à l'épiscopat, et qu'il est lui-même convaincu qu'il en devroit être exclu en demeurant dans la rigueur des canons. Mais d'autre part aussi, quand je regarde l'état pitoyable où l'Église se trouve réduite, et combien il est plus vrai en ce temps-ci qu'en celui dont parle saint Augustin, qu'elle trouve à peine un seul pasteur entre des milliers de mercenaires, qui n'auroit peur de lui en ôter un que la Provi

1 V. la lettre de Le Camus après la 257.e de celles d'Arnauld. Arnauld, Lettre 258.e.

dence divine semble lui donner, en qui on peut raisonnablement espérer qu'elle trouvera quelque aide et quelque support dans ses extrêmes besoins? Ainsi, de quelque côté que l'on se tourne, on ne voit que des sujets de frayeur. Néanmoins, si on doit s'arrêter aux pensées que l'on a dans l'esprit en priant Dieu, je ne puis pas dissimuler que je n'ai presque été occupé que de la dernière, et que j'ai été fort frappé de ce que dit le même Père, que l'Église trouve bon que, pour lui procurer un grand bien, on fasse quelque plaie à la discipline et il m'a semblé qu'on pourroit user, en cette rencontre, de cette condescendance. Mais j'ai été en même temps très fortement persuadé que, comme il étoit nécessaire, afin qu'elle fût légitime, que l'Église en tirât de grands avantages, cette personne avoit une obligation toute particulière de mener une vie si édifiante et si sainte, qu'il pût abondamment réparer par là ce qu'il peut y avoir, dans son entrée, de moins conforme à la sainteté des

canons.

>> Il n'ignore pas ce qui a été ordonné dans le quatrième concile de Carthage, et renouvelé dans celui de Trente touchant la modestie, la frugalité et l'éloignement du luxe où doivent être les évêques. Je voudrois qu'il en fit d'abord sa règle, et qu'il commençat par imiter ceux d'entre les prélats de France qui l'ont suivie plus religieusement. Car je ne suis pas de l'avis de ceux qui croient qu'il ne faut pas d'abord effaroucher le monde par une manière de vie qui paroisse trop austère et trop singulière. Je crois, au contraire, qu'en ce qui regarde la conduite d'un prélat en son particulier, il doit faire tout d'un coup ce qu'il doit faire pour toujours, afin d'y accoutumer le monde et lui imprimer l'idée qu'il doit avoir d'un vrai évêque, qui veut sérieusement se sauver et sauver son peuple. Il y a même en cela deux grands avantages: L'un, que l'on s'engage soi-même à son devoir, et que l'on s'impose une espèce de nécessité de ne s'en point départir par la honte qu'on en recevroit. Ce qui est d'un grand secours à la charité, qui doit être le ressort principal qui nous fait agir, pour arrêter la pente naturelle que nous avons au relâchement. L'autre, que les gens du monde reçoivent mieux de certaines duretés, dont on est obligé d'user envers eux, en leur refusant ce qu'ils demandent contre les règles de l'Eglise, lorsqu'ils sont persuadés par la vie réglée, austère et sainte d'un évêque, qu'il ne regarde que Dieu dans tout ce qu'il fait. J'ajoute à tout cela qu'un homme à qui la pénitence conviendroit mieux que l'épiscopat, selon le vrai esprit

de l'Église, est au moins obligé de joindre un peu de la vie pénitente à la vie épiscopale, et de s'appliquer ce que saint Grégoire dit généralement de ceux qui ont commis des actions illicites, qu'ils n'ont pas le même droit que les innocents, d'user des choses licites. Enfin, je ne crois pas devoir omettre une pensée qui me vient présentement dans l'esprit en écrivant ce cas. Je ne sais si une personne élevée à l'épiscopat contre les véritables règles de l'Église, dans la seule vue de ses extrêmes besoins, ne devroit point se regarder comme étant seulement dépositaire de cette dignité, et toujours disposée à s'en défaire, quand Dieu lui donneroit un moyen de s'en pouvoir démettre entre les mains d'une personne plus innocente et capable de rendre à l'Église les mêmes services. Cette sincère disposition pourroit beaucoup servir, ce me semble, à rectifier son entrée et à en réparer les défauts. Voilà tout ce que je vous puis dire sur le sujet dont vous m'avez contraint de parler, en me conjurant de vous écrire ce que j'en pensois comme devant Dieu; sans cela je n'aurois pas osé le faire, et je ne prétends point que cette personne s'y doive arrêter. C'est de Dieu qu'il doit attendre les lumières et les mouvements qui le détermineront dans une occasion si importante. >>

Le Camus accepa la charge épiscopale aux conditions que lui avait indiquées Arnauld, et il choisit ce savant docteur pour son conseil ordinaire. Il se mit à l'œuvre dès son arrivée dans son diocèse, où régnaient les plus étranges abus. Arnauld l'en avait pré

venu :

« Les choses sont encore pis qu'on ne vous les avoit dépeintes, lui écrivit Le Camus 1, et avec cela y ayant tous les jours plus de dix mille communions et autant de confessions, et pas un bon confesseur. J'ai prié M. de Luçon de vous consulter sur les brefs qui regardent ou les indulgences, ou les dispenses, parce qu'on obtient ici de toutes ces choses-là en foule, et je crois que, comme nous ne sommes pas de simples exécuteurs des brefs qui ne nous sont pas adressés, surtout de ceux qui vont à dispenser des règles de l'Eglise, nous pouvons fort bien nous dispenser d'admettre ces dispenses, qu'on a pour de l'argent, et où il n'y a jamais de cause. »

Les Jésuites étaient à Grenoble, comme partout, la cause la plus directe de ces abus. Le Camus leur ôta l'enseignement de la théo

1 V. cette lettre avant la 262. d'Arnauld.

logie morale, dont ils abusaient d'une manière si étrange. 'Il écrivit à Arnauld à ce sujet1:

« Vous aurez sans doute entendu parler de l'affaire que j'ai avec les Jésuites, parce que je n'ai pas voulu qu'ils enseignent ici les cas de conscience; cela étant inutile, attendu que les Jacobins ont deux docteurs de Sorbonne qui enseignent la théologie, et que je vais encore la faire enseigner en mon séminaire. Le diocèse est encore en pire état que je ne puis vous l'écrire; il n'y a aucune connoissance de la religion; tous les vices y abondent; l'ignorance parfaite dans les prêtres et les religieux; point de règle dans l'administration du sacrement de pénitence. »

Les religieux, comme dans la plupart des diocèses, se posaient en antagonistes des évêques, et prêchaient une doctrine fort immorale. Dans un trop grand nombre de ces diocèses, des évêques mondains fermaient les yeux sur de tels excès ; mais à Grenoble, Le Camus entra en lice contre eux : « Je suis seul de mon avis, disait-il à Arnauld, et je n'ai pour moi que l'Évangile et la fermeté. » Grâce à cette énergie, il réussit à corriger de nombreux abus. Il appela des missionnaires à son secours. Arnauld, dont on veut faire un rigoriste absurde, leur recommanda la douceur: « Ce qu'il me semble que l'on peut considérer, dit-il, c'est que les peuples ayant été si peu instruits jusqu'ici, on les peut traiter avec plus d'indulgence que s'ils étoient retournés en arrière après avoir connu la voie de la vérité. »

Selon leur habitude, les religieux cherchèrent à entraver les efforts des nouveaux missionnaires. L'Evêque de Grenoble en écrivit à Arnauld en ces termes 3:

« Les religieux se sont opposés à la mission de tout leur pouvoir, et ont fait courir mille faux bruits, tous plus impertinents les uns que les autres, que je ne faisois cette dépense que pour savoir les confessions de tout le monde. Les religieux ont affecté de ne point confesser, sous prétexte que j'en avois retranché quelques-uns de chaque maison, surtout les Capucins, les Augustins déchaussé, et les Récollets. Je ne puis ignorer que la plupart des Jésuites ne s'acquittent pas fidèlement du ministère de la confession, soit au regard de l'usure, soit pour admettre à la communion tous les di

1 V. la lettre après la 262.e d'Arnauld.

2 Arnauld, Lettre 264.e.

3 V. cette lettre après la 272.e d'Arnauld.

manches les personnes qui sont dans l'habitude de l'impureté. Ils m'ont tous promis d'être fidèles aux règles de St-Charles, et pas un ne s'en acquitte comme il doit. Que dois-je faire? D'un côté, je n'ai dans chaque ville que cinq confesseurs capables pour trente mille hommes, et si je les réduis à cela dans Grenoble et Chambéry, je fais un scandale terrible et cause une révolte universelle. Si j'admets tous les méchants confesseurs, ne suis-je pas coupable de tous les crimes qu'ils commettent; et quel bien puis-je faire dans mon diocèse, puisque je ne puis rien faire que par la prédication? et ils détruisent, au confessionnal, tout le bien que je pourrois faire. Cette pensée me touche tellement, que, me croyant inutile dans ce diocèse, et d'ailleurs, étant très indigne de l'épiscopat par les péchés de ma jeunesse, je suis presque résolu de m'en défaire. » Non content de lui faire de l'opposition dans l'exercice de son ministère, les Jésuites voulaient le forcer à leur donner l'autorisation d'enseigner, comme par le passé, à Grenoble, leur théologie immorale; ils lui firent écrire par le P. Ferrier, et le menacèrent des ordres du roi. Plus leur conduite indignait l'épiscopat, plus ils montraient de colère. Le Père Guillemin n'avait pas craint de dire dans ses prédications, que tout le royaume était janséniste, ainsi que les deux tiers des évêques, et qu'il fallait se défier d'eux1. Le Camus les reprenait avec énergie; ils lui faisaient les plus belles protestations; leur recteur venait même lui demander pardon à genoux et publiquement, mais tout cela était pour l'extérieur, et ils ne tenaient aucune de leurs promesses. Aussi le pieux évêque était-il obligé de faire ce pénible aveu3, qu'il réussirait en moins d'un an à réformer le diocèse, si les religieux n'y mettaient obstacie par leurs discours et par leur absolution. « Ainsi, ajoutait-il ceux dont on devoit attendre des secours, ce sont ceux qui donnent les coups les plus cruels à l'Église. >>

Les Jésuites, tout en se prosternant aux genoux de l'évêque de Grenoble, cherchaient à lui nuire ; et ils essayèrent, par l'entremise du Père de La Chaise, qui avait succédé au P. Ferrier, en qualité de confesseur du roi, de lui enlever l'emplacement où il avait élevé son séminaire. Cet établissement leur était odieux,

1 V. la lettre citée ci-dessus.

? Lettre de Le Camus à Arnauld, après la lettre 274.e de ce dernier, dans le recueil de sa correspondance.

Lettre de Le Camus à Arnauld, après la 283. de la correspondance de ce dernier.

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